Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



La Grande Soif


CHAPITRE QUATORZIÈME

 

Il n'est pas dans mon propos de conter ma vie nouvelle où les bonheurs, les soucis et les détresses ne manquèrent pas. Parvenu au soir de l'existence, je veux simplement tirer de ma mémoire ce qui pourra, je l'espère, aider quelques-uns de mes compagnons de route à tenir bon dans l'adversité et même sous les plus rudes coups du sort. Si je mentionne les chutes qui m'humilièrent encore, c'est tout d'abord par simple souci de la vérité, mais surtout pour qu'on sache bien qu'un vice longtemps accepté, choyé, ne se laisse pas jeter dehors sans retours offensifs tentés aux heures où l'on est le moins prêt à les repousser.
Après Chexbres, nous gagnons, ma jeune femme et moi, les Cévennes où mon père adoptif nous accueille comme ses enfants. Sa joie est égale à la nôtre. Jours de lumineux bonheur.
Puis Montpellier et Pau où, moi comme infirmier particulier d'un malade américain, ma femme comme cuisinière, puis concierge d'un club, nous gagnons largement notre vie, n'oubliant pas que si l'argent est nécessaire, il n'est qu'une malédiction, si l'amour n'est pas autour.

1914. Bruits de guerre. Mon malade regagne l'Amérique. Les étrangers disparaissent et le club ferme. Comme il faut vivre, tout de même, j'attelle une voiturette à deux roues à ma bicyclette, achète une fois encore de la pacotille et de Pau à Orthez, quarante kilomètres, circule de village en village. Pour rentrer chez moi je suis comme poussé. L'amour m'appelle.

Un jour d'août, les cloches de la guerre. Colonel en tête, fusils fleuris, le régiment de Pau défile. On crie: À Berlin ! À Berlin ! »
Réformé n° 2 pour faiblesse de vue, je ne suis mobilisé qu'un peu plus tard. Notre premier enfant, Henriette, dort paisiblement dans son berceau, quand je me penche pour l'embrasser. Au tour de sa maman. Adieu ! On se raidit. On part très vite, crainte de faiblir.
Infirmier-major au Parc Chambrun, à Nice, section des contagieux, je me trouve trop loin de la bagarre sous ce ciel presque toujours bleu et demande mon affectation à l'armée de débarquement des Dardanelles. Après bien des incidents, maladie, tympan perforé, attentes interminables dans des ports intermédiaires, le sinistre Sedul-Bahr, à la pointe de Gallipoli, me voit débarquer. Je ne tiens pas la plume pour raconter des faits de guerre. Le plus notable, pour moi, est une défaite; une déroute même, qui ne concerne pas l'armée - qui m'est personnelle. À Sedul-Bahr, constamment bombardé, véritable charnier, où l'on meurt déchiqueté par les obus ou mangé par la dysenterie, la vie est simplement atroce. Évacué sur l'hôpital de Moudros, je n'y vois que des cercueils, encore des cercueils. Plus rien n'a de sens. On se traîne en pleine folie. Loin de mes protecteurs, de ma femme, de ma petite Henriette, dégoûté, écoeuré de tout, abandonné des hommes et de Dieu - je le crois du moins - je recommence à boire. Ah ! boire, boire, ne plus rien voir, ne plus rien entendre, ne plus rien sentir ! Autour de ceux qui survivent sans savoir ni pourquoi, ni comment, les croix de bois s'étendent à perte de vue. Boire !
C'est une loque qu'on descend un jour sur le quai de Toulon. Dévoré par les fièvres - je ne m'en débarrasserai jamais - j'échoue dans un hôpital de Marseille. On me réforme.

Ma femme et mon Henriette, je les retrouve dans le Gard, chez mon père adoptif. Quel revoir ! On s'embrasse. On ne peut pas parler. La petite, étonnée, contemple cet homme qu'elle ne connaît pas, puis gazouille et se remet à jouer avec son hochet.

Se remettre à vivre ? Le diable n'est pas d'accord, semble-t-il. Au cours de notre absence, la maison que nous habitions à Pau a brûlé et tous nos meubles, non assurés, ne sont plus que cendres. Tant pis ! On va recommencer. Le diable ricane. Alors que je suis à bicyclette, à Pau, je suis coincé entre une automobile et un tramway. Jambe cassée. Des mois d'hôpital, avec retour des fièvres. Après quoi, des années difficiles, douloureuses même à plusieurs points de vue. Une deuxième, puis une troisième fillette étant nées, gagner la vie de la famille devient une quotidienne angoisse quand la santé du père est chancelante. Le médecin m'ayant ordonné des fortifiants, je m'empare de ce prétexte pour revenir à la bouteille. Décidément, le démon me tient bien. Je le sais. C'est pour moi un tourment continuel. Mais la puissance du mal m'emporte à la dérive. Je n'ose plus lire la Bible, je n'ose plus prier. Mon humeur devient de plus en plus instable. Celle dont j'ai juré de faire le bonheur a beau m'entourer de son affection, de ses conseils énergiques ou simplement de son amour silencieux, je suis apathique, passif, et dégringole la pente que j'ai eu tant de peine à gravir. Mes protecteurs interviennent vainement. Est-ce la banqueroute finale ? Boire! boire !
Et quand je ne bois pas, j'y pense constamment. Une hantise.

Jusqu'au jour où, tête basse, je regarde mes deux aînées en train de jouer. Du creux de son berceau la troisième, une blondinette, me tend soudain les bras. Je m'approche, je la prends sur ma poitrine. Confiante, elle sourit et m'embrasse. À cette seconde, une pensée fond sur moi avec une force terrible, me transperce le coeur. Misérable ! Vas-tu être le bourreau de celle qui a accepté de partager ta vie, le bourreau de tes enfants ? Alors que tu étais un malheureux, tombé dans l'abîme, le bonheur est venu te trouver et tu le piétines. Mon Dieu, aie pitié de moi ! L'enfant sourit toujours et joue avec ma moustache. Bouleversé, honteux, secoué jusque dans les tréfonds de mon âme, je dépose la fillette dans son berceau. Je voudrais me mettre à genoux devant elle. Son sourire innocent, sa confiance naïve m'arrachent aux griffes de mon démon.

Cette minute me donne la victoire. Des heures terribles, encore, dans les temps qui suivent. De nouveau la maladie me terrasse. Je ne peux presque plus marcher. Les larmes me brûlent les yeux... Ma femme, alors, trouve des besognes hors de la maison, travaille jusqu'à l'épuisement de ses forces et gagne le pain de tous. Ce qu'elle est pour les siens, il m'est impossible de le dire. Jamais le courage ne l'abandonne. Jamais son amour ne se lasse. Même aux heures les plus sombres, elle est l'ange du foyer. Et si, peu à peu, je retrouve des forces, forces du corps et, ce qui est mieux encore, forces du coeur, c'est à elle que je le dois.

Des vingt ans qui suivent, je ne veux rien dire. Le bonheur ne se raconte pas. Le bonheur, parce que le démon gît à terre, toutes griffes arrachées. Parce que j'ai, enfin, une occupation stable ; parce qu'enfin surtout une grande paix me possède, celle que le monde ne donne pas.

Pendant que j'écris ces lignes, Jeanne est en face de moi. Elle me regarde et sourit. Et nos huit enfants sont autour de nous, tous robustes, tous bien partis pour le voyage de la vie. Même notre fils, le marin, quartier-maître depuis peu, est auprès de nous ce qui ne lui arrive pas souvent. Depuis quatre ans, il bourlingue à travers les mers. Comme ses frères et soeurs, il sait ce qu'il veut et n'a jamais absorbé une goutte d'alcool. Ils sont là, les huit en couronne, autour de leurs parents.
Mes hontes passées, mes faiblesses accumulées, je ne les aurais jamais tirées au grand jour et divulguées, si je n'avais l'espoir qu'elles pourront aider d'autres hommes tombés aussi bas que moi à se relever.
Car on peut toujours se relever. Ce n'est pas en vain que sans se lasser, mes protecteurs ont prié pour le « pauvre Paul » !

 

POST-SCRIPTUM

 

« Et maintenant je rentre dans le silence, dans l'humble tâche quotidienne». Cette humble tâche d'éclusier sur un canal de France. Routal l'a accomplie avec une ponctuelle fidélité. Il avait 69 ans quand la mort est venue le prendre. Mort sereine, près de Jeanne, sa femme, qui, jusqu'au bout, tint dans les siennes les mains de celui qui allait partir. Lucide, confiant, Routal parla à ses enfants, insistant sur les liens et la concorde, qui devaient les unir, rendant témoignage d'une foi sans ombre... Huit jours plus tard, Jeanne franchit à son tour le voile qui nous sépare du pays lumineux où il n'y a plus ni deuils, ni larmes, ni luttes contre le démon. Comme on dit parfois en Provence, les époux ne sont pas morts : ils ont été «récoltés » par le Maître de la vie et de l'amour.

 

Postface

 

Cher lecteur,

Le récit que tu viens de lire est authentique. L'homme dont les chutes et le relèvement t'ont été décrits a réellement existé. On lui a donné ici le pseudonyme de Paul Routal.
C'est lui qui a relaté par écrit le dramatique récit de sa vie. Ce manuscrit fut remis durant l'été 1938, par le pasteur Henry Babut à son beau-frère, le professeur Pierre Bovet, de l'Université de Genève. Il fut constaté que le manuscrit était trop touffu pour être publié tel quel.
De là l'idée de confier le texte de l'auteur à un écrivain qui, s'associant de coeur à la détresse, au combat, à la victoire de cet homme, ferait subir au manuscrit la toilette indispensable pour l'imposer à l'attention du public.

Le nom de Benjamin Vallotton s'imposait.
Benjamin Vallotton répondit à la demande du professeur Bovet avec un généreux empressement. Mettant de côté ses propres travaux, il reprit, page après page, le récit original et fit ce tour de force de le récrire en lui laissant tout son cachet personnel, et, sans y rien mettre de soi, de lui donner la puissance dont le privait son manque de concision.
Les éditeurs ont insisté pour que ce récit fût signé par Benjamin Vallotton, afin de lui assurer le crédit que le nom d'emprunt, imposé au héros, ne pouvait lui donner. Benjamin Vallotton y a consenti : il s'est ainsi porté garant de tous les détails de cette lamentable et triomphante histoire. « Rien qui soit de l'imagination, de l'affabulation d'auteur. Mon rôle fut celui d'un metteur en oeuvre et en scène », nous écrit-il.

Les amis de Routal sont profondément reconnaissants à Benjamin Vallotton de ce qu'il a fait avec autant d'art que d'amour.
Tu viens d'achever la lecture du témoignage de notre ami Routal. Sais-tu que quelques centaines d'hommes et de femmes pourraient tenir un même langage : évoquer un passé d'angoisse et de honte, puis une libération merveilleuse ?
Ce sont là des faits : une vie qui se résume en deux mots,

 

AVANT, DEPUIS...
Toutes les chaînes peuvent tomber ! Tel est le message de la Croix-Bleue, association chrétienne évangélique, travaillant au relèvement des buveurs et à la lutte contre l'alcoolisme.
Certes, ses militants souhaitent de nouvelles lois contre ce fléau qu'est l'alcoolisme, des « réformes de structure », un enseignement nettement antialcoolique dans nos écoles, une abondante production de jus de raisin et de pommes.
Mais son objectif premier est d'oeuvrer, dès aujourd'hui, sans perdre une heure, ni attendre d'autres interventions, dans le concret de la vie quotidienne, de rendre des parents à leurs enfants, des citoyens à la nation, des âmes au Royaume de Dieu.

 

Étienne Matter !
Le nom de l'ancien président national de la Croix-Bleue française revient à plus d'une page. Et pour cause. Nous ne sommes pas près d'oublier cet ingénieur que, socialement, tout séparait des victimes de la boisson. Mais son grand coeur avait franchi toutes les distances qui séparent artificiellement les hommes. Et nous le revoyons encore étreindre dans ses grands bras les anciens buveurs auxquels il avait montré le chemin de la libération. Il se savait et se sentait frère des perdus.
Médecins, statisticiens, éducateurs, moralistes s'accordent pour signaler les ravages de l'alcoolisme. Les victimes de la boisson ne manquent pas, hélas ! Mais ce sont les « infirmiers » qui sont rares. Qui suivra l'exemple d'Étienne Matter, Jean Bianquis, Wilfred Monod... ?

Si tu n'as pas besoin de la Croix-Bleue, la Croix-Bleue a besoin de toi.


Enfin, un mot aux jeunes.
Le plus beau des relèvements ne rachète pas une jeunesse gâchée. Mieux vaut prévenir que guérir !

Pour briser l'épée damocléenne de l'hérédité, pour « résister » au flot de préjugés et de mensonges qui va vous submerger, joignez-vous à la Croix-Bleue !
Armez-vous à l'avance pour les combats de la vie. Mieux : entraînez d'autres jeunes vers une vie saine, libre et ardente.

Pour tous renseignements sur la Croix-Bleue, prière de s'adresser :

(Note de "Regard") Prière de vérifier les adresses avant de prendre contact)

Pour la France, les colonies françaises et l'Union française
La Croix-Bleue, 47, rue de Clichy, Paris 9e.
Pour la Belgique et le Congo Belge :
La Croix-Bleue, 69, avenue Clerbois, Soignies.
ou
241, rue Bailly, Marcinelle.
Pour la Suisse -
La Croix-Bleue, 31, rue de l'Ale, Lausanne.
Envoi de documentation gratuite sur simple demande.


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