HUDSON TAYLOR
SIXIÈME PARTIE
MARIAGE ET OEUVRE A
NINGPO
1856-1860
CHAPITRE 36
Au matin vient
l'allégresse
octobre-novembre 1857
Des journées de maladie et de
fièvre suivirent, dans lesquelles Hudson
Taylor ressentit davantage son isolement et son
angoisse. Heureusement, il avait été
vacciné peu auparavant et échappa
ainsi à une grave attaque de petite
vérole.
Une nuit, il fut réveillé
en sursaut ; il ne put se rendormir et fut assailli
par de grandes appréhensions. Depuis de
longs mois, il attendait la réponse du
tuteur de celle qu'il aimait. L'inquiétude
remplissait son coeur. Les efforts qu'il faisait
pour tout remettre entre les mains de Dieu
semblaient augmenter ses souffrances. Mais,
continuellement, au-dessous de lui, étaient
les « bras éternels ». Celui dont
la sympathie est infinie veillait sur Son enfant
accablé et, par le moyen le plus sûr
de tous, lui donna du soulagement.
Maria vint dans la journée,
écrivit-il plus tard à sa soeur; elle
s'approcha de moi et le calme se fit dans mon
coeur. Pendant quelques minutes, je me sentis sous
le charme de sa présence, puis je lui tendis
la main; elle la prit et la serra si tendrement que
je la remerciai du regard. Elle me fit signe de ne
pas parler; en même temps, elle mit son autre
main sur mon front. Immédiatement,
fièvre, mal de tête, agitation, tout
me quitta et je m'endormis pour me réveiller
reposé, quoique bien faible. En me
réveillant, je saisis sa
main.
Il eut la joie, au moment où il
était en convalescence, de voir son ami M.
Burdon, de Shanghaï, venu à Ningpo pour
faire ses préparatifs de mariage. Il
était fiancé à
l'aînée des demoiselles Dyer depuis
près d'une année, et il allait
l'épouser le 16 novembre. Sans envier le
moins du monde leur bonheur, Hudson Taylor ne
pouvait que sentir d'une manière très
vive le contraste avec ses propres circonstances,
compliquées spécialement par
l'hostilité de Mlle Aldersey, dont
l'opposition était toujours plus violente.
Elle continuait à répandre les
accusations, les plus graves,
à un point tel que Maria se demandait
comment il se faisait que sa confiance en lui,
qu'elle ne connaissait pourtant pas beaucoup,
n'avait pas fléchi. Mais leur amour
était profond ; il s'enracinait en
Dieu.
À cette époque, les deux
jeunes gens se rencontraient fort rarement,
même en public, car l'école où
les demoiselles Dyer enseignaient avait
été transférée de
l'autre côté du fleuve dans les
bâtiments de la Mission
Presbytérienne. Vivant avec Mme Bausum dans
la maison brune à côté de
l'école, elles étaient ainsi proches
voisines de M. et Mme Way, dont l'affection et
l'admiration pour Hudson Taylor devaient être
un réconfort pour Maria. On parlait souvent
de lui, qui avait exposé sa vie en soignant
M. Quaterman, le propre frère de Mme Way, et
les doigts de Maria couraient fréquemment
sur les touches de l'harmonium qui avait appartenu
au défunt, et avait été
donné à son bien-aimé.
Les forces étant revenues, Hudson
Taylor redoubla d'activité dans la ville. Le
travail qu'il accomplissait avec M. et Mme Jones
portait des fruits réjouissants. À
leurs réunions, ils ajoutèrent des
repas gratuits pour les indigents, et ce fut
là une source de grande satisfaction. Le
Seigneur subvenait à ses besoins plus
généreusement encore qu'auparavant,
et, dans l'esprit de la parole : « Vous avez
reçu gratuitement, donnez gratuitement
», il trouvait sa joie à mettre au
service des autres tout ce qu'il avait
reçu.
Distribuer chaque jour une soixantaine
de repas constituait naturellement une grosse
charge pour leurs finances et ils
dépensèrent souvent jusqu'au dernier
sou avant de voir arriver de nouvelles ressources.
Hudson Taylor et son collègue se tenaient
toujours devant Dieu dans la prière, et Dieu
honora leur foi tout en permettant qu'elle
fût souvent mise à
l'épreuve.
Beaucoup pensent que je suis très
pauvre, écrivait le jeune missionnaire au
milieu de novembre. C'est assez vrai dans un sens,
mais, grâces à Dieu, c'est «
comme pauvre, et cependant enrichissant plusieurs;
comme n'ayant rien, mais possédant toutes
choses ». Même si je le pouvais, je ne
voudrais pas être autrement que je ne suis,
entièrement dépendant du Seigneur, et
un canal pour aider les autres.
Ils venaient d'avoir encore un exemple
des soins et de la fidélité de Dieu.
Quelques jours auparavant, ils se trouvaient dans
la plus grande
extrémité, au sein de leur oeuvre
d'amour et de miséricorde à
Kuen-kiao-teo. Soixante-dix personnes
affamées, les plus pauvres parmi les
pauvres, avaient eu leur repas ce matin-là,
et avaient écouté pendant une heure
et plus l'histoire de l'amour rédempteur.
Nyi, qui venait d'être baptisé, et les
autres chrétiens indigènes
étaient très utiles pour cela ; nul
doute que leur foi ne fût fortifiée
par les expériences dont ils étaient
les témoins.
Eh bien ! ce samedi matin, continue
Hudson Taylor, nous payâmes toutes les
dépenses et achetâmes ce qu'il fallait
pour le dimanche. Après cela, il ne nous
restait pas un dollar. Nous ne savions pas comment
le Seigneur s'occuperait de nous le lundi, mais sur
le manteau de la cheminée nous avions nos
deux textes en chinois : Eben-Ezer et
Jehovah-Jireh, et Il nous garda de douter un seul
instant.
Ce jour même, des lettres qui
avaient fait la moitié du tour de la terre
arrivèrent à Ningpo, alors qu'aucun
courrier n'était attendu. Mises à la
poste en Angleterre deux mois auparavant, elles
arrivaient à bon port après un voyage
si favorable que la prière « Donne-nous
aujourd'hui notre pain quotidien » fut
exaucée avant le coucher du soleil.
Ce jour-là, dit encore Hudson
Taylor, le courrier arriva avec une semaine
d'avance, et M. Jones reçut une traite de
deux cent quatorze dollars. Nous rendîmes
grâces à Dieu et prîmes
courage.
La traite fut
présentée à un
commerçant et, bien qu'il
s'écoulât d'habitude plusieurs jours
avant que nous pussions toucher les fonds, cette
fois-ci il nous dit - « Venez lundi, l'argent
sera prêt. » Nous allâmes et, bien
qu'il n'eût pu acheter tous les dollars. Il
nous remit un acompte de soixante-dix dollars.
Ainsi tout était bien.
Oh ! qu'il est doux de vivre dans
la dépendance directe du Seigneur, qui ne
fait jamais défaut !
Le lundi, les pauvres eurent leur
repas comme d'habitude, car nous ne leur avions pas
dit de ne pas venir, étant assurés
que c'était là l'oeuvre de Dieu et
qu'Il nous donnerait le nécessaire. Nous ne
pouvions que pleurer en voyant non seulement nos
besoins couverts, mais encore la veuve et
l'orphelin, l'aveugle, le boiteux et le
déshérité, tous ensemble,
nourris par la bonté de Celui qui s'occupe
même des passereaux.
Peu de temps après cette
délivrance, Hudson Taylor s'aperçut
que Dieu avait travaillé pour lui d'une
autre manière aussi. Ce fut
en effet vers la fin de novembre
que les lettres impatiemment attendues
arrivèrent : elles étaient
favorables!
Après s'être soigneusement
renseigné à Londres, M. Tarn
était arrivé à la conclusion
qu'Hudson Taylor était un jeune missionnaire
plein de rares promesses. Les secrétaires de
la Société pour
l'Évangélisation de la Chine ne
disaient que du bien de lui et, de tous les
côtés, les renseignements
étaient excellents. Le tuteur de Mlle Dyer
ne tint donc pas compte des bruits discordants qui
provenaient de Chine et consentit cordialement aux
fiançailles de sa nièce ; il
demandait seulement que le mariage n'eût lieu
qu'à sa majorité, qu'elle allait
atteindre dans un peu plus de deux mois.
Oh ! comme notre jeune missionnaire
était pressé de voir sa
bien-aimée! Mais comment arranger une
entrevue? Les nouvelles de cette espèce ont
heureusement des ailes. Mme Knowlton, de la Mission
Baptiste Américaine, apprit bientôt
son désir ; elle lui fit dire de venir chez
elle et, en même temps, elle envoya chercher
Mlle Maria Dyer. Un peu plus tard, les deux
fiancés, profondément émus et
reconnaissants, étaient assis à
côté l'un de l'autre sur le
canapé, dans le salon de leur
compréhensive amie.
Plus de quarante ans après, la
joie de ce moment était encore vivante dans
le coeur d'Hudson Taylor. « Mon amour pour
Maria ne s'est jamais refroidi, disait-il ; il
n'est pas refroidi maintenant. »
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