I.
- L'authenticité des
lettres d'Ignace - à l'exception de l'épître aux Romains, admise par
Renan (Les Evangiles, p. X) et bien d'autres - a été fortement
contestée par les réformes français, Daillé en tête (livre paru à
Genève en 1666). Ils y voyaient des écrits tendancieux, mis sous le
nom
d'Ignace, pour justifier la hiérarchie catholique par le tableau
fantaisiste de l'autorité épiscopale en Asie au début du IIe siècle.
Ne
montrent-elles pas l'évêque dominant le corps des presbytres et des
diacres ? La thèse de l'inauthenticité, ruinée pour un temps par la
savante réplique de l'évêque anglican Pearson, de Chester 1672) a
été
reprise par Baur (Ursprung des Episkopats, 1838), Hilgenfeld (Die
apost. Vaeter, 1853), Vaucher (Recherches critiques... 1856), Renan,
Voelter, Henri Delafosse, etc. Elle a été combattue par l'évêque
anglican Lightfoot (The apost. Fathers, IIe partie vol. I, p.
354-430),
Zahn, Harnack, Jean Réville PfIeiderer (Urchristentum . 20 éd. 1902,
T.
II, p. 226-256), Ed. Bruston (qui rejette, par contre l'épître
d'Ignace
aux Romains), Choisy, Berton, Puech (T. II, p. 48-52). Les
objections
contre l'authenticité ne manquent pas de force. On s'est étonné
qu'Ignace, gardé par dix soldats qu'il a traités lui-même de «
léopards
, (ép. aux Romains V, 1), ait eu la liberté d'écrire ces six lettres
dont quelques-unes ont dû lui prendre du temps, et surtout celle de
les
faire parvenir à leurs destinataires.
On a été également
surpris de voir l'évêque
déjà si haut placé, tandis que, dans les autres églises, à Philippes
par exemple et même à Rome, il ne s'est détaché que plus tard du
corps
des presbytres. La date de cette exaltation a varié, il est vrai,
selon
la personnalité et l'autorité des évêques, mais on a trouvé peu
vraisemblable qu'elle se soit affirmée si tôt. Ce qui fortifie cette
impression, c'est une allusion formelle à l'un des éons du gnostique
Valentin, le Silence (voir plus loin L. II, ch. III) dans ce passage
de
l'épître aux Magnésiens : « Logos éternel non émané du Silence ».
Ignace - on le concède - a écrit quelques lettres, en plus de celle
aux
Romains, puisque Polycarpe le déclare, mais ces billets ont dû se
perdre, et la piété de ses admirateurs les a remplacés.
Ce sont ces
pseudo-épîtres qu'Eusèbe aurait
connues sans pouvoir contrôler leur origine. Aucun de ces arguments
ne
parait décisif, à part celui qu'on a tiré de cette allusion au
Silence.
car s'il s'agissait là d'un éon de Valentin, la lettre aux
Magnésiens
daterait d'une époque postérieure à celle d'Ignace. Il est vrai que,
d'après Lightfoot, suivi par Zahn et
Funk, les mots éternel non, dans le passage en question, auraient
été
interpolé: il n'y aurait donc pas là de polémique contre Valentin.
D'autre part, la liberté dont Ignace aurait joui dans sa captivité
n'a
rien de surprenant. Que l'on songe à celle de Paul ou à celle de
Pérégrinus, faux chrétien dont Lucien a raconté l'histoire. De plus,
cette fièvre de correspondance est assez naturelle dans les moments
de
grande exaltation où se trouvait alors l'ardent évêque. Ils
expliquent
aussi cette apothéose de l'épiscopat, sorte de fanfare
ecclésiastique
qui annonçait et préparait l'assaut dirigé, par les zélateurs de la
hiérarchie contre l'organisation presbytérienne démocratique. Il
résulte d'ailleurs, des travaux de Lightfoot et de Jean Réville que
l'épiscopat monarchique était pour Ignace un idéal plutôt qu'une
institution déjà établie, et, comme l'a fait observer Duchesne, ce
plaidoyer se comprend mieux au début du IIe siècle que cinquante ans
plus tard, quand la puissance de l'évêque s'affirmait un peu
partout.
L'existence d'Ignace
lui-même a été contestée.
H. Delafosse, dans ses Lettres d'Ignace d'Antioche (Paris 1927), y
distingue deux couches de dates différentes. La plus ancienne se
composait de lettres écrites entre 135 et 180 par Théophore, évêque
marcionite d'Asie, à des communautés qu'il avait évangélisées. La
plus
récente (entre 190 et 211) serait l'Ïuvre d'un éditeur catholique,
qui
aurait adapté ces lettres aux idées de l'Église et créé le
personnage
d'Ignace, dont il aurait placé le martyre sous Trajan. Il est
difficile
pourtant de nier l'existence d'un évêque mentionné par Polycarpe
dans
son épître aux Philippiens (9, 1 ; 13, 2) et par Eusèbe, sans parler
d'Irénée et d'Origène (voir de justes remarques de Goguel dans la
Revue
de Strasbourg mars-avril 1928, p. 189-190). Ajoutons, avec, Renan
(Les
Évangiles.. p. X) que Lucien semble avoir connu l'histoire d'Ignace
et
même ses lettres (cf son livre La Mort de Pérégrinus).
Il.
- La lettre sur le
martyre de Polycarpe se rattache à un genre qui a reçu le nom
d'Actes
des Saints. Le grand recueil des Acta Sanctorum, dit des
Bollandistes,
fondé par Bolland a été publié à Anvers à partir de 1643. il faut le
compléter par les Analecta Bollandiana (depuis 1882). Les uns
avaient
la forme de simples procès-verbaux rapportant le procès, la
condamnation et le supplice. Ils ont parfois utilisé des copies de
ces
comptes-rendus conservés dans les archives comme on l'a fait pour
les
récits sur papyrus des martyres juifs d'Alexandrie, lors de
violentes
crises d'antisémitisme aux deux premiers siècles de notre ère (Cf.
les
articles de Théodore Reinach dans la Revue des Études juives, 1895
et
1897). D'autres sont des récits proprement dits, dont les auteurs,
malgré leur sincérité, ont exagéré de plus en plus la dureté des
juges
et l'horreur des supplices, pour faire mieux ressortir l'héroïsme
des
martyrs (Voir E. Le Blant, Les Actes des Martyrs, Paris 1883 ;
Gebhardt, Acta martyrum selecta,
Berlin 1902 ; H. Delehaye, Les légendes hagiographiques, Bruxelles
1905
et Les Passions des Martyrs et les Genres littéraires, Bruxelles
1921 ;
Reitzenstein, Hellenistische Wundererzaehlungen, Leipzig 1906).
III.
- Le culte des Martyrs
remonte jusqu'à l'an 153, date du supplice de Polycarpe. « Il a été
d'abord, dit Eugène de Faye un simple hommage rendu par sa famille
et
ses amis au héros mort pour sa foi. Bientôt l'église locale où s'est
produit cet événement s'est associée à cet hommage. De bonne heure,
un
véritable culte s'est organisé, que l'on célébrait le jour
anniversaire
du Martyr sur sa tombe. On prit vite l'habitude de lire, à ce culte,
une notice qui racontait sa fin glorieuse, et l'évêque prononçait
une
allocution ou panégyrique du héros. De ces sermons martyrologiques,
saint Augustin a laissé un certain nombre. Mais parfois en a
transporté
ce culte dans l'église même, ou l'on a édifié sur la tombe une
chapelle
et plus tard une basilique. Saint Pierre de Rome en est un exemple.
En
même temps, dans les églises locales, on conservait des listes
(depositiones) des martyrs qui les avaient honorées. Augustin
recommande qu'on les tienne à jour. Plus lard, au IVe siècle, la
superstition dénatura de plus en plus ce culte. On recherchait tout
ce
qui subsistait du martyr, vestiges de son sang, parties de ses
vêtements, débris de son corps. Ainsi est né le culte des reliques.
L'abus le plus fâcheux qui eût lieu à l'occasion de ce culte, ce fut
l'habitude de le faire suivre d'un banquet. Saint Augustin eut
beaucoup
de peine à extirper cette coutume » (Revue de Strasbourg, nov-déc.
1928
p. 577. Cf Paul Monceaux, La vraie Légende dorée, Paris.
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