Les septs Eglises d'Asie
SEPTIÈME DISCOURS
LAODICÉE
ou
LA
TIÉDEUR
Écris aussi à l'ange
de l'église de Laodicée:
L'Amen, le Témoin fidèle et
véritable, le commencement de la
créature de Dieu, dit ces choses :
je connais tes oeuvres, c'est que tu n'es
ni froid ni bouillant. Oh 1 si tu
étais ou froid ou bouillant ! Parce
que donc tu es tiède, et que tu
n'es ni froid ni bouillant, je te vomirai
de ma bouche.
Car tu dis : je suis
riche, et je suis dans l'abondance, et je
n'ai besoin de rien. Mais tu ne connais
pas que tu es malheureux,
misérable, pauvre, aveugle et nu.
je te conseille d'acheter de moi de l'or
éprouvé par le feu, afin que
tu deviennes riche; et des vêtements
blancs, afin que tu sois vêtu et que
la honte de ta
nudité ne
paraisse point; et d'oindre tes yeux de
collyre, afin que tu voies. Je reprends et
je châtie tous ceux que j'aime; aie
du zèle et te
repens.
Voici je me tiens
à la porte et je frappe : si
quelqu'un entend ma voix et m'ouvre la
porte, j'entrerai chez lui, et je souperai
avec lui, et lui avec moi. Celui qui
vaincra, je le ferai asseoir avec moi sur
mon trône ainsi que j'ai vaincu et
que je suis assis avec mon Père sur
son trône. Que celui qui a des
oreilles écoute ce que l'Esprit dit
aux églises. (Apoc. III,
14-22.)
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Mes frères,
LES interprètes de
l'Apocalypse qui voient dans les sept
églises d'Asie les types prophétiques
de sept périodes successives de l'histoire,
sont obligés d'admettre que l'état
dernier de l'Église chrétienne sera
tel que celui de la congrégation de
Laodicée, c'est-à-dire la
tiédeur; et, comme Philadelphie est
exclusivement, a leurs yeux, le réveil de
Spener et de Wesley, cet état serait donc
déjà le nôtre dans la mesure
même où la période
philadelphique a pris fin!
Ne m'étant pas, je l'ai
déjà dit, enchaîné
à ce système d'interprétation,
je n'ai pas à me prononcer sur cette
terrible conséquence que ses
défenseurs en tirent; et, bien qu'on puisse
croire parfois à l'actuel ou très
prochain accomplissement de cette triste
prédiction du Seigneur : « Comme
l'époux tardait à venir, les vierges
s'endormirent toutes, » et de celle-ci :
« Croyez-vous qu'à son retour le Fils
de l'homme trouvera de la foi sur la terre? »
ou, enfin, de celle-ci, qui se rapporte mieux
à notre sujet : « Parce que
l'iniquité sera multipliée, la
charité de plusieurs -se refroidira, »
il me paraît, toutefois, qu'il serait
téméraire de vouloir porter
déjà un jugement sur notre
époque, et plus sage, pour nous,
d'étudier le sujet de la tiédeur en
lui-même, sans autre but que celui de nous en
prémunir ou de nous en délivrer.
I
Cette étude présente de grandes
difficultés presque étrangères
aux précédentes. Il est assez
facile de sentir ce que c'est
que la tiédeur; mais il l'est beaucoup moins
de la définir. En l'essayant on court le
risque ou de dire trop peu, et l'on rassure les
tièdes au lieu de les effrayer
salutairement, ou de dire trop, et l'on jette dans
de mortelles angoisses, on désespère
des âmes qui, sans être bouillantes, ne
sont cependant pas tièdes à la
façon des Laodicéens.
Entre les divers états de
l'âme, il y a de si nombreuses
différences, et, entre ces
différences, des nuances si
délicates! Rapprochez, par exemple,
Éphèse, Sardes et Laodicée, la
perte du premier amour, la mort spirituelle et la
tiédeur, voilà trois maladies morales
fort difficiles à bien caractériser !
que sera-ce donc quand on voudra distinguer les uns
des autres les degrés infinis et les
variétés qu'elles
présentent?
Pour ne parler que de la
tiédeur, il y a une tiédeur relative
et douloureusement sentie, qui peut être
l'état d'un chrétien
véritable, comparativement à la
chaleur idéale, ou même, sans aller
jusque-là, au feu dont était
embrasé le coeur des apôtres, des
martyrs, des réformateurs ou des grands
missionnaires. Ainsi, dans une lettre au
pasteur Moultou, Paul Rabaut
qui, certes, n'était pas un tiède,
s'accuse cependant de l'être, parce qu'il
pense au zèle de ses
prédécesseurs. « Quand je fixe,
dit-il, mon attention sur le divin feu dont
brûlaient, pour le salut des âmes, je
ne dirai pas Jésus-Christ et les
apôtres, mais nos réformateurs et
leurs successeurs immédiats, il me semble
qu'en comparaison d'eux nous ne sommes que glace.
»
Oh! mes frères, mes chers frères,
si un Paul Rabaut, si l'intrépide et
infatigable pasteur du désert a parlé
ainsi de lui-même; si, en 1670
déjà, à Charenton, Pierre
Dubosc a cru devoir, à trois reprises, dans
des prédications plus que
sévères, reprocher beaucoup de
tiédeur à l'église
réformée de France, je vous en
conjure, que devrions-nous dire de
nous-mêmes? Dans ce sens-là, quelle
n'est pas notre tiédeur? Car ne pensez-vous
pas que, pour peu qu'elle fût moindre, tout
irait autrement dans le monde et dans
l'Église? Quels ne seraient pas notre
ferveur dans les cultes, notre
fidélité dans la vie privée,
notre fraternité, notre chrétienne
philanthropie, nos compassions et notre
dévouement pour toutes les plaies de
l'humanité?
Vivrions-nous encore tant pour
nous-mêmes? Serions-nous
si insensibles à la perte des âmes ?
Entendrait-on toujours redire que les hommes et
l'argent font partout défaut? Tant d'oeuvres
et de sociétés seraient-elles en
souffrance? Faudrait-il mendier sans cesse de quoi
les empêcher de périr? L'amour,
ouvrant et nos coeurs et nos bourses, ne
répandrait-il pas en abondance l'argent que
l'avarice ou l'égoïsme y retiennent? Et
les âmes ne seraient-elles pas, bon
gré mal gré, arrachées
à leur indifférence? les consciences,
troublées? bien des coeurs, changés?
Avouons-le donc, devant les hommes et devant Dieu:
en un sens nous sommes tous très
tièdes! Mais si nous souffrons
véritablement, et nous humilions, et ne
désirons rien tant que de sortir de cette
tiédeur, bien qu'elle soit coupable et
dangereuse, elle n'est, cependant, pas exactement
la tiédeur des Laodicéens.
La tiédeur de Laodicée
est, en effet, un état de
médiocrité absolue, permanente et,
surtout, satisfaite. C'est un christianisme pale,
terne, fade et
dégénéré; un
christianisme décidément et
uniformément terre-à-terre; c'est le
système du juste milieu entre les
extrêmes de la mondanité ou de
l'irréligion et ce qu'on nomme les
exagérations du
piétisme. C'est l'indécision voulue;
c'est un parti pris de conciliation et d'amalgame
entre deux mondes, deux services, deux voies et
deux vies incompatibles! - Le tiède veut de
la foi, mais pas trop. Des formes, beaucoup. Il y
tient et même, d'autant plus que le fond lui
manque davantage. De la vie religieuse, il en veut
aussi, mais dans une sage mesure qu'il demande
à l'opinion régnante. La crainte de
Dieu, il la professe; mais il pratique surtout la
crainte du « qu'en dira-t-on; » et,
sciemment ou non, il tâte le pouls de ce
capricieux arbitre pour régler le sien sur
lui. Car son coeur ne doit pas battre plus fort que
celui des hommes modérés et
raisonnables, de peur qu'il n'encoure le reproche
de méthodisme devant lequel il se signe
d'effroi!
Cette tiédeur-là se
produit, tantôt dans la doctrine plus que
dans la vie, tantôt dans le domaine de la vie
plus que dans celui de la doctrine, tantôt
dans les deux uniformément.
Dans la doctrine, elle
émousse les pointes, elle abat les angles,
elle arrondit les contours, elle polît les
faces trop rudes de l'Évangile. Au Dieu
juste et saint, implacable pour le
péché, elle
substitue le bon Dieu, indulgent
et faible, qui, las de punir, un jour amnistiera
les rebelles. Au lieu de la corruption de l'homme,
elle professe l'idée de l'imperfection. La
nécessité d'une
régénération devient
l'obligation du perfectionnement moral. Le salut
gratuit se transforme en une combinaison d'un
pardon facile offert par Dieu, et de mérites
acquis par l'homme. D'expiatoire, la mort de Christ
devient exemplaire. La sainteté fait place
à la vertu, c'est-à-dire à
l'honnêteté; à part cela pas
d'objections contre la Bible, pour laquelle on
professe un respect traditionnel et
inconséquent. En tout la décence, la
mesure, les convenances. On s'effraie des
progrès du catholicisme et de
l'incrédulité grossière, mais
on redoute bien autrement, sans se l'avouer
peut-être, le zèle d'une
piété vivante et de ce qu'on bafoue,
aujourd'hui, sous le nom de
mômerie.
Tels furent, assez bien, au XVIIe et
au XVIlle siècle, les caractères
généraux du latitudinarisme en
Angleterre, et du modérantisme en
Écosse. Nous avons vu, à propos de
Sardes, les conséquences effroyables que
cette dégénérescence,
cet affaissement de la foi, eut
dans ces deux pays. Notre libéralisme
pourrait bien nous en préparer
autant!
Tels étaient, encore mieux,
au siècle dernier et dans les
premières années du nôtre, les
traits d'une église bien connue, d'une
église illustre au temps de la
réforme, mais devenue plus tard le type
achevé de la tiédeur. D'Alembert,
Voltaire et Jean-Jacques Rousseau ne s'y sont pas
trompés! Dans cette église on
prêchait sur la vertu et
l'immortalité, sur la politesse, et les
beautés de la nature, infiniment plus que
sur les doctrines vitales de l'Évangile. On
y veillait, du reste, à l'a moralité
de tous, et cette moralité fut longtemps
générale et exemplaire. Mais on y
veillait encore plus à ce qu'il ne
s'allumât nulle part de feux capables
d'agiter et de faire bouillonner la surface
égale de cette eau tiède et dormante.
Grâce à Dieu on n'y a pas absolument
réussi!
Mais ne nous faisons pas
d'illusions! L'orthodoxie que le réveil nous
a rendue, n'est pas à elle seule la ferveur
de l'âme, et l'on peut même être
d'autant plus ardent et âpre à la
défendre qu'on est plus tiède
à la pratiquer.
En dépit de l'orthodoxie on
peut avoir un repentir très tiède :
n'avoir jamais pleuré ou profondément
souffert pour ses propres péchés! une
foi très tiède : souscrire, sans en
vivre, aux enseignements de l'Église! un
amour tiède : anathématiser ceux qui
nient les peines éternelles, sans se
dépenser beaucoup pour en préserver
autrui! une piété tiède :
fréquenter le culte; faire, matin et soir,
sa prière; quatre fois l'an communier,
même plus souvent peut-être, mais sans
comprendre la possibilité ou éprouver
le besoin de la prière continuelle,
c'est-à-dire d'une communion incessante avec
Dieu par Jésus-Christ.
Avec cela le tiède est, en
somme, très satisfait de lui-même. Il
n'a pas conscience du danger qu'il court. Le
tiède est sûr de son christianisme et
sûr de son salut; il ne met point en doute la
réalité de sa vie chrétienne.
S'il est protestant, il s'enveloppe de son
protestantisme; s'il est orthodoxe, de son
orthodoxie; s'il est membre d'une église
libre, de cette qualité comme d'un manteau
sans trou ni tache, comme d'une robe qui lui
donnera infailliblement entrée dans la salle
des noces. Il se dit riche : tout au moins ne se
croit-il pas pauvre. Il n'a
besoin de rien d'essentiel. La soif de la
perfection ne le dévore pas; aveuglé
par la bonne opinion qu'il a de son christianisme,
s'il avoue des imperfections, communes du reste
à tous les hommes, il ne constate pas les
profondes lacunes et l'insuffisance absolue de sa
piété.
II
Oh! quel état redoutable!
Redoutable par les illusions
funestes qu'il crée et entretient!
Redoutable pour l'âme qu'il fatigue, use,
émousse et rend toujours plus insensible
à l'action mordante de la
vérité. C'est là, sans doute,
le premier des motifs pour lesquels Jésus
déclare que, plutôt que tiède,
il vaut mieux être froid.
Le froid, c'est, en effet, celui qui
est neuf pour l'action de l'Évangile. C'est
l'homme décidément inconverti,
ignorant, mais encore impressionnable. jamais il
n'a parlé de se donner à Dieu; il n'y
a pas été
convié. Mais on peut espérer que si
jamais il se donne, il se donnera tout entier.
Comme une roue qui sort de la fonderie, il est
grossier, religieusement parlant; rude,
peut-être informe, mais susceptible
d'être travaillé, parce que chez lui
ce n'est pas la matière qui manque. Le
tiède, au contraire, c'est un engrenage
fruste, usé par le frottement
perpétuel d'impressions impuissantes, et sur
lequel les dents de la vérité
chrétienne finiront par n'avoir plus de
prise.
Mais le principal motif du
dégoût du Christ, c'est qu'au fond le
tiède est le pire ennemi des âmes.
Décent dans toute sa conduite,
irréprochable dans ses habitudes
religieuses, qui sait? membre estimé de
plusieurs sociétés
chrétiennes, le tiède est
considéré par tous comme un
chrétien véritable. Il devient
très aisément le type, le
modèle auquel on se conforme, et qu'on se
borne à reproduire. On ne veut pas, ou l'on
ne sait pas aller au delà. Volontiers on
diminue l'idéal évangélique de
tout ce qui lui manque. On fait de sa
piété la mesure de la bonne moyenne
chrétienne, à laquelle on peut
impunément se tenir. Aussi le tiède
se propage-t-il rapidement, et donne-t-il
naissance, sans s'en douter,
à toute une génération
d'âmes qui lui ressemblent, surtout s'il
appartient à une congrégation
stricte, et y occupe une place
éminente.
Mesurez, maintenant, si vous le
pouvez, les conséquences incalculables que
peut avoir la tiédeur d'une âme, d'une
église ou d'une époque tout
entière, et vous ne comprendrez que trop
cette exclamation de Jésus-Christ : «
Oh! si tu étais froid ou bouillant!
»
Ce que Jésus
préférerait, je n'ai pas besoin de le
dire, c'est qu'on fût bouillant pour son
service et pour sa gloire, à tout le moins
autant que d'autres le sont pour leur fortune,
leurs plaisirs et leur réputation. Et quoi
de plus juste que cette exigence ? En
présence de la croix de Christ, à
l'ouïe de ce cri : « Mon Dieu! mon Dieu!
pourquoi m'as-tu abandonné? » à
la pensée de cet amour infini, inexprimable,
gratuit, patient et invincible pour nous rebelles,
ingrats et dignes de réprobation, y a-t-il
une autre alternative que celle de l'amour
brûlant ou de la haine, du sacrifice absolu
ou du refus complet de soi? Reste-t-il place pour
la tiédeur? et ce feu sans chaleur, ce
sel sans saveur, cette foi sans
vie, ce christianisme sans renoncement, ce coeur
sans élan et sans enthousiasme, ce coeur qui
hésite, qui calcule et qui se retient, ce
composé nauséabond
d'éléments
hétérogènes, n'est-ce pas
l'outrage le plus cruel qu'on puisse infliger au
Crucifié, et, pour sa cause, un danger mille
fois pire que l'ignorance des uns ou
l'incrédulité des autres ? Devant la
croix de Christ ne faut-il pas croire et se donner,
ou nier et oser le dire? Et, à défaut
de disciples bouillants, Jésus n'a-t-il pas
raison de préférer des ignorants ou
des ennemis avoués qui, du moins,
n'acclimateront pas et ne perpétueront pas
la race des demi-chrétiens?
Voilà pourquoi c'est contre
Laodicée que le Seigneur fulmine les plus
terribles menaces. Laodicée, qui a
reçu l'Évangile au temps des
apôtres et par leur ministère, en
même temps que Colosses, sa soeur et sa
voisine; Laodicée, favorisée d'une
lettre de saint Paul et, probablement, de sa
visite; Laodicée a perdu, dans le
bien-être sans doute, car la ville
était fort riche, son premier amour, puis sa
première chaleur, puis presque toute
chaleur, pour en venir à un état qui
n'est pas plus la vie
chrétienne que le paganisme, et la
fidélité que la franche
mondanité! « Oh! si tu étais
froid ou bouillant ! lui dit son divin Chef; si tu
étais décidé, si tu
étais tout ou rien! Mais parce que tu es
tiède, c'est-à-dire mi-chaud,
mi-froid, mi-chrétien, mi-mondain, mi-ami,
mi-ennemi, mi-soumis, mi-rebelle; parce que tu
prêtes à croire qu'on peut faire avec
le ciel des accommodements, et devenir mon disciple
sans que cela tire à conséquence, tu
m'es antipathique et repoussant; à ta vue
mon coeur se soulève, et de ma bouche je te
vomirai. »
« Je te vomirai de ma bouche,
» voilà le cas que le Seigneur fait du
christianisme à la mode, qui craint de se
compromettre auprès du monde, plus que
d'exciter le dégoût de Dieu! Ah! s'il
y a ici des tièdes de cette tiédeur
laodicéenne, - et il ne se peut pas qu'il
n'y en ait, ils abondent tellement dans notre vie
facile, - qu'ils pèsent
bien ce mot affreux : « je
te vomirai de ma bouche! » C'est-à-dire
je te rejetterai avec les timides, avec les
exécrables, avec les ennemis haineux dont tu
as horreur plus que pitié.
Combien n'est-il donc pas urgent que
chacun s'examine, et se demande si cette
tiédeur-là ne serait pas, du plus au
moins, l'état actuel de son âme? Oh!
vous tous qui demeurez toujours les mêmes,
sans progrès ni soif de progrès, sans
effort intense vers la perfection; vous qui vivez
au jour le jour d'un christianisme mou, incolore,
insipide, qui ne vous inspire ni vive joie, ni
profonde et féconde tristesse, voyez si,
peut-être, vous n'êtes pas les
descendants spirituels des chrétiens de
Laodicée, et recherchez immédiatement
les causes particulières d'un état
auquel le Seigneur veut vous arracher.
On peut arriver à la
tiédeur de deux côtés
opposés : d'en haut ou d'en bas. L'eau
tiède est tantôt de l'eau jadis
bouillante, et qui s'est peu à peu
refroidie, ou de l'eau jadis froide, et qu'on a
insuffisamment chauffée. Le tiède
peut, de même, être un chrétien
dégénéré, ou l'homme
naturel imparfaitement changé. Eh bien,
voyez si vous n'auriez pas,
jadis ou plus récemment,
arrêté, compromis et atrophié
l'oeuvre de Dieu dans votre âme, en refusant,
au moment décisif, le sacrifice d'une
habitude, d'un goût ou d'un attachement
funeste, l'accomplissement d'un acte de renoncement
et d'obéissance, ou, par crainte de
l'opprobre, la franche confession de votre
foi?
Voyez, aussi, si vous n'auriez pas,
peut-être, ôté un
élément essentiel du feu qui devait
embraser votre âme, c'est-à-dire
retiré du foyer de l'Évangile une
doctrine vitale, telle que celle de l'expiation ou
de l'oeuvre de l'Esprit?
Enfin, de même que l'effet
d'attiédissement physique peut être
dû aussi à ce que tantôt on
laisse l'eau sur le feu, tantôt on l'en
éloigne, examinez si le partage de votre
coeur, la poursuite de deux buts, le service de
deux causes et de deux maîtres, si, en un
mot, le manque d'unité dans votre vie morale
ne serait pas l'explication du mal qui vous a
atteints?
Quelle que soit, du reste, la cause
de la tiédeur, il n'y a ni à
différer ni à
désespérer de la guérir. Non,
non, si l'on ne perd pas de temps, le mal
n'est pas
irrémédiable. Pour un médecin
tel que Dieu, y a-t-il une maladie incurable
lorsqu'on se livre absolument à lui? Et
quant à celle qui nous occupe, quant.
à la tiédeur, l'épître
à Laodicée n'en promet-elle pas la
guérison? Jésus-Christ y parlerait-il
comme il le fait s'il désespérait de
cette église et de ceux qui lui ressemblent?
Est-ce à des réprouvés qu'on
tient un tel langage? Ah! c'est ici qu'il faut
admirer, dans le Sauveur, cette tendresse pour le
pécheur égale à son aversion
pour le péché! Cette
épître, qui retentit des
répréhensions les plus
indignées et des menaces les plus
effrayantes, est aussi celle qui fait entendre les
plus touchantes exhortations! Du reste, cette
sévérité, elle-même,
qu'est-elle sinon une preuve d'amour de la part de
Jésus-Christ? « Témoin
fidèle, » il signale le mal avec
franchise, sans détour ni faiblesse, au
risque de se voir méconnu et mal
jugé. Il le signale comme tout ami
véritable doit le faire. Il cherche à
réveiller par ses avertissements les
âmes plongées dans un perfide sommeil.
Mais, soucieux de prévenir le
désespoir, qu'ajoute-t-il aussitôt
à son blâme? « je reprends et je
châtie tous ceux que j'aime. »
Vous l'entendez : « Ceux que
j'aime! » Voilà la même
déclaration que nous avons lue dans
l'épître à Philadelphie, et
c'est donc l'église la plus fidèle et
l'église la plus déchue qui seules
l'ont entendue ! Pour la seconde elle a, sans
doute, un autre sens que pour la première.
Si Jésus aime de sympathie l'église
de Philadelphie, il n'aime que de charité
celle de Laodicée. Toujours est-il qu'il
l'aime! Et, si grande soit la différence du
sens de ce. terme lorsqu'il s'applique à
Laodicée, elle ne transformera cependant
jamais ce mot « je t'aime, en celui-ci «
je te hais. » Jésus aime donc encore
Laodicée! il l'aime de pitié, oui,
mais il l'aime! il ne l'aimera pas toujours, mais
il l'aime! Il ne l'aimera plus si elle persiste
dans la tiédeur, mais maintenant il l'aime,
et, bien loin de la rejeter déjà, il
lui indique plutôt les moyens de se relever.
«Aie du zèle, lui, dit-il, et te
repens. Achète de moi de l'or pur, »
c'est-à-dire demande-moi à tout prix
Une foi nouvelle et éprouvée; «
achète des vêtements blancs, »
c'est-à-dire échange cette
détestable satisfaction de toi-même
contre la sainteté véritable que je
te donnerai. Enfin, « achète un collyre
pour que tes yeux voient, »
c'est-à-dire accepte,
laisse entrer et agir en toi l'Esprit de
lumière, qui t'humiliera, et d'amour qui te
relèvera.
Par-dessus tout, accepte-moi
moi-même; moi, ton Sauveur; moi, ton ami
suprême; moi, qui ne frappe si fortement
à la porte de ton âme que pour que tu
me permettes enfin d'y entrer. C'est pour m'en
avoir tenu à distance, ou fait maintes fois
ressortir, que tu es devenu si tiède; c'est
en m'y recevant tout à nouveau, sans
conditions ni réserves, que tu redeviendras
bouillant! Oui, le Sauveur se tient à la
porte, à notre porte à tous, et
à la porte de nos églises. Il s'y
tient et il frappe. Il y frappe par des bienfaits
et par des avertissements; par des
délivrances et par des épreuves; par
des promesses et par des humiliations. Mais, que ce
soit par des joies ou par des douleurs, il y frappe
parce qu'il nous aime, il y frappe parce qu'il veut
notre bien. Et « si quelqu'un, froid ou
tiède, inconverti ou mal converti,
irrégénéré ou
chrétien
dégénéré, si quelqu'un
ou si quelques. uns, si une personne, ou une
réunion de personnes, ou une église,
entend sa voix et lui ouvre la porte loyalement,
résolument, sinon joyeusement, il entrera
lui-même, non pas seulement l'une de ses
grâces ou plusieurs, mais
le principe de toutes en lui. Il entrera et il
s'installera, non pas comme un voyageur qui passe,
mais comme un parent, un frère, un ami
intime qui demeure. Il soupera avec nous,
c'est-à-dire qu'il entrera avec notre
âme dans les rapports les plus intimes, et se
communiquera lui-même à nous. Car la
substance de ce repas mystique, c'est lui qui la
fournit, et c'est lui qui nous l'apporte, puisque
cette substance c'est sa vie, c'est son Esprit,
c'est son être glorifié. Ah! mes
frères laissons tous entrer, ou rentrer, ou
pénétrer plus avant, dans notre vie,
le Prince de notre salut; accueillons-le comme
notre Libérateur. Disons-lui : «
Hosannah ! béni soit celui qui vient au nom
du Seigneur! » Prends en moi toute la place,
fais toute ton oeuvre, embrase-moi de
toi-même, je ne veux plus rien que toi! Alors
vivants, mais de sa vie, forts, mais de sa force,
de son âme animant notre âme, de sa
flamme nous brûlerons et de son amour nous
aimerons.
Christ, Sauveur parfait des
âmes et des églises; Christ, seule
source de la vie pour les personnes et pour les
oeuvres chrétiennes; Christ, secret de
la victoire dans toutes les
difficultés ou dans tous les combats de la
vie individuelle et collective: tel est donc l'un
des enseignements qui ressortent de l'étude
que nous terminons. Ces sept épîtres
nous ont continuellement parlé
d'épreuves. Toutes nous ont dit qu'il n'est
aucun chrétien et aucune église qui
puisse se flatter d'échapper à la
tentation. La lutte y est partout supposée;
mais, non moins que la lutte, la possibilité
de la victoire par Dieu en Jésus-Christ.
Hors de lui plus que vaincus; mais en lui plus que
vainqueurs! En lui la conservation du premier amour
perdu par la congrégation
d'Éphèse; en lui la constance
héroïque dans les persécutions
comme à Smyrne; en lui la sauvegarde contre
la séduction signalée aux
chrétiens de Pergame; en lui la
fidélité contre la Jésabel de
Thyatire; en lui le préservatif contre la
mort spirituelle de Sardes; en lui la force et les
succès que, dans sa faiblesse, a eus
Philadelphie; en lui, enfin, la chaleur dont
Laodicée a manqué !
À quel autre qu'à
Christ pourrais-je donc vous adresser et vous
remettre en finissant? À lui la gloire,
d'âge en âge, dans nos imparfaites et
militantes églises,
jusqu'à ce que, de l'Église
triomphante et pure, il la reçoive durant
l'éternité! Oh! qu'il vienne
bientôt ce jour où l'on ne parlera
plus de catholiques, de grecs et de protestants;
d'églises anglicane, luthérienne ou
réformée; baptiste ou
pédobaptiste; wesleyenne ou morave;
nationale ou indépendante; mais où,
parvenus à la pleine lumière par
l'absolue sainteté, nous le serons aussi
à la véritable et parfaite
unité! Oui, qu'il vienne bientôt ce
jour hâté par nos prières,
qu'il vienne et qu'il nous voie tous réunis
dans un même troupeau et sous un même
berger! Amen.
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