Il est
écrit: TA PAROLE EST LA VERITE (Jean 17.17) Cela me suffit... |
REGARD
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écrit: TA PAROLE EST LA VERITE (Jean 17.17) Cela me suffit... |
CONTRE LE COURANT
|
Le royaume des cieux sera semblable
à dix vierges... |
Les Vateau étaient des gens
très considérés à
Meirage ; une vieille famille du pays, avec des
ancêtres, des traditions et un vieux manoir
charmant, juste à l'entrée de la
ville.
Par miracle, sans fanatisme
catholique et l'esprit assez ouvert aux
idées libérales dans le meilleur sens
de ce mot. La famille allait à la messe, aux
grandes fêtes carillonnées pour ne pas
manquer aux usages, mais Mme Vateau, ayant eu, dans
sa jeunesse, à se plaindre des
libertés de langage de son confesseur, ne se
confessait jamais, ni ses deux filles non
plus.
Albert Vateau était un jeune
homme sérieux et réfléchi,
plein de coeur et de
générosité. Mireille l'avait
trouvé tellement différent de
Jacques, dont l'égoïsme et les
prétentions s'affirmaient de plus en plus,
depuis qu'il était officier, qu'elle avait
été tout d'abord attirée par
ce contraste. Elle avait autrefois l'idée
que tous les jeunes gens étaient plus ou
moins comme son frère.
Le jeune étudiant en
médecine, malgré son
absence de religion, ou
plutôt son ignorance de toute religion
véritable, avait eu une vie aussi
sérieuse qu'on peut l'avoir dans ce milieu
si spécial et de moeurs si
libres.
Ses études l'avaient
complètement absorbé et il avait
consacré ses rares loisirs à la
musique. Il avait toujours rêvé, de
revenir à Meirage, succéder à
son père, faire oeuvre utile de
médecin et de conseiller ; à ses
côtés, il entrevoyait une femme
aimante, simple et distinguée tout à
la fois, et pour couronner le tout, une famille
d'enfants joyeux.
Ses ambitions étaient
entièrement d'ordre terrestre, mais elles
étaient saines, modestes, et toutes
réalisables sans bassesses.
La personnalité de Mireille
Lenormand l'avait attirée dès leur
première rencontre. Tout d'abord, ce n'avait
été que la sympathie de deux
âmes d'artiste, communiant une heure, dans la
compagnie des Maîtres qu'ils
aimaient.
Puis, l'échange de leurs
idées sur des sujets d'ordre
général, était venu et leur
avait révélé bien des
ressemblances dans leurs caractères. Sur
lune seule question, ils différaient : la
question religieuse.
Sans être athée, Albert
n'éprouvait aucun besoin à cet
égard. Il était satisfait de la vie
et ne désirait rien d'autre.
Participant ainsi au scepticisme
léger et philosophe de sa ville natale, il
était persuadé qu'au cas où
Dieu (auquel il croyait vaguement) s'occuperait des
gens après leur mort, ceux-ci sauraient bien
se tirer d'affaire sans trop de peine. « Cela
», comme disait un jeune
homme de Meirage à
quelqu'un qui l'avertissait de
l'Éternité, « c'est la moindre
des choses ».
Les discussions religieuses
qu'avaient eues Albert Vateau et Mireille Lenormand
s'étaient, donc toujours terminées
par une sorte de refroidissement imperceptible de
leur bonne amitié, et lorsque ce dernier
sentiment s'était transformé, ce
n'avait pas été sans une sourde
inquiétude chez le jeune homme et une
profonde angoisse chez Mireille,
Tous deux étaient trop
intelligents et trop loyaux pour ne pas entrevoir
l'avenir gros d'orage
Chacun avait souffert, sans en rien
dire à l'autre, ni, bien entendu, à
leurs familles respectives.
Néanmoins, une fois
rentré à Paris pour sa
dernière année d'études,
Albert s'était senti envahi par un
désir violent de mettre les choses au clair
et il avait, avec franchise, fait su demande
à M. Lenormand. Il faisait
discrètement allusion au sujet
brûlant, en disant que la religion de sa
femme serait la sienne et celle de leurs enfants,
s'ils en avaient, et qu'en toutes choses comme en
celle-là, il chercherait à lui rendre
la vie aussi douce et agréable que
possible.
- C'est une belle lettre,
déclara Mme Lenormand. Et je ne vois pas ce
qu'on pourrait y trouver à redire. En somme,
c'est lui qui fait toutes les concessions !
Mais ce n'était pas cela que
pensaient les deux jeunes filles, assises au soleil
d'automne devant la villa des
Pervenches.
Là, dans ce jardin si
tranquille et si doux, en apparence, la
tempête sévissait dans une âme
et risquait d'y tout briser.
- Montons dans ta chambre, dit enfin
Mireille. Ici, nous pourrions être
dérangées.
Dans la jolie chambre de Roseline,
aux murs tapissés, de tons neutres sur
lesquels ressortaient quelques belles peintures, au
milieu des objets familiers et des sièges
invitant au repos, Mireille s'apaisa un
peu.
Elle se laissa tomber sur une chaise
basse et mit sa tête dans ses mains. Toute
son attitude trahissait une souffrance
extrême, une lutte
acharnée.
- Veux-tu que nous. priions ?
demanda Roseline doucement.
- Non, fit Mireille, d'une voix
dure, pourquoi prierais-je ? Ce serait de
l'hypocrisie. je sais bien ce que je devrais faire
; par conséquent, je n'ai pas à
demander la lumière.
- Non, mais tu dois demander la
force de suivre cette lumière, puisque tu ne
'l'as pas.
- Oh ! non, je ne l'ai pas, et je
n'ai même pas la volonté de
l'avoir.
Roseline sentit qu'aucun
raisonnement ne serait utile à cette heure
de tourmente et que ce n'était pas en un
instant qu'un pareil problème pouvait se
résoudre.
Cependant, elle s'agenouilla
près de son amie et en deux ou trois mots
très simples et très émus,
elle supplia Dieu d'envoyer son secours à
son enfant en détresse,
sous la forme qui lui semblerait la
meilleure.
Mireille n'avait pas
bougé.
Le regard sombre, elle contemplait
par la fenêtre ouverte, le ciel bleu et la
lumière blonde et se demandait pourquoi tout
était si beau, alors qu'elle était
torturée d'une souffrance si aiguë et
si profondément
irrémédiable.
C'est un des traits particuliers
à la jeunesse de s'imaginer que personne n'a
jamais souffert comme elle. À vingt ans et
même à vingt-cinq, il nous semble que
nous épuisons la coupe de tous les chagrins
et de toutes les amertumes.
Ainsi en était-il de
Mireille. En sortant de la chambre de Roseline,
elle croyait avoir atteint les sommets de la
douleur et dit à son amie, au seuil de ce
joyeux petit sanctuaire où elles avaient si
souvent communié dans la prière et la
joie de vivre :
- Que m'importe désormais
l'existence, S'il faut la mutiler ?
Roseline ne répondit pas,
mais après l'avoir reconduite au portail du
jardin et tendrement embrassée, elle revint
dans sa chambre, s'y enferma et pendant une grande
heure, accomplit ce devoir suprême de
l'amitié chrétienne, profonde et
éprouvée : le combat dans la
prière pour une âme qui nous est aussi
précieuse que la nôtre.
Mireille, toutefois, avait
demandé, un mois de réflexion, avant
de donner une réponse définitive.
Albert lui sut gré, de ce sérieux et
même de ces réticences.
Un jour, elle apporta à
Roseline quelques mots de lui, reçus le
matin même, les premiers qu'il lui adressait
directement.
« Je devine vos scrupules et je
les respecte, quoique je les estime inutiles.
Pourquoi ne pas avoir confiance ? Vous n'auriez
rien à redouter de moi. Le sujet religieux
resterait votre domaine. Croyez qu'il me serait
sacré et que jamais je ne m'y introduirais
indiscrètement. Et je suis certain que sur
toutes les autres questions, nous ne serions qu'un
coeur et qu'une. âme.
L'amour n'est-il pas le seul bien
désirable ? Ne compense-t-il pas tous les
autres ? Cet amour-là, je vous l'apporte,
entier et absolu. Ne voulez-vous pas l'accepter et
vous y confier ? »
Ce billet, à la fois
impérieux et suppliant, fut, malgré
le trouble qu'il renouvelait en elle, un moyen pour
Mireille de voir clair dans la
situation.
- Voilà bien le fond du
problème, dit-elle à Roseline. Sans
s'en douter, il élève en quelques
lignes, le rempart qui nous séparerait. Il
parle de l'union « de nos coeurs et de nos
âmes ». De nos coeurs, oui, mais de nos
âmes, non, puisque, de son aveu même,
le domaine spirituel serait celui où nous ne
nous rencontrerions jamais.
Roseline avait, jusqu'alors, fort
peu discuter avec son amie. Elle sentait que Dieu
seul devait parler en une circonstance aussi
solennelle et elle n'avait fait que sympathiser
avec elle et prier en silence.
Mireille avait eu aussi une
conversation avec M. et Mme Duclavel qui eurent la
même attitude que leur fille. Mais
l'expérience a prouvé que, dans ces
cas-là, les conseils humains ne valent pas
grand chose. Les gens qui vous demandent votre avis
font tout de même à leur tête,
en dépit de tous les avis.
Mais aujourd'hui, malgré sa
révolte des derniers jours et la lettre
d'Albert Vateau, Mireille semblait sortir un peu du
labyrinthe. La perspective du tableau
s'établissait peu à peu.
Aussi, Roseline crut-elle pouvoir
hasarder une pensée qu'elle et ses parents
avaient eue plusieurs fois.
- Voudrais-tu tenter la même,
expérience que ta mère ? N'est-ce pas
toi qui m'as parlé du peu de bonheur qui
existe à un foyer fondé dans de
telles conditions ?
Mireille détourna un peu la
tête.
- On espère toujours mieux
faire que les autres, dit-elle lentement. je
considère peut-être d'une autre
manière que 'maman le sérieux de la
mission qui serait la mienne. Car je crois qu'
« il » arriverait.
- Mais l'expérience d'autres
encore que Mme Lenormand, montre que ceux qui sont
épousés dans ces conditions,
méprisent secrètement des convictions
qui ont pu passer au second plan et s'adapter si
facilement à une situation
compliquée. Les intransigeants seuls sont
forts, en matière morale et
spirituelle.
- Que la vie est dure, cruelle et
longue ! dit Mireille en crispant ses mains
croisées sur ses genoux.
Des souffrances pareilles vous donnent envie de
mourir.
Roseline l'embrassa.
- Mon amie, pense à ceux qui
sont morts, en effet, mais non par crainte de la
vie. Pense à ceux qu'un seul mot aurait pu
sauver et qui ne l'ont pas dit.
Mireille regarda la croix huguenote,
puis détourna de nouveau la
tête.
- Ah ! fit-elle, enfin, c'est bien
la même torture. Je le sens, c'est le
même choix, entre Dieu et le monde, entre le
ciel et la terre. Mais que je suis faible et
lâche ! Immédiatement après ma
conversion, je n'aurais pas hésité
une heure.
- Et pourquoi n'aurais-tu pas
hésité ? demanda Roseline.
- Parce que le Christ était
mon seul trésor et que je l'aimais
par-dessus tout.
Il y eut un silence significatif.
Effrayée de ce qu'elle avait dit,
entraînée par sa
sincérité, ce fut Mireille
elle-même qui le rompit encore de cette seule
exclamation :
- Et maintenant !
Son visage pâle s'était
vivement coloré ; son amie lui prit les
mains.
- Et maintenant, Mireille, ne
mérite-t-Il plus d'être ton
suprême trésor ?
Il y a des questions qui ne
demandent point de réponse. Les poser, c'est
les résoudre.
Celle-ci en était une. Et les
grandes crises de la vie, les souffrances les plus
aiguës ne s'expriment que par le
silence.
De même, les grands reculs,
dans le domaine moral et
spirituel, ne se traduisent pas, du moins tout
d'abord, par des paroles. Le glissement se fait par
degrés et c'est l'attitude, bien plus que
les mots, qui trahit la défaite
intérieure.
Il y a des natures que la lutte
galvanise et dont l'élément est de
combattre. Elles trouvent que même
l'adversité donne à la vie une
âpre saveur qui n'est point sans charme. Mais
pour la majorité, il en est
autrement.
C'est à ceux-là que le
Christ pensait, lorsqu'Il enseignait Ses disciples
en paraboles et qu'Il leur parlait de cette partie
de la semence qui tomba dans un endroit pierreux.
Et ce terrain, Il le compare à ceux qui
reçoivent tout d'abord, la parole avec joie,
mais « n'ont pas de racine en eux-mêmes
; ils manquent de persistance et, dès qu'une
tribulation ou une persécution survient
à cause de la parole, ils y trouvent Une
occasion de, chute »
(Évangile de Marc. 4 : 3 à
20.).
C'est à l'heure des grandes
tentations, des grandes épreuves, que nous
nous révélons à
nous-mêmes le degré de profondeur de
nos racines morales. Combien souvent, ces racines
sont à fleur de terre ! Des circonstances
favorables, d'heureuses alternatives de soleil et
de pluie, leur donnaient un faux air de
prospérité. Mais quand la
sécheresse est venue, la plante a
péri, parce que ses racines n'étaient
qu'à la surface ou même n'existaient
pas.
C'est cette réflexion que fit
Roseline, en écoutant Mireille. La semence
avait certainement «
levé » dans ce coeur; elle y avait
produit de la joie. Mais le sol manquait de
profondeur et le soleil brûlant allait
peut-être la faire périr.
Dans ces moments-là, face
à face avec une âme qui lutte encore,
mais sans énergie, plus par honte que par
conviction, le vrai chrétien se sent
désarmé. Il voit avec un
réalisme tragique, l'approche de la
catastrophe, sans pouvoir l'empêcher. Car les
défaites sont subies, comme les victoires
sont remportées, par l'âme seule
à seule avec elle-même. C'est
là le prix de cette liberté que 'Dieu
a laissée à l'individu, don terrible
et magnifique dont il se sert si souvent pour son
malheur. Don qu'il bénit et maudit tour
à tour, selon que sa volonté
s'incline devant celle de son Créateur ou,
s'y oppose.
Si la fatalité eût
présidé à la vie de Mireille
Lenormand, si, malgré elle, Dieu eût
voulu l'obliger à marcher dans la, voie
austère et étroite, elle se fût
révoltée. Au soir de la vie, bien des
gens reprochent au Souverain Maître de
l'Univers de les avoir laissés
libres.
Et, sur le monde moral tout entier,
pèse cette écrasante parole du
Christ, solution au problème, mais qui en
introduit un autre, plus poignant encore : «
La cause de la condamnation, c'est que les hommes
ont préféré les
ténèbres à la lumière
».
Tout le drame, comme toute la
félicité de la vie, est dans ce
choix.
Des jours passèrent. Le courant se
faisait plus impétueux. Mireille n'avait
plus la force de lutter contre
lui. Il lui semblait être au milieu de ces
rapides qui entraînent
irrésistiblement les barques les plus
lourdes vers la cataracte aux flots blancs. Le
courant l'hypnotisait comme ceux qui s'attardent
longtemps au bord des eaux de moire et de porphyre
que déroulent les grands fleuves. Il faut
des caractères d'acier, une foi aux racines
profondes comme celles des chênes, pour
résister. Chez Mireille, graduellement, la
force de résistance diminua. Elle trie vint
plus que de temps en temps voir Roseline et M. et
Mme Duclavel. Dans ces moments-là, on fuit
ses meilleurs amis. On sent, d'instinct, le
désaccord des âmes et quoiqu'ils
eussent assez de tact et de délicatesse pour
ne pas discuter, Mireille les connaissait assez
pour savoir qu'elle était pour eux un sujet
de désappointement.
Sans être officielles, les
fiançailles existaient. Albert Vateau
écrivait tous les jours. Il ne prenait plus
la peine de parlementer. La reddition faite, il
était assez intelligent pour comprendre
qu'elle avait coûté. cher et assez
généreux pour ne pas la faire payer
davantage. Le côté religieux lui
semblait avoir été
réglé de la façon la plus
heureuse. Mireille avait simplement dit aux
Duclavel :
- Nous nous aimons tant, que je le
convertirai.
Ils n'avaient répondu que par
un sourire où entrait autant de tristesse
que d'affection. Ils connaissaient ces «
conversions » là.
La noce fut fixée pour les
vacances de Pâques.
Mme Lenormand déclara que ce
serait le plus beau jour de sa vie.
C'était, en tout cas, le
triomphe et le couronnement de sa carrière
maternelle. On pouvait dire que ce mariage
était son oeuvre, autant que celle de
l'amour existant entre les deux
fiancés.
Peu à peu, Mireille
s'était lassée de cette lutte sourde,
mais continuelle, qui use le coeur et l'âme
bien plus encore que les grands coups. Telle la
goutte d'eau qui fiait par avoir raison, avec le
temps, de la pierre la plus dure.
La jeune fille n'étant pas de
l'étoffe dont sont faits les combattants,
avait faibli sous ces piqûres
répétées. Elle avait soif d'un
chez-elle où elle espérait au moins
avoir la paix et la liberté. Cette
souffrance intime depuis si longtemps subie,
constituait une circonstance atténuante
considérable aux yeux des
Duclavel.
Essayer de fuir un. esclavage, en
tombant, sous un autre, est un acte plus commun
qu'on ne le pense mais qui mérite la
pitié encore plus que le blâme, parce
qu'il n'arrive qu'aux blessés de la vie ou
aux faibles.
Il est naturel que sous les coups de
la douleur, nous soyons prêts à
vouloir leur échapper à n'importe
quel prix. L'amertume qui nous remplit l'âme
suffit à nous aveugler sur les vrais
mérites du sort qui nous attend et c'est une
des mystérieuses ironies de l'existence que
ces suicides moraux, d'où tout raisonnement
est banni, où toute expérience est
annulée.
La veille de son mariage, dans sa
chambre encombrée des mille Jolies choses
que l'on donne aux fiancées, la malle faite
pour le voyage de noce la
toilette d'épousée
étalée sur un canapé, Mireille
dit à Roseline :
- Non, vois-tu, les forces ont une
limite. Tout, plutôt que de vivre encore dans
cette lutte, cette contradiction
perpétuelle. J'aime Albert, c'est vrai, mais
si j'avais été heureuse à la
maison, je ne me serais pas laissé aller si
facilement. Maintenant, je n'ai plus qu'à
compter sur la grâce de Dieu.
Roseline embrassa son amie en
silence. En la quittant, elle pensait à
cette phrase qu'elle avait lue dans un de ses
auteurs favoris :
« Ceux-là seuls qui
cherchent la main de Dieu, ont le droit de
s'appuyer sur elle ».
Rentrée à la villa des
Pervenches, Roseline rejoignit ses parents qui
l'attendaient pour prendre le thé au jardin.
Quoiqu'on ne fût qu'en Avril, la
journée était tiède ; les
fleurs printanières, aux tons jaunes et
bleus, éclairaient les massifs et les
plates-bandes. Sous la tonnelle où les
glycines commençaient à sortir leurs
grappes mauves de leurs fourreaux grisâtres,
M. et Mme Duclavel accueillirent leur fille avec un
sourire. Ils savaient qu'elle souffrait encore de
la visite qu'elle venait de faire. Mireille avait
fait partie de leur vie de famille si intimement
depuis deux ans, que sa défection leur
était à 'tous trois une
épreuve cruelle. Mais pour Roseline,
c'était un désastre. Elle se le
reprochait à elle-même, encore plus
qu'à son amie.
- Si j'avais été plus
fidèle, se disait-elle, si j'avais
vécu logiquement et parlé avec plus
de conviction, elle aurait eu plus de confiance.
Elle aurait cru à mes
avertissements, elle aurait profité de
l'expérience des autres.
- L'expérience des autres !
répéta M. Duclavel, lorsque Roseline
fit ces réflexions devant ses parents, sous
la tonnelle couverte de glycine, quand tu auras 50
ans, ma fille, tu sauras que l'expérience
des autres ne sert à personne. Notre petite
amie fera les siennes et tout ce que nous pouvons
souhaiter, c'est qu'elles ne soient pas trop dures,
car elle n'a pas beaucoup de force pour les
supporter.
- Elle était si malheureuse !
dit Mme Duclavel. Et nous sommes si heureux, nous
!
Ils se regardèrent - tous
trois, émus, reconnaissants, rendant
à Dieu, en silence mais d'un seul coeur, des
actions de grâces.
Car, en cet instant, Roseline se
souvenait de sa propre lutte, de l'heure à
laquelle il avait fallu faire le grand sacrifice,
et combien, malgré la souffrance, le nid
paternel avait paru doux, accueillant, bienfaisant
à son coeur brisé.
Mireille n'avait rien eu de tout
cela. Et, incapable de supporter les âpres
hauteurs de la solitude, elle était
descendue dans la plaine, où se trouvent les
refuges humains, faibles mais visibles.
- Prions, dit M.
Duclavel.
Ce fut la conclusion de leurs
pensées affectueuses, pour la petite
âme chère, qui, demain, prendrait
passage dans une barque frêle sur une mer
inconnue et souvent orageuse.
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