PREMIERE
PARTIE
A CARTHAGE,
AUX LIONS
LES CHRÉTIENS
À la veille du supplice
.
Il n'y a plus que quelques jours avant
le spectacle sanguinaire au cours duquel ils seront
exposés aux bêtes furieuses. On sait
très bien qu'ils ne se battront pas comme
des gladiateurs..
C'est dur de mourir si jeune. Perpetua
aura bientôt vingt-deux ans, mais elle ne
fêtera plus cet anniversaire, et Felicitas
n'a pas encore atteint la vingtième
année. Quant aux jeunes gens, ils sont du
même âge. Seul Saturus est dans la
trentaine. Les diacres viennent les visiter
fréquemment, mais la nourriture qu'ils
apportent reste souvent intacte. Les détenus
n'ont pas faim..
.
Ils prient et ont de nouveau des
rêves qui les préparent au dernier
combat. Dans un moment d'extase, Perpetua voit le
diacre de Carthage, Pomponius, revêtu d'une
robe blanche. Elle le distingue très
nettement. il frappe à la porte du cachot et
lui dit : « Nous t'attendons, viens ! »
La prenant par la main, il la conduit au milieu de
l'amphithéâtre et la laisse en la
rassurant : « N'aie pas peur : je suis ici
avec toi, je combats avec toi. ».
.
Toujours en rêve, Perpetua se
tourne vers les gradins couverts de spectateurs.
Tout à coup elle aperçoit un homme
horrible qui se dresse devant elle et la glace de
terreur. Mais de beaux jeunes gens accourent
à son secours. Comme c'est bizarre !
Maintenant on lui enlève ses vêtements
et elle est changée en homme. On la frotte
d'huile pour le combat. Un géant, dont la
tête dépasse les plus hauts gradins de
l'amphithéâtre, apparaît
vêtu d'une tunique à bandes rouges et
tenant dans la main un rameau vert et or. il
proclame à haute voix qu'il décernera
ce rameau au vainqueur du combat..
.
L'homme horrible se jette sur Perpetua
qui le griffe au visage. Elle se dégage de
cette étreinte et se sent soulevée
par une force invincible. Hors des prises du
monstre, elle se met à le piétiner.
Elle lui tord les doigts et lui écrase la
tête. Enfin elle reçoit de la main du
beau géant le rameau vert qui porte des
pommes d'or..
Quand le diacre revient, elle lui
raconte son rêve et ajoute : « A mon
réveil, j'ai compris que je combattrai non
contre les fauves, mais contre le diable. Mais je
sais que je vaincrai. » Hantée par
l'horrible supplice qu'elle va subir, elle a
néanmoins la certitude de la victoire
finale..
.
Saturus a aussi sa vision. Après
le martyre, il se voit transporté avec ses
compagnons vers l'Orient. Ce sont des anges qui
l'enlèvent. On arrive à un grand
Jardin plein de verdure et de fleurs, baignant dans
la lumière. On suit une large avenue, et
là se trouvent des chrétiens
d'Afrique morts précédemment pour
leur foi. Un grand palais leur ouvre ses portes.
Les anges qui les guident leur font revêtir,
sur le seuil, de belles robes blanches, et un
choeur retentit de l'intérieur : «
Saint ! saint ! saint est notre Seigneur !
».
Ce n'est pas tout. Au milieu du palais,
sur un trône, est assis un beau vieillard.
À sa droite et à sa gauche, quatre
vieillards aussi, et derrière eux, une
multitude d'autres. Le beau vieillard invite les
martyrs africains à s'approcher du
trône. il leur donne le baiser de paix et les
bénit. En sortant, ils assistent à
une querelle entre deux ecclésiastiques. Les
anges qui les accompagnent grondent ces deux hommes
d'Église et prennent à partie l'un
d'eux : « Corrige ton peuple ! Quand ces gens
se réunissent autour de toi, on dirait des
spectateurs de retour du cirque, se disputant au
sujet de courses ! ».
.
La veille du supplice, fixé au 7
mars 203, les prisonniers sont calmes. Ils ont
accepté depuis longtemps le sacrifice. Ce
qu'ils souhaitent ardemment, c'est de tenir le
coup, en toute dignité, dans l'arène.
En cette dernière soirée de vie
terrestre, il y a un moment
désagréable à passer. L'usage
veut qu'on donne aux condamnés un repas
libre auquel le public a le droit d'assister. La
foule ne manque pas de s'y rendre, par
curiosité, pour voir la tête que font
ceux qui, demain, mourront sous ses yeux.
Voilà le spectacle que s'offrent les
Carthaginois, avant les combats dans l'arène
: le dernier repas des chrétiens qui vont
être dévorés le lendemain par
des bêtes affamées..
.
Devant cette curiosité malsaine,
Saturus voulant profiter de l'occasion pour frapper
la conscience des spectateurs qui les regardent
manger, ne peut s'empêcher de leur dire :
« Le spectacle de demain ne vous suffit donc
pas ? Examinez bien nos visages afin de nous
reconnaître au jour du jugement ! »
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