CONTRE LE COURANT
TROISIÈME PARTIE
I
L'Après-Guerre.
Quelques années de plus ont glissé
dans l'Éternité du temps...
Le fil de l'eau court toujours.
Mais le courant s'est fait plus rapide.
Le fleuve s'est transformé en torrent,
déchiquetant des rives, rompant des digues,
emportant dans le tumulte de ses eaux à
l'allure irrésistible, mille débris
de choses autrefois édifiées sur de
solides assises.
C'est le courant
d'après-guerre.
Heureux ceux qui moururent dans
l'illusion d'avoir contribué à faire
une humanité meilleure, plus douce et plus
fraternelle ! Ils n'ont pas vu l'écroulement
de leur rêve généreux.
Que leur mémoire n'en soit pas
moins bénie ! La seule étincelle
d'idéal qui reste dans les cendres de la
guerre ne se ravive qu'aux heures où leur
grand souvenir est évoqué.
Et pourtant, qu'elle est solitaire, la
tremblante Flamme qui luit
là-bas, sous l'Arc de triomphe !
Qu'il devient lointain, celui qui repose
sous sa dalle et dont un rêve de paix et de
justice enchanta peut-être la dernière
heure !
Car cette flamme, humble et pure,
contraste avec d'autres lumières qui
deviennent tous les jours plus brutales et plus
aveuglantes.
Ce sont celles du luxe, de
l'élégance outrée, des
plaisirs malsains, de l'égoïsme
féroce. Elles déroulent leurs
banderoles de feu le long der, palaces, des
théâtres et des dancings. On mange, on
boit, on fox-trotte, on écrase son prochain,
... on oublie.
Et là-bas, sur la date
glacée, la Flamme du souvenir brille,
solitaire...
La résistance au courant est donc
plus difficile que jamais. Beaucoup y ont
renoncé, et sont engloutis.
Quelques-uns ont essayé de nager
et de lutter pendant un temps ; puis, les forces
leur manquant, ont suivi la foule. Ils ont
participé, eux aussi, à la
dérive générale.
Au début, ils s'en montraient
honteux. Maintenant, ils le trouvent tout naturel
et se répètent volontiers : «
Nous ne pouvions faire autrement. Il n'y aurait pas
moyen de vivre ».
Ainsi va le monde, en sa course aveugle,
vers le grand gouffre, éternel.
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