HUDSON TAYLOR
SEPTIÈME PARTIE
LA PRÉPARATION
DE L'OUVRIER ET DE L'OEUVRE
1860-1866
CHAPITRE 44
Années cachées
1860-1864
C'était au coeur de l'East End de
Londres, au milieu de la population ouvrière
de Whitechapel, qu'Hudson Taylor avait
établi sa demeure. Revenu malade de Chine en
1860, il avait reçu comme une sentence de
mort l'avis des médecins déclarant
que, s'il essayait d'y retourner, il commettrait un
véritable suicide. Six ans et demi de
travail ardu à Shanghaï, à
Ningpo et ailleurs, avaient épuisé
une constitution qui n'avait jamais
été robuste, et, avec une femme de
santé délicate et un jeune enfant, il
semblait bien que sa carrière missionnaire
fût à jamais brisée.
Sa seule consolation, en quittant les
convertis de Ningpo, avait été de
penser qu'il pourrait travailler pour eux en
Angleterre. Le besoin se faisait vivement sentir
d'avoir un recueil de cantiques, quelques ouvrages
simples dans leur dialecte local, et, par-dessus
tout, une traduction plus correcte du Nouveau
Testament, avec parallèles. À peine
débarqué, le jeune missionnaire avait
fait des démarches auprès de la
Société Biblique et de la
Société des Traités religieux
pour qu'elles entreprissent ces publications, et il
fut si absorbé par des réunions, des
entretiens et sa correspondance que près de
trois semaines s'écoulèrent avant
qu'il pût visiter ses bien-aimés
parents à Barnsley.
La question se posait de savoir
où se fixer. S'il devait rester en
Angleterre un an ou deux, Hudson Taylor voulait
utiliser son temps le mieux possible. La
pensée de prendre des vacances n'aborda pas
son esprit. Pour lui, avoir un congé
signifiait saisir l'occasion de trouver des
collaborateurs et de se préparer en vue de
l'oeuvre future. Ses collègues de Ningpo, M.
et Mme J. Jones, qui travaillaient d'une
façon tout à fait
indépendante, ne pouvaient plus suffire
à la tâche. Ils avaient besoin d'un
renfort immédiat, et avant même le
départ d'Hudson Taylor, ils avaient
demandé cinq ouvriers
supplémentaires et avaient beaucoup
prié, certains que Dieu les leur ferait
trouver.
En attendant, les nouvelles de la
Mission n'étaient point rassurantes.
Vous savez ce que c'est que d'avoir
au loin un enfant malade, écrivait Hudson
Taylor à ses parents, deux mois après
son arrivée en Angleterre. C'est ce que nous
éprouvons en nous sentant si loin de nos
chrétiens chinois spirituellement malades.
Mais qu'y pouvons-nous faire ? Impossible de
retourner immédiatement auprès d'eux.
Je sais combien ils ont besoin de nous, mais le but
de notre retour au pays ne paraît pas encore
atteint.
Prions ensemble le Seigneur
d'agir dans le coeur de ces chers, mais faibles
agneaux de Son troupeau, rachetés par Son
précieux sang. Oh oui ! « Il portera
les agneaux dans ses bras », Il les aime plus
que nous ne pouvons le faire
nous-mêmes.
Faisant taire son impatience de repartir
pour la Chine, Hudson Taylor avait résolu de
compléter ses études médicales
et d'obtenir son diplôme. Face à la
large avenue de Whitechapel se dressait sa vieille
Alma Mater, l'hôpital de Londres, dont les
portes lui étaient ouvertes. Il
renonça résolument à un genre
de vie plus confortable, et amena sa femme et ses
enfants dans l'East End, où il loua une
maison dans une petite rue voisine de
l'hôpital, afin de ne pas perdre de temps en
allant assister aux leçons.
Ce fut là, rue de Beaumont no 1,
que commença la discipline qui devait se
prolonger (il était loin de s'y attendre)
jusqu'à ce qu'il fût prêt
à recevoir la vision plus large qui devait
lui être accordée. Temps de vie
cachée, sans beaucoup de résultats
visibles, au cours duquel Dieu allait faire en lui
l'oeuvre qui devait porter des fruits non seulement
à Ningpo, mais dans toutes les parties de la
Chine.
Heureusement pour eux, les jeunes
missionnaires ne pouvaient prévoir ce qui
les attendait. À vingt-quatre et à
vingt-neuf ans, une longue patience n'est pas
facile. Ils étaient heureux en Angleterre,
mais toutes leurs pensées, tout leur amour,
toute leur vie allaient à la Chine. Outre
les études médicales, ils avaient
entrepris la tâche importante de
réviser le Nouveau Testament de Ningpo, la
Société Biblique ayant consenti
à en publier une nouvelle édition.
Ils étaient en correspondance avec des
candidats missionnaires et,
à mesure que s'améliorait leur
santé, ils espéraient plus vivement
que deux années leur suffiraient pour
obtenir le diplôme médical, pour avoir
en mains les publications désirées,
et pour recevoir les compagnons d'oeuvre qu'ils
sollicitaient de Dieu. Mais quatre années
allaient s'écouler avant que la Colonne de
nuée ne s'ébranlât devant eux,
quatre années qui ne leur amenèrent
qu'un seul missionnaire!
Les études médicales
achevées, le travail de révision prit
des proportions toujours plus grandes. Ces retards
pourtant étaient voulus de Dieu.
C'était ainsi seulement que pouvaient
être exaucées leurs plus ferventes
prières.
Jetons un coup d'oeil dans cette
paisible demeure de la rue de Beaumont, grâce
aux souvenirs du jeune candidat missionnaire de
Barnsley qui y vint pendant la première
année du séjour d'Hudson Taylor
à Londres.
Ce jeune homme, sous l'influence de M.
Henry Bell, son chef de classe, avait conçu
un grand intérêt pour la Chine, mais
était loin de se douter qu'il deviendrait
lui-même missionnaire.
- James, dit un jour M. Bell, j'ai
trouvé du travail pour vous!
- Lequel, monsieur ?
Et la réponse vint, inattendue :
Allez en Chine!
M. Bell avait compris que, pour cette
oeuvre, objet de beaucoup de prières, des
aptitudes spirituelles étaient plus
nécessaires qu'une longue éducation
intellectuelle. Aussi avait-il pensé au
jeune artisan qui était son bras droit dans
les réunions en plein air et partout
où il y avait une âme à gagner.
Il lui dit tout ce qu'il savait de l'oeuvre
d'Hudson Taylor et de ses appels au secours, puis
il répéta la question : Voulez-vous
aller?
- J'irai, répondit Meadows, si
Dieu m'y appelle ; mais il me faut du temps pour en
faire un sujet de prières.
Les principes de foi sur lesquels
était basée la Mission ne
l'effrayaient pas, ni les difficultés de la
langue. Il était prêt à
abandonner de belles perspectives d'avenir et
à remettre au Seigneur seul le soin de sa
vie. Mais il lui fallait savoir d'une
manière certaine que c'était bien
Dieu qui le conduisait.
Je jeûnai donc,
écrivait-il longtemps après, et,
entrant un jour dans mon atelier
à l'heure du dîner, je me jetai
à genoux et demandai au Seigneur d'une
façon précise : Dois-je aller
?
La réponse me fut
donnée à ce moment-là, claire
et nette : « Va, et le Seigneur sera avec toi.
» Je n'ai jamais regretté, depuis ce
jour jusqu'aujourd'hui (au bout de cinquante ans),
d'avoir fait ce que j'ai fait !
Quand le moment vint pour lui de se
rendre à Londres qu'il n'avait jamais vu, il
se sentit plus attiré par la
personnalité d'Hudson Taylor que par les
merveilles de la grande cité. La
pauvreté de la demeure des missionnaires et
la simplicité de leur vie
l'étonnèrent un peu, mais il oublia
vite la nudité de la chambre, la maigreur du
feu qui brûlait dans la cheminée,
malgré l'intensité du froid, et
l'usure des vêtements de ses hôtes,
tant il fut intéressé par leur
conversation et par la vue d'un Chinois authentique
qui leur servait de cuisinier, de blanchisseur,
etc., et qui portait son vêtement national et
la queue des indigènes
(1). La
piété aimable et profonde des
missionnaires l'impressionna vivement. Il comprit
que, par amour pour cette oeuvre qui absorbait
toutes leurs pensées, ils pouvaient accepter
la pauvreté, les privations de toutes
sortes. Le fait terrifiant qu'un million
d'âmes précieuses périssaient
chaque mois en Chine, faute de connaître
l'Évangile, était pour eux une
réalité qui devait se traduire dans
leur vie quotidienne. Si pauvres qu'ils fussent -
et il découvrit bientôt qu'ils
n'avaient aucun argent en mains, ni même en
perspective pour l'envoyer en Chine - il
était heureux d'unir son sort au leur et de
partir comme « lecteur de la Bible »
dès que les fonds seraient trouvés
(2).
Hudson Taylor prit de ce premier
collaborateur un soin digne de sa confiance. Il
avait expérimenté ce que c'est
d'être seul et sans ressources dans un pays
étranger, et il faisait tout son possible
pour pourvoir au bien-être de ses
frères.
La seule plainte de M. Meadows, au bout
d'un an de cette vie, fut qu'on lui envoyait des
fonds aussi régulièrement que s'il
avait eu un salaire fixe. Il lui semblait qu'une
telle régularité était
incompatible avec la confiance en Dieu seul.
Je lui expliquai, dit Hudson Taylor, que
ce scrupule n'était pas fondé car, ni
lui ni moi n'ayant reçu la promesse d'un
seul centime de plus, nous devions nous attendre
constamment au Seigneur seul pour obtenir du
secours.
Hudson Taylor ayant obtenu son
diplôme médical, grâce à
un travail acharné, pouvait maintenant
envisager l'avenir :
Nous avons beaucoup de
difficultés devant nous, écrivait-il
à ses parents, et je ne vois pas du tout mon
chemin, mais il me suffit de savoir que quelqu'un
le voit, Celui qui nous guide et qui subviendra
à tous nos besoins... Je souhaiterais que
Barnsley ne fût pas si loin, mais quand nous
serons à notre Home céleste, nous
serons toujours ensemble... Nous ne devons pas
chercher notre repos ici-bas, n'est-il pas vrai ?
Mais nous élancer en avant, estimant toutes
choses (et cela inclut beaucoup de choses) une
perte, pourvu que nous gagnions Christ et soyons
trouvés en Lui.
De ces quatre années d'attente
nous connaîtrions peu de choses, si nous ne
possédions des carnets de notes
écrites au jour le jour pendant trois ans,
et providentiellement conservés, dans
lesquels on sent un esprit que les mots sont
impuissants à traduire.
À peine un jour se passait-il
sans qu'Hudson Taylor n'eût des lettres
à écrire, des visites à
recevoir, des réunions, des leçons de
chinois à donner à des candidats
missionnaires, des visites médicales
à des amis ou à des voisins malades,
des séances de comités ou d'autres
occupations, ajoutées à la
révision du Nouveau Testament de Ningpo, qui
restait son principal travail, à laquelle il
consacrait un temps considérable, comme en
fait foi son journal, où l'on trouve des
mentions telles que celles-ci :
13 avril 1863. Commencé avec M.
Gough à dix heures du matin et
travaillé environ huit heures.
Révision : neuf heures en tout.
14 avril. Révision neuf
heures.
15 » » dix heures et
demie.
16 » » huit heures.
17 » » onze heures et
demie.
18 » » onze heures.
19 » Dimanche. Matin : écrit
à James Meadows puis culte avec
Lae-djün. L'après-midi, pris le
thé avec M. John Howard, ayant
été à pied à Tottenham
pour avoir des nouvelles de la santé de Mlle
Stacey. Le soir, assisté à la
prédication de M. Howard. Proposé
à Mlle Howard, comme sujet de
prières, que nous soyons aidés dans
notre révision, et que
nous puissions la faire bien et aussi rapidement
que possible. Rentré à pied à
la maison.
20 avril. Révision douze
heures.
21 » » onze heures.
22 » » dix heures.
23 » » douze heures.
24 » » neuf heures et
demie.
25 » » treize heures et
demie.
Plusieurs exaucements de prières
aujourd'hui. Grâces Lui soient
rendues.
Le journal continue ainsi, nous
confondant, nous qui aimons la vie facile, par la
consécration qu'il révèle. Et
il s'agissait d'un missionnaire qui venait de
rentrer au pays, retenu à la maison à
cause de sa santé sérieusement
ébranlée par un labeur acharné
en Chine!
26 avril. Dimanche. Le matin, entendu M.
Kennedy prêcher sur le texte : « Ne te
fais pas de mal. » (Bien à propos, en
vérité !) Couché,
l'après-midi, avec maux de tête et
névralgies. Le soir, étudié la
première partie d'Héb. II avec
Lae-djün. M. Gough m'a promis ne pas commencer
plus tard que dix heures trente demain. Que Dieu
nous fasse avancer dans le travail cette semaine,
nous aide et nous conduise en toutes
choses.
27 avril. Révision sept heures
(le soir à Exeter Hall).
28 » » neuf heures et
demie.
29 » » onze heures.
30 » » cinq heures et demie
(réunion de la Société
missionnaire baptiste).
1er mai huit heures et demie (visites
jusqu'à dix heures du soir).
2 » » treize heures.
3 » » Dimanche. À
Bayswater. Le matin, entendu M. Lewis prêcher
sur Jean 3 : 33; pris la Cène là-bas
l'après-midi
(3). Le soir,
resté à la maison. Prié pour
notre travail.
4 mai. Révision quatre heures
(correspondance et visites).
5 » » onze heures et
demie.
6 » » sept heures (importants
entretiens).
7 » » neuf heures et
demie.
8 » » dix heures et
demie.
9 » » treize heures.
10 Dimanche. Resté le matin avec
Lae-djün. Étudié ensemble
Héb II. Moment
bienfaisant. Écrit à James Meadows.
L'après-midi, prié avec Maria pour la
maison, Meadows, la révision, etc.
Écrit à M. Lord
(4). Le soir,
entendu M. Kennedy prêcher sur Math. 27 : 42
: « Il a sauvé les autres, Il ne peut
se sauver lui-même ». Oh ! ressembler
davantage à Jésus, doux, patient,
aimant. Seigneur, rends-moi davantage semblable
à Toi !
Fécondes du point de vue du
travail accompli, les années passées
à Londres le furent aussi par les triomphes
d'une foi souvent mise à l'épreuve.
Hudson Taylor, il faut le relever, n'a jamais rien
distrait, pour ses besoins personnels, des fonds
destinés à la Mission. Dès le
début, il jugea important d'être,
à cet égard, entièrement
indépendant de son oeuvre. Il s'attendait au
Seigneur pour les affaires temporelles aussi bien
que pour les choses spirituelles, et il
expérimenta souvent d'une façon
merveilleuse la vérité de cette
promesse : « Il ne refuse aucun bien à
ceux qui marchent dans l'intégrité.
» Mais dans ce pauvre quartier de l'Est de
Londres, il connut des temps de pénurie
extrême, tels qu'il n'en eut jamais dans la
suite. Ainsi furent, par exemple, certains jours
d'automne, en 1863, desquels nous lisons ce qui
suit :
Lundi 5 octobre. Notre argent est
presque épuisé. J'ai cependant
payé, en me confiant en Dieu, ce que nous
devions à des fournisseurs et à nos
domestiques. Trouvé une très douce
promesse pour notre travail dans I Chroniques 28 :
20. Révision : sept heures.
9 octobre. Nous n'avons, pour ainsi
dire, plus rien. 0 Seigneur, notre espérance
est en Toi. Révision : six heures et demie.
Mme Jones et trois autres personnes sont
arrivées de Bristol (tout une compagnie
à recevoir !).
10 octobre. Nous n'avons plus que deux
shillings et demi ! Mais aussi longtemps que Dieu
est mon Dieu, je ne manquerai de rien.
Révision : neuf heures et demie.
Dimanche 11 octobre. Le matin :
resté avec Lae-djün. Passé
l'après-midi en prière. Le soir nous
sommes allé entendre M. Kennedy. Dans la foi
en Dieu, nous avons donné deux shillings
à la collecte. C'était la part du
Seigneur.
À une attente confiante, Dieu
devait donner des preuves manifestes de Sa
sollicitude. S'Il permettait que la foi de Ses
serviteurs fût
éprouvée, Il ne les oubliait pas. Au
début de la semaine, la soeur de Mme Jones
arriva de la campagne avec « une oie, un
canard et un poulet » et autres bonnes choses
pour le ménage. Un jour ou deux plus tard,
un parent vint faire une visite et apporta plus de
trente livres sterling pour l'usage personnel
d'Hudson Taylor et des siens.
Une seule fois, il ne put payer sur
l'heure ce qu'il devait. À la date du 12
août, nous lisons dans le journal.
Le percepteur des impôts a
passé chez nous. J'ai été
obligé de le prier d'attendre. Aide-nous,
ô Seigneur, pour l'amour de Ton
nom.
Le lendemain, samedi, il n'y avait
presque plus rien dans la maison. Sept heures et
demie furent néanmoins consacrées
à la révision, comme d'habitude. La
bonne des enfants fut mise au courant de la
situation au cas où elle
préférerait se retirer. Le journal
montre combien leur coeur était
exercé.
Cherché à
réaliser que c'est dans la faiblesse et le
besoin que la force de Jésus est
accomplie.
Tard dans la soirée, un ami qui
venait de quitter Hudson Taylor, revint sur ses pas
et lui remit sept livres en le priant de les
accepter pour lui. Le lundi, la poste lui apporta
cinq livres et, dans le courant de la semaine,
trente-cinq livres. Ainsi fut confirmée sa
certitude que, pour eux, le droit chemin consistait
de toute façon à donner leur temps et
leurs forces à l'oeuvre du Seigneur, et
à attendre tranquillement de Lui toute
l'assistance nécessaire.
Une autre fois encore, il y eut, dans la
petite maison de la rue de Beaumont, quelques
heures de vive anxiété. Le moment de
payer un trimestre de loyer était venu, et
Hudson Taylor, après avoir passé
quelques jours de repos chez ses parents,
était rentré la veille du jour
fixé pour la visite de son
propriétaire, homme dur, à la langue
acérée. Il avait mis à part
à l'avance l'argent du loyer, mais, à
sa grande surprise, il s'aperçut qu'il lui
manquait une livre, et il ne savait comment
compléter la somme pour le
lendemain.
Il y eut, cette nuit-là, plus de
prières que de sommeil dans la maison.
Pourtant la poste du matin n'apporta rien. Les
minutes passaient et, anxieux,
Hudson Taylor se préparait à recevoir
son terrible créancier. Au bout d'une heure
ou deux d'attente inutile, le missionnaire
commença à respirer plus librement.
Il s'adonna à son travail ordinaire, non
sans demander encore à Dieu Son
secours.
Le lendemain matin seulement, le
propriétaire se présenta, plus
aimable que d'habitude, s'excusant de ne pas
être venu la veille ; il avait
été retenu chez lui au moment de
partir, ce qui lui arrivait rarement, et il ne
comprenait pas comment ce retard s'était
produit.
« Moi, je le comprends, interrompit
son locataire, plein de reconnaissance, car c'est
seulement ce matin que j'ai reçu par la
poste la livre qui me manquait pour parfaire le
montant de la location. »
Pendant ce temps, qu'en était-il
des perspectives encourageantes qu'Hudson Taylor
avait eues en s'attelant au travail qui lui avait
été confié par la
Société Biblique? Posséder une
version exacte du Nouveau Testament en
caractères romains, représentant
phonétiquement le dialecte de Ningpo et,
ainsi, relativement facile à lire et
à comprendre, était une entreprise
justifiant de gros sacrifices. Aidé par
Wang-Lae-djün et par Mme Taylor, qui
connaissait ce dialecte mieux que l'anglais, il
espérait achever cette révision dans
un délai raisonnable. Après l'avoir
commencée, il avait vu se joindre à
lui M. F. F. Gough, de la Church Missionary
Society, dont la connaissance du chinois et du grec
permettait de rendre fidèlement l'original.
Ils se trouvaient maintenant bien armés pour
ce labeur, et les progrès ne furent pas
entravés par manque de diligence. Mais la
tâche apparut plus ardue à mesure
qu'elle avançait par le fait surtout des
parallèles qu'il fallait ajouter.
Chose étrange, le projet de
publication de ce Nouveau Testament rencontra une
très forte opposition. Des personnes
influentes auprès de la
Société Biblique critiquèrent
vivement cette entreprise qui fut plusieurs fois
gravement compromise. Cela eut rendu inutile un
travail qui avait coûté des
années et auquel tous les amis de la Mission
portaient un vif intérêt. M. Gough
lui-même parut un moment sur le point de
céder devant cette opposition. Pendant deux
ou trois mois, la situation fut pénible
à l'excès. La pensée d'avoir
fait tant de sacrifices et d'avoir même
retardé le retour en Chine
pour échouer finalement était
extrêmement douloureuse à Hudson
Taylor qui demeurait convaincu de la
nécessité de cette publication pour
le succès de son oeuvre. Mais s'il ne
pouvait compter sur les hommes, il s'appuyait sur
Dieu et fit de cela un sujet de prières de
plus en plus ardentes. À mesure que les
difficultés grandissaient, grandissait aussi
sa foi en Dieu et en Dieu seul.
À vues humaines,
écrivait-il à sa mère, il y a
peu d'espoir que la Church Missionary Society ou la
Société Biblique nous continuent leur
aide, mais je ne me troublerai pas de cela. Le
Seigneur peut aisément nous fournir les
fonds dont nous avons besoin. Toutefois,
l'assistance de M. Gough pour achever l'ouvrage est
très désirable. Or il parait peu
probable que cette collaboration nous soit
continuée. Demandez donc au Seigneur
:
1° Que la Church Missionary
Society et la Société Biblique
arrivent à cette conclusion, qui contribuera
le plus à la gloire de Dieu et au bien
réel de l'oeuvre;
2° Que si ces
Sociétés abandonnent ce travail de
révision, comme c'est probable, le concours
de M. Gough nous reste acquis, si c'est pour le
bien de nos chers chrétiens de
Ningpo;
3° Que, dans tous les cas,
nous soyons conduits dans le bon chemin, et que
Dieu nous montre si nous devons faire seulement une
révision partielle ou abandonner
entièrement cette entreprise.
Pour le moment, je suis toujours
plus convaincu que cette tâche vient de Dieu
et qu'Il nous dit : « Fortifie-toi et prends
courage. Ne crains point, car le Seigneur sera avec
toi jusqu'à ce que tu aies accompli tout le
travail pour le service de la maison de
l'Éternel. » Si c'est réellement
Sa volonté, par Sa grâce j'irai de
l'avant. Sinon, puisse-t-Il me le montrer
clairement !
Rien n'est plus remarquable, pendant
toute cette période en particulier, que
l'esprit de prière qui animait Hudson Taylor
et l'amenait à s'abandonner au Seigneur pour
tous les détails de sa vie. Il apportait
tout, absolument tout, au Père
céleste, avec la simplicité d'un
petit enfant et la certitude que Dieu dirigerait et
pourvoirait...
Cette confiance filiale n'était
égalée que par la
fidélité avec laquelle il suivait la
voie que Dieu lui révélait. Aussi,
grande fut sa joie quand son ami M. Georges Pearse
le prévint que le Comité de la
Société Biblique s'était
décidé à le soutenir jusqu'au
bout. Il vit là un exaucement direct de ses
prières. Mais cela signifiait qu'il
était lié plus que jamais par cette
partie de son travail, et les
années passaient. La mort
de M. Jones et les dévastations qui avaient
marqué la révolte des Taï-ping
à Ningpo augmentaient son désir de
retourner en Chine sans délai. La voie
semblait ouverte plus que jamais à
l'Évangile ; le peuple avait perdu sa foi en
des idoles qui ne pouvaient se protéger
elles-mêmes, et beaucoup éprouvaient
comme jamais auparavant un besoin ardent des
consolations de la Parole de Dieu. M. Meadows
venait de perdre sa femme et son enfant et se
sentait très isolé et insuffisant
pour répondre à tant de besoins. Tout
cela excitait davantage encore chez Hudson Taylor
la soif de travailler plus directement à
l'oeuvre missionnaire. Mais l'exaucement même
de ses prières persévérantes
relatives à la révision du Nouveau
Testament ne lui imposait-il pas le devoir de
rester en Angleterre jusqu'à ce que ce
travail fût achevé ? Pendant tout ce
temps, une véritable nostalgie envahissait
son âme et ne le lâchait pas. Il ne
pouvait détacher ses pensées de
l'intérieur de la Chine. et de ces millions
d'êtres humains sans Christ dont personne ne
paraissait se soucier. Une grande carte de l'Empire
chinois était suspendue au mur de son
cabinet, et sa Bible était toujours ouverte
sur la table. Le regard de cet homme de Dieu allait
de la carte à la Bible et de la Bible
à la carte. Oh! ces multitudes auxquelles
personne ne pense!
Tandis que j'étais
là-bas, les besoins qui m'assaillaient de
toutes parts étaient si pressants que je ne
pouvais guère songer longuement aux besoins
infiniment plus grands encore de
l'intérieur; et d'ailleurs, que faire pour y
répondre ? Mais, retenu en Angleterre depuis
plusieurs années, et voyant le pays dans son
ensemble sur la grande carte suspendue dans mon
bureau, je me trouvais aussi près des vastes
régions de l'intérieur que des
districts dans lesquels j'avais personnellement
travaillé, et la prière était
ma seule ressource pour soulager mon coeur du
fardeau qui l'accablait.
Souvent M. Gough et lui interrompaient
leur travail et appelaient Mme Taylor et
Lae-djün pour se mettre à genoux avec
eux et répandre leur âme devant Dieu,
Le suppliant d'envoyer l'Évangile à
toutes les parties de la Chine.
Et l'on ne se contentait pas de prier.
Hudson Taylor saisissait toutes les occasions de
parler des provinces
déshéritées de la Chine
à tous ceux qui étaient susceptibles
de s'y intéresser utilement, surtout aux
représentants des grandes
sociétés missionnaires. Ses appels
étaient accueillis avec sympathie, mais
constamment les mêmes
objections s'élevaient. L'on invoquait
d'abord les difficultés financières.
Impossible d'étendre davantage des oeuvres
déjà malaisées à
maintenir. Et puis, c'était la
difficulté de pénétrer dans
des provinces lointaines pratiquement inaccessibles
à des étrangers. Et toujours arrivait
la même conclusion : « Il faut attendre
que Dieu nous ouvre les portes. Pour le moment, il
n'y a rien à faire. »
Ces objections, cependant, ne
diminuaient pas les besoins et n'allégeaient
pas son fardeau. Lorsqu'il rentrait dans sa petite
chambre de l'East End et se retrouvait en
présence de sa carte et de sa Bible, cet
ardent serviteur se sentait accusé par l'une
et par l'autre. Celui qui avait dit : « Allez
» n'avait jamais fait de réserves
financières ou politiques. Il avait dit :
Allez... je suis avec vous... tous les jours...
allez par tout le monde! La promesse était
aussi absolue que le commandement. Celui qui avait
donné l'une et l'autre n'était-Il pas
digne de toute confiance, de toute
obéissance ?
Mais il y en avait d'autres, des amis et
des candidats, qui comprenaient le missionnaire et
se réunissaient chaque semaine à la
rue de Beaumont. Ces rencontres avaient
commencé lors du départ de M. et Mme
Meadows. Elles duraient généralement
deux heures sans que faiblît la ferveur des
requêtes.
C'était ainsi que, peu à
peu, dans l'esprit de cet homme à genoux
devant Dieu, se précisait l'oeuvre en vue de
laquelle le Maître l'avait mis à part
et pour laquelle Il le préparait.
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