Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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LES PENSÉES DE BLAISE PASCAL DANS L'ÉDITION DE 1671


Que les vrais Chrétiens et les vrais Juifs n'ont qu'une même Religion.

 

LA Religion des Juifs semblait consister essentiellement en la paternité d'Abraham, en la circoncision, aux sacrifices, aux cérémonies, [140] en l'Arche, au Temple de Jérusalem, et enfin en la loi, et en l'alliance de Moïse.

Je dis, qu'elle ne consistait en aucune de ces choses, mais seulement en l'amour de Dieu, et que Dieu réprouvait toutes les autres choses.

Que Dieu n'avait point d'égard au peuple charnel qui devait sortir d'Abraham.

Que les Juifs seront punis de Dieu comme les étrangers s'ils l'offensent. Si vous oubliez Dieu, et que vous suiviez des dieux étrangers, je vous prédis, que vous périrez de la même manière que les nations que Dieu a exterminées devant vous. (Deuter. 8. 19. 20.)

Que les étrangers seront reçus de Dieu comme les Juifs, s'ils l'aiment.

Que les vrais Juifs ne considéraient leur mérite que de Dieu, et non d'Abraham. Vous êtes véritablement notre Père, et Abraham ne nous a pas connus, et Israël n'a pas eu connaissance de nous ; mais c'est vous qui êtes notre Père, et notre rédempteur. (Is. 63. 16.)

Moïse même leur a dit, que Dieu [141] n'accepterait pas les personnes. Dieu, dit-il, n'accepte pas les personnes, ni les sacrifices. (Deuter. 10. 7.)

Je dis, que la circoncision du coeur est ordonnée. Soyez circoncis du coeur ; retranchez les superfluités de votre coeur, et ne vous endurcissez plus ; car votre Dieu est un Dieu grand, puissant, et terrible, qui n'accepte pas les personnes. (Deut. 10. 16. 17. ; Ierem. 4. 4.)

Que Dieu dit, qu'il le ferait un jour. Dieu te circoncira le coeur, et à tes enfants, afin que tu l'aime de tout ton coeur. (Deut. 30. 6.)

[§] Je dis, que la circoncision était une figure ; qui avait été établie, pour distinguer le peuple Juifs de toutes les autres nations.

Et de là vient qu'étant dans le désert, ils ne furent pas circoncis, parce qu'ils ne pouvaient se confondre avec les autres peuples ; et que depuis que JÉSUS-CHRIST est venu cela n'est plus nécessaire. [142]

Que l'amour de Dieu est recommandé en tout. Je prends à témoin le ciel et la terre que j'ai mis devant vous la mort et la vie ; afin que vous choisissiez la vie, et que vous aimiez Dieu, et que vous lui obéissiez ; car c'est Dieu qui est votre vie. (Deut. 30. 19. 20.)

Il est dit, que les Juifs faute de cet amour seraient réprouvés pour leurs crimes, et les Païens élus en leur place. Je me cacherai d'eux dans la vue de leurs derniers crimes ; car c'est une nation méchante et infidèle. (Deut. 32. 20. 21.) Ils m'ont provoqué à courroux par les choses que ne sont point des Dieux ; et je les provoquerai à jalousie par un peuple qui n'est pas mon peuple, et par une nation sans science et sans intelligence. (Is. 65.)

Que les biens temporels sont faux, et que le vrai bien est d'être uni à Dieu. (Ps. 72.)

Que leurs fêtes déplaisent à Dieu. (Amos. 5. 21.)

Que les sacrifices des Juifs déplaisent à Dieu, et non seulement des méchants Juifs, mais qu'il ne plaît pas même en ceux des bons, comme il paraît par le Psaume 49. où, avant que d'adresser son discours aux méchants par ces paroles, Peccatori autem dixit Deus, il dit qu'il ne veut point des sacrifices des bêtes, ni de leur sang.

Que les sacrifices des Païens seront reçus de Dieu ; et que Dieu retirera sa volonté des sacrifices des Juifs. (Malac. 1. 11. ; I Rois. 15. 22. ; Ozée 6. 6.)

Que Dieu fera une nouvelle alliance par le Messie ; et que l'ancienne sera rejetée. (Ierem. 31. 31.)

Que les anciennes choses seront oubliées. (Is. 43. 18. 19.)

Qu'on en se souviendra plus de l'Arche. (Ierem. 3. 16.)

Que le temple serait rejeté. (Ierem. 7. 12. 13. 14.)

Que les sacrifices seraient rejetés, et d'autres sacrifices purs établis. (Malach. 1. 10. 11.)

Que l'ordre de la sacrificature d'Aaron sera réprouvé, et celle de Melchisedech introduite par le Messie. (Ps. 109.)

Que cette sacrificature serait éternelle. (ibid.)

Que Jérusalem serait réprouvée, et un nouveau nom donné. (Is. 65.)

Que ce dernier nom serait meilleurs que celui des Juifs, et éternel. (Is. 56. 5.) [143]

Que les Juifs devaient être sans Prophètes, sans Rois, sans Princes, sans sacrifices, sans autel. (Ozée 3. 4.)

Que les Juifs subsisteraient toujours néanmoins en peuple. (Ierem. 31. 36.)


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On ne connaît Dieu utilement que par Jésus-Christ.

 

LA plupart de ceux qui entreprennent de prouver la Divinité aux impies, commencent d'ordinaire par les ouvrages de la nature, et ils y réussissent rarement. Je n'attaque pas la solidité de ces preuves consacrées par l'Écriture sainte : elles sont conformes à la raison ; mais souvent elles ne sont pas assez conformes, et assez proportionnées à la disposition de l'esprit de ceux pour qui elles sont destinées.

Car il faut remarquer qu'on n'adresse pas ce discours à ceux qui ont la foi vive dans le coeur, et qui voient incontinent, que tout ce qui [145] est, n'est autre chose que l'ouvrage du Dieu qu'ils adorent. C'est à eux que toute la nature parle pour son auteur, et que les Cieux annoncent la gloire de Dieu. Mais pour ceux en qui cette lumière est éteinte, et dans lesquels on a dessein de la faire revivre ; ces personnes destituées de foi, et de charité, qui ne trouvent que ténèbres et obscurité dans toute la nature ; il semble que ce ne soit pas le moyen de les ramener, que de ne leur donner pour preuves de ce grand et important sujet que le cours de la Lune ou des planètes, ou des raisonnements communs, et contre lesquels ils se sont continuellement roidis. L'endurcissement de leur esprit les a rendus sourds à cette voix de la nature, qui a retenti continuellement à leurs oreilles ; et l'expérience fait voir, que bien loin qu'on les emporte par ce moyen, rien n'est plus capable au contraire de les rebuter, et de leur ôter l'espérance de trouver la vérité, que de prétendre les en convaincre seulement par ces sortes de raisonnements, et de leur [146] dire, qu'ils y doivent voir la vérité à découvert.

Ce n'est pas de cette sorte que l'Écriture, qui connaît mieux que nous les choses qui sont de Dieu, en parle. Elle nous dit bien, que la beauté des créatures fait connaître celui qui en est l'auteur ; mais elle ne nous dit pas, qu'elles fassent cet effet dans tout le monde. Elle nous avertit au contraire, que quand elles le font, ce n'est pas par elles mêmes, mais par la lumière que Dieu répand en même temps dans l'esprit de ceux à qui il se découvre par ce moyen. Quod notum est Dei, manifestatum est in illis, Deus enim illis manifestavit (Rom. 1. 19.). Elle nous dit généralement, que Dieu est un Dieu caché, Vere tu es Deus absconditus [N.D.C. Is. 45, 15] ; et que depuis la corruption de la nature, il a laissé les hommes dans un aveuglement dont ils ne peuvent sortir que par JÉSUS-CHRIST, hors duquel toute communication avec Dieu nous est ôtée. Nemo novit patrem nisi filius, aut cui volueri filius revelare (Matth. 11. 27).

C'est encore ce que l'Écriture [147] nous marque, lorsqu'elle nous dit en tant d'endroits, que ceux qui cherchent Dieu le trouve ; car on ne parle point ainsi d'une lumière claire et évidente : on ne la cherche point ; elle se découvre, et se fait voir d'elle même.

[§] Les preuves de Dieu métaphysiques sont si éloignées du raisonnement des hommes, et si impliquées, qu'elles frappent peu ; et quand cela servirait à quelques uns, ce ne serait que pendant l'instant qu'ils voient cette démonstration ; mais une heure après ils craignent de s'être trompés. Quod curiositate cognoverint, superbiâ amiserunt. [N.D.C. cf. Aug., Serm. CXLI In Jn 14, 6, II, 2, P. L. 38, 777, li. 9 : quod curiositate invenerunt, superbia perdiderunt]

D'ailleurs ces sortes de preuves ne nous peuvent conduire qu'à une connaissance spéculative de Dieu, et ne le connaître que de cette sorte, c'est ne le connaître pas.

La Divinité des Chrétiens ne consiste pas en un Dieu simplement auteur des vérités Géométriques et de l'ordre des éléments ; c'est la part des Païens. Elle ne consiste pas simplement en un Dieu qui exerce sa [148] providence sur la vie et sur les biens des hommes, pour donner une heureuse suite d'années à ceux qui l'adorent ; c'est le partage des Juifs. Mais le Dieu d'Abraham, et de Jacob, le Dieu des Chrétiens est un Dieu d'amour et de consolation : c'est un Dieu qui remplit l'âme et le coeur de ceux qu'il possède : c'est un Dieu qui leur fait sentir intérieurement leur misère, et sa miséricorde infinie ; qui s'unit au fonds de leur âme, qui la remplit d'humilité, de joie, de confiance, d'amour ; qui les rend incapables d'autre fin que de lui-même.

Le Dieu des Chrétiens est un Dieu qui fait sentir à l'âme, qu'il est son unique bien, que tout son repos est en lui, et qu'elle n'aura de joie qu'à l'aimer ; et qui lui fait en même temps abhorrer les obstacles qui la retiennent et l'empêchent de l'aimer de toutes ses forces. L'amour propre et la concupiscence qui l'arrêtent lui sont insupportables. Ce Dieu lui fait sentir, qu'elle a ce fonds d'amour propre, et que lui seul l'en peut guérir. [149]

Voilà ce que c'est que de connaître Dieu en Chrétien. Mais pour le connaître de cette manière, il faut connaître en même temps sa misère, son indignité, et le besoin qu'on a d'un médiateur pour se rapprocher de Dieu, et pour s'unir à lui. Il ne faut point séparer ces connaissances ; parce qu'étant séparées, elles sont non seulement inutiles, mais nuisibles. La connaissance de Dieu sans celle de notre misère fait l'orgueil. La connaissance de notre misère sans celle de JÉSUS-CHRIST fait le désespoir. Mais la connaissance de Jésus-Christ nous exempte et de l'orgueil, et du désespoir ; parce que nous y trouvons Dieu, nôtre misère, et la voie unique de la réparer.

Nous pouvons connaître Dieu, sans connaître nos misères ; ou nos misères, sans connaître Dieu ; ou même Dieu et nos misères, sans connaître le moyen de nous délivrer des misères qui nous accablent. Mais nous ne pouvons connaître JÉSUS-CHRIST, sans connaître tout [150] ensemble et Dieu, et nos misères, et le remède de nos misères ; parce que JÉSUS-CHRIST n'est pas simplement Dieu, mais que c'est un Dieu réparateur de nos misères.

Ainsi tous ceux qui cherchent Dieu sans JÉSUS-CHRIST, ne trouvent aucune lumière qui les satisfasse, ou qui leur soit véritablement utile. Car, ou ils n'arrivent pas jusqu'à connaître qu'il y a un Dieu ; ou, s'ils y arrivent, c'est inutilement pour eux ; parce qu'ils se forment un moyen de communiquer sans médiateur avec ce Dieu qu'ils ont connu sans médiateur. De sorte qu'ils tombent ou dans l'Athéisme, ou dans le Déisme, qui sont deux choses que la Religion Chrétienne abhorre presque également.

Il faut donc tendre uniquement à connaître JÉSUS-CHRIST, puisque c'est par lui seul que nous pouvons prétendre connaître Dieu d'une manière qui nous soit utile.

C'est lui qui est le vrai Dieu des hommes, c'est-à-dire des misérables, et des pécheurs. Il est le [151] centre de tout, et l'objet de tout ; et qui ne le connaît pas, ne connaît rien dans l'ordre du monde, ni dans soi même. Car non seulement nous ne connaissons Dieu que par JÉSUS-CHRIST, mais nous ne nous connaissons nous mêmes que par JÉSUS-CHRIST.

Sans JÉSUS-CHRIST il faut que l'homme soit dans le vice et dans la misère ; avec JÉSUS-CHRIST l'homme est exempt de vice et de misère. En lui est tout notre bonheur, notre vertu, notre vie, notre lumière, notre espérance ; et hors de lui il n'y a que vice, misère, ténèbres, désespoir, et nous ne voyons qu'obscurité et confusion dans la nature de Dieu, et dans notre propre nature.


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Contrariétés étonnantes qui se trouvent dans la nature de l'homme à l'égard de la vérité, du bonheur, et de plusieurs autres choses.

 

RIEN n'est plus étrange dans la nature de l'homme que les contrariétés que l'on y découvre à l'égard de toutes choses. Il est fait pour connaître la vérité ; il la désire ardemment, il la cherche ; et cependant quand il tâche de la saisir, il s'éblouit et se confond de telle sorte, qu'il donne sujet de lui en disputer la possession. C'est ce qui a fait naître les deux sectes de Pyrrhoniens et de Dogmatistes, dont les uns ont voulu ravir à l'homme toute connaissance de la vérité, et les autres tâchent de la lui assurer ; mais chacun avec des raisons si peu vraisemblables qu'elles augmentent la confusion et l'embarras de l'homme, lorsqu'il n'a [ 153] point d'autre lumière que celle qu'il trouve dans sa nature.

Les principales raisons des Pyrrhoniens sont, que nous n'avons aucune certitude de la vérité des principes, hors la foi et la révélation, sinon en ce que nous les sentons naturellement en nous. Or, disent-ils, ce sentiment naturel n'est pas une preuve convaincante de leur vérité ; puis que n'y ayant point de certitude hors la foi ; si l'homme est créé par un Dieu bon, ou par un démon méchant, s'il a esté de tout temps, ou s'il s'est fait par hasard, il est en doute si ces principes nous sont donnés ou véritables, ou faux, ou incertains selon nôtre origine. De plus, que personne n'a d'assurance hors la foi, s'il veille, ou s'il dort ; vu que durant le sommeil on ne croit pas moins fermement veiller, qu'en veillant effectivement. On croit voir les espaces, les figures, les mouvements ; on sent couler le temps, on le mesure ; et enfin on agit de même qu'éveillé. De sorte que la moitié de la vie se passant en sommeil par notre propre aveu, ou, quoiqu'il [154] nous en paraisse, nous n'avons aucune idée du vrai, tous nos sentiments étants alors des illusions, qui sait si cette autre moitié de la vie où nous pensons veiller n'est pas un sommeil un peu différent du premier, dont nous nous éveillons quand nous pensons dormir, comme on rêve souvent qu'on rêve en entassant songes sur songes ?

Je laisse les discours que font les Pyrrhoniens contre les impressions de la coutume, de l'éducation, des moeurs, des pays, et les autres choses semblables, qui entraînent la plus grande partie des hommes qui ne dogmatisent que sur ces vains fondements.

L'unique fort des Dogmatistes, c'est qu'en parlant de bonne foi et sincèrement on ne peut douter des principes naturels. Nous connaissons, disent-ils, la vérité, non seulement par raisonnement, mais aussi par sentiment, et par une intelligence vive et lumineuse ; et c'est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes. C'est en vain que le [155] raisonnement qui n'y a point de part essaye de les combattre. Les Pyrrhoniens qui n'ont que cela pour objet y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point, quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison. Cette impuissance conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l'incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent. Car la connaissance des premiers principes, comme, par exemple, qu'il y a espace, temps, mouvement, nombre, matière, est aussi ferme qu'aucune de celle que nos raisonnements nous donnent. Et c'est sur ces connaissances d'intelligences et de sentiment qu'il faut que la raison s'appuie, et qu'elle fonde tout son discours. Je sens qu'il y a trois dimensions dans l'espace, et que les nombres sont infinis ; et la raison démontre ensuite, qu'il n'y a point deux nombres carrés, dont l'un soit double de l'autre. Les principes se sentent ; les propositions se concluent ; le tout avec certitude, quoique par [156] différentes voies. Et il est aussi ridicule que la raison demande au sentiment, et à l'intelligence des preuves de ces premiers principes pour y consentir, qu'il serait ridicule que l'intelligence demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu'elle démontre. Cette impuissance ne peut donc servir qu'à humilier la raison qui voudrait juger de tout ; mais non pas à combattre notre certitude, comme s'il n'y avait que la raison capable de nous instruire. Plût à Dieu que nous n'en eussions au contraire jamais besoin, et que nous connussions toutes choses par instinct et par sentiment. Mais la nature nous a refusé ce bien, et elle ne nous a donné que très peu de connaissances de cette sorte : toutes les autres ne peuvent être acquises que par le raisonnement.

Voilà donc la guerre ouverte entre les hommes. Il faut que chacun prenne parti, et se range nécessairement ou au Dogmatisme, ou au Pyrrhonisme ; car qui penserait demeurer neutre serait Pyrrhonien par excellence : [157] cette neutralité est l'essence du Pyrrhonisme ; qui n'est pas contr' eux est excellemment pour eux. Que sera donc l'homme en cet état ? Doutera-t-il de tout ? Doutera-t-il s'il veille, si on le pince, si on le brûle ? Doutera-t-il s'il est ? On n'en saurait venir là : et je mets en fait qu'il n'y a jamais eu de Pyrrhonien effectif et parfait. La nature soutient la raison impuissante, et l'empêche d'extravaguer jusqu'à ce point. Dira-t-il au contraire, qu'il possède certainement la vérité, lui qui, si peu qu'on le pousse, n'en peut montrer aucun titre, et est forcé de lâcher prise ?

Qui démêlera cet embrouillement ? La nature confond les Pyrrhoniens, et la raison confond les Dogmatistes. Que deviendrez-vous donc, ô hommes, qui cherchez votre véritable condition par votre raison naturelle ? Vous ne pouvez fuir une de ces sectes, ni subsister dans aucune.

Voilà ce qu'est l'homme à l'égard de la vérité. Considérons-le maintenant à l'égard de la félicité qu'il [158] recherche avec tant d'ardeur en toutes ses actions. Car tous les hommes désirent d'être heureux ; cela est sans exception. Quelques différents moyens qu'il y emploient, ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que l'un va à la guerre, et que l'autre n'y va pas, c'est ce même désir qui est dans tous les deux accompagné de différentes vues. La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C'est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu'à ceux qui se tuent et qui se pendant.

Et cependant depuis un si grand nombre d'années, jamais personne sans la foi n'est arrivé à ce point, où tous tendent continuellement. Tous se plaignent, Princes, sujets ; nobles, roturiers ; vieillards, jeunes ; forts, faibles ; savants, ignorants ; sains, malades ; de tous pays, de tous temps, de tous âges, et de toutes conditions.

Une épreuve si longue, si continuelle, et si uniforme devrait bien nous convaincre de l'impuissance où nous sommes, d'arriver au bien par [159] nos efforts. Mais l'exemple ne nous instruit point. Il n'est jamais si parfaitement semblable, qu'il n'y ait quelque délicate différence ; et c'est de là que nous attendons que notre espérance ne sera pas déçue en cette occasion comme en l'autre. Ainsi le présent ne nous satisfaisant jamais ; l'espérance nous pipe, et de malheur en malheur nous mène jusqu'à la mort qui en est le comble éternel.

C'est une chose étrange, qu'il n'y a rien dans la nature qui n'ai esté capable de tenir la place de la fin et du bonheur de l'homme, êtres, éléments, plantes, animaux, insectes, maladies, guerre, vices, crimes, etc. L'homme estant déchu de son état naturel, il n'y a rien à quoi il n'ait esté capable de se porter. Depuis qu'il a perdu le vrai bien, tout également peut lui paraître tel, jusqu'à sa destruction propre, toute contrainte qu'elle est à la raison et à la nature tout ensemble.

Les uns ont cherché la félicité dans l'autorité, les autres dans les curiosités et dans les sciences, les [160] autres dans les voluptés. Ces trois concupiscences ont fait trois sectes, et ceux qu'ont appelle Philosophes n'ont fait effectivement que suivre une des trois. Ceux qui en ont le plus approché ont considéré, qu'il est nécessaire que le bien universel que tous les hommes désirent, et où tous doivent avoir part, ne soit dans aucune des choses particulières qui ne peuvent être possédées que par un seul, et qui estant partagées affligent plus leur possesseur par le manque de la partie qu'il n'a pas, qu'elles ne le contentent par la jouissants de celle qui lui appartient. Ils ont compris que le vrai bien devait être tel que tous pussent le posséder à la fois sans diminution, et sans envie, et que personne ne le pût perdre contre son gré. Ils l'ont compris, mais ils ne l'ont pu trouver ; et au lieu d'un bien solide et effectif, ils n'ont embrassé que l'image creuse d'une vertu fantastique.

Notre instinct nous fait sentir qu'il faut chercher notre bonheur dans nous. Nos passions nous [161] poussent au dehors, quand même les objets ne s'offriraient pas pour les exciter. Les objets du dehors nous tentent d'eux- mêmes, et nous appellent, quand même nous n'y pensons pas. Ainsi les Philosophes ont beau dire : rentrez en vous mêmes, vous y trouverez votre bien ; on ne les croit pas ; et ceux qui les croient sont les plus vides et les plus sots. Car qu'y a-t-il de plus ridicule et de plus vain que ce que proposent Stoïciens, et de plus faux que tous leurs raisonnements ?

Ils concluent qu'on peut toujours ce qu'on peut quelquefois, et que puisque le désir de la gloire fait bien faire quelque chose à ceux qu'il possède, les autres le pourront bien aussi. Ce sont des mouvements fiévreux que la santé ne peut imiter.

[§] La guerre intérieure de la raison contre les passions a fait que ceux qui ont voulu avoir la paix se sont partagés en deux sectes. Les uns ont voulu renoncer aux passions, et devenir Dieux. Les autres ont voulu y renoncer à la raison, et devenir bêtes. [162] Mais ils ne l'ont pu ni les uns ni les autres ; et la raison demeure toujours qui accuse la bassesse et l'injustice des passions, et trouble le repos de ceux qui s'y abandonnent : et les passions sont toujours vivantes dans ceux mêmes qui veulent y renoncer.

Voilà ce que peut l'homme par lui même et par ses propres efforts à l'égard du vrai, et du bien. Nous avons une impuissance à prouver, invincible à tout le Dogmatisme. Nous avons une idée de la vérité, invincible à tout le Pyrrhonisme. Nous souhaitons la vérité, et ne trouvons en nous qu'incertitude. Nous cherchons le bonheur, et ne trouvons que misère. Nous sommes incapables et de certitude et de bonheur. Ce désir nous est laissé, tant pour nous punir, que pour nous faire sentir, d'où nous sommes tombés.

[§] Si l'homme n'est fait pour Dieu, pourquoi n'est-il heureux qu'en Dieu ? Si l'homme est fait pour Dieu, pourquoi est-il si contraire à Dieu ?

[§] L'homme ne sait à quel rang se mettre. Il est visiblement égaré, et sent en lui des restes d'un état heureux, dont il est déchu, et qu'il ne peut retrouver. Il le cherche par tout avec inquiétude et sans succès dans des ténèbres impénétrables.

C'est la source des combats des Philosophes, dont les uns ont pris à tâche d'élever l'homme en découvrant ses grandeurs, et les autres de l'abaisser en représentant ses misères. Ce qu'il y a de plus étrange, c'est que chaque parti se sert des raisons de l'autre pour établir son opinion. Car la misère de l'homme se conclut de sa grandeur et sa grandeur se conclut de sa misère. Ainsi les uns ont d'autant mieux conclu la misère, qu'ils en ont pris pour preuve la grandeur ; et les autres ont conclu la grandeur avec d'autant plus de force, qu'ils l'ont tirée de la misère même. Tout ce que les uns ont pu dire pour montrer la grandeur, n'a servi que d'un argument aux autres, pour conclure la misère ; puis que c'est être d'autant plus misérable, qu'on est [164] tombé de plus haut : et les autres au contraire. Ils se sont élevés les uns sur les autres par un cercle sans fin, estant certain qu'à mesure que les hommes ont plus de lumière ils découvrent de plus en plus en l'homme de la misère et de la grandeur. En un mot l'homme connaît qu'il est misérable. Il est donc misérable, puis qu'il le connaît ; mais il est bien grand, puis qu'il connaît qu'il est misérable.

Quelle chimère est-ce donc que l'homme ? Quelle nouveauté, quel chaos, quel sujet de contradiction ? Juge de toutes choses, imbécile ver de terre ; dépositaire du vrai, amas d'incertitudes ; gloire, et rebut de l'univers. S'il se vante, je l'abaisse ; s'il s'abaisse, je le vante, et le contredits toujours, jusqu'à ce qu'il comprenne, qu'il est un monstre incompréhensible.



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