HUDSON TAYLOR
TREIZIÈME PARTIE
MINISTÈRE
ÉLARGI
1887-1894
CHAPITRE 74
Avec les ailes de l'aigle
1889
Ce fut avec une entière confiance en
Dieu, mais avec un sentiment profond de la
gravité de la situation, qu'Hudson Taylor se
prépara à quitter la Chine quand il
devint évident que les difficultés ne
pouvaient être résolues par
correspondance. Les plans des nouveaux
bâtiments de Shanghaï, auxquels il avait
voué tous ses soins, étaient
terminés et entre les mains de
l'entrepreneur.
La Maison de la Mission, la salle de
culte, les magasins et les logements pour le
personnel permanent, tout cela devait
s'élever sur le terrain acheté
quelques années auparavant. Les
détails en avaient été si
minutieusement arrêtés qu'Hudson
Taylor savait par coeur les dimensions de chaque
porte et de chaque fenêtre. Il
éprouvait une vive reconnaissance en pensant
que ces vastes constructions ne seraient pas une
charge pour la Mission.
Envisageant les difficultés qui
l'attendaient, il écrivait avant son
départ à un membre du Comité
de Londres :
Priez pour que Dieu nous dirige dans
la réorganisation de la base de la Mission
en Angleterre et qu'Il transforme en
bénédiction pour chacun ce grave
problème. « Toutes choses travaillent
ensemble pour le bien de ceux qui aiment Dieu.
» C'est bien ce que nous faisons, de tout
notre coeur, même si nous manquons en
d'autres choses, n'est-ce pas? Aussi, le
résultat est assuré.
Toutefois, ce ne fut pas dans un
sentiment de suffisance qu'il se mit en route. On
en peut juger par ce qu'il écrivit à
M. Stevenson en approchant d'Aden :
Il est si solennel de sentir que l'on
peut aller... comme Samson le fit, sans avoir le
sentiment que Dieu vous a quitté, au-devant
de la défaite, de la captivité et de
l'aveuglement. Puisse le Seigneur me
tenir, et vous tenir très
près de Lui. Tout notre service serait pire
qu'inutile sans cela. La solennité de notre
situation me fait trembler, mais le Seigneur nous
gardera.
Le voyage par paquebot français,
quoique très fatigant, lui fournit
l'occasion de s'attendre à Dieu. La chaleur
était excessive et deux cents soldats, pris
à bord à Saïgon,
n'ajoutèrent pas au confort et au silence
des troisièmes classes. Mais le voyageur
anglais solitaire vivait moins au milieu des choses
extérieures que dans les
réalités invisibles.
Je suis solitaire au milieu de la
foule qui encombre ce paquebot, écrivait-il
à Mme Taylor. Si notre amour mutuel nous
fait tellement soupirer après le jour du
revoir, combien plus notre Maître
désire-t-Il la réunion avec son
Épouse qu'Il a acquise au prix de Son sang !
Puissions-nous en être plus conscients et
plus décidés à faire tout ce
que nous pouvons pour hâter ce jour... Oh !
Lui ressembler mieux, avoir une plus grande mesure
de Sa patience, plus de communion dans Ses
souffrances... Ma chérie, je Lui ressemble
si peu !
Un très vif sentiment de sa
propre insuffisance poussait Hudson Taylor à
se réjouir, comme il ne l'avait jamais fait
auparavant, que l'apôtre Paul eût
été délivré non pas de,
mais dans ses infirmités. À propos du
passage « Ma grâce te suffit », il
avait écrit, peu avant de quitter la Chine
:
Quand il était le plus
accablé et qu'il sentait le plus vivement sa
faiblesse, l'apôtre était dans la
situation qui lui permettait le mieux de devenir un
moyen de bénédiction pour beaucoup.
Et cet exaucement n'était-il pas une
meilleure réponse à sa prière
que si l'écharde lui eût
été ôtée ? La
guérison l'eût laissé
exposé aux mêmes difficultés,
mais la manière dont Dieu en usa avec lui le
délivra, une fois pour toutes, de son
accablement présent et de ses
épreuves futures. C'est pourquoi il
s'écrie triomphant : « Je me
glorifierai plus volontiers de mes faiblesses, afin
que la puissance de Christ repose sur moi... »
Et qui ne voudrait partager l'écharde dans
la chair de l'apôtre si, par là, il
pouvait parvenir aussi à être
délivré de toute détresse et
à avoir désormais que l'heure de la
faiblesse est aussi l'heure de la véritable
force ?
Il en était ainsi dans cette
sérieuse crise. Preuve en est la joie avec
laquelle Hudson Taylor écrivait à M.
Stevenson que ses prières étaient
exaucées. Le jour même de son
arrivée, le 21 mai, il constata que Dieu
était intervenu pour lui permettre de pour
suivre d'heureuses relations
(1) et les
réunions annuelles, une ou deux semaines
plus tard, furent une époque de remarquable
bénédiction.
Il est impossible de ne pas voir dans
ces affaires la bonne main de Dieu. je ne crois pas
que nos rapports aient été aussi
cordiaux, depuis des années. En tout cela,
il y a sujet de louange et de
gratitude.
Ainsi les nuages noirs
commençaient à se dissiper, laissant
derrière eux une vue plus claire des
desseins de Dieu et des coeurs plus disposés
à les accepter. Immédiatement
l'oeuvre, en Angleterre, se développa
à plusieurs égards.
Un acte fut dressé pour
sauvegarder les propriétés de la
Mission. Le Comité fut renforcé par
la nomination de M. Scott comme trésorier et
de quelques nouveaux membres ; un comité
auxiliaire fut organisé à Glasgow et
un comité de dames à Londres, dont
Mlle Soltau fut nommée secrétaire,
avec la charge entière de la
préparation et de l'entretien des dames
missionnaires.
Au milieu de tous ces travaux, il
n'était pas facile pour Hudson Taylor de
traverser l'Atlantique et d'assister aux
conférences de Northfield et de Niagara.
Cependant une visite en Amérique semblait
nécessaire pour fortifier les rapports entre
le plus ancien et le plus récent
Comité de l'oeuvre. Muni d'une lettre
cordiale de bienvenue adressée par le
Comité de Londres à celui de Toronto,
il se mit en route au mois de juillet. Une de ses
lettres à Mme Taylor nous dit quelque chose
des vives espérances qui se formaient en
lui, et de la manière dont il
s'efforçait de mieux connaître la
puissance merveilleuse de Dieu.
Je désire que notre vie soit
une ascension et que nous ne nous contentions pas
de ce que nous avons appris, senti ou atteint, mais
continuions d'avancer et de monter... Dieu a
été fidèle envers nous, aussi
longtemps que nous avons compté sur Ses
promesses et que nous nous sommes fiés
à Sa fidélité. Mais combien
peu nous l'avons fait !
Que penserait un grand souverain
de la prière d'ajouter cent soldats, dans
une année, à son armée
d'invasion dans un pays comme la Chine? Nous devons
nous élever à un degré plus
haut de pensée et de
prière si nous voulons marcher d'une
manière digne de Dieu et répondre
d'une manière appréciable aux besoins
pressants du monde. Demandons avec foi des
travailleurs capables d'accomplir utilement leur
service, dans leur domaine, en Angleterre, en
Amérique, ou en Chine et prions-Le de les
revêtir de puissance afin que les plus
faibles deviennent forts et les forts comme des
anges de Dieu. Est-ce trop attendre de Lui et trop
demander pour Sa gloire ? Dieu nous préserve
de limiter le Saint d'Israël ! Qu'Il ouvre nos
yeux afin que nous puissions Le contempler, Lui, et
qu'Il nous aide à avancer en nous fortifiant
par Sa promesse : « Ne t'ai-je pas
envoyé? »
Nous poursuivons l'oeuvre,
sentant notre faiblesse et tous nos besoins;
sentant la faiblesse et la pauvreté de
l'Église et la superficialité de sa
consécration; sentant la force du front uni
que forment la chair et le diable. Nous avons
besoin de penser davantage à Dieu, de
regarder à Lui, de puiser dans Sa puissance,
Ses ressources, dans Ses promesses. Demeurant en
Lui, nous comprendrons mieux Son caractère
et Ses plans, et serons mieux à même
de faire Sa volonté...
Dans la petite ville d'Attica, deux
autres coeurs, tendrement unis également,
apprenaient de semblables leçons. La
situation de M. et Mme Frost s'était bien
modifiée depuis la première visite
d'Hudson Taylor, mais leur demeure semblait plus
attrayante encore. Présent de noces de son
père, elle avait été embellie
par des plafonds de bois sculptés pour
remplacer le plâtre qui était
tombé çà et là. Vivant
dans l'abondance, au milieu d'un nombreux cercle
d'amis et n'ayant que des sujets de joie dans leurs
enfants, il semblait que rien ne manquât
à leur bonheur terrestre. Mais une main
invisible secouait ce nid. Leurs revenus,
jusque-là largement suffisants, venaient
d'être supprimés par l'échec
d'un commerce prospère. Suivant le
désir formel de son père, M. Frost
s'était retiré des affaires, quelques
années auparavant, pour se consacrer
entièrement à une oeuvre
d'évangélisation. Le père
pouvait alors subvenir aux besoins de la famille et
il se réjouissait de participer ainsi aux
travaux de son fils pour le Seigneur. Maintenant,
à son grand regret, ce n'était plus
possible. Or, revenir aux affaires, c'était
pour M. Henry Frost réduire grandement son
travail d'évangéliste et se
contraindre à abandonner toute participation
active à l'oeuvre de la Mission en
Chine.
Il n'arrivait pas à admettre
que telle fût la volonté de Dieu et il
en vint à se poser la question : « En
quel Père as-tu confiance ? »
Sauf leur propre famille, tout le
monde ignorait leur situation, et ils y virent une
occasion de mettre à l'épreuve non
seulement leur foi, mais les promesses de Dieu.
Quelques mois auparavant, ils avaient pris la
résolution de ne jamais faire de dettes. Or,
malgré les apparences, ils
dépendaient de leur Père
Céleste même pour le pain quotidien.
Nous ne pouvons entrer dans le détail des
expériences par lesquelles ils apprirent
à connaître Sa fidélité.
Il nous suffira de dire que leur joie en Dieu
devint toujours plus profonde et leur désir
plus grand d'être entièrement à
Son service.
L'accueil que reçurent M.
Frost et Hudson Taylor à la
Conférence de Niagara fut un grand
encouragement pour eux. L'intérêt pour
la Chine et la Mission semblait grandir. Les dons
pour l'entretien des missionnaires
dépassaient les sommes reçues en
1888. De nouvelles et heureuses relations furent
nouées, tandis que les anciennes
étaient renforcées.
Le but principal d'Hudson Taylor
étant d'établir l'oeuvre sur une base
solide, il eut de fréquents entretiens avec
les membres du Comité. L'effectif du
Comité fut augmenté, et comme M.
Sandham désirait se démettre des
fonctions qu'il avait remplies jusqu'alors, M.
Frost fut invité à assumer la charge
de trésorier et de secrétaire, en
résidence à Toronto.
Voilà donc à quoi il
avait été conduit! Ses
récentes expériences l'avaient
préparé pour une vie de foi en ce qui
concerne les ressources matérielles, mais il
savait qu'il serait dur à Mme Frost de
quitter leur charmante demeure, à cause des
enfants. Comme ils demandaient ensemble à
Dieu Ses directives, Mme Frost reçut la
lumière, qu'elle cherchait ardemment, par la
lecture du prophète Aggée.
Elle vint s'asseoir près
de moi, raconta son mari, et sans dire un mot
m'indiqua du doigt le verset : « Est-ce le
temps pour vous d'habiter vos demeures
lambrissées, quand cette maison est
détruite ? » Toute explication
était inutile, et la leçon
évidente. Un regard sur son visage me montra
que le Seigneur avait remporté la victoire
pour elle et un regard au plafond trancha tout
à fait la question pour moi. Dès
cette heure, nous décidâmes de quitter
notre demeure, pour avoir notre part dans la
construction de cette maison spirituelle, le temple
du corps de Christ.
Hudson Taylor eût bien voulu
leur épargner tout embarras financier, mais
il ne pouvait guère leur donner plus que
leurs frais de
déménagement. Les dons
s'élevaient à des milliers de
dollars, mais presque tous avec des affectations
spéciales. Il leur remit cinquante livres
sterling qu'il avait reçues pour son usage
personnel. « À part cela, leur dit-il,
je ne puis rien vous promettre. Vous aurez à
vous attendre au Seigneur, comme nous le faisons en
Angleterre et en Chine. »
Je confesse, raconta plus tard M.
Frost, que les paroles de M. Taylor me parurent
d'abord bien peu encourageantes.
Déménager avec ma famille,
m'établir dans une ville
étrangère, y inviter un grand nombre
de candidats, pourvoir à leurs besoins et
aux nôtres et poursuivre l'oeuvre de la
Mission avec environ deux cent cinquante dollars
n'était point une perspective engageante du
point de vue terrestre. Mais des expériences
récentes me firent comprendre qu'il y avait
un facteur à ne pas oublier, dont la seule
présence changeait tout : l'Éternel
lui-même. Deux cent cinquante dollars
étaient peu pour une telle entreprise, mais
avec le Seigneur, c'était tout ce qu'il nous
fallait. Ainsi, en ce qui concernait les
ressources, je fus bientôt prêt
à accepter les offres de M.
Taylor.
S'il avait pu prévoir les
merveilleux exaucements de prières qui
devaient procurer à la branche
américaine de la Mission plus d'un
demi-million de dollars pendant les dix-sept
années suivantes et en mettre quarante mille
à sa disposition personnelle, il se serait
avancé avec moins de crainte et de
tremblement. Mais alors, y aurait-il eu la
même foi, le même esprit de
prière, l'étroite, dépendance
à l'égard de Dieu qui firent de M.
Frost une force pour la Mission?
Tout cela était encore
à venir, et il voyait avec chagrin
s'écouler les jours et les semaines de la
trop courte visite d'Hudson Taylor. En cinq
semaines, celui-ci participa à plus de
quarante réunions, dans dix-huit
localités. Quatre jours à Northfield
complétèrent le programme.
L'intérêt de M. Moody fut si vivement
,éveillé qu'il offrit le vaste
hôtel de Northfield, pendant l'hiver, comme
maison d'études pour les candidats
missionnaires... Il s'engagea à donner un
cours biblique d'un mois, tandis que le Dr A. T.
Pierson en donnerait un autre.
Réjoui et encouragé,
Hudson Taylor quitta l'Amérique en
août, pour remplir un nouveau et vaste
programme qui comportait une visite en Suède
avant la fin de l'année. Ses occupations
étaient si pressantes qu'il avait de la
peine à trouver le temps
nécessaire pour se
souvenir devant Dieu, chaque jour, de tous ses
compagnons d'oeuvre. Il savait bien que se
relâcher dans la prière,
c'était ouvrir la porte à l'ennemi
et, tandis qu'il voyageait de lieu en lieu, il
était contraint de saisir les moindres
occasions d'accomplir cette tâche invisible,
mais combien importante.
- De quoi comptez-vous parler ce
soir? lui demanda, après une ou deux heures
de voyage, l'un de ses compagnons qui devait
prendre part à la même
réunion.
- Je ne puis guère le dire ;
je n'ai pas encore eu le temps d'y
penser.
- Pas le temps, s'écria
l'autre, mais qu'avez-vous fait sinon vous reposer,
depuis que nous sommes entrés dans ce wagon
?
- Je ne sais pas ce que vous appelez
se reposer, répondit-il tranquillement, mais
je sais que depuis que nous avons quitté
Édimbourg, j'ai prié pour chacun des
membres de la Mission à l'Intérieur
de la Chine, individuellement.
Ce genre de préoccupations ne
lui faisait pas oublier les intérêts
de ceux qui lui offraient l'hospitalité.
Maintes lettres en témoignent :
Je ne puis oublier votre
bonté paternelle, lui écrivait Mme
Colville chez qui il avait été
reçu. Souvent, le souvenir de votre visite
me fait du bien; il y avait un tel parfum de Christ
dans toutes vos paroles et dans vos actes que la
maison en est encore remplie. Je sais que vous
êtes heureux, car vous marchez dans la
lumière du Seigneur.
Cette puissance d'attraction, cette
influence inconsciente, se faisant sentir en
Écosse comme en Amérique,
était pour beaucoup dans
l'intérêt considérable qui
s'était éveillé en
Suède pour la Mission. Rencontrant un jour
un jeune Suédois à Londres, Hudson
Taylor, par bonté, s'était
occupé de lui. Ils se virent de nouveau
à Exeter Hall, en 1883, lors du
départ des Soixante-dix, et Hudson Taylor
aurait pu, alors, se borner simplement à le
saluer.
Mais, écrivit plus tard
l'étranger, nous eûmes une
conversation après la réunion, et M.
Taylor me parla d'une manière si aimable que
mon coeur s'attacha à lui. Il était
rempli d'amour...
De nouveaux contacts à la rue
de Pyrland rendirent plus
profond son
intérêt, et quand M. Holmgren retourna
en Suède, il était devenu un ami
dévoué de la Mission à
l'Intérieur de la Chine. Premièrement
en qualité d'éditeur d'un
périodique religieux, puis comme pasteur
d'une des principales églises de Stockholm,
il fit tout ce qu'il était en son pouvoir
pour éveiller chez les chrétiens
suédois le sentiment de leur
responsabilité à l'égard des
millions de Chinois parmi lesquels ils n'avaient
encore aucun missionnaire. Un gradué
d'Upsal, Erie Folke, appelé par Dieu
à travailler dans ce vaste champ et qui ne
trouvait aucune société
suédoise de mission pour l'y envoyer, se
rendit seul à Shanghaï et passa six
mois à l'école d'Anking, pour
apprendre la langue. De là, il
écrivit à M. Holmgreen son
désir de se joindre à la Mission
à l'Intérieur de la Chine et un
comité se constitua à Stockholm pour
faciliter le départ d'autres
missionnaires.
Hudson Taylor fut sollicité
de visiter la Suède où son nom
était bien connu et où le
Comité avait besoin de ses conseils Pour une
oeuvre qui devait être étroitement
unie à celle de la Mission.
La chose se présentait d'une
façon si naturelle qu'il ne pouvait
guère concevoir combien son ministère
personnel et les ramifications de la Mission
allaient s'étendre, et cela conjointement
avec d'autres mouvements, résultat
d'instantes prières, en Amérique et
en Australie. Ce développement avait
débuté à la Conférence
de Niagara, l'année
précédente, et, cet
été-ci l'on pouvait observer cette
envolée plus large, cet essor comparable au
vol de l'aigle, qui devait avoir des
conséquences si lointaines. Hudson Taylor
lui-même grandissait avec l'oeuvre. Les
difficultés récentes avaient encore
fortifié sa foi en Dieu, et il était
plein du désir de mieux comprendre Son
caractère et Ses plans et d'accomplir Sa
volonté.
Conscient que Dieu l'appelait, il
accepta l'invitation des chrétiens
suédois dont l'accueil empressé
dépassa tout ce qu'il avait jamais
vu.
Je parle rarement,
écrivait-il, à moins de deux à
cinq mille personnes par jour; même dans les
petites villes nous trouvons de grands auditoires.
Hier soir, des centaines de personnes ne purent
entrer et quelques-unes avaient fait plus de
quarante kilomètres pour assister à
la réunion. Puissent de grandes et durables
bénédictions en résulter.
L'empressement des gens les plus
modestes à offrir leurs dons émut
vivement le visiteur :
Un cher vieux marin qui ne
semblait pas avoir beaucoup à donner mit
dans le plateau de la collecte sa boîte de
tabac à priser ! Elle avait
été sa compagne pendant trente ou
quarante ans. En écaille, avec un lourd
fermoir d'argent, elle fut vendue vingt
couronnes.
Ailleurs, une dame s'approcha et
mit dans ma main une magnifique montre, tandis
qu'elle me parlait en anglais; mais son
émotion l'empêcha d'achever sa phrase
et elle ne put que me dire, en suédois :
« C'est pour le Seigneur Jésus, le
Seigneur Jésus, le bien-aimé Seigneur
Jésus. »
OU CHRIST N'A PAS ENCORE
ÉTÉ ANNONCÉ
La Mission à l'Intérieur de la Chine
a été fondée à la vue
des besoins urgents de ce vaste pays, avec le
désir profond, créé par
l'amour de Christ et l'espérance de Son
retour, d'obéir à son ordre de
prêcher l'Évangile à toute
créature.
Dans les riches demeures, comme dans les
universités, le même
intérêt se manifestait.
À Upsal, j'eus plus de
deux mille auditeurs, soir et matin. Beaucoup ont
promis de ne pas nous oublier. Je dois avoir
parlé à soixante mille personnes
depuis mon arrivée et je suis certain que
beaucoup ont dit dans leur coeur : « Me voici,
envoie-moi... » La bonté,
l'hospitalité des Suédois
dépasse ce que j'ai vu
jusqu'ici.
Avec autant de simplicité
qu'il en mettait à voyager en
troisième classe, malgré bien des
remontrances amicales, il se rendit à une
réception à laquelle la reine
l'invitait.
Une des darnes d'honneur vint me
prendre à l'hôtel dans un carrosse
royal pour me conduire au Palais. Peu après
notre arrivée la reine entra; elle se
dirigea vers moi et, très simplement, me
tendit la main. Après quelques moments
d'entretien sur la Chine, elle me demanda de lui
faire une lecture biblique je lus au premier livre
des Rois, 10 : 1-13. Puis je montrai à Sa
Majesté notre carte de la Chine, ce qui
donna l'occasion de parler encore de la Mission.
Enfin, elle me fit apporter du café et des
sandwiches, me serra très cordialement la
main et se retira.
En Suède comme ailleurs,
c'était l'âme d'Hudson Taylor qui
donnait du poids à sa parole.
Partout, écrivait M.
Holmgren, les gens étaient attirés
vers lui. Il témoignait beaucoup d'affection
et il était payé en retour.
C'était une joie de voir les enfants faire
cercle autour de lui, dans les familles que nous
visitions, bien qu'ils ne comprissent pas ses
paroles.
M. Taylor retira beaucoup de joie
de son voyage en Suède. Il y gagna beaucoup
d'amis et, aujourd'hui encore, quand son nom est
mentionné devant ceux qui
l'entendirent, leur visage s'illumine. Il
était simple et sans prétentions. En
quittant Linköping, il se sentait très
fatigué. La veille, il avait
présidé plusieurs réunions; il
venait d'en présider une à onze
heures et devait en tenir une autre à six
heures du soir, à près de cent
kilomètres de là. En chemin, son fils
lui dit :
- Tu es très
fatigué, laisse-moi prendre un billet de
seconde classe.
M. Taylor répondit avec
douceur : - Non, c'est l'argent du Seigneur : il
vaut mieux que nous en soyons
économes.
Cette réponse, à
laquelle j'ai souvent pensé, me fit une
grande impression.
Enfin, j'aimerais à
relever un incident qui m'a beaucoup frappé
et illustre sa confiance en Dieu. Le Comité
avait l'intention de couvrir les frais de voyage de
M. Taylor et de son fils en faisant des collectes
aux réunions. Quand nous nous
rencontrâmes à Göteborg, je le
lui dis. Il me regarda en souriant :
- Savez-vous que j'ai un
Père fort riche ? Je Lui parlerai de cela,
mais je ne crois pas que ce soit Sa volonté.
Il pourvoira à mes besoins et j'estime que
le produit de ces collectes doit être
affecté à la Mission
suédoise.
Cette réponse me toucha
beaucoup et, si je l'avais pu, j'aurais volontiers
payé moi-même tous ses frais de voyage
en Suède. Quant à la confiance qu'il
témoignait ainsi, je pensais : « C'est
très bien en Angleterre, mais en
Suède il n'en va pas de même. »
Dans sa première lettre datée de
Londres, après son retour, il
m'écrivit : « Quelques jours
après mon arrivée, j'ai reçu
de Suède une lettre anonyme avec un
chèque de cinquante livres sterling : «
Pour vos frais de voyage en Suède ». Si
vous en connaissez l'auteur, veuillez lui dire mon
plus chaud merci. »
Je n'en connaissais pas l'auteur,
mais je me sentis grandement humilié de mon
manque de foi.
Le fardeau qui pesait sur le coeur
d'Hudson Taylor pendant son voyage en Suède
venait d'une intelligence plus complète de
l'ordre du Maître : « Allez par tout le
monde et prêchez l'Évangile à
toute créature. » Pendant plus de
quarante ans, cet ordre, suivi sans réserve,
avait dominé sa vie. Que n'avait-il pas fait
et souffert ? N'avait-il pas aidé d'autres
dans leurs efforts pour l'exécuter? Certes,
si un homme pouvait avoir le sentiment d'être
libre de toute responsabilité à cet
égard, c'était Hudson
Taylor.
Et cependant, le dimanche 6 octobre,
au bord de la mer, une nouvelle conception du sens
de ces paroles bien connues avait illuminé
son esprit. C'était l'anniversaire de Mme
Taylor. Se rappelait-il cet
autre mémorable dimanche, où, sur la
plage, à Brighton, il s'était
livré lui-même à Dieu pour
l'évangélisation de
l'intérieur de la Chine?
Ce qu'il comprenait maintenant,
à la lumière du Saint-Esprit,
c'était la portée si étendue
de ces quelques simples paroles, les
dernières qui fussent tombées des
lèvres du Seigneur au moment de Son
ascension. Il lui semblait les entendre pour la
première fois.
Je confesse avec honte,
écrivait-il quelques mois plus tard, que,
jusqu'à ce moment-là, je ne
m'étais jamais demandé ce qu'Il
voulait réellement dire lorsqu'Il donnait
Son ordre : « Prêchez l'Évangile
à toute créature. » J'avais
travaillé pendant bien des années,
comme beaucoup d'autres, pour répandre
l'Évangile; j'avais formé des plans
pour atteindre les provinces non encore
visitées de la Chine, mais sans saisir la
signification profonde des paroles de notre Sauveur
:
À toute créature!
« À toute créature ! »
Et le nombre total des chrétiens protestants
dans ce vaste pays était de quarante mille
seulement. Doublez-le, triplez-le, supposez que
chacun soit un messager de l'Évangile pour
huit de ses compatriotes, même ainsi un
million seulement seront atteints. Ces mots «
à toute créature »
étaient brûlants dans son âme.
Combien l'Église et lui-même avaient
été loin de les prendre à la
lettre! Il s'en rendait compte et il ne lui restait
qu'à leur obéir plus
parfaitement.
Quelle attitude allons-nous
adopter à l'égard du Seigneur
Jésus-Christ en rapport avec cet ordre
suprême ? Renierons-nous Son titre de
Seigneur ? Dirons-nous que nous sommes
disposés à Le reconnaître comme
notre Sauveur, pour ce qui concerne l'expiation de
notre péché, sans être pour
cela prêts à considérer qu'Il
nous a « achetés à grand prix
» et qu'Il a tous les droits sur nous ?
Prétendrons-nous que nous sommes nos propres
maîtres et que nous sommes d'accord de Lui
céder ce qui Lui est dû, à Lui
qui nous a acquis par Son sang, à la
condition qu'Il ne nous demande pas trop? Nos vies,
nos bien-aimés, nos biens sont à nous
et non à Lui. Nous Lui donnerons ce que nous
estimons raisonnable, et nous obéirons aux
commandements qui ne nous imposent pas de
sacrifices trop douloureux ? Nous voulons bien que
Jésus-Christ nous prenne auprès de
Lui dans le ciel. Mais nous ne voulons pas qu'Il
règne sur nous ?
Le coeur de chaque croyant
rejetterait certainement une proposition
formulée ainsi. Et pourtant d'innombrables
vies chrétiennes ont été
vécues de cette
manière-là. Combien peu, dans le
peuple de Dieu, ont reconnu que si Christ n'est pas
le Seigneur de tout, il n'est pas le Seigneur du
tout ! Si nous jugeons la Parole de Dieu au lieu
que ce soit elle qui nous juge, si nous donnons
à Dieu autant ou aussi peu que ce qui nous
plaît, alors nous sommes les seigneurs, nous,
et Il est notre débiteur, Lui, qui doit
être reconnaissant de notre charité et
se sentir obligé parce que nous avons bien
voulu nous conformer à Ses désirs.
Si, d'autre part, Il est le Seigneur, traitons-Le
comme tel. « Pourquoi m'appelez-vous Seigneur,
Seigneur, et ne faites-vous pas les choses que je
vous commande ? »
Ainsi, d'une façon
inattendue, Hudson Taylor en vint à la
vision suprême de sa vie, au plan qui devait
dominer les dix dernières années de
son service actif. Âgé de
cinquante-sept ans, riche d'expériences, il
accepta cette nouvelle responsabilité avec
la même foi et la même confiance qui
l'avaient animé autrefois. Son âme
était encore toute fraîche devant
l'idéal de jadis, fidèle à la
vision des premiers jours et du premier appel. Oh!
la puissance rayonnante de l'Amour éternel!
Tout est là, condensé; tout l'esprit
d'entreprise de la jeunesse, sans lassitude, sans
compromis, en dépit des
sévères réalités
apprises au cours des vingt-quatre années
passées à la tête de la Mission
à l'Intérieur de la Chine. Pas
d'autre nom que Christ, pas d'autres ressources!
Christ, et Christ crucifié, seul
remède pour le péché et la
détresse du monde. Et, derrière Ses
commandements et Ses promesses, Dieu, toujours le
même, pleinement suffisant, avec Son amour
divin comme puissance agissante.
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