L ÉVANGILE ET LA VIE
VOUS MARCHEREZ SUR LES SERPENTS
LECTURE
Celui qui demeure sous l'abri du
Très-Haut, repose à l'ombre
du Tout-Puissant. Je dis à
l'Éternel : Mon refuge et ma
forteresse, Mon Dieu en qui je me confie!
Car c'est lui qui te délivre du
filet de l'oiseleur, de la peste et de ses
ravages. Il te couvrira de ses plumes, et
tu trouveras un refuge sous ses ailes. Sa
fidélité est un bouclier et
une cuirasse. Tu ne craindras ni les
terreurs de la nuit, ni la flèche
qui vole de jour, ni la peste qui marche
dans les ténèbres, ni la
contagion qui frappe en plein midi. Que
mille tombent à ton
côté et dix mille à ta
droite, tu ne seras pas atteint.... Aucun
malheur ne t'arrivera, aucun fléau
n'approchera de ta tente. Car il ordonnera
à ses anges de la garder dans
toutes tes voies. Ils te porteront sur
leurs mains, de peur que ton pied ne
heurte contre une pierre. Tu marcheras sur
le lion et sur l'aspic, tu fouleras le
lionceau et le dragon.
Psaume XCI.
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VOUS MARCHEREZ SUR LES SERPENTS
Je vous ai donné le
pouvoir de fouler aux pieds les serpents et les
scorpions, et toutes les forces de l'ennemi, sans
qu'elles puissent aucunement vous nuire.
Luc X, 19.
Ces paroles et leur histoire dans le
monde, sont une des preuves de ce que peut devenir
une vérité spirituelle sous le
régime de la lettre. Avant de nous
édifier de leur sens normal, il nous faut
donc examiner plusieurs cas où elles cessent
d'être bienfaisantes et
véridiques.
Loin de nous de vouloir en diminuer
la portée. Ce serait attaquer la racine
même de la foi de tous les âges. Que
Dieu soit un rempart, que l'homme qui le craint
n'ait rien à risquer, ni
des flèches, ni de la peste, ni de l'aspic;
que les anges aient pour ordre de le porter sur
leurs mains, c'est une affirmation familière
déjà à l'Ancienne Alliance.
Les Psaumes et les Prophètes contiennent une
série de passages, où la confiance
absolue dans la protection de Dieu trouve une
expression si forte, que le coeur des croyants n'a
cessé, depuis lors, de s'en inspirer. Au
fond, Jésus, dans le passage que nous
méditons, fait écho à l'Ancien
Testament., comme il l'a fait souvent le long de sa
vie et jusque sur la croix. Le Christ citant les
prophètes, se servant de leurs propres
termes pour enseigner, poussant encore dans son
agonie des soupirs et des cris où nous
reconnaissons le texte de l'Écriture,
affirme que l'âme religieuse de
l'humanité est une, et, sur la question
particulière qui nous occupe, cette
unanimité de confiance est bien
réconfortante. Elle nous fait comme toucher
du doigt ce qu'il y a d'immuable et de divin dans
la foi. Il n'en est pas moins
vrai qu'une certaine façon de se servir de
ces paroles les a tournées plus d'une fois
contre la foi elle-même.
Dans l'Ancien Testament
déjà, leur sens s'altère
profondément sur certaines lèvres. De
ce fait que Dieu est le rempart des croyants, et
qu'à l'ombre de ses ailes rien de mauvais ne
pouvait les atteindre, quelques-uns concluaient que
le juste ne devait pas souffrir, ou que, dans tous
les cas, la délivrance ne pouvait jamais se
faire attendre trop longtemps. « Où est
maintenant ton Dieu ? » dit à son mari
affligé la femme incrédule et
méchante de Job. Quant aux amis de Job, ils
concluent tous que celui qu'ils avaient cru juste,
devait avoir quelque défaut, avoir commis
quelque crime secret, dont sa lèpre
était le châtiment public. Et l'auteur
du livre de Job, quoique placé à un
point de vue infiniment plus élevé
que la femme et que les amis,
n'en fait pas moins cesser l'épreuve de son
héros avant la mort. Le malade se
guérit, les biens lui sont rendus, une
nouvelle et nombreuse famille vient remplacer celle
qu'il a perdue, et, pour quelques mois de
misère, il lui est accordé cent
quarante ans de bonheur sans nuage et de souriante
vieillesse. - Hélas ! de pareilles
réparations ne sont guère de ce
monde. Que de larmes cette conception, que le juste
devait être heureux, n'a-t-elle pas fait
couler des yeux des croyants! Par quels chemins
obscurs a dû se traîner pendant des
siècles la pauvre humanité, à
la fois brisée par les épreuves, et
tourmentée du besoin de croire à
l'éternelle miséricorde, à
l'éternelle justice!
Au temps des prophètes,
pendant l'exil surtout, on apprend à croire
au Dieu des jours mauvais, à la
révélation sainte que l'homme
épelle, en pleurant, au livre
mystérieux des douleurs.
Il apparaît aux yeux de ceux qui ont beaucoup
peiné et beaucoup espéré, que
le sort des enfants de Dieu est souvent tout
différent de la vieille idylle juive,
où l'on meurt comblé de biens et
rassasié de jours. Malgré cela, le
sens littéral de la promesse, que le mal ne
peut atteindre le juste, continue à
égarer beaucoup d'esprits.
Ce qu'on appelle dans
l'Évangile le scandale de la croix n'est pas
autre chose. Le plus fort argument des juifs contre
le Christ, c'est qu'il soit mort sur le bois
infâme, et que le bras puissant de Dieu ne
soit pas intervenu pour le délivrer.
Jésus sentait bien la force de cette
superstition religieuse, profondément
enracinée dans le coeur de ses contemporains
et même de ses disciples. Avec quelle douleur
ne dut-il pas leur dire, la veille de sa mort:
« Cette nuit, je serai pour vous tous un objet
de scandale. » Il savait que,
pour tous ces esprits ennemis ou
amis, mourir comme il allait mourir, sans une
intervention de Dieu, sans une protestation, sans
un signe extérieur de sa part,
équivalait à être
abandonné, châtié,
réprouvé par Dieu
lui-même.
Où étaient, à
l'heure dernière, ceux qui pouvaient croire
que ce crucifié blême et sanglant,
pendu entre deux voleurs, venait de livrer la
bataille suprême d'une guerre où il
avait vaincu le monde?
La divine leçon de choses
donnée sur le Calvaire se fit lentement jour
dans les esprits. Quelques-uns comprirent le sens
incommensurable de cette parole: « Il faut que
le juste souffre », et de cette autre: «
Les péchés du monde sont sur le juste
». Et pourtant, la vieille erreur est toujours
là. N'est-ce pas elle qui reparaît au
moyen âge sous la forme des jugements de
Dieu? Un crime est commis. La justice
recherche le coupable, et reste
indécise. Elle a bien mis la main sur
plusieurs suspects, mais les preuves
matérielles font défaut. Que faire en
cet embarras? Suspendre le jugement plutôt
que de condamner un innocent; ce serait le seul
parti à prendre. Mais on ne le prend pas.
Puisque la justice humaine est impuissante, place
à la justice de Dieu! C'est Dieu qui
prononcera. Il connaît les siens. Alors on
expose les accusés à de graves
dangers, on les fait lutter contre des fauves, on
les livre aux flammes, certain que, s'ils sont
innocents, Dieu les tirera de là. Et dire
que des hommes, des chrétiens ont
présidé à ces jugements, ayant
en main l'image du Crucifié de Golgotha,
sans jamais comprendre que cette croix était
la plus éclatante protestation contre
l'iniquité de ce qu'on appelait un jugement
de Dieu! Mais ce qu'il y a de plus horrible
à penser, c'est que les victimes de ces
jugements aveugles partageaient le plus souvent la
foi de leurs contemporains, et
que, lorsqu'ils mouraient dans
l'épreuve, ils ne sentaient pas seulement
sur eux la réprobation de la foule, de ce
monstre à mille têtes qui les
dévorait des yeux, mais la
réprobation de Dieu lui-même. je ne
connais pas de plus atroce déchirement pour
une conscience humaine que celui-là: mourir
pour une sainte cause, et, au moment suprême
du sacrifice, douter peut-être de son droit
et rendre l'âme en se croyant
maudit.
Nous lisons en frémissant ces
vieilles pages d'une histoire obscure et
troublée, et pourtant la même erreur
persiste à projeter son ombre malfaisante
sur notre vie et nos opinions. Chaque fois qu'un
chrétien s'appuie sur le succès d'un
homme, d'une oeuvre, ou d'une doctrine, pour en
déduire que cette oeuvre, cet homme, ou
cette doctrine, sont aimés de Dieu; chaque
fois qu'il lui suffit de voir une cause
vaincue, pour en déduire
que cette défaite est le doigt de Dieu
manifesté contre cette cause ; chaque fois
qu'il laisse fléchir sa conscience par un
obstacle extérieur, il commet une
iniquité. Au fond, ce genre de croyance et
de jugement aboutit tout droit à la morale
du succès: Tout ce qui réussit est
bon, tout ce qui succombe est mauvais. Quel genre
d'athéisme est pire que cette
religion-là ?
Et voilà comment les paroles
où l'Écriture nous parle de la
protection divine, paroles destinées
à fortifier nos courages, à
être comme un sûr et ferme bâton
pour appuyer nos pas, se transforment en une massue
dont on nous assomme. Et jamais on ne pourra
commenter un texte comme celui-ci: « Vous
marcherez sur les serpents », sans se souvenir
d'abord que beaucoup, parmi les meilleurs, les plus
purs, ont été dévorés
par les serpents!
Alors faut-il abandonner la promesse
du Christ et en remettre l'accomplissement à
la vie future ? Certes, comprise ainsi, elle
garderait un sens assez large et assez consolant,
et nous y reviendrons, car nous sommes de ceux qui
pensent qu'on ne pourra jamais assez fortifier dans
les coeurs l'espérance des
réparations éternelles. Mais ce
serait méconnaître le caractère
des paroles de Jésus que d'y voir
exclusivement ou même de
préférence une promesse
d'outre-tombe. Leur forme pratique et
circonstanciée annonce un sens prochain. Il
est évident que Jésus veut encourager
ses disciples pour leur difficile mission, en leur
promettant le secours de Dieu dans la vie
présente. Et c'est ici que s'ouvre devant
nous un large terrain d'expérience sur
lequel nous allons poser le pied. Jésus, en
disant: «Vous marcherez sur les serpents,
» fait allusion à des immunités
spéciales à une assistance
extraordinaire souvent
expérimentée avant
lui, par lui, et qui a continué à
l'être après lui. La justice, la
bonté, la vérité, la vie
divine dans le monde ont beau être les
grandes persécutées et les grandes
vaincues, elles n'en ont pas moins leurs jours,
leurs éclatantes revanches, leurs triomphes,
ici, parmi nous, au sein du doute, des nuits, de la
souffrance et du mal. Il y a en elles une vertu
cachée qui se manifeste par mille
témoignages, et dont il suffit d'avoir
contemplé une fois l'effet
mystérieux, pour sentir qu'aucun obstacle ne
saurait lui résister
définitivement.
De cette force de Dieu nous allons
constater la trace, dans la lutte de l'homme contre
les dangers matériels et contre les dangers
qui viennent de la méchanceté
humaine.
Les dangers matériels
d'abord. Et ici permettons-nous une allusion
à des faits congénères. Rien
d'humain ne doit nous rester
étranger. je songe aux
naïves légendes du temps passé
qui nous parlent de héros
invulnérables, d'hommes qui ont passé
leur vie au milieu des périls sans jamais
être atteints. Un rempart invisible les
environnait et les protégeait dans
l'accomplissement de leur oeuvre. L'humanité
a toujours souhaité que ses bienfaiteurs lui
fussent gardés. Les voyant plus
exposés que d'autres, elle a fait des voeux
pour ces têtes consacrées par le
sacrifice volontaire. Et il s'est trouvé que
son voeu se rencontrait avec la loi qui est au fond
des choses. Car celui-là est gardé
par Dieu qui va à la vie et au devoir avec
une âme détachée, fraternelle,
courageuse. Les païens mêmes sentent
confusément que quelque chose de divin
l'anime et le met en dehors des conditions
communes. Ce même genre de constatation a
été confirmé, à toutes
les époques et dans tous les mondes, par une
foule d'hommes attentifs à ce qui se passait
en eux-mêmes. Et ici, je peux faire appel
à l'expérience personnelle, d'abord
dans ce qu'elle a d'humiliant.
Il y a des jours dans la vie, n'est-il pas vrai,
où tout vous effraie, où vous marchez
d'un pas mal assuré. La confiance manque ;
le moindre obstacle fait trébucher, on se
noierait dans un verre d'eau. Pourquoi cette
insécurité ? Les causes en sont
nombreuses, mais elles se ramènent à
la même source - Le sentiment de la
présence de Dieu a diminué dans nos
âmes. Nos préoccupations sont terre
à terre, notre horizon restreint.
Prisonniers de nos désirs, de nos
pensées inférieures, nous risquons,
dans notre cachot, d'être détruits par
eux, comme certains détenus
célèbres ont été
dévorés par les rats. Qu'un danger
matériel se présente dans ces
conditions, une bataille à livrer, une
contagion à affronter, une fatigue ou une
intempérie à supporter, nous allons
au devant des forces de l'adversaire comme des
soldats démoralisés, battus d'avance,
parce que l'ennemi a des intelligences dans la
place. Quand un homme est surpris dans
certaines conditions de
désordre moral et d'atonie, il est comme
préparé pour sa perte.
Par contre, n'y a-t-il pas, dans
l'existence, des périodes où l'on se
sent visiblement soutenu, fortifié et comme
cuirassé contre le danger? Pourquoi? Parce
qu'un grand amour, une sainte passion vous
enflamme. Tout semble facile. Alors qu'en certains
jours de félicité banale on
s'était trouvé comme alourdi, on se
sent, en pleine bourrasque le coeur à
l'aise, heureux d'aller à la corvée,
heureux de courir au feu, heureux de lutter contre
la maladie. Rien ne fait peur, rien n'abat! On voit
clair au sein des nuits; on supporte gaiement la
faim et la soif; le froid ne vous touche pas, le
microbe ne mord pas sur vous, et ceux qui vous
voient à l'oeuvre sentent des puissances
surhumaines passer sous la figure d'un homme.
Voilà les expériences auxquelles
songeait le Christ. Et c'est parce
que cette expérience a
été faite mille fois et de tous les
temps, que les vieilles traditions, la Bible et
l'histoire en sont pleines.
Parlons maintenant des dangers qui viennent de
la méchanceté humaine. Le serpent est
le symbole de la calomnie, de l'astuce rampante, du
venin caché, du piège qui nous guette
dans l'ombre. Et ces serpents ont
dévoré beaucoup de justes, ne
l'oublions pas. Il n'en est pas moins vrai que nous
marcherons sur eux par la force de Dieu. Ce n'est
pas une promesse seulement, les faits sont
là. Plus d'une fois il a été
démontré aux serpents que leur
règne est éphémère et
leur pouvoir limité.
Aux yeux des hommes, il n'y a pas de
combat plus inégal que celui de la
bonté, de l'innocence, de
la simplicité, contre les forces
réunies du mal. Toutes les armes et toutes
les chances de cette guerre semblent d'un
côté; toute la faiblesse, de l'autre.
Et c'est bien une des grandes tristesses de la vie,
que de voir et de subir l'oeuvre infernale du
mensonge et de la calomnie contre leurs victimes.
Mais à regarder le fond des choses, la
situation change. Malgré ses combinaisons
innombrables, ses engins raffinés, ses
hideux triomphes, le mensonge entreprend une oeuvre
qui dépasse les forces humaines: Il
s'efforce de faire que ce qui n'est pas, soit; il
tente l'impossible, par conséquent. Quelque
prestigieux que soit l'échafaudage qu'il
édifie, il y manque une condition
essentielle, l'équilibre. La moindre
poussée de vérité peut,
à un moment, faire tomber comme un
château de cartes toute cette Babel
orgueilleuse. Or, ces rencontres du mensonge qui
semble si grand et de la vérité qui
semble si petite, abondent dans la vie. Pour les
voir, il suffit de savoir observer.
Il en est des entreprises de la
calomnie et du mensonge comme de certains complots.
Ils ont besoin de l'ombre et du secret absolu pour
aboutir. Tant que ces deux conditions sont
remplies, tout marche à point. Les
machinateurs opèrent à l'abri,
calculent les coups, prévoient tout,
jouissent du succès de leurs inventions, et
se réjouissent déjà de fondre
sur leur proie. Mais voici, quelquefois, au dernier
moment, quand tout est prêt, un
détail, un rien se dérange.
L'attention est éveillée, le secret
transpire, l'ombre indispensable est trouée
d'un rayon de lumière. Alors le complot se
découvre, les voiles se déchirent,
les masques sont arrachés, le jour
implacable de la vérité darde sur les
menteurs, sur leurs faces de reptiles qu'on
écrase du talon, et ceux qui contemplent ces
désastres du mensonge se rappellent
involontairement la vieille devise: Afflavit Deus
et dîssipati sunt !
Le souffle de Dieu, qui les
disperse, n'est pas toujours une forte
tempête, un irrésistible ouragan de
franchise et de généreuse indignation
c'est parfois une parole infirme, une parole
d'enfant, comme s'il avait paru indigne au Dieu de
vérité d'employer les grands
moyens.
« Vous marcherez sur les
serpents! » Ces paroles ont encore une
application très directe dans l'action des
hommes de bonne volonté pour la concorde et
la paix. La discorde, les querelles, les rancunes,
tous les mauvais sentiments qui enflamment les
coeurs les uns contre les autres, sont comme autant
de serpents. Certains hommes nourrissent avec amour
cette laide engeance. Quand ils trouvent quelque
part un oeuf de serpent, ils le recueillent, le
couvent et le font éclore. À leurs
yeux, ce serait un accident fâcheux que de
perdre une occasion de se disputer ou d'engendrer
la dispute. Les zizanies et les
querelles, grandes et petites, sont leur
élément. Ont-ils pu exciter les uns
contre les autres les membres d'une famille ou
d'une Église, les habitants d'une ville, les
citoyens de deux pays voisins, vous les voyez se
frotter les mains comme des négociants dont
les affaires vont bien. Et il faut avouer que cette
oeuvre de division et de dissension est souvent
plus florissante dans le monde, et trouve plus
d'apôtres que les entreprises les plus
sympathiques. Eh bien, celui qui a dit à ses
disciples: « je vous donne ma paix, »
leur a conféré un merveilleux pouvoir
de détruire tous ces méchants
serpents. C'est une chose étonnante combien
on peut éviter de frottements,
étouffer de mauvais vouloirs, écraser
de serpents dans l'oeuf quand on se laisse guider
par l'esprit pacifique. Un homme qui en est
animé ne peut paraître dans aucune
compagnie, ne peut se mêler à aucune
action, sans répandre autour de lui comme
une atmosphère contagieuse de bienveillance.
Par sa seule présence
quelquefois, il empêche le mal de se
développer. Il y a des êtres qui sont
nés dompteurs de serpents. Ils savent ce
qu'il faut dire et faire pour apaiser les
colères prêtes à s'enflammer;
chose plus difficile, ils arrivent à
extirper des âmes de vieilles rancunes, de
ces rancunes tenaces, qui rappellent la vie dure de
certains reptiles, coupés en morceaux et
continuant à se tordre par terre.
«Vous marcherez sur les
serpents!» Cette parole s'applique encore
à notre victoire sur la force brutale. Avec
ses épouvantements et l'appareil prodigieux
de ses moyens, on peut comparer cette force
à ces dragons mythologiques devant lesquels
tout se brisait et fuyait, mais qui ont
rencontré leur maître, chacun à
son tour, parce qu'ils se sont trouvés en
face d'un pouvoir invisible sur lequel leurs armes
n'avaient pas d'action. Et jusqu'à la fin du
monde il appartiendra à
ceux qui portent en eux la puissance morale, de
fournir au vieux dragon de la force
matérielle la démonstration de son
impuissance. Il y a des choses dans le monde sur
lesquelles on a beau frapper, tirer, mordre,
piétiner. Elles émoussent les
marteaux et les flèches, elles renaissent
sous le pied qui les a foulées.
Plus abominables que les gros
serpents sont les petits. J'appellerai ainsi la
multitude des ennuis, des tracasseries, des
misères de tous les jours, qui nous
assaillent comme une légion de scorpions.
Mieux vaut être mangé par un dragon
d'un seul coup que d'être rongé en
détail par cette grouillante vermine, et de
mourir lentement sous ses morsures. Grâces
à Dieu, sa force descend jusque-là!
Nous avons un Sauveur qui compatit aux souffrances
de ceux qu'une destinée sans gloire a
livrés au pouvoir des petits
tyrans et des
méchancetés détaillées.
Qu'il soit béni d'avoir permis aux siens de
fouler aux pieds non seulement les serpents, mais
aussi les scorpions, et d'avoir ouvert à nos
âmes des refuges intérieurs, où
l'on peut vivre en paix, en dépit des uns et
des autres.
Mais pour accomplir l'oeuvre dont
parle le Christ, pour lutter contre les serpents du
mensonge et tous leurs congénères, il
faut avoir en soi l'esprit à qui est promise
la victoire sur le monde. jamais ne vous laissez
entraîner à lutter pour le droit et la
justice avec des armes de serpent. Ils ne sont sous
vos pieds que parce qu'ils sont des puissances d'en
bas, et que vous êtes animé de
l'esprit d'en haut. Entre eux et
vous, c'est la lutte des choses
lourdes qui se traînent à terre,
contre l'aile qui s'élance vers les cieux.
Ne souhaitez pas d'avoir leurs dents, leur venin,
leurs anneaux redoutables. Ne descendez pas sur
leur terrain, ils y seraient plus forts que vous.
Mais faites à Dieu cet honneur de croire que
le bien a plus d'espérance que le mal, et
que les portes de l'enfer ne prévaudront pas
contre son royaume. Lorsque vous marcherez au
combat, que ce ne soit ni avec des armes louches,
ni avec une âme d'agneau
résigné à la boucherie, mais
avec l'armure de Dieu, la conscience de votre
force, et en vous disant qu'il y a une toi
silencieuse et éternelle qui est
Palliée de tous ceux qui luttent pour la
justice.
Si le monde de la vue vous donne des
démentis, réfugiez-vous dans celui de
la foi. Car il faut bien en revenir à notre
première remarque, et, après avoir
parlé des cas où nous marchons
vous, c'est la lutte des choses
lourdes qui se traînent à terre,
contre l'aile qui s'élance vers les cieux.
Ne souhaitez pas d'avoir leurs dents, leur venin,
leurs anneaux redoutables. Ne descendez pas sur
leur terrain, ils y seraient plus forts que vous.
Mais faites à Dieu cet honneur de croire que
le bien a plus d'espérance que le mal, et
que les portes de l'enfer ne prévaudront pas
contre son royaume. Lorsque vous marcherez au
combat, que ce ne soit ni avec des armes louches,
ni avec une âme d'agneau
résigné à la boucherie, mais
avec l'armure de Dieu, la conscience de votre
force, et en vous disant qu'il y a une toi
silencieuse et éternelle qui est
Palliée de tous ceux qui luttent pour la
justice.littéralement sur
les serpents, étendre le sens de ces
paroles, de manière à envelopper
même les circonstances où le mal
triomphe à vues humaines.
« Vous marcherez sur les
serpents! » C'est une vérité
éternelle, dont le secours doit nous
parvenir, même à travers la
défaite temporelle. Dieu, en effet, ne sauve
pas l'homme du mal et du malheur dans tous les cas
spéciaux; mais il peut le sauver en
dépit du mal et du malheur, et ce qu'il faut
que nous tenions pour bien certain, c'est qu'il
vaut mieux être vaincu pour la cause de Dieu
que de triompher contre elle. Il est doux de savoir
que l'oeuvre du mal, quelle que soit sa puissance
et son impudence éphémère,
aura sa fin; que ses jours sont comptés, sa
sentence écrite; que toute iniquité
n'est que provisoire, que tout procès reste
ouvert; il est doux aux victimes du fanatisme et de
la cruauté humaine de
pouvoir en appeler au tribunal de Dieu. Ceux que
broie la dent des lions, ceux que le malheur
exténue, que met en pièces
l'engrenage impitoyable des institutions
tyranniques, ont beau succomber. Pour les yeux
superficiels, ces vaincus de la vie sont
dévorés par les serpents; mais pour
qui sait voir le fond des choses, ils triomphent
à genoux; le sacrifice volontaire de leur
vie est la plus pure victoire de l'esprit, et,
somme toute, ils marchent sur les
serpents.
Il a bien fallu que cette haute
certitude, qui permet d'espérer contre toute
espérance, et de marcher par la foi en
dépit des plus formidables
démonstrations du malheur, soutint de tout
temps ceux que leur conscience envoyait à
l'écrasement.
Dans le monde changeant et
angoissant où nous sommes, une vie humaine
forte, calme, assurée, ne nous paraît
pas possible en dehors de cette certitude. En Dieu
nous avons la
sécurité que rien
de définitivement mauvais ne peut nous
arriver. Ni les choses élevées, ni
les choses basses, ni la vie, ni la mort ne peuvent
nous arracher de sa main.
Qu'il nous soit permis, en
terminant, de rappeler comme une belle illustration
de ces paroles du Christ, le vieux récit du
prophète Daniel. Les trois jeunes gens dans
la fournaise ardente.
Lorsqu'on eut bien chauffé la
fournaise, jeté ces malheureux dans les
flammes, et attendu qu'ils fussent réduits
en cendres, on remarqua avec stupéfaction
que les trois jeunes hommes marchaient à
travers le feu, intacts, en ayant près d'eux
un quatrième qui avait la figure d'un fils
des dieux !
Croyez-vous que cette page admirable
ait été écrite pour aboutir,
dans les âges comme le nôtre, à
quoi? à une question de thermomètre?
Non, elle a été
écrite pour nous dire que, lorsque les
hommes sont dans la fournaise, ils ne sont pas
seuls, mais qu'il y a près d'eux quelqu'un
de grand et d'invincible. Et ce quelqu'un n'y est
pas seulement lorsque la fournaise épargne
ses victimes. Après tout, ce n'est pas alors
qu'il y est le plus nécessaire. Nous avons
surtout besoin de lui quand la fournaise a
dévoré sa proie. Et voilà ce
que l'histoire de Daniel symbolise, et ce que
l'histoire de l'humanité réalise.
Partout où souffre un innocent, et partout
où il périt, dans l'isolement des
longues luttes ou sur les ruines des vies
sacrifiées, apparaît ce «
Quelqu'un ». Il surgit de la flamme des
bûchers; il perce les murs des cachots; il
soulève les pierres des sépulcres.
C'est en lui et par lui que ceux qui sont morts
pour la justice sont les plus vivants de tous. Et
si nous avons la joie de croire aux paroles de
Jésus : «Vous marcherez sur les
serpents et sur toutes les forces de l'ennemi,
» c'est parce que,
jusqu'à la fin du monde,
nous sentons près de nous, dans les
angoisses, les peines, les suprêmes combats,
l'invisible compagnon qui a la figure d'un fils des
dieux !
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