LES PENSÉES DE BLAISE PASCAL DANS L'ÉDITION DE 1671
Pensées sur les miracles.
IL faut juger de la doctrine par les miracles :
il faut juger des miracles par la doctrine. La doctrine discerne les
miracles : et les miracles discernent la doctrine. Tout cela est vrai
; mais cela ne se contredit pas.
[§] Il y a des miracles qui sont des
preuves certaines de la vérité ; et il y en a qui ne
sont pas des preuves certaines de la vérité ; et il y
en a qui ne sont pas des preuves certaines de vérité.
Il faut une marque pour les connaître ; autrement ils seraient
inutiles. Or ils ne sont pas inutiles, et sont au contraire
fondements.
Il faut donc que la règle qu'on nous
donne soit telle, qu'elle ne détruise pas la preuve que les
vrais miracles donnent de la vérité, qui est la fin
principale des miracles.
[§] S'il n'y avait point de miracles
joints à la fausseté, il y aurait certitude. [211] S'il
n'y avait point de règle pour les discerner, les miracles
seraient inutiles, et il n'y aurait pas de raison de croire.
Moïse en a donné une, qui est
lorsque le miracle mène à l'idolâtrie (Deut. 13.
1. 2. 3. etc.) ; et que JÉSUS-CHRIST une : Celui, dit-il, qui
fait des miracles en mon nom, ne peut à l'heure même mal
parler de moi (Matt. 7. 38.). D'où il s'ensuit que quiconque
se déclare ouvertement contre JÉSUS-CHRIST ne peut
faire de miracles en son nom. Ainsi s'il en fait, ce n'est point au
nom de JÉSUS-CHRIST, et il ne doit point être
écouté. Voilà les occasions d'exclusion à
la foi des miracles marquées. Il ne faut pas y donner d'autres
exclusions. Dans l'ancien Testament, quand on vous détournera
de Dieu. Dans le nouveau, quand on vous détournera de
JÉSUS-CHRIST.
D'abord donc qu'on voit un miracle, il faut ou
se soumettre, ou avoir d'étranges marques du contraire. Il
faut voir si celui qui le fait nie un Dieu, ou JÉSUS-CHRIST.
[§] Toute Religion est fausse, qui [212]
dans sa foi n'adore pas un Dieu comme principe de toutes choses, et
qui dans sa morale n'aime pas un seul Dieu comme objet de toutes
choses.
Toute Religion qui ne reconnaît pas
maintenant JÉSUS-CHRIST est notoirement fausse, et les
miracles ne lui peuvent de rien servir.
[§] Les Juifs avaient une doctrine de
Dieu, comme nous en avons une de JÉSUS-CHRIST, et
confirmée par miracle, et défense de croire à
tous faiseurs de miracles qui leur enseigneraient une doctrine
contraire, et de plus ordre de recourir aux grands Prêtres, et
de s'en tenir à eux. Et ainsi toutes les raisons que nous
avons pour refuser de croire les faiseurs de miracles, il semble
qu'ils les avaient à l'égard de JÉSUS-CHRIST et
des Apôtres.
Cependant il est certain, qu'ils étaient
très coupables de refuser de les croire à cause de
leurs miracles puisque Jésus-Christ dit, qu'ils n'eussent pas
esté coupables, s'ils n'eussent point vu ses miracles ; [213]
Si opera non fecissem in eis qua nemo alius fecit, peccatum non
haberent. Si je n'avais fait parmi eux des oeuvres que jamais aucun
autre n'a faites, ils n'auraient point de péché (Iean.
25. 24.).
Il s'ensuit donc, qu'il jugeait que ses
miracles étaient des preuves certaines de ce qu'il enseignait,
et que les Juifs avaient obligation de le croire. Et en effet c'est
particulièrement les miracles qui rendaient les Juifs
coupables dans leur incrédulité. Car les preuves qu'on
eût pu tirer de l'Écriture pendant la vie de
JÉSUS-CHRIST n'auraient pas esté démonstratives.
On y voit par exemple que Moïse a dit, qu'un Prophète
viendrait ; mais cela n'aurait pas prouvé que
JÉSUS-CHRIST fût ce Prophète, et c'était
toute la question. Ces passages faisaient voir qu'il pouvait
être le Messie, et cela avec ses miracles devait
déterminer à croire qu'il l'était effectivement.
[§] Les prophéties seules ne
pouvaient pas prouver JÉSUS-CHRIST pendant sa vie. Et ainsi on
n'eût pas esté coupable de ne pas croire [214] en lui
avant sa mort, si les miracles n'eussent pas esté
décisifs. Donc les miracles suffisent quand on ne voit pas que
la doctrine soit contraire, et on y doit croire.
[§] JÉSUS-CHRIST a prouvé
qu'il était le Messie, en vérifiant plutôt sa
doctrine et sa mission par ses miracles que par l'Écriture et
par les prophéties.
C'est par les miracles que Nicodème
reconnaît que sa doctrine est de Dieu : Scimus quia à
Deo venisti, Magister ; nemo enim potest hæc signa facere
quæ tu facis, nisi fuerit Deus cum eo (Iean. 32.). Il ne juge
pas des miracles par la doctrine, mais de la doctrine par les
miracles.
Aussi quand même la doctrine serait
suspecte comme celle de JÉSUS- CHRIST pouvait l'être
à Nicodème, à cause qu'elle semblait
détruire les traditions des Pharisiens, s'il y a des miracles
clairs et évidents du même côté, il faut
que l'évidence du miracle l'emporte sur ce qu'il y pourrait
avoir de difficulté de la part de la doctrine ; [215] ce qui
est fondé sur ce principe immobile, que Dieu ne peut induire
en erreur.
Il y a un devoir réciproque entre Dieu
et les hommes. Accusez moi, dit Dieu dans Isaïe (Isa. 18.). Et
en un autre endroit : Qu'ai-je dû faire à ma vigne, que
je ne lui aie fait ? (ibid. 5. 42.)
Les hommes doivent à Dieu de recevoir la
Religion qu'il leur envoie. Dieu doit aux hommes de ne les pas
induire en erreur.
Or ils seraient induits en erreur, si les
faiseurs de miracles annonçaient une fausse doctrine qui ne
parût pas visiblement fausse aux lumières du sens
commun, et si un plus grand faiseur de miracles n'avait
déjà averti de ne les pas croire.
Ainsi s'il y avait division dans
l'Église, et que les Ariens, par exemple, qui se disaient
fondez sur l'Écriture comme les Catholiques, eussent fait des
miracles, et non les Catholiques, on eût esté induit en
erreur. Car comme un homme qui nous annonces les secrets de Dieu
n'est pas digne d'être crû sur son [216] autorité
privée ; aussi un homme qui pour marque de la communication
qu'il a avec Dieu ressuscite les morts, prédit l'avenir,
transporte les Montaignes, guérit les maladies, mérite
d'être crû, et on est impie si on ne s'y rend ; à
moins qu'il ne soit démenti par quelque autre qui fasse encore
de plus grands miracles.
Mais n'est-il pas dit que Dieu nous tente ? Et
ainsi ne nous peut-il pas tenter par des miracles qui semblent porter
à la fausseté ?
Il y a bien de la différence entre
tenter et induire en erreur. Dieu tente ; mais il n'induit pas en
erreur. Tenter c'est procurer les occasions qui n'imposent point de
nécessité. Induire en erreur c'est mettre l'homme dans
la nécessité de conclure, et suivre une
fausseté. C'est ce que Dieu ne peut faire, et ce qu'il ferait
néanmoins, s'il permettait que dans une question obscure il se
fît des miracles du côté de la fausseté.
On doit conclure delà, qu'il est
impossible qu'un homme cachant sa [217] mauvaise doctrine, et n'en
faisant paraître qu'une bonne, et se disant conforme à
Dieu et à l'Église, fasse des miracles, pour couler
insensiblement une doctrine fausse et subtile : cela ne se peut. Et
encore moins que Dieu, qui connaît les coeurs, fasse miracles
en faveur d'une personne de cette sorte.
[§] Il y a bien de la différence
entre n'être pas pour JÉSUS-CHRIST et le dire ; ou
n'être pas pour JÉSUS-CHRIST et feindre d'en être.
Les premiers pourraient peut-être faire des miracles, non les
autres ; car il est clair des uns, qu'ils font contre la
vérité, non des autres ; et ainsi les miracles sont
plus clairs.
Les miracles discernent donc aux choses
douteuses, entre les peuples Juif, et Païens ; Juif, et
Chrétien : Catholique, hérétique ; calomniez,
calomniateurs ; entre les trois croix.
C'est ce que l'on a vu dans tous les combats de
la vérité contre l'erreur, d'Abel
contre Caïn, de Moïse contre les magiciens de Pharaon,
d'Élie contre les faux Prophètes, de [218]
JÉSUS-CHRIST contre les Pharisiens, de Saint Paul contre
Barjesus, des Apôtres contre les Exorcistes, des
Chrétiens contre les infidèles, des Catholiques contre
les hérétiques. Et c'est ce qui se verra aussi dans le
combat d'Élie et d'Énoch contre l'Antechrist. Toujours
le vrai prévaut en miracles.
Enfin jamais en la contention du vrai Dieu, ou
de la vérité de la Religion, il n'est arrivé de
miracle du côté de l'erreur, qu'il n'en soit aussi
arrivé de plus grand du côté de la
vérité.
Par cette règle, il est clair que les
Juifs étaient obligez de croire JÉSUS- CHRIST.
JÉSUS-CHRIST leur étaient suspects. Mais ses miracles
étaient infiniment plus clairs que les soupçons que
l'on avait contre lui. Il le fallait donc croire.
[§] Du temps de JÉSUS-CHRIST les
uns croyaient en lui ; les autres n'y croyaient pas, à cause
des prophéties qui disaient, que le Messie devait naître
en Béthléem, au lieu qu'on croyait que
JÉSUS-CHRIST, était né dans [219] Nazareth. Mais
ils devaient mieux prendre garde, s'il n'était pas né
en Béthléem. Car ses miracles estant convainquants, ces
prétendues contradictions de sa doctrine à
l'Écriture, et cette obscurité ne les excusait pas,
mais les aveuglait.
[§] JÉSUS-CHRIST guérit
l'aveugle né, et fit quantité de miracles au jour du
sabbat. Par où il aveuglait les Pharisiens, qui disaient,
qu'il fallait juger des miracles par la doctrine.
Mais par la même règle qu'on
devait croire JÉSUS-CHRIST, on ne devra point croire
l'Antechrist.
JÉSUS-CHRIST ne parlait ni contre Dieu,
ni contre Moise. L'Antechrist et les faux Prophètes
prédits par l'un et l'autre Testament parleront ouvertement
contre Dieu et contre JÉSUS-CHRIST. Qui serait ennemi couvert,
Dieu ne permettrait pas qu'il fît des miracles ouvertement.
[§] Moïse a prédit
JÉSUS-CHRIST, et ordonné de le suivre.
JÉSUS-CHRIST a prédit [220] l'Antechrist, et
défendu de le suivre.
[§] Les miracles de JÉSUS-CHRIST ne
sont pas prédits par l'Antechrist. Mais les miracles de
l'Antechrist sont prédits par JÉSUS-CHRIST. Et ainsi,
si JÉSUS- CHRIST n'était pas le Messie il aurait bien
induit en erreur, mais on n'y saurait être induit avec raison
par les miracles de l'Antechrist. Et c'est pourquoi les miracles de
l'Antechrist ne nuisent point à ceux de Jésus- Christ.
Aussi quand JÉSUS-CHRIST a prédit les miracles de
l'Antechrist, a-t-il crû détruire la foi de ses propres
miracles.
[§] Il n'y a nulle raison de croire
à l'Antechrist, qui ne soit à croire en
JÉSUS-CHRIST. Mais il y en a à croire en
Jésus-Christ qui ne sont pas à croire à
l'Antechrist.
[§] Les miracles ont servi à la
fondation, et serviront à la continuation de l'Église
jusqu'à l'Antechrist, jusqu'à la fin.
C'est pourquoi Dieu afin de conserver cette
preuve à son Église, ou il a confondu les faux
miracles, ou il les a prédits. Et par l'un et l'autre il [221]
s'est élevé au dessus de ce qui est surnaturel à
notre égard, et nous y a élevez nous mêmes.
Il en arrivera de même à l'avenir
: ou Dieu ne permettra pas de faux miracles, ou il en procurera de
plus grands.
Car les miracles ont une telle force, qu'il a
fallu que Dieu ait averti, qu'on n'y pensât point, quand ils
seraient contre lui, tout clair qu'il soit qu'il y a un Dieu, sans
quoi ils eussent esté capables de troubler.
Et ainsi tant s'en faut que ces passages du 13.
chap. du Deutéronome, qui portent, qu'il ne faut point croire
ni écouter ceux qui feront des miracles, et qui
détournent du service de Dieu ; et celui de S. Marc ; Il
s'élèvera de faux Christs, et des faux Prophètes
qui feront des prodiges et des choses étonnantes,
jusqu'à séduire, s'il était possibles, les
élus mêmes (Marc. 13. 22.) ; et quelques autres
semblables fassent contre l'autorité des miracles, que rien
n'en marque davantage la force.
[§] Ce qui fait qu'on ne croit pas les
vrais miracles, c'est le défaut de [222] charité : Vous
ne croyez pas, dit JÉSUS-CHRIST parlant aux Juifs, parce que
vous n'estes pas de mes brebis (Ioan. 10. 26.). Ce qui fait croire
les faux c'est le défaut de charité : Eo quod caritatem
veritatis non receperunt ut salvi fierent, ideo mittet illis Deus
operationem erroris, ut credant mendacio (2. Thess. 2. 10.).
[§] Lors que j'ai considéré
d'où vient qu'on ajoute tant de foi à tant d'imposteurs
qui disent qu'ils ont des remèdes, jusqu'à mettre
souvent sa vie entre leurs mains, il m'a paru que la véritable
cause de cela est qu'il y a de vrais remèdes ; car il ne
serait pas possible qu'il y en eût tant de faux, et qu'on y
donnât tant de créance, s'il n'y en avait de
véritables. Si jamais il n'y en avait eu, et que tous les maux
eussent esté incurables, il est impossible que les hommes se
fussent imaginez qu'il en pourraient donner ; et encore plus que tant
d'autres eussent donné créance à ceux qui se
fussent vantez d'en avoir. De même que si un homme se vantait
d'empêcher de mourir, personne ne le croirait, parce qu'il n'y
a aucun exemple [223] de cela. Mais comme il y a eu quantité
de remèdes qui se sont trouvez véritables par la
connaissance même des plus grands hommes, la créance des
hommes s'est pliée par là ; parce que la chose ne
pouvant être niée en général, puis qu'il y
a des effets particuliers qui sont véritablement, le peuple
qui ne peut pas discerner lesquels d'entre ces effets particuliers
sont les véritables, les croit tous. De même ce qui fait
qu'on croit tant de faux effets de la lune, c'est qu'il y en a de
vrais, comme le flux de la mer.
Ainsi il me paraît aussi
évidemment qu'il n'y a tant de faux miracles, de fausses
révélations, de sortilèges, etc. que parce qu'il
y en a de vrais ; ni de fausses Religions, que parce qu'il y en a une
véritable. Car s'il n'y avait jamais eu rien de tout cela, il
est comme impossible, que les hommes se le fussent imaginé, et
encore plus que tant d'autres l'eussent crû. Mais comme il y a
eu de très grandes choses véritables, et qu'ainsi elles
ont esté crues par de grands hommes, cette impression a
esté cause que presque [224] tout le monde s'est rendu capable
de croire aussi les fausses. Et ainsi au lieu de conclure, qu'il n'y
a point de vrais miracles, puisqu'il y en a de faux, il faux dire au
contraire, qu'il y a des vrais miracles, puisqu'il y en a tant de
faux, et qu'il n'y en a de faux que par cette raison qu'il y en a de
vrais ; et qu'il n'y a de même de fausses Religions, que parce
qu'il y en a une véritable. Cela vient de ce que l'esprit de
l'homme se trouvant plié de ce côté là par
la vérité, devient susceptible par là de toutes
les faussetés.
[§] Il est dit : croyez à
l'Église ; mais il n'est pas dit : croyez aux miracles ;
à cause que le dernier est naturel, et non pas le premier.
L'un avait besoin de précepte, non pas l'autre.
[§] Il y a si peu de personnes à
qui Dieu se fasse paraître par ces coups extraordinaires, qu'on
doit bien profiter de ces occasions ; puisqu'il ne sort du secret de
la nature qui le couvre, que pour exciter notre foi à le
servir avec d'autant plus d'ardeur [225] que nous le connaissons avec
plus de certitude.
Si Dieu se découvrait continuellement,
il n'y aurait point de mérite à le croire ; et s'il ne
se découvrait jamais, il y aurait peu de foi. Mais il se cache
ordinairement, et se découvre rarement à ceux qu'il
veut engager dans son service. Cet étrange secret, dans lequel
Dieu s'est retiré, impénétrable à la vue
des hommes, est une grande leçon pour nous porter à la
solitude, loin de la vue des hommes. Il est demeuré
caché sous le voile de la nature, qui nous le couvre, jusques
à l'incarnation ; et quand il a fallu qu'il ait paru, il s'est
encore plus caché en se couvrant de l'humanité. Il
était bien plus reconnaissable quand il était
invisible, que non pas quand il s'est rendu visible. Et enfin quand
il a voulu accomplir la promesse qu'il fit à ses
Apôtres, de demeurer avec les hommes jusqu'à son dernier
avènement, il a choisi d'y demeurer dans le plus
étrange et le plus obscur secret de tous, savoir sous les
[226] espèces de l'Eucharistie. C'est ce Sacrement que S. Jean
appelle dans l'Apocalypse une manne cachée [N. D. C. Apoc.
2,17] ; et je crois qu'Isaïe le voyait en cet état,
lorsqu'il dit en esprit de prophétie : véritablement tu
es un Dieu caché [N. D. C.. Is. 45, 15]. C'est là le
dernier secret où il peut être. Le voile de la nature
qui couvre Dieu a esté pénétré par
plusieurs infidèles, qui, comme dit S. Paul, ont reconnu un
Dieu invisible, par la nature visible [N. D. C.. Rom. 1, 20].
Beaucoup de Chrétiens hérétiques l'ont connu
à travers son humanité, et adorent JÉSUS-CHRIST
Dieu et homme. Mais pour nous, nous devons nous estimer heureux de ce
que Dieu nous éclaire jusques à la reconnaître
sous les espèces du pain et du vin.
On peut ajouter à ces
considérations le secret de l'Esprit de Dieu caché
encore dans l'Écriture. Car il y a deux sens parfaits, le
littéral et le mystique ; et les Juifs s'arrêtant
à l'un, ne pensent pas seulement qu'il y en ait un autre, et
ne songent pas à le chercher. De même que les impies
voyant les effets naturels, les [227] attribuent à la nature,
sans penser qu'il y en ait un autre auteur. Et comme les Juifs voyant
un homme parfait en JÉSUS-CHRIST, n'ont pas pensé
à y chercher un autre homme : Nous n'avons pas pensé
que ce fût lui, dit encore Isaïe [N. D. C.. Is. 53, 3]. Et
de même enfin que les hérétiques voyant les
apparences parfaites de pain dans l'Eucharistie ne pensent pas
à y chercher une autre substance. Toutes choses couvrent
quelque mystère. Toutes choses sont des voiles qui couvrent
Dieu. Les Chrétiens doivent le reconnaître en tout. Les
afflictions temporelles couvrent les biens éternels où
elles conduisent. Les joies temporelles couvrent les maux
éternels qu'elles causent. Prions Dieu de nous le faire
reconnaître et servir en tout ; et rendons lui des grâces
infinies, de ce que s'estant caché en toutes choses pour tant
d'autres, il s'est découvert en toutes choses et en tant de
manières pour nous.
.
Pensées Chrétiennes.
LES impies qui s'abandonnent aveuglément
à leurs passions sans connaître Dieu, et sans se mettre
en peine de le chercher, vérifient par eux- mêmes ce
fondement de la foi qu'ils combattent, qui est que la nature des
hommes est dans la corruption. Et les Juifs qui combattent si
opiniâtrement la Religion Chrétienne, vérifient
encore cet autre fondement de cette même foi qu'ils attaquent,
qui est que JÉSUS-CHRIST est le véritable Messie, et
qu'il est venu racheter les hommes, et les retirer de la corruption
et de la misère où ils étaient ; tant par
l'état où l'on les voit aujourd'hui et qui se trouve
prédit dans les prophéties, que par ces mêmes
prophéties qu'ils portent, et qu'ils conservent inviolablement
comme les marques auxquelles on doit reconnaître le Messie.
Ainsi les preuves de la corruption des [229] hommes, et de la
rédemption de JÉSUS-CHRIST, qui sont les deux
principales vérités du Christianisme, se tirent des
impies qui vivent dans l'indifférence de la Religion, et des
Juifs qui en sont les ennemis irréconciliables.
[§] La dignité de l'homme
consistait dans son innocence à dominer sur les
créatures, et à en user ; mais aujourd'hui elle
consiste à s'en séparer, et à s'y assujettir.
[§] Il y a un grand nombre de
vérités, et de foi, et de morale, qui semblent
répugnantes et contraires, et qui subsistent toutes dans un
ordre admirable.
La source de toutes les hérésies
est l'exclusion de quelques unes de ces vérités. Et la
source de toutes les objections que nous font les
hérétiques est l'ignorance de quelques unes de nos
vérités.
Et d'ordinaire il arrive que ne pouvant
concevoir le rapport de deux vérités opposées,
et croyant que l'aveu de l'une enferme l'exclusion de l'autre, ils
s'attachent [230] à l'une, et ils excluent l'autre.
Les Nestoriens voulaient qu'il y eût deux
personnes en JÉSUS-CHRIST, parce qu'il y a deux natures : et
les Eutychiens au contraire, qu'il n'y eût qu'une nature parce
qu'il n'y a qu'une personne. Les Catholiques sont Orthodoxes, parce
qu'ils joignent ensemble les deux vérités de deux
natures et d'une seule personne.
Nous croyons que la substance du pain
étant changée en celle du corps de notre Seigneur
JÉSUS-CHRIST, il est présent réellement au S.
Sacrement. Voilà une des vérités. Une autre est,
que ce Sacrement est aussi une figure de la croix, et de la gloire,
et une commémoration des deux. Voilà la foi Catholique
qui comprend ces deux vérités qui semblent
opposées.
L'hérésie d'aujourd'hui ne
concevant pas que ce Sacrement contient tout ensemble et la
présence de JÉSUS-CHRIST, et sa figure, et qu'il soit
sacrifice, et commémoration de sacrifice, croit qu'on ne peut
[231] admettre l'une de ces vérités, sans exclure
l'autre.
Par cette raison ils s'attachent à ce
point, que ce Sacrement est figuratif ; et en cela ils ne sont pas
hérétiques. Ils pensent que nous excluons cette
vérité ; et de là vient qu'ils nous font tant
d'objections sur les passages des Pères qui le disent. Enfin
ils nient la présence réelle ; et en cela ils sont
hérétiques.
C'est pourquoi le plus court moyen pour
empêcher les hérésies, est d'instruire de toutes
les vérités : et le plus sûr moyen de les
réfuter, est de les déclarer toutes.
[§] La grâce sera toujours dans le
monde, et aussi dans la nature. Il y aura toujours des
Pélagiens, et toujours des Catholiques ; parce que la
première naissance fait les uns, et que la seconde naissance
fait les autres.
[§] C'est l'Église qui
mérite avec JÉSUS-CHRIST qui en est inséparable
la conversion de tous ceux qui ne sont pas dans la véritable
Religion. Et ce sont ensuite ces personnes converties qui secourent
la mère qui les a délivrées. [232]
[§] Le corps n'est non plus vivant sans le
chef, que le chef sans le corps. Quiconque se sépare de l'un
ou de l'autre n'est plus du corps, et n'appartient plus à
JÉSUS-CHRIST. Toutes les vertus, le martyre, les
austérités, et toutes les bonnes oeuvres sont inutiles
hors de l'Église, et de la communion du chef de
l'Église qui est le Pape.
[§] Ce sera une des confusions des
damnés, de voir qu'il seront condamnés par leur propre
raison, par laquelle ils ont prétendu condamner la Religion
Chrétienne.
[§] Il faut juger de ce qui est bon ou
mauvais, par la volonté de Dieu qui ne peut être ni
injuste ni aveugle, et non pas par la notre propre, qui est toujours
pleine de malice et d'erreur.
[§] JÉSUS CHRIST a donné
dans l'Évangile cette marque pour reconnaître ceux qui
ont la foi, qui est qu'ils parleront un langage nouveau. Et en effet
le renouvellement des pensées et des désires cause
celui des discours. Car ces nouveautés qui ne [233] peuvent
déplaire à Dieu, comme le vieil homme ne lui peut
plaire, sont différentes des nouveautés de la terre, en
ce que les choses du monde quelques nouvelles qu'elles soient
vieillissent en durant, au lieu que cet esprit nouveau se renouvelle
d'autant plus qu'il dure davantage. Notre vieil homme périt,
dit Saint Paul, et se renouvelle de jour en jour [N. D. C. Col. 3, 9
- 10], et il ne sera parfaitement nouveau que dans
l'éternité, où l'on chantera sans cesse ce
Cantique nouveau dont parle David dans ses Psaumes [N. D. C. Ps 149],
c'est-à-dire ce chant qui part de l'esprit nouveau de la
charité.
[§] Quand Saint Pierre et les
Apôtres délibèrent d'abolir la circoncision,
où il s'agissait d'agir contre la loi de Dieu, ils ne
consultent point les Prophètes, mais simplement la
réception du Saint Esprit en la personne des incirconcis. Ils
jugent plus sûr que Dieu approuve ceux qu'il remplit de son
Esprit, que non pas qu'il faille observer la loi. Ils savaient que la
fin de la loi n'était que le S. Esprit ; et qu'ainsi puisqu'on
[234] l'avait bien sans circoncision, elle n'était pas
nécessaire.
[§] Deux lois suffisent pour régler
toute la République Chrétienne, mieux que toutes les
lois politiques, l'amour de Dieu, et celui du prochain.
[§] La Religion est proportionnée
à toute sorte d'esprits. Le commun des hommes s'arrête
à l'état et à l'établissement où
elle est : et cette Religion est telle, que son seul
établissement est suffisant pour en prouver la
vérité. Les autres vont jusqu'aux Apôtres. Les
plus instruits vont jusqu'aux commencement du monde. Les Anges la
voient encore mieux, et de plus loin ; car ils la voient en Dieu
même.
[§] Ceux à qui Dieu a donné
la Religion par sentiments du coeur sont bien heureux, et bien
persuadés. Mais pour ceux qui ne l'ont pas, nous ne pouvons la
leur procurer que par raisonnement, en attendant que Dieu la leur
imprime lui même dans le coeur, sans quoi la foi est inutile
pour le salut. [235]
[§] Dieu pour se réserver à
lui seul le droit de nous instruire, et pour nous rendre la
difficulté de notre être inintelligible, nous en a
caché le noeud si haut, ou pour mieux dire si bas, que nous
étions incapables d'y arriver. De sorte que ce n'est pas par
les agitations de notre raison mais par la simple soumission de la
raison que nous pouvons véritablement nous connaître.
[§] Les impies qui font profession de
suivre la raison doivent être étrangement forts en
raison. Que disent-ils donc ? Ne voyons nous pas, disent-ils, mourir
et vivre les bêtes comme les hommes, et les Turcs comme les
Chrétiens ? Ils ont leurs cérémonies, leurs
Prophètes, leurs Docteurs, leurs Saints, leurs Religieux comme
nous etc. Cela est-il contraire à l'Écriture ? Ne
dit-elle pas tout cela ? Si vous ne vous souciez guère de
savoir la vérité, en voilà assez pour demeurer
en repos. Mais si vous désirez de tout votre coeur de la
connaître, ce n'est pas assez : regardez au détail. C'en
serait [236] peut-être assez pour une vaine question de
Philosophie ; mais ici où il y va de toutSˇ Et cependant
après une réflexion légère de cette
sorte, on s'amusera, etc.
[§] C'est une chose horrible de sentir
continuellement s'écouler tout ce qu'on possède, et
qu'on s'y puisse attacher, sans avoir envie de chercher s'il n'y a
point quelque chose de permanent.
[§] Il faut vivre autrement dans le monde
selon ces diverses suppositions : si n pouvait y être toujours
: s'il est sûr Qu'on n'y sera pas longtemps, et incertain si on
y sera une heure. Cette dernière supposition est la
nôtre.
[§] Par les partis vous devez vous mettre
en peine de rechercher la vérité. Car si vous mourez
sans adorer le vrai principe, vous êtes perdu. Mais, dites
vous, s'il avait voulu que je l'adorasse, il m'aurait laissé
des signes de sa volonté. Aussi a-t-il fait ; mais vous les
négligez. Cherchez-les du moins : cela le vaut bien.
[§] Les Athées doivent dire des
[237] choses parfaitement claires. Or il faudrait avoir perdu le sens
pour dire qu'il est parfaitement clair que l'âme est mortelle.
Je trouve bon qu'on n'approfondisse pas l'opinion de Copernic : mais
il importe à toute la vie de savoir si l'âme est
mortelle ou immortelle.
[§] Qui peut ne pas admirer et embrasser
une Religion, qui connaît à fond ce qu'on
reconnaît d'autant plus qu'on a plus de lumière.
[§] Un homme qui découvre des
preuves de la Religion Chrétienne est comme un héritier
qui trouve des titres de sa maison. Dira-t-il qu'ils sont faux ; et
négligera-t-il de les examiner ?
[§] Je ne vois pas qu'ils y ait plus de
difficulté de croire la résurrection des corps, et
l'enfantement de la Vierge, que la création. Est-il plus
difficile de reproduire un homme, que de le produire ? Et si on
n'avait jamais su ce que c'est que génération,
trouverait-on plus étrange qu'un enfant vint d'une fille
seule, que d'un homme et d'une femme ? [238]
[§] Il y a grande différence entre
repos et sûreté de conscience. Rien ne doit donner le
repos que la recherche sincère de la vérité. Et
rien ne peut donner l'assurance que la vérité.
[§] Il y a deux vérités de
foi également constantes : l'une, que l'homme dans
l'état de la création, ou dans celui de la grâce,
est élevé au dessus de toute la nature, rendu semblable
à Dieu, et participant de la divinité : l'autre, qu'en
l'état de corruption, et du péché, il est
déchu de cet état, et rendu semblable aux bêtes.
Ces deux propositions sont également fermes et certaines.
L'Écriture nous les déclare manifestement, lorsqu'elle
dit en quelques lieux : Delicia mea, esse cum filiis, hominum (Prov.
8. 31.). Effundam spiritum meum super omnem carnem (Ioel. 2. 28.).
Dij estis. etc. (Ps. 81. 6). Et qu'elle dit en d'autres : Omnis caro
sænum (Is. 40. 6.). Homo comparatus est jumentis insipientibus,
et similis factus est illis (Ps. 48. 1.). Dixi in corde meo de fillis
hominum, ut probaret eos Deus, et ostenderet similes esse bestiis.
etc. (Eccles. 3. 18.)
[§] On ne se détache [239] douleur.
On ne sent pas son lien quand on suit volontairement celui qui
entraîne, comme dit S. Augustin. Mais quand on commence
à résister, et à marcher en s'éloignant,
on souffre bien ; le lien s'étend, et endure toute la violence
; et ce lien est notre propre corps, qui ne se rompt qu'à la
mort. Notre Seigneur a dit, que depuis la venue de Jean Baptiste,
c'est-à-dire, depuis son avènement dans chaque
fidèle, le Royaume de Dieu souffre violence, et que les
violents le ravissent. Avant que l'on soit touché, on n'a que
le poids de sa concupiscence, qui porte à la terre. Quand Dieu
attire en haut, ces deux efforts contraires font cette violence que
Dieu seul peut faire surmonter. Mais nous pouvons tout, dit S.
Léon, avec celui sans lequel nous ne pouvons rien. Il faut
donc se résoudre à souffrir cette guerre tout sa vie ;
car il n'y a point ici de paix. JÉSUS-CHRIST est venu apporter
le couteau, et non pas la paix. Mais néanmoins il faut avouer,
que comme l'Écriture dit, que la [240] sagesse des hommes
n'est que folie devant Dieu, aussi ont peut dire que cette guerre,
qui paraît dure aux hommes, est une paix devant Dieu ; car
c'est cette paix que JÉSUS-CHRIST a aussi apportée.
Elle ne sera néanmoins parfaite, que quand le corps sera
détruit ; et c'est ce qui fait souhaiter la mort, en souffrant
néanmoins de bon coeur la vie, pour l'amour de celui qui a
souffert pour nous et la vie, et la mort, et qui peut nous donner
plus de biens, que nous n'en pouvons ni demander, ni imaginer, comme
dit Saint Paul.
[§] Il faut tâcher de ne s'affliger
de rien, et de prendre tout ce qui arriver pour le meilleur. Je crois
que c'est un devoir, et qu'on pèche en ne le faisant pas. Car
enfin, la raison pour laquelle les péchés sont
péchés est seulement parce qu'ils sont contraires
à la volonté de Dieu. Et ainsi l'essence du
péché, consistant à avoir une volonté
opposée à celle que nous connaissons en Dieu, il est
visible, ce me semble, que quand il nous découvre sa
volonté par les événements, ce [241] serait un
péché de ne s'y pas accommoder.
[§] Lorsque la vérité est
abandonnée et persécutée, il semble que ce soit
un temps où le service qu'on rend à Dieu, en la
défendant, lui est bien agréable. Il veut que nous
jugions de la grâce par la nature. Et ainsi il permet de
considérer, que comme un Prince chassé de son pays par
ses sujets a des tendresses extrêmes pour ceux qui lui
demeurent fidèles dans la révolte publique ; de
même, il semble que Dieu considère avec une bonté
particulière ceux qui défendent la pureté de la
Religion, quand elle est combattue. Mais il y a cette
différence entre les Rois de la terre, et le Roi des Rois, que
les Princes ne rendent pas leurs sujets fidèles, mais qu'ils
les trouvent tels ; au lieu que Dieu ne trouve jamais les hommes
qu'infidèles sans sa grâce, et qu'il les rend
fidèles quand ils le sont. De sorte qu'au lieu que les Rois
témoignent d'ordinaire avoir de l'obligation à ceux qui
demeurent dans le devoir et dans leur obéissance, [242] il
arrive au contraire que ceux qui subsistent dans le service de Dieu
lui en sont eux mêmes infiniment redevables.
[§] Ce ne sont ni les
austérités du corps, ni les agitations du coeur qui
méritent, et qui soutiennent les peines du corps et de
l'esprit. Car enfin il faut ces deux choses pour sanctifier, peines,
et plaisirs. S. Paul a dit, que ceux qui entreront dans la bonne vie
trouveront des troubles et des inquiétudes en grand nombre.
Cela doit consoler ceux qui en sentent ; puis qu'étant avertis
que le chemin du ciel qu'ils cherchent en est rempli, ils doivent se
réjouir de rencontrer des marques qu'ils sont dans le
véritable chemin. Mais ces peines là ne sont pas sans
plaisirs, et ne sont jamais surmontées que par le plaisir. Car
de même que ceux qui quittent Dieu pour retourner au monde, ne
le font que parce qu'ils trouvent plus de douceur dans les plaisirs
de la terre, que dans ceux de l'union avec Dieu, et que ce [243]
charme victorieux les entraîne, et les faisant repentir de leur
premier choix les rend des pénitents du diable selon la parole
de Tertullien ; de même on ne quitterait jamais les plaisirs du
monde pour embrasser la croix de JÉSUS- CHRIST, si on ne
trouvait plus de douceur dans le mépris, dans la
pauvreté, dans le dénuement, et dans le rebut des
hommes, que dans les délices du péché. Et ainsi,
comme dit Tertullien, il ne faut pas croire que la vie des
Chrétiens soit une vie de tristesse. On ne quitte les plaisirs
que pour d'autres plus grands. Priez toujours, dit Saint Paul, rendez
grâces toujours, réjouissez vous toujours. [I Thess. 5,
16] C'est la joie d'avoir trouvé Dieu qui est le principe de
la tristesse de l'avoir offensé, et de tout le changement de
vie. Celui qui a trouvé le trésor dans un champ, en a
une telle joie, selon JÉSUS-CHRIST, qu'elle lui fait vendre
tout ce qu'il a pour l'acheter [cf. Mat 12, 44].
Les gens du monde ont leur tristesse, mais ils
n'ont point cette joie que le monde ne peut donner ni ôter, dit
JÉSUS-CHRIST même. [244] Les bienheureux ont cette joie
sans aucune tristesse. Et les Chrétiens ont cette joie
mêlée de la tristesse d'avoir suivi d'autres plaisirs,
et de la crainte de la perdre par l'attrait de ces autres plaisirs
qui nous tentent sans relâche. Et ainsi nous devons travailler
sans cesse à nous conserver cette crainte, qui conserve et
modère notre joie. Et selon qu'on se sent trop emporter vers
l'un, se pencher vers l'autre pour demeurer debout. Souvenez vous des
biens dans les jours d'affliction, et souvenez vous de l'affliction
dans les jours de réjouissance, dit l'Ecriture, jusqu'à
ce que la promesse que JÉSUS- CHRIST nous en a faite de rendre
sa joie pleine en nous soit accomplie. Ne nous laissons donc pas
abattre à la tristesse, et ne croyons pas que la
piété ne consiste qu'en une amertume sans consolation.
La véritable piété, qui ne se trouve parfaite
que dans le ciel, est si pleine de satisfactions qu'elle en remplit
et l'entrée et le progrès et le couronnement. C'est une
lumière si éclatante [245] qu'elle rejaillit sur tout
ce qui lui appartient. S'il y a quelque tristesse mêlée,
et sur tout à l'entrée, c'est de nous qu'elle vient, et
non pas de la vertu ; car ce n'est pas l'effet de la
piété qui commence d'être en nous, mais de
l'impiété qui y est encore. Ôtons
l'impiété, et la joie sera sans mélange. Ne nous
en prenons donc pas à la dévotion, mais à nous
mêmes, et n'y cherchons du soulagement que par notre
correction.
[§] Le passé ne nous doit point
embarrasser, puisque nous n'avons qu'à avoir le regret de nos
fautes. Mais l'avenir nous doit encore moins toucher, puisqu'il n'est
point du tout à notre égard, et que nous n'y arriveront
peut- être jamais. Le présent est le seul temps qui est
véritablement à nous, et dont nous devons user selon
Dieu. C'est là où nos pensées doivent être
principalement rapportée. Cependant le monde est si inquiet
qu'on ne pense presque jamais à la vie présente, et
à l'instant où l'on vit, mais à celui où
l'on vivra. De sorte qu'on est toujours en [246] état de vivre
à l'avenir, et jamais de vivre maintenant. Notre Seigneur n'a
pas voulu que notre prévoyance s'étendit plus loin que
le jour où nous sommes. Ce sont les bornes qu'il nous faut
garder et pour notre salut, et pour notre propre repos.
[§] On se corrige quelquefois mieux par la
vue du mal, que par l'exemple du bien ; et il est bon de s'accoutumer
à profiter du mal, puisqu'il est si ordinaire, au lieu que le
bien est si rare.
[§] Dans le 13. chapitre de S. Marc,
JÉSUS-CHRIST fait un grand discours à ses Apôtres
sur son dernier avènement. Et comme tout ce qui arrive
à l'Église arrive aussi à chaque Chrétien
en particulier, il est certain que tout ce chapitre prédit
aussi bien l'état de chaque personne qui en se convertissant
détruit le vieil homme en elle, que l'état de l'univers
entier qui sera détruit pour faire place à de nouveaux
cieux et à une nouvelle terre, comme dit l'Ecriture. La
prédiction qui y est contenue de la ruine [247] du temple
réprouvé, qui figure la ruine de l'homme
réprouvé, qui est en chacun de nous, et dont il est
dit, qu'il ne sera laissé pierre sur pierre, marque qu'il ne
doit être laissé aucune passion du vieil homme. Et ces
effroyables guerres civiles et domestiques représentent si
bien le trouble intérieur que sentent ceux qui se donnent
à Dieu, qu'il n'y a rien de mieux peint. etc.
[§] Le Saint Esprit repose invisiblement
dans les reliques de ceux qui sont morts dans la grâce de Dieu,
jusqu'à ce qu'il y paroisse visiblement dans la
résurrection : et c'est ce qui rend les reliques des Saints si
dignes de vénération. Car Dieu n'abandonne jamais les
siens, non pas même dans le sépulcre, où leurs
corps, quoique morts aux yeux des hommes, sont plus vivants devant
Dieu, à cause que le péché n'y est plus, au lieu
qu'il y réside toujours durant cette vie, au moins quant
à sa racine ; car les fruits du péché n'y sont
pas toujours. Et cette malheureuse racine, qui en est
inséparable [248] pendant la vie, fait qu'il n'est pas permis
de les honorer alors, puis qu'ils sont plutôt dignes
d'être haïs. C'est pour cela que la mort est
nécessaire pour mortifier entièrement cette malheureuse
racine ; et c'est ce qui la rend souhaitable.
[§] Les élus ignoreront leurs
vertus, et les réprouvés leurs crimes : Seigneur,
diront les uns et les autres, quand vous avons nous vu avoir faim ?
etc. (Matth. 23. 37 44.)
[§] JÉSUS-CHRIST n'a point voulu du
témoignage des démons, ni de ceux qui n'avaient pas
vocation ; mais de Dieu et de Jean Baptiste.
[§] En écrivant ma pensée,
elle m'échappe quelquefois ; mais cela me fait souvenir de ma
faiblesse, que j'oublie à toute heure ; ce qui m'instruit
autant que ma pensée oubliée ; car je ne tends
qu'à connaître mon néant.
[§] Les défauts de Montaigne sont
grands. Ils est plein de mots sales et déshonnêtes. Cela
ne vaut rien. Ses sentiments sur l'homicide volontaire, et sur la
mort son horribles. Ils inspire une nonchalance du salut [249] sans
crainte et sans repentir. Son livre n'étant point fait pour
porter à la piété, il n'y était pas
obligé ; mais on est toujours obligé de n'en pas
détourner. quoi qu'on puisse dire pour excuser ses sentiments
trop libres sur plusieurs choses, on ne saurait excuser en aucune
sorte ses sentiments tout païens sur la mort ; car il faut
renoncer à toute piété, si on ne veut au moins
mourir Chrétiennement : or il ne pense qu'à mourir
lâchement et mollement par tout son livre.
[§] Ce qui nous trompe en comparant ce qui
s'est passé autrefois dans l'Église à ce qui s'y
voit maintenant, c'est qu'ordinairement on regarde Saint Athanase,
Sainte Thérèse, et les autres Saints comme
couronnés de gloire. Présentement que le temps a
éclairci les choses, cela paraît véritablement
ainsi. Mais au temps que l'on persécutait ce grand Saint,
c'était un homme qui s'appelait Athanase, et Sainte
Thérèse dans le sien était une Religieuse comme
les autres. Élie était un homme [250] comme nous, et
sujets aux mêmes passions que nous, dit l'Apôtre Saint
Jacques, pour désabuser les Chrétiens de cette fausse
idée qui nous fait rejeter l'exemple des Saints comme
disproportionné à notre état : c'étaient
des Saints, disons nous, ce n'est pas comme nous.
[§] A ceux qui ont de la répugnance
pour la Religion, il faut commencer par leur montrer, qu'elle n'est
point contraire à la raison ; ensuite qu'elle est
vénérable, et en donner le respect ; après la
rendre aimable, et faire souhaiter qu'elle fût vraie ; et puis
montrer par les preuves incontestables qu'elle est vraie ; faire voir
son antiquité, et sa sainteté par sa grandeur, et par
son élévation ; et enfin qu'elle est aimable, parce
qu'elle promet le vrai bien.
[§] Un mot de David, ou de Moïse,
comme celui-ci, que Dieu circoncira les coeurs, [Deut. 30, 6] fait
juger de leur esprit. que tous leurs autres discours soient
équivoques, et qu'il soit incertain s'ils sont de Philosophes,
ou de Chrétiens, un mot de cette nature [251] détermine
tout le reste. Jusque là l'ambiguïté dure, mais
non pas après.
[§] De se tromper en croyant vraie la
Religion Chrétienne, il n'y a pas grand chose à perdre.
Mais quel malheur de se tromper en la croyant fausse !
[§] Les conditions les plus aisée
à vivre selon le monde sont les plus difficiles à vivre
selon Dieu ; et au contraire. Rien n'est si difficile selon le monde
que la vie Religieuse ; rien n'est plus facile que de la passer selon
Dieu. Rien n'est plus aisé que d'être dans une grande
charge, et dans de grands biens selon le monde ; rien n'est plus
difficile que d'y vivre selon Dieu, et sans y prendre de part et de
goût.
[§] L'ancien Testament contenait les
figures de la joie future, et le nouveau contient les moyens d'y
arriver. Les figures étaient de joie, les moyens sont de
pénitence. Et néanmoins l'agneau Pascal était
mangé avec des laitues sauvages, cum amaritudinibus, [Ex. 22,
8] pour marquer [252] toujours qu'on ne pouvait trouver la joie que
par l'amertume.
[§] Le mot de Galilée
prononcé comme par hasard par la foule des Juifs, en accusant
JÉSUS-CHRIST devant Pilate, donna sujet à Pilate
d'envoyer JÉSUS- CHRIST à Hérode ; en quoi fut
accompli le mystère, qu'il devait être jugé par
les Juifs et les Gentils. Le hasard en apparence fut la cause de
l'accomplissement du mystère.
[§] Un homme me disait un jour, qu'il
avait grande joie et confiance en sortant de confession. Un autre me
disait, qu'il était en crainte. Je pensai sur cela que de ces
deux on en ferait un bon, et que chacun manquait encore en ce qu'il
n'avait pas le sentiment de l'autre.
[§] Il y a plaisir d'être dans un
vaisseau battu de l'orage, lorsqu'on est assuré qu'il ne
périra point. Les persécutions qui travaillent
l'Église sont de cette nature.
[§] Comme les deux source de nos
péchés sont l'orgueil et la paresse, Dieu nous a
découvert en lui deux [253] qualités pour les
guérir, sa miséricorde, et sa justice. Le propre de la
justice est d'abattre l'orgueil, et le propre de la
miséricorde est de combattre la paresse en invitant aux bonnes
oeuvres, selon ce passage : La miséricorde de Dieu invite
à pénitence [Rom. 2, 4], et cet autre : Faisons
pénitence pour voir s'il n'aurait point pitié de nous
[Jonas 3, 2]. Ainsi tant s'en faut que la miséricorde de Dieu
autorise le relâchement, qu'il n'y a rien au contraire qui le
combatte davantage ; et qu'au lieu de dire : s'il n'y avait point en
Dieu de miséricorde, il faudrait faire toute sorte d'efforts
pour accomplir ses préceptes ; il faut dire au contraire, que
c'est parce qu'il y a en Dieu de la miséricorde, qu'il faut
faire tout ce qu'on peut pour les accomplir.
[§] L'histoire de l'Église doit
proprement être appelée l'histoire de la
vérité.
[§] Tout ce qui est au monde est
concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de
la vie, libido sentiendi, libido sciendi, [254] libido dominandi [cf.
I Jn 2, 16]. Malheureuse la terre de malédiction que ces trois
fleuves de feu embrassent plutôt qu'ils n'arrosent. Heureux
ceux qui étant sur ces fleuves non pas plongés, non pas
entraînés, mais immobilement affermis ; non pas debout,
mais assis dans une assiette basse et sûre, dont ils ne se
relèvent jamais avant la lumière, mais après s'y
être reposés en paix ; tendent la main à celui
qui les doit relever, pour les faire tenir debout et fermes dans les
porches de la sainte Jérusalem, où ils n'auront plus
à craindre les attaques de l'orgueil ; et qui pleurent
cependant, non pas de voir écouler toutes les choses
périssables, mais dans le souvenir de leur chère
patrie, de la Jérusalem céleste, après laquelle
ils soupirent sans cesse dans la longueur de leur exil.
[§] Un miracle, dit-on, affermirait ma
créance. On parle ainsi quand on ne le voit pas. Les raisons
qui étant vues de loin semblent borner notre vue, ne la
bornent plus quand on y est arrivé. On commence à voir
au delà. Rien n'arrête la volubilité [255] de
notre esprit. Il n'y a point, dit-on, de règle qui n'ait
quelque exception, ni de vérité si
générale qui n'ait quelque face par où elle
manque. Il suffit qu'elle ne soit pas absolument universelle, pour
nous donner prétexte d'appliquer l'exception au sujet
présent, et de dire : cela n'est pas toujours vrai ; donc il y
a des cas où cela n'est pas. Il ne reste plus qu'à
montrer que celui-ci en est, et il faut être bien maladroit si
on n'y trouve quelque jour.
[§] La charité n'est pas un
précepte figuratif. Dire que JÉSUS-CHRIST, qui est venu
ôter les figures, pour mettre la vérité, ne soit
venu que pour mettre la figure de la charité, et pour en
ôter la réalité qui était auparavant ;
cela est horrible.
[§] Le coeur a ses raisons, que la raison
ne connaît point. On le sent en mille choses. C'est le coeur
qui sent Dieu, et non la raison. Voilà ce que c'est que la foi
parfaite, Dieu sensible au coeur.
[§] La science des choses
extérieure ne nous consolera pas de l'ignorance [256] de la
morale au temps de l'affliction ; mais la science des moeurs nous
consolera toujours de l'ignorance des choses extérieures.
[§] L'homme est ainsi fait, qu'à
force de lui dire, qu'il est un sot, il le croit ; et à force
de se le dire à soi même, on se le fait croire. Car
l'homme fait lui seul une conversation intérieure, qu'il
importe de bien régler, _ corrumptunt bonos mores colloquia
prava. -- [I Cor. 15, 33] Il faut se tenir en silence autant qu'on
peut, et ne s'entretenir que de Dieu ; et ainsi on se le persuade
à soi même.
[§] Quelle différence entre un
soldat et un Chartreux quant à l'obéissance ? Car ils
sont également obéissants, et dépendants, et
dans des exercices également pénibles. Mais le soldat
espère toujours devenir le maître, et ne le devient
jamais ; car les capitaines et les Princes même sont toujours
esclaves et dépendants. Mais il espère toujours
l'indépendance, et travaille toujours à y venir ; au
lieu que le Chartreux fait voeu de n'être jamais
indépendant. Ils ne diffèrent [257] pas dans la
servitude perpétuelle que tous deux ont toujours ; mais dans
l'espérance que l'un a toujours, et que l'autre n'a pas.
[§] La propre volonté ne se
satisferait jamais quand elle aurait tout ce qu'elle souhaite. Mais
on est satisfait dès l'instant qu'on y renonce. Avec elle on
ne peut être que mal content ; sans elle on ne peut être
que contant.
[§] Il est injuste qu'on s'attache
à nous, quoiqu'on le fasse avec plaisir et volontairement.
Nous tromperons ceux à qui nous en ferons naître le
désir ; car nous ne sommes la fin de personne, et nous n'avons
pas de quoi les satisfaire. Ne sommes nous pas prêt à
mourir ? et ainsi l'objet de leur attachement mourrait. Comme nous
serions coupables de faire croire une fausseté, quoique nous
la persuadassions doucement, et qu'on la crût avec plaisir, et
qu'en cela on nous fît plaisir ; de même nous sommes
coupables, si nous nous faisons aimer, et si nous attirons les gens
à s'attacher à nous. Nous devons avertir [258] ceux qui
seraient prêts à consentir au mensonge, qu'ils ne le
doivent pas croire, quelque avantage qui nous en revint. De
même nous les devons avertir, qu'ils ne doivent pas s'attacher
à nous : car il faut qu'ils passent leur vie à plaire
à Dieu, ou à le chercher.
[§] C'est être superstitieux de
mettre son espérance dans les formalités, et dans les
cérémonies ; mais c'est être superbe de ne
vouloir pas s'y soumettre.
[§] Toutes les Religions et toutes les
sectes du monde ont eu la raison naturelle pour guide. Les seuls
Chrétiens ont été astreints à prendre
leurs règles hors d'eux-mêmes, et à s'informer de
celles que JÉSUS-CHRIST a laissées aux anciens pour
nous être transmises. Il y a des gens que cette contrainte
lasse. Ils veulent avoir, comme les autres peuples, la liberté
de suivre leurs imaginations. C'est en vain que nous leur crions,
comme les Prophètes faisaient autrefois aux Juifs : Allez au
milieu de l'Église ; informez vous des lois que les anciens
lui ont [259] laissées, et suivez ses sentiers. Ils
répondent comme les Juifs : Nous n'y marcherons pas ; nous
voulons suivre les pensées de notre coeur, et être comme
les autres peuples. [I Rois 8, 20]
[§] Il y a trois moyens de croire, la
raison, la coutume, et l'inspiration. La Religion Chrétienne,
qui seule a la raison, n'admet pas pour ses vrais enfants ceux qui
croient sans inspiration. Ce n'est pas qu'elle exclue la raison, et
la coutume : au contraire, il faut ouvrir son esprit aux preuves par
la raison, et s'y confirmer par la coutume ; mais elle veut qu'on
s'offre par l'humiliation aux inspirations, qui seules peuvent faire
le vrai et salutaire effet ; ne evacuetur crux Christi. [I Cor. 1,
17]
[§] Jamais on ne fait le mal si pleinement
et si gaiement, que quand on le fait par un faux principe de
conscience.
[§] Les Juifs qui ont été
appelés à dompter les nations et les Rois, ont
été esclaves du péché ; et les
Chrétiens dont la vocation a été à
servir, et à être sujets, sont les enfants libres. [260]
[§] Est-ce courage à un homme
mourant, d'aller dans la faiblesse, et dans l'agonie affronter un
Dieu tout puissant et éternel ?
[§] Je crois volontiers les histoires dont
les témoins se font égorger.
[§] LA bonne crainte vient de la foi ; la
fausse crainte vient du doute. La bonne crainte porte à
l'espérance, parce qu'elle naît de la foi, et qu'on
espère au Dieu que l'on croit : la mauvaise porte au
désespoir, parce qu'on craint le Dieu auquel on n'a point de
foi. Les uns craignent de le perdre, et les autres de le trouver.
[§] Salomon et Job ont le mieux connu la
misère de l'homme, et en ont le mieux parlé ; l'un le
plus heureux des hommes, et l'autre le plus malheureux ; l'un
connaissant la vanité des plaisirs par expérience,
l'autre la réalité des maux.
[§] Dieu n'entend pas que nous soumettions
notre créance à lui sans raison, et nous assujettir
avec tyrannie. Mais il ne prétend pas aussi nous rendre raison
de toutes choses. Et pour accorder ces contrariétés, il
[261] entend nous faire voir clairement des marques divines en lui,
qui nous convainquent de ce qu'il est, et s'attirer l'autorité
par des merveilles et des preuves que nous ne puissions refuser, et
qu'ensuite nous croyions sans hésiter les choses qu'il nous
enseigne, quand nous n'y trouverons pas d'autre raison de les
refuser, sinon que nous ne pouvons pas par nous mêmes
connaître si elles sont ou non.
[§] Il n'y a que trois sortes de personnes
; les uns qui servent Dieu l'ayant trouvé ; les autres qui
s'emploient à le chercher ne l'ayant pas encore trouvé
; et d'autres enfin qui vivent sans le chercher ni l'avoir
trouvé. Les premiers sont raisonnables, et heureux. Les
derniers sont fous, et malheureux. Ceux du milieu sont malheureux, et
raisonnables.
[§] La raison agit avec lenteur, et avec
tant de vues et de principes différents qu'elle soit avoir
toujours présents, qu'à toute heure elle s'assoupit, ou
elle s'égare, faute de les voir tous à la fois. Il n'en
est pas ainsi du sentiment. Il agit en un instant, et [262] toujours
est prêt à agir. Il faut donc, après avoir connu
la vérité par la raison, tâcher de la sentir, et
de mettre notre foi dans le sentiment du coeur ; autrement elle sera
toujours incertaine et chancelante.
[§] Il est de l'essence de Dieu, que sa
justice soit infinie aussi bien que sa miséricorde. Cependant
sa justice et sa sévérité envers les
réprouvés est encore moins étonnante que sa
miséricorde envers les élus.
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