Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Appendice 3

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I
. - L'authenticité des lettres d'Ignace - à l'exception de l'épître aux Romains, admise par Renan (Les Evangiles, p. X) et bien d'autres - a été fortement contestée par les réformes français, Daillé en tête (livre paru à Genève en 1666). Ils y voyaient des écrits tendancieux, mis sous le nom d'Ignace, pour justifier la hiérarchie catholique par le tableau fantaisiste de l'autorité épiscopale en Asie au début du IIe siècle. Ne montrent-elles pas l'évêque dominant le corps des presbytres et des diacres ? La thèse de l'inauthenticité, ruinée pour un temps par la savante réplique de l'évêque anglican Pearson, de Chester 1672) a été reprise par Baur (Ursprung des Episkopats, 1838), Hilgenfeld (Die apost. Vaeter, 1853), Vaucher (Recherches critiques... 1856), Renan, Voelter, Henri Delafosse, etc. Elle a été combattue par l'évêque anglican Lightfoot (The apost. Fathers, IIe partie vol. I, p. 354-430), Zahn, Harnack, Jean Réville PfIeiderer (Urchristentum . 20 éd. 1902, T. II, p. 226-256), Ed. Bruston (qui rejette, par contre l'épître d'Ignace aux Romains), Choisy, Berton, Puech (T. II, p. 48-52). Les objections contre l'authenticité ne manquent pas de force. On s'est étonné qu'Ignace, gardé par dix soldats qu'il a traités lui-même de « léopards , (ép. aux Romains V, 1), ait eu la liberté d'écrire ces six lettres dont quelques-unes ont dû lui prendre du temps, et surtout celle de les faire parvenir à leurs destinataires.
On a été également surpris de voir l'évêque déjà si haut placé, tandis que, dans les autres églises, à Philippes par exemple et même à Rome, il ne s'est détaché que plus tard du corps des presbytres. La date de cette exaltation a varié, il est vrai, selon la personnalité et l'autorité des évêques, mais on a trouvé peu vraisemblable qu'elle se soit affirmée si tôt. Ce qui fortifie cette impression, c'est une allusion formelle à l'un des éons du gnostique Valentin, le Silence (voir plus loin L. II, ch. III) dans ce passage de l'épître aux Magnésiens : « Logos éternel non émané du Silence ». Ignace - on le concède - a écrit quelques lettres, en plus de celle aux Romains, puisque Polycarpe le déclare, mais ces billets ont dû se perdre, et la piété de ses admirateurs les a remplacés.
Ce sont ces pseudo-épîtres qu'Eusèbe aurait connues sans pouvoir contrôler leur origine. Aucun de ces arguments ne parait décisif, à part celui qu'on a tiré de cette allusion au Silence. car s'il s'agissait là d'un éon de Valentin, la lettre aux Magnésiens daterait d'une époque postérieure à celle d'Ignace. Il est vrai que, d'après Lightfoot, suivi par Zahn et Funk, les mots éternel non, dans le passage en question, auraient été interpolé: il n'y aurait donc pas là de polémique contre Valentin. D'autre part, la liberté dont Ignace aurait joui dans sa captivité n'a rien de surprenant. Que l'on songe à celle de Paul ou à celle de Pérégrinus, faux chrétien dont Lucien a raconté l'histoire. De plus, cette fièvre de correspondance est assez naturelle dans les moments de grande exaltation où se trouvait alors l'ardent évêque. Ils expliquent aussi cette apothéose de l'épiscopat, sorte de fanfare ecclésiastique qui annonçait et préparait l'assaut dirigé, par les zélateurs de la hiérarchie contre l'organisation presbytérienne démocratique. Il résulte d'ailleurs, des travaux de Lightfoot et de Jean Réville que l'épiscopat monarchique était pour Ignace un idéal plutôt qu'une institution déjà établie, et, comme l'a fait observer Duchesne, ce plaidoyer se comprend mieux au début du IIe siècle que cinquante ans plus tard, quand la puissance de l'évêque s'affirmait un peu partout.

L'existence d'Ignace lui-même a été contestée. H. Delafosse, dans ses Lettres d'Ignace d'Antioche (Paris 1927), y distingue deux couches de dates différentes. La plus ancienne se composait de lettres écrites entre 135 et 180 par Théophore, évêque marcionite d'Asie, à des communautés qu'il avait évangélisées. La plus récente (entre 190 et 211) serait l'Ïuvre d'un éditeur catholique, qui aurait adapté ces lettres aux idées de l'Église et créé le personnage d'Ignace, dont il aurait placé le martyre sous Trajan. Il est difficile pourtant de nier l'existence d'un évêque mentionné par Polycarpe dans son épître aux Philippiens (9, 1 ; 13, 2) et par Eusèbe, sans parler d'Irénée et d'Origène (voir de justes remarques de Goguel dans la Revue de Strasbourg mars-avril 1928, p. 189-190). Ajoutons, avec, Renan (Les Évangiles.. p. X) que Lucien semble avoir connu l'histoire d'Ignace et même ses lettres (cf son livre La Mort de Pérégrinus).

Il
. - La lettre sur le martyre de Polycarpe se rattache à un genre qui a reçu le nom d'Actes des Saints. Le grand recueil des Acta Sanctorum, dit des Bollandistes, fondé par Bolland a été publié à Anvers à partir de 1643. il faut le compléter par les Analecta Bollandiana (depuis 1882). Les uns avaient la forme de simples procès-verbaux rapportant le procès, la condamnation et le supplice. Ils ont parfois utilisé des copies de ces comptes-rendus conservés dans les archives comme on l'a fait pour les récits sur papyrus des martyres juifs d'Alexandrie, lors de violentes crises d'antisémitisme aux deux premiers siècles de notre ère (Cf. les articles de Théodore Reinach dans la Revue des Études juives, 1895 et 1897). D'autres sont des récits proprement dits, dont les auteurs, malgré leur sincérité, ont exagéré de plus en plus la dureté des juges et l'horreur des supplices, pour faire mieux ressortir l'héroïsme des martyrs (Voir E. Le Blant, Les Actes des Martyrs, Paris 1883 ; Gebhardt, Acta martyrum selecta, Berlin 1902 ; H. Delehaye, Les légendes hagiographiques, Bruxelles 1905 et Les Passions des Martyrs et les Genres littéraires, Bruxelles 1921 ; Reitzenstein, Hellenistische Wundererzaehlungen, Leipzig 1906).

III
. - Le culte des Martyrs remonte jusqu'à l'an 153, date du supplice de Polycarpe. « Il a été d'abord, dit Eugène de Faye un simple hommage rendu par sa famille et ses amis au héros mort pour sa foi. Bientôt l'église locale où s'est produit cet événement s'est associée à cet hommage. De bonne heure, un véritable culte s'est organisé, que l'on célébrait le jour anniversaire du Martyr sur sa tombe. On prit vite l'habitude de lire, à ce culte, une notice qui racontait sa fin glorieuse, et l'évêque prononçait une allocution ou panégyrique du héros. De ces sermons martyrologiques, saint Augustin a laissé un certain nombre. Mais parfois en a transporté ce culte dans l'église même, ou l'on a édifié sur la tombe une chapelle et plus tard une basilique. Saint Pierre de Rome en est un exemple. En même temps, dans les églises locales, on conservait des listes (depositiones) des martyrs qui les avaient honorées. Augustin recommande qu'on les tienne à jour. Plus lard, au IVe siècle, la superstition dénatura de plus en plus ce culte. On recherchait tout ce qui subsistait du martyr, vestiges de son sang, parties de ses vêtements, débris de son corps. Ainsi est né le culte des reliques. L'abus le plus fâcheux qui eût lieu à l'occasion de ce culte, ce fut l'habitude de le faire suivre d'un banquet. Saint Augustin eut beaucoup de peine à extirper cette coutume » (Revue de Strasbourg, nov-déc. 1928 p. 577. Cf Paul Monceaux, La vraie Légende dorée, Paris.

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