HUDSON TAYLOR
D0UZIÈME PARTIE
LA MARÉE
MONTANTE
1881-1887
CHAPITRE 70
Jours de bénédictions
1886
L'occasion, si longtemps attendue, s'offrait
enfin! Depuis sept ans, Hudson Taylor projetait de
visiter le Shansi. Une fois déjà il
avait été rappelé à la
côte, après son départ, mais,
maintenant que, l'organisation meilleure de la
Mission lui permettait de s'absenter plusieurs mois
de Shanghaï, il espérait pouvoir
affermir l'oeuvre, non seulement dans le Shansi,
mais dans d'autres contrées plus
reculées encore. Le problème le plus
important était celui de
l'évangélisation des masses
auxquelles, maintenant, l'on avait accès. Le
but immédiat était de porter secours
et encouragement aux travailleurs isolés et
d'organiser avec eux l'Église
indigène qui, en maints endroits,
grandissait rapidement. Hudson Taylor
espérait aussi établir dans la vaste
province de l'Ouest, le Szechwan, un district de
l'Église d'Angleterre. Dans la personne du
Révérend Cassels, la Mission avait,
pour la première fois, un homme
qualifié pour une telle entreprise, et le
Szechwan, avec soixante-huit millions d'habitants,
ne possédait que deux centres où l'on
put trouver des missionnaires protestants.
Mais il fallait d'abord atteindre la
province désirée par delà les
vastes plaines du Chihli et les montagnes qui les
bordent. Un tel voyage était nouveau pour
Hudson Taylor, jusqu'ici accoutumé aux voies
d'eau sans fin de la Chine du centre et du sud.
C'étaient, durant le jour, des chariots sans
ressorts, sur les routes du Nord, simples sentiers
à peine tracés en des contrées
desséchées par le soleil ou
inondées par la pluie ; des rivières
à passer sans ponts ni bateaux, des
défilés dangereux à affronter
en litières, portées par des mules
qui bronchaient aisément ; de nuit,
c'étaient de grandes et bruyantes auberges.
Jointes à la langue, la nourriture, les
coutumes du Nord, ces choses étaient une
rude épreuve de patience. Une jonque
indigène sur une rivière peut laisser
à désirer ; elle
constitue du moins un abri vous appartenant en
propre. Mais, échanger un chariot, dans
lequel vous avez été secoué et
brisé pendant des heures, pour un lit de
briques à partager avec d'autres hôtes
dans une chambre sale où les habitants de
moindre taille se comptent par centaines et par
milliers, c'est une tout autre affaire.
Ce voyage resta mémorable par son
manque total du moindre confort. Vers la fin de
juin, la chaleur était intense. Les mouches
pullulaient ; les jeunes compagnons d'Hudson Taylor
étaient trop las, le soir, pour
déballer leurs provisions ou aller à
la recherche d'un repas. Maintes fois il les
réveilla, après des heures de
sommeil, pour les inviter gaiement à
partager un « poulet de minuit »
vraisemblablement apprêté de ses
propres mains.
Deux semaines s'écoulèrent
rapidement et le contraste fut d'autant plus grand,
lorsqu'on atteignit l'hospitalière demeure
du Dr Edwards. Là, dans la capitale
(Taiyüan), tous les missionnaires du Shansi, y
compris cinq membres de la troupe de Cambridge qui
comptaient maintenant quinze mois de séjour
en Chine, se réunirent pour recevoir Hudson
Taylor. Un an plus tôt, ils eussent
été moins en état de le
recevoir. Il n'y avait alors que deux stations dans
la province et ils commençaient
l'étude de la langue. Aujourd'hui, ils
s'exprimaient facilement en chinois et chacun
arrivait de sa station l'esprit occupé des
problèmes qu'une oeuvre grandissante pose
à de jeunes missionnaires.
Le district dans lequel ils se
trouvaient était celui dont M. Hsi, le
lettré, ancien disciple de Confucius, et ses
amis Chang et Ch'ü, anciens bouddhistes de
Taning, avaient la charge. Sur les deux bords de la
rivière Fen, ces deux hommes, pleins du
zèle de leur premier amour, faisaient
entendre le joyeux message du salut. Soixante-douze
baptêmes aux assemblées du printemps
avaient doublé le nombre des membres de
l'Église de Pingyang. Le moment était
venu de mettre à part quelques-uns des chefs
chinois à titre d'anciens et de diacres et
de reconnaître le ministère,
désigné de Dieu, de Hsi et d'autres
remplissant des fonctions pastorales. Mais avant de
se rendre aux conférences indigènes
dans lesquelles ces consécrations devaient
avoir lieu, Hudson Taylor jouissait avec
reconnaissance de quelques jours paisibles de
prière et d'attente, en Dieu, jours de
bénédictions! ce titre du livre qui
conserva le souvenir de ces
réunions exprime bien ce qu'elles furent en
réalité. Le parfum de la
présence de Dieu se fait sentir à
travers ses pages.
Nous ne nous étendrons pas sur le
principal sujet de la conférence :
L'entière suffisance de Christ pour la vie
personnelle et la piété, aussi bien
que pour les exigences de notre service. Hudson
Taylor excellait à tirer des trésors
de la Parole de Dieu et de sa propre
expérience, pour l'encouragement de ses
collaborateurs, mais ce sujet est trop vaste pour
ces pages. Recueillons simplement quelques
échos de la conférence, relatifs aux
rapports qu'Hudson Taylor établissait entre
le missionnaire et son oeuvre.
Comment assurer la transformation des
convertis indigènes en chrétiens
forts, sains et semblables à leur
Maître, si nous ne vivons pas
nous-mêmes des vies fortes, saines,
semblables à celle de Christ
?
On entend souvent parler de
fautes et de chutes de chrétiens
indigènes. Ne sont-elles pas le reflet des
nôtres ?
Les enfants spirituels
dépendent de ce qu'est leur père. Le
torrent ne remontera pas plus haut que sa source,
mais c'est bien d'elle qu'il recevra son
impulsion.
Quand la grâce de Dieu est
triomphante dans mon âme, je puis regarder un
Chinois en face et lui dire : Dieu peut te sauver
tel que tu es. Sans elle, comment pourriez-vous
vous occuper d'un homme esclave de l'opium ? Si
nous n'avons pas de succès, c'est trop
souvent parce que nous ne sommes qu'à
moitié consacrés nous-mêmes. Si
nous sommes pleinement consacrés et si nous
Le confessons, nous verrons des
résultats.
Hudson Taylor insista sur le besoin d'un
contact, étroit et réel, non
seulement avec le Seigneur Lui-même, mais
avec ceux dont nous désirons le bien. Une
très mince pellicule entre deux surfaces
empêchera leur union ; il en est de
même dans le domaine spirituel. Nous devons
être en contact de coeur, en contact
personnel avec les Chinois si nous voulons que
notre vie ait pour eux son maximum
d'utilité.
J'aime à examiner chaque
question pratique dans ses rapports avec Christ.
L'incarnation nous enseigne que, pourvu que nous
nous gardions du péché, nous ne
pouvons aller trop loin à la rencontre de ce
peuple, cherchant à le connaître,
à devenir un avec lui, à sympathiser
avec lui.
Il y a un merveilleux
enseignement dans la manière dont le
Seigneur accomplissait Ses oeuvres d'amour. Il
toucha le lépreux et l'aveugle, quand Il les
guérit... La femme sentit que si elle
touchait le bord de Son vêtement, elle serait
libérée... Si nous nous tenons si
loin des gens qu'ils ne peuvent
toucher le bord de nos vêtements, comment une
vertu sortirait-elle de nous ?... Il y a une
puissance à s'approcher de ce peuple : une
pauvre femme de Chengtu s'écria, en
apprenant la mort de Mme Riley : « Quelle
perte pour nous ! elle avait l'habitude de me
prendre la main, pour m'encourager ». Il y a
une puissance à mettre la main sur
l'épaule d'un homme. Le contact est une
vraie puissance que nous pouvons mettre au service
de Christ.
Hudson Taylor parla ensuite du
témoignage de la vie : nous devons
manifester la Vérité, aussi bien que
la prêcher.
Nous disons à ce peuple
que le monde est vanité; montrons par notre
vie qu'il en est bien ainsi. Nous lui disons que
notre demeure est En-haut, que toutes ces choses
sont passagères; notre manière de
vivre le montre-t-elle ? Oh ! vivre des vies
conséquentes ! La vie de l'apôtre
l'était. Nul ne pouvait avoir l'impression
que sa demeure était ici-bas : tous voyaient
qu'elle était Là-haut.
Notre vie doit être une vie
de renoncement visible... Il y a beaucoup de
sacrifices dont les Chinois ne savent rien.
À cause d'eux, nous avons laissé
beaucoup de choses qu'ils n'ont jamais vues; cela
ne peut suffire : ils doivent voir le renoncement
à nous-même, dans des choses qu'ils
peuvent aisément comprendre
(1).
Avec tout son désir de
développer les dons de l'Église
indigène, Hudson Taylor redoutait de voir
l'instruction, l'oeuvre médicale ou toute
autre activité auxiliaire usurper la place
centrale.
Ayons fortement le sentiment que
tout ce qui est humain, tout, en dehors de la
pleine suffisance de Christ, n'est utile que dans
la mesure où cela nous rend aptes à
Lui amener des âmes. Si notre mission
médicale nous attire des indigènes et
que nous puissions leur présenter le Christ
de Dieu, alors la mission médicale est une
bénédiction; mais ce serait une
erreur profonde de substituer l'exercice de la
médecine à la prédication de
l'Évangile. Si nous mettons les
écoles ou l'éducation à la
place de la puissance spirituelle pour changer les
coeurs, c'est une erreur. Si nous pensons que les
gens se convertiront par quelques progrès
dus à leur instruction et non par un
renouvellement qui les
régénère, c'est encore une
profonde erreur. Exaltons dans nos coeurs le
glorieux Évangile et croyons qu'il est la
puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit.
Nous ne serons jamais découragés si
nous éprouvons que Christ nous suffit.
Pourquoi se mettre en
apprentissage chez un constructeur, sinon pour
apprendre à construire ? À quoi cela
sert-il de nous attacher à un Sauveur, si
nous n'apprenons pas à sauver ? Quoique nous
puissions être sauvés
nous-mêmes, serions-nous en fait Ses
disciples ?
Hudson Taylor estimait que, dans son
influence pratique sur la formation des
caractères chrétiens, la
vérité de la seconde venue du
Seigneur, son retour en personne, était
d'une importance capitale.
On lit souvent dans les rapports
des missions que des gens se sont
détournés des idoles pour servir le
Dieu vivant et vrai, mais à peine un sur dix
fait part de cette attente de la venue de Son Fils,
des cieux. Je crois que l'ignorance, chez les
chrétiens indigènes, du fait que
Christ va revenir et que le présent
état de choses sera renversé est une
des raisons de l'égoïsme et de la
mondanité que l'on trouve dans quelques-unes
des branches de l'Église, en
Chine.
Je me souviens de l'effet produit
sur moi par cette grande vérité que
le Seigneur Jésus devait revenir et qu'Il
pouvait revenir en tout temps. Je ne
possédais pas beaucoup de livres, mais je
fis une inspection de ma bibliothèque, et de
mes vêtements également. Le
résultat fut que je détruisis
plusieurs volumes et me débarrassai aussi de
plusieurs objets. Quand je revins en Angleterre,
nous examinâmes, avec ma chère femme,
tout le contenu de notre maison, de la cave au
grenier, en pensant précisément
à ce fait que le Seigneur pouvait revenir
promptement. Cela m'a toujours été
profitable, spirituellement, de constater de
combien de choses nous pouvions nous passer. Il est
important de nous souvenir que nous sommes des
économes et que nous devrons rendre compte
de tout ce que nous conservons. Si nous ne pouvons
donner de raisons valables à cela, ne
serons-nous pas honteux quand le Maître
reviendra ? Et puisqu'Il peut revenir d'un jour
à l'autre, n'est-il pas bon d'être
prêt chaque jour ? Cette vérité
m'a été en immense
bénédiction tout au long de ma
vie.
Hudson Taylor considérait
aussi sous un angle très pratique la
plénitude mise à notre disposition en
Christ.
Dieu veut nous donner toutes
choses dans la mesure de nos besoins. Il ne nous
les donne pas d'une seule fois, pour le service de
toute notre vie. Il ne veut pas que nous fassions
notre travail en ayant sur le dos la charge des
provisions de l'année prochaine. Il y a du
ravitaillement tout le long de la route, nouvelle
lumière, nouvelle puissance, nouvelle
révélation, suivant ce que les
circonstances réclament.
Oh ! être rempli de la
connaissance de la volonté de Dieu et du
sentiment de la présence de Jésus,
être tellement un avec Lui que Sa vie
coule dans nos veines, qu'Il
puisse emprunter nos lèvres pour
délivrer Son message, nos visages pour
montrer Ses regards de patience et d'amour, nos
mains pour faire Son service. En temps de
découragement, quel réconfort de nous
rappeler que l'oeuvre du Seigneur n'est pas notre
oeuvre pour le Seigneur, mais l'oeuvre du Seigneur
par nous.
Restaurés spirituellement, il
était temps, pour les ouvriers du sud de la
province, de gagner leurs stations, après
cette semaine de réunions. La saison des
pluies était venue. Tous les
préparatifs furent faits en hâte pour
les conférences indigènes auxquelles
MM. Taylor et Stevenson assistèrent.
C'était nouveau pour eux de trouver, dans
ces hommes du Nord, des êtres d'un
caractère indépendant, et ils ne
tardèrent pas à comprendre
l'importance de ce fait pour l'avenir de
l'Église indigène.
Mais il y avait plus que cela
encore, et spécialement chez M. Hsi. Pendant
cinq ou six semaines, M. Stevenson avait
écouté avec joie ses
prédications et observé son influence
sur les membres de l'Église pour lesquels il
était un pasteur
zélé.
J'étais
profondément saisi, écrivit-il : sa
spiritualité et son zèle, sa
prière et ses jeûnes,
l'intensité de sa conviction - il n'y a au
monde qu'une chose - et ses capacités sont
fort remarquables. Je n'ai jamais constaté
une telle influence. Il est si résolu que
tout semble céder devant lui et si humble en
même temps. Il porte les fardeaux de tous. Il
est toujours prêt à donner avis
à ceux qui en ont besoin et à prier
avec eux.
Sa connaissance de
l'Écriture et l'usage qu'il en fait me
frappèrent aussi. Un de ses sermons sur la
tentation me parut remarquable. Dieu est pour lui
une redoutable réalité, Satan aussi,
dans un autre sens. Ses luttes contre l'esprit du
mal sont si intenses que pendant des jours entiers
il s'adonne au jeûne et à la
prière; en voyage même, je l'ai vu
jeûner un jour entier.
Il était évident que
de tels dons devaient être utilisés
pour l'avantage de l'Église. Deux semaines
de voyage, sous une pluie diluvienne et à
travers des océans de boue, conduisirent
Hudson Taylor, le 30 juillet, à la
Conférence des chrétiens
indigènes de Hungtung. Ce fut avec une
émotion profonde qu'il rencontra ces amis et
vit le travail dont on lui avait parlé. En
pensant à sa foi, à ses
prières, à ses travaux, à ses
souffrances afin que cette terre de Chine pût
recevoir l'Évangile, l'on comprend que
l'accueil d'un si grand nombre de croyants,
à l'occasion de sa première
visite dans cette province
reculée, fût l'une des
expériences les plus émouvantes de sa
vie.
Il ne fut pas facile de
décider M. Hsi à accepter les
fonctions auxquelles le directeur de la Mission
désirait l'appeler. Sans l'influence de M.
Stevenson, il s'y fût sans doute
refusé par humilité, mais, lorsque le
directeur-adjoint lui eût
démontré qu'Hudson Taylor ne faisait
que confirmer une vocation inspirée de Dieu,
il ne put se dérober. Du samedi au lundi
suivant, jour de sa consécration, il
vécut dans le jeûne et dans la
prière, ne prenant absolument aucune
nourriture. Il ne fut pas nommé pasteur d'un
district particulier, mais désigné
pour un ministère itinérant le
conduisant partout où l'oeuvre de Dieu
l'appellerait. M. Song fut consacré comme
pasteur indigène de l'Église de
Pingyang. Deux anciens et seize diacres furent
élus ensuite et soixante-dix croyants
baptisés participèrent au service de
Cène que présida le pasteur
Hsi.
À un jour de voyage, plus au
sud, à Pingyang, une autre conférence
groupa un grand nombre de chrétiens de
Taning, dans cette région montagneuse
où les pluies, exceptionnellement
abondantes, rendaient les voyages presque,
impossibles. Hudson Taylor, avec amour, leur parla
des leçons profondes de sa propre vie et
leur dit comment, à travers les preuves, il
apprit ce que le Seigneur Jésus peut
être pour ceux qui se confient en Lui. La
consécration du lettré Ch'ü, le
fervent évangéliste de la province de
Taning, et l'élection de cinq diacres
terminèrent les réunions.
Une courte visite. à la
demeure du pasteur Hsi, à seize
kilomètres de là, lui donna
l'occasion de voir de plus près cet homme
remarquable et le refuge pour fumeurs d'opium dont
il avait la direction. Tout était
magnifiquement préparé pour sa venue
: dans la cour, couverte d'une tente afin de
pouvoir servir de chapelle, se tinrent les
principales réunions, et la joie de tous les
visages réfléchissait les
caractères d'or qui se lisaient sur fond
écarlate, dans la salle à manger :
« Ta Hsi Nien », « année de
grand bonheur ».
Hudson Taylor fut touché
surtout par le récit de l'ouverture d'un
refuge dans l'une des villes qu'il avait
traversées. Bien qu'il ne vit pas comment
l'oeuvre pouvait être commencée et
qu'il n'eût aucune ressource, le pasteur Hsi
priait chaque jour, avec ardeur, au culte de
famille, pour que l'Évangile fût
apporté à la population païenne
de Hwochow.
- Nous avons longtemps prié
pour cette ville, lui dit finalement sa femme ; le
moment n'est-il pas venu d'y faire quelque chose
?
- Je voudrais bien, répondit
Hsi, mais l'argent fait défaut et les loyers
sont onéreux.
- Combien faudrait-il ?
demanda-t-elle alors. Puis, après avoir
entendu la réponse, elle s'en alla et n'en
parla plus.
Mais elle ne pouvait oublier
Hwochow. Le lendemain, elle parut dans une toilette
très simple et, après le culte de
famille, déposa sur la table quelques petits
paquets.
- Je crois, dit-elle, que Dieu a
exaucé nos prières au sujet de cette
ville.
Frappé de son aspect et de
ses paroles, le pasteur Hsi ouvrit l'un des paquets
et y trouva tous ses bijoux, ornements d'or et
d'argent, bracelets, bagues, et même des
épingles à cheveux, si indispensables
à une dame chinoise et qui constituent sa
dot.
- Tu ne peux vouloir dire,
commença-t-il, tu ne peux te passer
de...
- Oui, je le puis, dit-elle
joyeusement, je puis me passer de tout cela ; que
l'Évangile soit prêché à
Hwochow.
Avec l'argent qu'elle avait ainsi
fourni, le refuge fut ouvert et une bonne oeuvre
entreprise.
- Toutes ces belles choses ne vous
manquent-elles pas? demanda Hudson Taylor en se
tournant vers son hôtesse.
- Me manquer!
répliqua-t-elle, presque surprise. Quoi! je
possède Jésus : ne me suffit-il
pas?
Est-il étonnant qu'il ait
été dur de quitter de tels amis et
les missionnaires qu'Hudson Taylor laissait
derrière lui? Devançant ses
compagnons, sauf M. Beauchamp, afin de pouvoir
arriver plus tôt à Hanchung, il
poursuivit rapidement sa route. Il consacra
vingt-quatre jours à son voyage qui ne
traversa plus aucune station missionnaire car, dans
cette populeuse région, il n'y en avait
pas.
Ce fut un pénible voyage.
Deux bêtes de somme portaient quelques
bagages; Hudson Taylor allait à cheval,
tandis que M. Beauchamp, athlète,
préférait aller à
pied.
Nous avions de grandes
difficultés à trouver notre
nourriture, écrivait M. Beauchamp, lorsque
la chaleur accablante nous obligeait à
voyager de nuit. Nous nous égarions sans
cesse, faute d'un guide. M. Taylor
était, au premier abord,
fort inquiet que j'eusse à le porter
à travers les rivières et que je ne
pusse guère dormir; mais, ayant
triomphé de ses objections, je le portai
souvent. Avec lui sur mon épaule et un
Chinois de chaque côté pour nous tenir
en équilibre, nous pûmes traverser en
sûreté quelques grosses
rivières assez profondes.
Ce voyage de nuit fut
extrêmement pénible, parce que je ne
pouvais me reposer que le jour. J'avais un tel
sommeil que le mouvement même ne pouvait me
tenir éveillé et, souvent, je
m'endormis, tout en marchant.
Les auberges étaient
fermées la nuit; nous nous couchions sur le
bord de la route, pour laisser pâturer nos
bêtes. Notre nourriture consistait en riz et
en millet. Parfois nous pouvions acheter un poulet,
des oeufs ou des fruits. Souvent la pluie nous
trempait jusqu'aux os; nous quittions alors nos
vêtements l'un après l'autre pour les
sécher au feu. Une fois le « dieu de la
cuisine » en fut si offensé que M.
Taylor fut obligé de venir se
réconcilier avec lui. Nous n'avions
naturellement aucune literie, sauf deux coussins et
une couverture chacun. Souvent, la caisse à
médicaments nous servit de coussin
supplémentaire.
Plusieurs fois, il sembla que la
pluie les arrêterait, mais le secours leur
fut toujours donné en réponse
à leurs prières.
Nous arrivâmes un jour
à une rivière sur le bord de laquelle
se trouvaient quelques maisons habitées par
des gens gagnant leur vie à passer les
voyageurs. Ils nous dirent que la rivière ne
pouvait être traversée à
gué et nous demandèrent un tarif
excessif. Je descendis dans l'eau qui montait
rapidement, la pluie tombant à flots. Quand
ils virent notre résolution, ils vinrent
nous aider pour un prix raisonnable. Puis, la
rivière monta plus rapidement encore et, une
demi-heure plus tard, transformée en torrent
furieux, elle était
infranchissable.
De l'autre côté se
trouvait un petit village sans auberge. Poursuivre
notre route était impossible. Nous
dûmes rester là, n'ayant d'autre abri
qu'une étable à porcs. En prenant
quelques précautions, nous en fîmes
sortir l'occupant, nous enlevâmes les portes
de leurs gonds pour nous étendre dessus et
nous nous préparâmes,
enveloppés dans nos couvertures, à
passer une nuit aussi confortable que les
circonstances le permettaient. Nous ne fûmes
pas longtemps maîtres de la situation. Le
porc revint, enfonça la petite clôture
qui remplaçait la porte et s'installa
à côté de nous. Après
réflexion, nous décidâmes qu'il
faisait trop froid pour encourir le risque d'une
honteuse défaite.
La gaîté et l'endurance
d'Hudson Taylor impressionnèrent vivement
son compagnon. Comme il l'entendait chanter, un
jour qu'ils étaient très
affamés, et prononcer ces mots : « Nous
te remercions, Seigneur pour cette nourriture
», M. Beauchamp ne put s'empêcher de lui
demander en quoi elle
consistait.
- Elle ne peut être loin,
répondit-il en souriant. Notre Père
sait que nous avons faim et Il nous enverra
à dîner ; mais il vous faudra attendre
d'avoir rendu grâces, tandis que je pourrai
manger tout de suite!
Un instant plus tard, effectivement,
ils rencontrèrent un homme qui leur offrit
de leur vendre un plat de riz tout
préparé.
Mais leur âme ne souffrit
jamais de la faim. Une boîte d'allumettes,
une bougie, et la Bible en quatre volumes faisaient
toujours partie des bagages d'Hudson Taylor,
même s'il devait se priver d'autres
choses.
Quand je me levais pour nourrir
les bêtes, disait M. Beauchamp, je le
trouvais toujours en train de lire sa Bible
à la lumière de sa bougie, sans souci
du bruit et de la compagnie dans les auberges. Il
priait couché, en voyage, car il consacrait
beaucoup de temps à la prière et
c'eût été trop fatigant de se
mettre à genoux.
Ce fut ainsi que les voyageurs
atteignirent Hanchung. Hudson Taylor visita
l'oeuvre médicale du docteur Wilson, les
écoles et les auxiliaires chinois. Le
zèle des chrétiens et leur
intérêt pour la province voisine du
Szechwan, d'où beaucoup avaient
émigré, le réjouirent
grandement. Leur ardent désir de porter
à leur peuple le message du salut encouragea
son espoir de voir les membres de la Mission
appartenant à l'Église anglicane
prêcher l'Évangile dans la partie
orientale de cette province qui en était
encore presque entièrement privée
(2).
Mais, pour le moment, les
circonstances n'étaient pas favorables
à cela. Un grave soulèvement avait eu
lieu à Chungking, une des deux villes du
Szechwan où des missionnaires protestants
travaillaient; d'autre part, les nouvelles
reçues de la côte rendaient
nécessaire le rapide
retour d'Hudson Taylor à Shanghaï. Un
jour fut consacré, avant son départ,
au jeûne et à la prière pour
demander les directives du Saint-Esprit et un
nouveau baptême d'amour et de puissance sur
ceux qui devaient poursuivre l'oeuvre. La
réponse apparut non seulement dans
l'occupation du Szechwan oriental avant la fin de
l'année, mais dans le réveil du
sentiment des responsabilités qui conduisit
au développement de cette oeuvre en d'autres
directions.
Une de ces dernières
réunions eut lieu dans la cour de la maison
du docteur Wilson :
Le sujet choisi par M. Taylor
était Philippiens 3 : ce que nous
abandonnons pour Christ nous est un gain et ce que
nous cherchons à garder par-devers nous est
une vraie perte. Il nous sembla perdre de vue
l'orateur et ne plus entendre que la voix du
Saint-Esprit. Ce fut une heure d'humiliation et de
confession. je ne peux dire ce que nous
éprouvâmes en écoutant M.
Taylor parler des centaines de villes qu'il avait
traversées et où ne se trouvait aucun
chrétien. Il les décrivit d'une
façon vivante, ainsi que la situation de ces
pauvres gens. Et nous étions là,
confortablement établis, considérant
peut-être que nous avions obéi aux
ordres de notre Maître, mais oubliant que
Hanchung n'était pas le monde et que les
villages voisins pourraient ne jamais entendre
parler de Christ si nous ne nous décidions
à y aller nous-mêmes. La
manière dont il parla de
l'éternité - vie éternelle ou
mort éternelle - dut toucher le coeur le
plus froid. Je me rappelle en particulier l'une de
ses phrases :
« Recherchons moins notre
confort sur la terre et aimons davantage les
âmes. Jésus revient bientôt!
Nous trouvera-t-Il réellement
obéissants à Son dernier commandement
? »
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