Les septs Eglises d'Asie
SIXIÈME DISCOURS
PHILADELPHIE
OU
L'ÉGLISE DES
RÉVEILS
Écris aussi à l'ange
de l'église de 'Philadelphie: Le
Saint et le Véritable, qui a la
clef de David; qui ouvre et personne ne
ferme; qui ferme et personne n'ouvre, dit
ces choses :Je connais tes oeuvres : voici
je t'ai ouvert une porte et personne ne la
peut fermer, Parce que tu as un peu de
force, que tu as gardé ma parole et
que tu n'as point renié mon nom.
Voici, je ferai venir ceux de la synagogue
de Satan, qui se disent Juifs et ne le
sont point, mais mentent; voici, dis-je,
je les ferai venir et se prosterner
à tes pieds et ils
connaîtront que je t'aime. Parce que
tu as gardé la parole de ma
patience, je te garderai aussi de l'heure
de la tentation qui doit arriver dans tout
le monde, pour éprouver ceux qui
habitent sur la terre.
Voici, je viens
bientôt; tiens ferme ce que tu as,
afin que personne ne t'enlève ta
couronne. Celui qui vaincra, je le ferai
être une colonne dans le temple de
mon Dieu, et il n'en sortira plus; et
j'écrirai sur lui le nom de mon
Dieu, et le nom de la cité de mon
Dieu, qui est la nouvelle
Jérusalem, laquelle descend du ciel
d'auprès de mon Dieu; et mon
nouveau nom. Que celui qui a des oreilles
écoute ce que l'Esprit dit aux
églises! (Apoc. Ill, 7-13.)
|
Mes frères,
On éprouve une joie sans
mélange à la lecture de cette lettre.
il me tardait d'y parvenir! Pas de reproches! Pas
de ces « mais » qui vous attristent; rien
qu'encouragements et conseils pour cette heureuse
église, qui n'a rien perdu de son premier
amour comme Éphèse, de sa
fidélité comme Pergame, de sa
pureté doctrinale et morale comme Thyatire,
ni de sa vie spirituelle comme Sardes, et qui,
seule avec Smyrne, reçoit l'entière
approbation de Jésus-Christ!
Aussi, est-ce à qui sera
Philadelphie! Pour les
darbystes, par exemple,
l'église de Philadelphie ce ne peut
être que les darbystes; pour tel
exégète que je soupçonne
d'être morave, ce sont les frères
moraves; j'ai des raisons pour croire que les grecs
s'y reconnaissent sans peine, et, nous autres
protestants, nous l'avons souvent
revendiquée!
Je ne saurais, pour ma part, voir dans
Philadelphie le type de tout le protestantisme, ni
l'une seulement des dénominations qui s'y
rattachent, et je pense qu'en dépit de
toutes ses taches l'histoire de l'Église a
compté assez d'époques de vie intense
pour que ce bel état spirituel ait pu s'y
reproduire plus souvent, et sous plus de formes
ecclésiastiques, que ne le supposent ces
interprétations exclusives.
Quatre caractères, très
généraux, distinguent, en effet,
l'église de Philadelphie. Sa faiblesse aux
yeux des hommes: « - Tu as une petite force!
-, faiblesse en nombre sans doute, faiblesse en
influence sociale, en ressources
financières, en science, en talents.
Secondement, son attachement invincible à la
parole du Christ, et la confession courageuse
qu'elle fait de son nom. En
troisième lieu,
l'imitation de sa patience, car c'est, je pense,
ainsi qu'il faut entendre ces mots : « Tu as
gardé la parole, » ou le
précepte, ou le mot d'ordre, « de ma
patience. » Enfin, pour cette humble et rare
fidélité, un amour particulier, une
protection spéciale du Seigneur. - Pensez
à l'effet que dut produire ce mot: « je
t'aime! » Pour s'entendre dire par
Jésus : « je t'aime, » que ne
donneraient pas ou ne souffriraient pas une
église ou une âme chrétienne?
Jésus aime, et d'un amour sans
réserve, l'église de Philadelphie, et
lui qui, seul, par un acte de sa puissance
souveraine, peut ouvrir les coeurs ou les pays
à l'Évangile, et bénir ou
frapper de stérilité toute tentative
d'évangélisation collective et
individuelle, il a ouvert à cette petite
église, soit dans le monde païen, soit,
peut-être, surtout dans la colonie juive,
« une porte, » c'est-à-dire un
champ d'activité et de succès
missionnaires, que rien ne pourra fermer.
I
Cela étant, ne trouvons-nous pas, dans
l'histoire de l'Église, plus d'une
époque ou plus d'une église
répondant à ce portrait?
L'humble marchand de Lyon, que j'ai
déjà rappelé, ce Pierre Valdo,
pour qui l'on se sent pris d'une si vive sympathie,
ne l'a-t-il pas reproduit au XIIe siècle?
Quelle petite force que la sienne! seul contre la
formidable papauté! Et quelle porte que
celle qui lui fut ouverte, puisqu'on
découvre tous les jours des preuves
nouvelles de sa prodigieuse influence! Mais, aussi,
quel attachement à cette Parole que, de ses
deniers, il avait fait traduire! Quelle courageuse
confession du nom de Christ! dans la
persécution, quelle inaltérable
patience!
Et plus tard, trois siècles
après, dans sa belle période, dans
son âge d'or, la réforme n'a-t-elle
pas, à un haut degré,
recommencé Philadelphie? Rappelez-vous
Worms, le petit moine et
l'imposante assemblée! Rappelez-vous les
deux boulevards de la réformation; son
principe formel : la Bible, et son principe
matériel : le salut par la foi en
Jésus-Christ. Rappelez-vous son admirable
patience et sa miraculeuse propagation! dix
à douze pays ouverts presque
simultanément à son action
régénératrice! En vain Satan
essaya-t-il de refermer cette porte : en Allemagne
par les intimidations papales, et, surtout, par les
compromettantes sympathies des humanistes et des
politiques, par le fanatisme de Carlstadt et la
révolte des paysans; en Angleterre, par
l'odieuse et cruelle parodie de Henri VIII; en
France, par d'impitoyables persécutions
où, dans un même martyre, se
confondirent grands et petits, docteurs et simples
fidèles, les Jean Leclerc et les de Berquin,
les de Caturce, Pointet et Anne du Bourg. S'il
réussit pour un temps en Italie, en faisant
chasser ou tuer tous ces nobles témoins de
l'Évangile qui s'appelaient : Curione,
Paleario, Morata, Vermiglio, Occhino ou Vergerio,
et en Espagne, où l'inquisition,
arrivée presque trop tard, consuma dans ses
atroces auto-da-fé l'oeuvre immense des
Valdez, Virvès, Valer, Juan Gil,
Vargas et San Romano, il fut
vaincu partout ailleurs.
Pour un homme qu'on tuait, dix se
levaient aussitôt du sein du catholicisme, et
le multipliaient en lui succédant. Partout
surgissait comme une luxuriante
végétation d'hommes savants ou
intrépides. C'étaient, en Allemagne,
un Mélanchthon, un Justus Jonas, un
Bugenhagen, un Brenz ou un Lambert d'Avignon;
à Strasbourg, Matthias Zell, Capito et
Bucer; en Suisse, Zwingli, Oecolampade, Haller,
Bullinger et Viret; ici même, Farel, Saunier,
Froment, Jean Calvin et Théodore de
Bèze; en France, outre tous ceux qu'elle
nous a donnés, Le Fèvre d'Etaples,
Olivétan, Coligny, Duplessis-Mornay; aux
Pays-Bas, Marnix et Guy de Brès; en
Angleterre, William Tyndale, Cranmer et Latimer;
Patrick Hamilton, Willock, Wishard, John Knox en
Ecosse; en Hongrie, Martin Cyriaci et Matthias
Devay; en Suède, les deux Peterson; en
Danemark, Reinhard et Tausen, et partout, sur leurs
traces, comme une irruption, un débordement
de la vie, une résurrection d'entre les
morts, l'éclosion d'un printemps des esprits
et des coeurs, et la première
Pentecôte mille et mille fois
répétée!
Ah! pourquoi la réforme
n'a-t-elle pas persévéré
partout dans cette voie de la patience? Pourquoi
l'épée de l'Esprit, qui est la Parole
de Dieu, et l'étendard victorieux des
premiers jours, le nom du Crucifié, ne lui
ont-ils pas toujours suffi? Pourquoi n'a-t-elle pas
persévéré à croire au
triomphe de la vérité par la
liberté? Pourquoi la politique s'en est-elle
si vite emparée? Pourquoi les querelles sur
la cène entre les réformateurs?
Pourquoi le bûcher de Servet? Pourquoi les
guerres de religion en France ? Hélas!
pourquoi ? Pourquoi les hommes les meilleurs
sont-ils encore des hommes? les plus
supérieurs, par plus d'un
préjugé, tributaires de leur
époque? les plus sanctifiés, encore
pécheurs? les plus
expérimentés, encore faillibles?
Pourquoi, en un mot, n'y en a-t-il qu'un seul qui
ait eu le droit de dire de lui-même ce que
nous lisons dans cette lettre : « le Saint, le
Véritable? »
À lui seul donc, à ce seul
Saint, à ce seul Véritable, notre
absolue confiance, à lui seul tout notre
coeur et notre esprit sans réserve! À
lui seul, dans l'Église, hommages, gloire et
louanges!
Lui seul en est le Chef, parce que seul
il en est le Créateur et le vrai
Réformateur!
Que personne ne se glorifie dans les
hommes, mais que celui qui se glorifie se glorifie
en lui!
II
Mais, si le Seigneur laisse commettre des
fautes, il en répare les suites, et quand
les hommes ont gâté son oeuvre
jusqu'à la compromettre, il intervient
à temps pour en prévenir la
perte!
C'est ce qu'il fit soit en Allemagne,
soit en Angleterre, quand l'état de
l'Église, devenu tel que nous l'avons
dépeint à propos de Sardes,
réclama impérieusement une
réformation dans la
réformation.
Mais, réformer des gens qui se
croient tout réformés;
réveiller un clergé qui veut
absolument dormir, quelle tâche que
celle-là! - Qui pouvait l'accomplir? Alors,
comme au 1er siècle, à Philadelphie,
se vérifia cette loi du Royaume de Dieu
que, tandis que pour les oeuvres
ordinaires Dieu ne craint pas d'employer
quelquefois ce qui est grand aux yeux des hommes,
pour les résultats exceptionnels, pour des
succès immenses, il ne s'adresse qu'à
ce qui leur parait petit!
Pour vous en convaincre, suivez-moi
à Francfort - nous sommes en 1670, dans la
chambre d'étude d'un jeune pasteur allemand.
Des personnes de tout rang et de tout âge s'y
entretiennent familièrement, non de quelque
question irritante de polémique, mais
d'expériences chrétiennes ou d'un
fragment de la Parole de Dieu. Celui qui
préside est un homme de trente-cinq ans.
à peine. Sa figure est douce et grave. Le
matin même, - c'est un dimanche - il a
prêché devant un auditoire immense et
profondément attentif, car, depuis
longtemps, on n'a pas eu en Allemagne un
prédicateur aussi bien écouté,
Et cependant cet homme est loin d'être un
orateur. Sa diction est plutôt pesante, sa
composition prolixe et sans grande
originalité. Mais la simplicité toute
biblique, la cordialité et l'accent de
profonde conviction, qui caractérisent ses
discours, contrastent si fort avec tout ce qu'on a
entendu depuis un siècle,
que le peuple, se sentant compris et aimé,
accourt de toute part à cet
enseignement.
Cependant cet homme n'achète pas
la faveur au prix de la vérité. Il
insiste, sans faiblir, sur la
nécessité d'une nouvelle naissance,
et sape tellement à la base les appuis
trompeurs de la foi de tête. que plus d'un
auditeur, furieux, a résolu de ne plus venir
l'entendre, tandis que les autres, arrachés
à leurs illusions ou à leur torpeur
morale, se préoccupent sérieusement
de leur salut. Ce sont eux qui, spontanément
réunis dans cette chambre, ou ailleurs dans
la ville, se disent, comme autrefois les juifs :
« Hommes frères, que ferons-nous?
»
Qui est cet homme? Et qu'est-ce que ces
réunions? Cet homme, né en Alsace et
de bonne heure gagné à
Jésus-Christ, cet homme, qu'on a vu à
Genève, quelques années auparavant,
dans les conventicules du pieux Labadie, c'est
Spener, et cette réunion intime est la
première de ces « réunions de
piété, » de ces collegia
pietatis qui vont sauver la réforme.
Spener est bien loin de s'en douter.
Comme pour tous les vrais réformateurs,
jamais l'idée ne lui est
venue qu'il en pût être un! Il se
croit, au contraire, si faible, il se sent
naturellement si timide, qu'il a longtemps
hésité à accepter son poste.
Mais cet homme prie; cet homme « retient
» la Bible, toute la Bible; il en aspire et en
communique la sève vivifiante; cet homme
aime ardemment le Seigneur; il vit dans son
intimité; enfin il va déployer, en
face des accusations les plus insultantes, d'autant
plus pénibles qu'elles lui viendront d'une
église tendrement aimée, une
charité, une douceur, une « patience
» de Christ, que ses ennemis eux-mêmes
seront forcés d'admirer. Aussi Jésus
l'aime-t-il; Jésus va lui donner un puissant
auxiliaire en son ami Francke, et, à tous
deux, « ouvrir » à tel point
« la porte » des coeurs, que leurs
prédications, leurs écrits et la
propagation rapide de ces réunions intimes
pénétreront l'Allemagne d'un esprit
tout nouveau; et lorsque leur oeuvre, elle aussi,
s'altérera dans les mains de successeurs
formalistes, à qui manquera leur esprit,
elle sera reprise et continuée dans une
autre oeuvre issue en grande partie de la
leur.
C'est, en effet, ce qui eut lieu!
En 1722, le 17 juin, dans la haute
Lusace, au pied d'une colline appelée le
Hutberg, un homme, entouré de quelques
familles d'émigrés, enfonçait
sa cognée dans un sapin en s'écriant
: « Ici le passereau a trouvé sa
demeure et l'hirondelle son nid! » Au
près et au loin on ne voyait pas
d'habitations; rien que forêts et
marécages. Aujourd'hui, sur le même
emplacement, dans une plaine bien cultivée,
s'étale un joli petit bourg, qui est le
foyer d'une immense activité. Vous avez
nommé Herrnhüt! Quant à l'homme
qui commençait sa cabane en citant le psaume
LXXXIV, c'était Christian David; ces
familles arrivaient de Moravie, chassées par
la persécution; un homme.
généreux, le comte de Zinzendorf, les
accueillait chez lui.
À quelque temps de là, en
leur installant un pasteur, un prédicateur
s'écria : « Dieu allumera sur ces
collines une lumière qui luira sur tout le
pays : j'en ai l'assurance par la foi! » Et,
bien loin de la démentir, vous savez
à quel point l'événement a
dépassé cette prophétique
parole. La lumière des moraves ne s'est pas
bornée à
éclairer l'Allemagne,
elle est allée dissiper les
ténèbres de nombreux pays
païens.
Qu'était-ce, toutefois, que cette
poignée de proscrits, sinon, pour le monde,
un imperceptible grain de sénevé?
N'étaient-ils pas une bien petite force?
Mais, armés de la seule patience du
Crucifié, débordant d'amour pour son
nom et pour sa Parole, ils ont vu, eux aussi,
s'ouvrir sur le continent, par une
évangélisation infatigable, et, dans
les pays païens, par le dévouement de
leurs innombrables messagers, une porte que le
temps n'a fait, dès lors, qu'agrandir. En
1732, leur premier missionnaire partait pour
l'île de Saint-Thomas; l'année
suivante, trois autres pour le Groënland;
aujourd'hui, la Société en compte
plus de trois cents, dans soixante-dix à
quatre-vingts stations où sont
groupés près de quatre-vingt mille
païens amenés à la foi.
Quant à l'influence
exercée par Zinzendorf et les moraves en
diverses contrées de l'Europe, on la
connaît généralement :
Genève leur a plus d'une dette! Mais ce
qu'on sait moins, c'est que l'Église
chrétienne doit aux moraves, et, par
conséquent, à Spener, qui fut,
à bien des égards,
le père spirituel en
même temps que le parrain de Zinzendorf,
l'homme dont Dieu s'est servi pour réveiller
l'Angleterre au XVIIIe siècle.
III
Cet homme, c'est John Wesley.
Déjà, en 17 3 5, pendant
une terrible traversée, Wesley avait
envié la paix de vingt-six frères
moraves, calmes et heureux en présence de la
mort. En Amérique, Spangenberg, qui fut le
successeur de Zinzendorf, l'avait encore
salutairement impressionné. Enfin, trois ans
plus tard, de retour à Londres, toujours
angoissé, comme autrefois Luther, il se rend
dans une réunion de moraves. Il y entend
décrire la paix que donne la foi; il sent
son coeur se dilater; il sent qu'il se confie en
Christ; pour la première fois, il croit
à son propre pardon; alors,
immédiatement, il se lève; il raconte
ce qu'il éprouve : John Wesley est un homme
nouveau! Peu de temps après, son
frère. Charles et son ami Georges Whitefield
le deviennent chacun comme lui;
et ce sont ces trois jeunes hommes, ces trois
étudiants d'Oxford qui vont reprendre, sans
s'en douter, l'oeuvre longtemps interrompue de la
réformation.
Bien doués, ils le sont, il est
vrai. Mais leur indomptable énergie et leur
éloquence de feu c'est à leur foi
qu'ils les devront. Faites-les «
modérés, » comme on disait
alors, et, du même coup, vous les ferez
impuissants. Par eux-mêmes ils sont donc une
force dérisoire contre le débordement
de haine et de violence qui les attend. Ne
verront-ils pas le clergé lui-même, le
clergé protestant, se mettre souvent
à la tête des bandes furibondes
lancées sur eux pour les maltraiter? Mais
rien ne les effraiera! Ils confesseront
Jésus dans l'église établie,
puis, quand celle-ci leur sera fermée, sur
les places publiques, dans les mines, dans les
champs et dans les parcs, où des foules de
dix à quinze mille personnes, tantôt
suspendues à leurs lèvres,
tantôt folles de rage, entendront de leur
bouche le message de salut. Whitefield convertira
surtout les classes élevées, et
réveillera les congrégations
dissidentes. Les Wesley et leurs disciples auront,
eux, pour mission
spéciale, l'évangélisation des
masses, les prisonniers, les mineurs, et le bas
peuple. Semblables aux serviteurs de la parabole,
ce sont eux, surtout, qui iront dans les carrefours
et le long des haies. Wesley, qui tient de
Zinzendorf l'organisation dont lui-même a
emprunté l'idée à Spener,
groupe, réunit, incorpore dans ses «
classes » tous ceux que conquiert sa parole.
Il improvise un ministère laïque
itinérant, et si tout n'est pas
également digne d'approbation dans les
méthodes que son génie a
inventées, il ne faut pas moins
reconnaître qu'il a transformé
l'Angleterre, et créé l'une des plus
fortes et des plus actives églises de la
chrétienté.
IV
Dans le même temps, que se passait-il en
France? Deux siècles de persécutions
rarement interrompues, en dernier lieu la
révocation de l'édit de Nantes, qui
avait jeté hors des frontières cinq
cent mille huguenots, puis l'écrasement des
camisards, paraissaient avoir
extirpé si bien l'hérésie, que
Louis XIV, nouveau Dioclétien, avait fait
frapper une médaille destinée
à rappeler toujours ce glorieux
événement! De l'église
réformée, plus rien! Plus de synodes,
plus de cultes publics, plus d'organisation ni de
pasteurs, mais d'autant plus de prétendus
prophètes, d'aberrations et de sombre
fanatisme! Il semblait que Satan eût vaincu
en France, comme, jadis, en Espagne.
C'est alors qu'un jeune homme de
dix-neuf ans, dans l'année même
où Louis XIV se mourait à Versailles,
honni de tout son peuple, entreprit, à lui
seul, le relèvement de l'église
réformée, comme jadis
Néhémie, la reconstruction de
Jérusalem. Avec une indomptable
énergie, Antoine Court rassemble de petits
groupes de fidèles, reprend les cultes
publics, inaugure, en quelque sorte,
l'église du désert, improvise, lui
aussi, un ministère, convoque des embryons
de synodes, rétablit l'antique discipline,
réprime les abus des prophètes,
crée, à Lausanne, une nouvelle
pépinière de martyrs, voyage,
prêche, se multiplie, communique partout son
feu, inspire l'héroïsme,
et, malgré la potence qui
lui ravit ses collègues, malgré les
galères, malgré la tour de Constance,
malgré la froide férocité de
Baville, réussit à tel point dans
cette restauration du protestantisme,
qu'après avoir eu, en 17 15, dix à
quinze personnes dans telle de ses réunions,
en 1744 il en instruisait des milliers dans une
seule !
Plus tard, il est vrai, le rationalisme
et la mort spirituelle éteignirent beaucoup
le feu de cette église, mais vous savez
comment l'Esprit de Dieu l'a rallumé au
commencement de notre siècle par le
réveil général, dont les
moraves et Robert Haldane ont été
chez nous les instruments bénis. Le temps me
manque pour vous parler, comme je le voudrais, de
cette moderne église de Philadelphie, bien
petite, elle aussi, aux yeux des, hommes, mais
à qui le Seigneur n'en a pas, moins ouvert
une porte dans le champ de
l'évangélisation intérieure et
des missions. Le dernier de ses nobles
représentants, le vénérable
frère que nous possédons encore, M.
Guers, me racontait récemment qu'un jour,
dans une petite réunion quotidienne,
où ils étaient six, il s'était
senti poussé à s'écrier :
« Aujourd'hui nous sommes
six, dans quelques années nous serons six
cents! »
V
Ah! mes frères, quand on repasse ainsi
l'histoire de ces divers réveils, depuis
celui de Valdo jusqu'à ceux de notre
siècle; quand on arrête son regard sur
ces printemps spirituels qui, d'époque en
époque, ont renouvelé
l'Église, on se demande, avec honte, comment
on a pu par moments concevoir quelque doute, ou
même, seulement.. n'avoir plus une certitude
aussi ferme et aussi sereine, quoique toujours
humble, quant à la victoire finale de
Jésus-Christ? - Quoi! le Chef de
l'Église a toujours pu sauver son
Église; aux époques les plus sombres
et les plus tourmentées, il l'a tirée
des états les plus
désespérés ! D'un seul homme,
plus d'une fois, oui d'un seul, il l'a fait
renaître tout entière et plus
florissante, et telle à été sa
« puissance de résurrection, »
dans son corps spirituel, qui est l'Église,
que ni violences, ni ruses de
ses ennemis, ni, ce qui est bien pire, les erreurs,
les divisions, les fautes, les crimes des
chrétiens eux-mêmes, n'ont pu
réussir à la détruire;
après dix-neuf siècles de luttes,
l'Église est aujourd'hui, sinon plus
vivante, du moins plus étendue que jamais;
sa vitalité se manifeste par des
institutions et des oeuvres innombrables, - et l'on
pourrait concevoir quelque inquiétude au
sujet de son avenir? trembler pour elle, comme
jadis Huza pour l'arche sainte, quand les boeufs
avaient glissé? Les uns diraient : Nous
sommes perdus si cette éventualité se
réalise? si l'appui de l'État, si
notre part du budget nous sont retirés? Et
d'autres, nous, par exemple, membres d'une
église libre : « Si nous perdons tel
homme, si nous ne nous recrutons pas davantage, si
nous ne pouvons disposer de nouvelles ressources,
notre église est finie? » - Et que
faites-vous donc de Christ? Philadelphie avait-elle
tout cela? Ah! honte, mille fois honte à
nous chrétiens évangéliques
si, pour nos églises, nous avons d'autre
souci que celui de les bien servir!
Je n'oublie pas, il est vrai, qu'il faut
distinguer entre l'Église et les
églises, et je ne prétends
pas donner aux unes tout le
bénéfice des promesses faites
à l'autre. Les églises peuvent
périr; l'Église seule est immortelle!
Mais, à part de rares exceptions
(1), je ne sache
pas que jamais église soit morte autrement
que par la faute de ses membres, et que la violence
de ses ennemis ou la pénurie de ses
ressources aient suffi à la détruire,
quand un vice d'organisation et, surtout, le
déclin de la vie n'y ont pas
aidé!
Si donc nous sentions nos églises
menacées, il faudrait énergiquement
chercher à supprimer le mal, quel qu'il
fût, pour pouvoir remettre à Dieu le
reste. Il faut, en tout cas, rappeler à nos
églises qu'elles ne sauraient vivre de leur
gloire passée, et que, si elles ont
reçu de leurs fondateurs une « couronne
» de vérité et de
piété vivante, elles ont à la
« tenir ferme » pour pouvoir la
conserver.
Mais prendre en gémissant notre
parti de leurs misères ou de leur langueur,
comme d'un mal inévitable et incurable; mais
assister, mornes et inertes, à leur
décadence si jamais elles en
venaient là; mais croupir
dans le découragement, ah! pour cela,
jamais, non jamais! Le découragement, c'est
la défaite avant la bataille! le
découragement, c'est la carie de
l'âme; le découragement, c'est la
négation pratique de Dieu ! Humbles, pour
nos églises, nous devons l'être
toujours; humiliés, souvent;
découragés, jamais! Et c'est à
elles, non moins qu'à l'Église tout
entière, que j'appliquerai ce beau mot du
pasteur Staudt de Kornthal: « Pour
l'Église, il faut non pas trembler, mais
travailler!
Travailler avec bonheur; travailler avec
courage, sans fièvre ni défaillance;
travailler, sans autre moyen d'influence que la
patience, la Parole et le glorieux nom de
Jésus-Christ!
Frères, il est beau de travailler
ainsi, et pour un tel maître! Frères,
ne nous lèverons-nous pas tous pour cette
oeuvre? Frères, une telle cause ne
ferait-elle pas battre notre coeur?
Jeunes gens, hommes faits, le Seigneur
vous appelle, et si vous avez besoin de lui, lui
veut bien aussi avoir besoin de vous! Vous lui
êtes nécessaires pour sauver les
âmes, après qu'il aura sauvé la
vôtre ! Lui refuseriez-vous votre
concours? Si vous tenez pour
devoir et privilège d'être les appuis
de votre patrie, n'ambitionnerez-vous pas, plus
encore, de devenir les colonnes d'un temple qui ne
s'écroulera jamais?
Frères, le temps se hâte;
les événements se précipitent;
notre monde est, peut-être, à la
veille de grandes épreuves, telles que
celles dont parlait cette lettre, et si
Jésus disait déjà à
Philadelphie: « je viens bientôt, »
combien plus aujourd'hui ne nous le dirait-il pas
?
Frères et soeurs, nous
trouvera-t-il veillant et travaillant? Sommes-nous
fidèles à entrer dans, les portes
qu'il nous ouvre? Ici, dans ces populations
nouvelles, ignorantes, mais accessibles
peut-être, et qui nous condamneront un jour
si nous les négligeons aujourd'hui? Ah!
c'est dans ce champ que notre église
retrempera ses forces, en sortant salutairement
d'elle-même; il faut qu'elle médite
cette parole d'un frère morave « Il y a
longtemps que notre église se serait
pétrifiée dans ses vieilles formes,
si l'oeuvre des missions ne ranimait sa vie
incessamment. »
Et en France, dans cette France que le
sang des martyrs a, deux siècles durant,
abondamment ensemencée,
serions-nous prêts à envoyer de
l'argent et des hommes si, tout à coup, une
porte plus vaste s'y ouvrait à
l'évangélisation? si ces
adhésions d'hommes de bonne foi, sinon tous
de foi, n'étaient que les prémices
d'une moisson magnifique?
Il est temps, il est temps de sortir de
notre apathie; il est temps de vivre, il est temps
de nous dévouer, corps et biens. Il est
temps, aussi, que les chrétiens se groupent
davantage, pour former, au-dessus de leurs
églises, un corps qui s'appellera, aussi,
Philadelphie.
Philadelphie! ce nom a-t-il
été providentiellement donné
à cette ville et à cette
église? je l'ignore; mais il est trop beau
pour que je ne vous le propose pas!
Philadelphie, c'est « l'amour des
frères! » Philadelphie, c'est, par
conséquent, au-dessus de tout ce qui
sépare, l'amour du Christ qui réunit!
Philadelphie, ça été l'esprit
de la primitive Église, trop peu celui de la
réforme, mais beaucoup plus, toujours plus
celui des réveils qui ont suivi.
Philadelphie, c'est le programme de l'Alliance
évangélique, fondée en 1846,
et qui devrait s'étendre.
Philadelphie, tel doit être toujours plus
notre mot d'ordre! Dans ce sens-là, aussi,
soyons des chrétiens de Philadelphie! sans
faire tort à nos principes, tendons à
tous nos frères en Christ une main vraiment
fraternelle, une main d'association, travaillons
avec eux; prions avec eux; aimons avec eux, en
attendant que nous soyons, un jour, dans la
céleste Philadelphie avec eux. Amen.
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