LES HEUREUX
PRÉFACE
Jamais il n'y a eu sur la terre tant de larmes
et tant de sang, jamais l'humanité n'a tant
souffert, et ce qui est plus grave : par sa faute.
Car elle moissonne la tempête après
avoir semé le vent. Elle récolte de
la chair la corruption après avoir
semé pour la chair. Mais aussi jamais elle
n'a tant prié, les hommes surtout, qui
depuis longtemps ne priaient plus; ils
étaient si forts, si sûrs
d'eux-mêmes ! avaient-ils besoin de prier ?
Beaucoup de ceux qui souffrent et dont le coeur est
meurtri commencent à se tourner vers
celui-là seul qui pourrait les consoler
vraiment, Jésus de Nazareth, l'ami
fidèle et tendre «qui ne brise pas le
roseau froissé et n'éteint pas le
lumignon qui fume encore ».
En étudiant les Béatitudes
qu'il prononçait Jadis sur les bords du lac
de Génézareth, nous avons
été frappé de voir comme elles
répondaient bien aux besoins de l'âme
contemporaine : elles nous semblent dire exactement
ce qu'il faut que cette âme entende et offrir
après quoi elle soupire. De là
l'idée de publier ces simples études
sans aucune prétention littéraire, et
qui expriment ce qu'éprouve un coeur aimant
et ému pour ses contemporains. Si elles
pouvaient apporter à ceux qui pleurent un
peu de consolation en tournant leurs regards de
côté de Celui qui leur parle
aujourd'hui comme jadis, ce serait pour lui comme
une consolation et la meilleure des
récompenses.
Genève, mars 1916
F. THOMAS.
.
I
HEUREUX!
En cette époque troublée, il est
bon de se retirer à certains moments dans le
calme et la tranquillité, notre âme en
a un besoin impérieux et si ce besoin n'est
pas satisfait, elle risque fort de s'user et de
périr misérablement. Les jours que
nous traversons sont si éprouvants, nos
nerfs sont parfois si tendus, l'angoisse et la
douleur étreignent tellement nos coeurs
à certaines heures qu'il est
nécessaire que nous sortions de temps
à autre de la mêlée pour nous
recueillir en présence de Dieu.
C'est ce que nous voulons faire en nous
transportant par l'imagination sur cette montagne
des béatitudes, au sud-ouest du lac de
Génésareth, où fut
prononcé, il y a bientôt deux mille
ans, le sermon sur la montagne,
que l'on a appelé la Charte du royaume de
Dieu. C'est plus une colline qu'une montagne, qui
monte en pente douce du paisible lac de
Galilée jusque sur un plateau que domine un
rocher assez élevé. La vue
s'étend de là bien loin sur la vaste
étendue de l'eau que troublent à
peine quelques barques de pécheurs du genre
de celle des premiers disciples. Ah ! que nous
sommes loin, sur cette montagne, du fracas des
champs de bataille et de l'agitation des grandes
villes, et comme nous comprenons que Jésus
ait choisi cet emplacement pour prononcer le plus
important discours de l'histoire, celui dont ou
peut dire qu'il est en même temps le plus
révolutionnaire de tous sous son apparente
douceur!
Les deux évangélistes Luc
et Matthieu ne sont pas d'accord sur le moment
où il fut prononcé, ni sur le contenu
exact de ce discours : celui de Matthieu est
beaucoup plus long que celui de Luc, et il renferme
nombre de paroles qui, évidemment, n'ont pas
dû être prononcées à
cette occasion. Matthieu les a groupées pour
en faire un tout, mais il est facile, à la
lumière du récit de Luc, de
distinguer le texte du sermon sur la montagne
proprement dit, des autres paroles
prononcées dans d'autres occasions.
En outre, tandis que Matthieu place le
discours au début du ministère,
immédiatement après la tentation de
Jésus et l'appel des premiers disciples,
Luc, lui, le met passablement plus tard,
après un premier ministère à
Capernaüm, où s'était
passé la pêche miraculeuse, la
guérison d'un lépreux et d'un
paralytique, ainsi que l'épisode des
épis de blé mangés un jour de
sabbat et celui de la guérison de l'homme
à la main sèche. Ces derniers faits
avaient soulevé une grande opposition de la
part des pharisiens. C'est alors, toujours
d'après Luc, que Jésus se rendit sur
la montagne pour prier, et que le lendemain, ayant
appelé ses disciples, il en choisit douze
auxquels il donna le nom d'apôtres, puis il
descendit avec eux dans une plaine, à la
rencontre de la multitude, pour prononcer le sermon
sur la montagne. Tandis que Matthieu dit qu'il
monta sur cette montagne
(V, I), Luc dit qu'il en descendit
(VI, 17). Avec F. Bovet nous pouvons
expliquer cette contradiction apparente en disant
qu'il était monté tout d'abord sur la
plus haute partie de la montagne, sur le rocher
pour prier et choisir ses apôtres, puis qu'il
en descendit le lendemain jusque sur le plateau qui
l'entoure pour prononcer le sermon sur la
montagne.
Nous assistons ainsi à une sorte
de concentration de troupes, celles de l'ennemi
dont les cadres sont les
pharisiens, et celles du Seigneur qui ont pour
cadres les apôtres. Maintenant que ces
officiers sont autour de lui, il va pouvoir donner
son ordre du jour à cette armée
étrange, formée d'hommes pauvres pour
la plupart, de péagers et de gens de
mauvaise vie, armée qui ne possède
aucun uniforme, aucun engin destructeur, et la
préparer à entreprendre la plus
formidable des guerres, une guerre qui durera des
siècles et qui est loin, très loin
d'être finie, contre les plus redoutables des
ennemis, les uns visibles, les autres invisibles,
autrement plus dangereux et plus nombreux encore,
une guerre dans laquelle Dieu lui-même est
engagé, puisque c'est pour lui et pour son
royaume que l'on va se battre et qu'il s'agit de
substituer au royaume des ténèbres et
de la mort son royaume qui est celui de la
lumière et de la vie. Quelle scène,
quel drame ! et en même temps quel cadre
infiniment paisible pour une scène aussi
impressionnante et pour un drame aussi solennel !
Mais avec le Christ, rien ne nous étonne,
lui qui nous a habitués à traiter
dès ici-bas les questions les plus
importantes, à nous occuper des choses de
l'éternité dans la vie de tous les
jours et dans les circonstances les plus ordinaires
de cette vie. Là où les yeux de la
chair ne distinguent rien que des tableaux
insignifiants, les yeux de
l'esprit découvrent des horizons grandioses,
des virtualités gigantesques, des valeurs
infiniment précieuses.
Le général en chef de
l'armée de l'Éternel va prononcer son
ordre du jour : beaucoup ont parlé avant
lui, sages et philosophes, fondateurs de religions
et docteurs de toute espèce,
conquérants de tous pays, ils ont tous dit
leur mot avant d'agir, puis de disparaître
derrière le voile mystérieux de l'au
delà. Au tour du Christ maintenant de dire
son message, le message du ciel à la terre,
du Dieu créateur, le Roi des rois, le
Seigneur des seigneurs, à cette
humanité déchue, à la fois si
grande et si petite, si belle et si laide, si
divine et si diabolique. Que va-t-il dire ? Le
silence se fait au milieu de cette foule qui compte
tant de gens en deuil, tant d'affligés, tant
de malades, tant de blessés, de
désespérés de toutes sortes ;
son premier mot, vous l'entendez, c'est : «
Heureux ! Bienheureux ! » qu'il
répète neuf fois de suite.
Jamais exorde de discours ne fut plus
impressionnant, plus solennel, plus attrayant et
plus saintement habile. Ce que l'on recommande aux
futurs prédicateurs de l'Évangile,
c'est de bien surveiller le début de leurs
discours, on peut dire de lui qu'il en est comme la
clé, qui sert à ouvrir, mais qui peut
aussi fermer les coeurs des
auditeurs. Je dirais volontiers
qu'un orateur donne déjà sa mesure
dans la façon dont il débute :
l'auditoire est là, plus ou moins bien
disposé, ordinairement distrait et
absorbé par tout autre chose que par ce qui
va lui être dit, surtout lorsqu'il s'agit de
choses religieuses, son coeur, hélas ! est
ailleurs, rempli par les soucis et les
préoccupations de la vie matérielle.
Il faut attirer, puis retenir son attention, le
solliciter doucement à suivre celui qui va
parler, l'entraîner, presque sans qu'il s'en
doute, sur un certain terrain, il importe
d'éveiller son intérêt pour la
cause de Dieu et de s'assurer qu'il sera là
présent tandis que nous parlerons.
Eh bien, ici encore, comme sur tous les
autres points, Jésus-Christ est bien un
Maître lorsqu'il commence par parler de
bonheur à ces hommes de toutes conditions
qui sont réunis devant lui.
En effet, si c'est au bonheur que
Jésus invite de la part de Dieu, c'est que
Dieu veut notre bonheur, un sûr instinct nous
pousse vers lui, il n'y a pas un homme, il n'y en a
jamais eu un seul sur la terre qui n'ait
cherché ou qui ne cherche le bonheur, tous,
pauvres et riches, ignorants ou savants,
doués ou peu doués, depuis les plus
civilisés jusqu'aux plus sauvages, cherchent
à l'envi le bonheur et le veulent à
tout prix. C'est peut-être
la marque la plus sûre de l'unité du
genre humain, le point sur lequel tous sont
d'accord, le lien qui les unit tous, le trait
d'union qui les met tous en contact les uns avec
les autres. J'irai jusqu'à dire qu'ils sont
encore plus unis sur cette question que sur celle
de la vie: si la plupart veulent vivre en vertu du
puissant instinct qui les entraîne et qui les
pousse à sauver et à défendre
leur vie envers et contre tous, il y en a pourtant
qui résistent à l'instinct et qui
préfèrent la mort à la vie, le
néant à l'existence. Mais sur la
question du bonheur l'unanimité est
complète, et ceux-là mêmes qui
souhaitent de mourir prouvent par ce souhait qu'ils
ont soif de bonheur, d'un certain bonheur, d'un
bonheur très relatif, je le reconnais, le
bonheur de ne plus être, de ne plus souffrir,
celui du Nirvâna où la
personnalité disparaît dans une
inconscience plus ou moins totale, mais enfin c'est
encore et toujours le bonheur, une espèce de
bonheur que l'on recherche quand on souhaite la
mort.
J'irai jusqu'à dire que l'homme
ne peut pas vivre sans chercher le bonheur; il
faudrait pour qu'il cessât de le chercher,
précisément qu'il cessât de
vivre, qu'il sortît en quelque sorte de
lui-même, car il est organisé
physiquement et psychiquement pour le bonheur, et
par instinct tout, autant que par
réflexion, il a toujours fui et il fuira
jusqu'au bout la douleur quelle qu'elle soit. Son
grand effort à travers les siècles a
été de la fuir ou de la dompter, ou
même de la diriger de telle façon,
qu'elle aussi contribue à son bonheur:
lorsqu'il voit qu'il ne peut plus lui
échapper, il cherche à s'en faire une
alliée dans sa recherche de bonheur et il y
réussit, au point que la douleur même
lui procure parfois des joies profondes, un bonheur
supérieur. Cela est tellement vrai que dans
les premiers siècles du christianisme, il
fallait que les Pères de l'Église
avertissent les fidèles assoiffés de
martyre, de ne pas chercher leur bonheur dans les
tortures et dans les supplices infligés aux
chrétiens et de ne plus courir au devant de
leurs bourreaux pour le plaisir de se faire
supplicier : bonheur étrange tant que l'on
voudra, mais qui prouve, à n'en pas douter,
à quel point l'homme veut à tout prix
être heureux.
J'ajoute que si l'unité entre
tous les hommes est absolue quand il s'agit de la
soif du bonheur, la variété commence,
elle est même infinie quand il s'agit de
satisfaire cette soif, c'est le cas de dire :
Autant d'hommes, autant d'opinions, et cela ne nous
étonne pas puisque les hommes sont tellement
variés, et que leur milieu, leur
éducation, leur
époque, tout aussi bien que leur
tempérament, les rendent si
différents les uns des autres. Mais sous ces
apparences multiples nous discernons partout,
toujours et chez tous le même et
irrésistible courant qui entraîne les
hommes vers le bonheur, comme les fleuves vers la
mer, et de même qu'il serait impossible de
faire remonter ces fleuves vers leur source, de
même il est difficile, il est impossible,
d'empêcher l'homme de tendre au
bonheur.
Entendons-nous bien cependant, on ne
doit pas dire que le bonheur est le but de la vie,
et que nous sommes appelés à vivre
pour être heureux, je dirai plutôt que
le bonheur est un moyen, mais pas un but, le but
est plus haut, le but est plus saint et plus digne
de la créature en même temps que du
Créateur, c'est la volonté de Dieu,
c'est le triomphe de sa gloire dans
l'accomplissement de cette volonté, c'est
l'obéissance à la loi divine qui est
la loi d'amour et qui seule peut assurer aux
individus, comme aux sociétés, leur
plein épanouissement.
Voilà pourquoi celui qui veut
vivre pour être heureux est sûr de
manquer le bonheur, il le poursuivra, mais sans
l'atteindre jamais, comme un mirage dans le
désert, par la raison bien simple que
chercher avant tout à être heureux,
c'est se rechercher soi-même, c'est sortir de
la loi d'amour, c'est
hypertrophier son moi et faire triompher son
égoïsme. Or l'égoïsme est
le plus grand ennemi du bonheur, il le ruine, il
l'empêche aussi sûrement que l'amour le
prépare et l'assure, et c'est là le
grand mensonge du péché que de nous
faire croire qu'en vivant pour nous-mêmes
nous arriverons à être heureux, tandis
qu'en réalité se perdre de vue
soi-même, s'oublier pour aimer, c'est marcher
à coup sûr, parfois à travers
la souffrance, je le veux bien, mais d'une
façon certaine vers le bonheur
véritable, vers celui qui ne peut pas
passer. Jésus disait : « Cherchez
premièrement le royaume de Dieu et sa
justice, et tout le reste vous sera donné
pardessus »
(Matthieu VI, 33). Ne pourrait-on pas
dire aussi : « Cherchez premièrement
à obéir à la loi divine de
l'amour, et le bonheur vous sera donné
par-dessus. » Pour être quelque chose
qui s'ajoute, le bonheur n'en est que plus
réel et plus certain en même
temps.
Remarquez-le bien, je ne veux pas dire
par là que le bonheur soit en quelque sorte
du superflu et que l'homme puisse s'en passer, du
moins d'une façon définitive, Je
crois bien plutôt qu'il rentre dans le
programme de Dieu et qu'un homme malheureux n'est
pas dans l'état normal ni dans le plan divin
; il peut l'être momentanément,
étant donné l'état anormal
où nous nous trouvons
ici-bas, il ne l'est pas, il ne peut pas
l'être définitivement, et si la terre
est trop souvent une vallée de larmes, c'est
qu'elle n'est pas notre séjour
éternel, elle n'est qu'un court passage, un
temps d'apprentissage, une école qui sera
suivie d'une éternité
bienheureuse.
Il n'y a, pour s'en convaincre,
qu'à se rappeler les promesses de
l'Écriture, des déclarations comme
celles-ci par exemple : « Plusieurs disent:
Qui nous fera voir le bonheur ? Fais lever sur nous
la lumière de ta face, ô
Éternel! Tu mets dans mon coeur plus de joie
qu'ils n'en ont quand abondent leur froment et leur
moût
(Psaume IV, 7 et 8). Il y a des
rassasiements de joie devant ta face
(XVI, 11) Heureux celui à qui
la transgression est remise, à qui le
péché est pardonné! Heureux
l'homme à qui l'Éternel n'impute pas
l'iniquité et dans l'esprit duquel il n'y a
point de fraude! Beaucoup de douleurs sont la part
du méchant, mais celui qui se confie en
l'Éternel est environné de sa
grâce! Justes, réjouissez-vous dans
l'Éternel et soyez dans l'allégresse
! Poussez des cris de joie, vous tous qui
êtes droits de coeur!
(XXXII, 1 et 2,
10 et 11)» Nous n'en finirions
pas si nous voulions citer tous les passages qui
parlent de bonheur, de joie profonde et même
complète. Même Jésus, à
la veille de sa mort, parle de joie parfaite, et
cette joie qui est la sienne, il
veut la communiquer à ses disciples : «
Je vous ai dit ces choses, afin que ma joie soit en
vous et que votre joie soit parfaite »
(Jean XV, 11). Et Jacques, dans son
épître, va jusqu'à dire :
« Mes frères, regardez comme un sujet
de joie complète les diverses
épreuves auxquelles vous pouvez être
exposés, sachant que l'épreuve de
votre foi produit la persévérance
»
(I, 2 et 3).
Nous protestons par conséquent de
toutes nos forces contre ceux qui croient et qui
affirment que l'homme est fait pour souffrir, comme
le dit une inscription à l'entrée
d'un vieux château: Nasci, pati, mori :
Naître, souffrir, mourir. Nous protestons
énergiquement au nom de notre foi contre
tous les pessimismes théoriques ou
pratiques, actuels ou anciens, dont on essaie
d'empoisonner l'âme humaine, et si nous
avions encore des doutes à cet égard,
il nous suffirait de nous replacer en face du
sermon sur la montagne et de celui qui l'a
prononcé, et de relire en particulier les
béatitudes et leur promesse de
bonheur.
Mais pour ne pas aller au devant
d'amères déceptions, de
déceptions qui seraient d'autant plus
profondes et plus cuisantes que nos
espérances auraient été plus
ardentes et plus vives, il faut à
tout prix avoir confiance dans le
Dieu qui veut notre bonheur et dans les conditions
qu'il a mises à ce bonheur. Dieu, en effet,
étant la suprême
réalité, ne peut pas vouloir
l'apparence, il ne veut pas pour ses enfants une
joie factice, un bonheur superficiel, il veut que
leur bonheur, pour être durable, soit aussi
profond que possible, et c'est la raison pour
laquelle il est obligé, étant
donné notre déchéance et la
légèreté de nos coeurs
déchus, d'approfondir nos âmes, ou
plus exactement, de nous faire rentrer en
nous-mêmes, jusqu'à ce que nous
arrivions au véritable fond de notre
être. En bon architecte qu'il est, il ne veut
pas bâtir sur le sable, il va jusqu'au
rocher. En bon médecin, il opère
jusqu'à ce qu'il ait enlevé la racine
profonde du mal. Et c'est la raison pour laquelle
il nous a mis ici-bas à l'école de la
douleur, cette grande éducatrice, ce creuset
nécessaire, cet apprentissage indispensable
qui doit nous préparer au bonheur, lui qui
nous connaît mieux que nous et qui sait
quelles sont les profondeurs insondables de
l'âme humaine.
Nous ayant créés à
son image, ayant mis du divin dans chacune de nos
âmes, il sait avant nous et bien mieux que
nous que ce qui nous manque pour être
heureux, c'est Dieu lui-même. Le
péché nous a enlevé Dieu, a
vidé nos coeurs de Dieu, et nous ne pourrons
être heureux que lorsqu'ils seront de nouveau
remplis de lui, Notre erreur, en même temps
que notre faute, elle est exprimée par cette
parole du prophète Jérémie:
« Mon peuple a commis un double
péché : ils m'ont abandonné,
moi qui suis une source d'eau vive, pour se creuser
des citernes crevassées, qui ne retiennent
pas l'eau »
(II, 13). Il faut à tout prix
que Dieu nous détourne de ces citernes
crevassées, afin de nous devenir, ou
plutôt de nous redevenir nécessaire,
même indispensable.
De là le paradoxe des
béatitudes : Heureux les malheureux, non pas
parce qu'ils sont malheureux, mais parce que,
étant malheureux, ils vont chercher
ailleurs, ils vont chercher en Dieu ce qu'ils n'ont
pas trouvé dans les biens et les joies de
cette terre.
C'est là le sens merveilleux et
profond en même temps des béatitudes :
quand on les lit, on est souvent quelque peu
déçu d'abord, il semble vraiment que
le Christ se moque de nous et qu'il emploie en
parlant ainsi l'arme terrible de l'ironie. Rien de
plus faux, en réalité c'est son amour
et lui seul qui le fait parler ainsi, c'est parce
qu'il nous connaît mieux que
nous-mêmes, parce qu'il a sondé les
profondeurs insondables de notre coeur qu'il ose
parler ainsi, il n'y a que les esprits superficiels
ou désespérément
légers, ou peu
honnêtes, qui après avoir entendu
Jésus parler ainsi s'éloignent
scandalisés.
Il n'en sera pas ainsi de vous, lecteurs
bien-aimés, vous allez au contraire prouver
que vous n'êtes pas des auditeurs distraits
ou déshonnêtes, en vous laissant
attirer précisément par ce qu'il y a
de paradoxal dans la parole du Maître, votre
attention sera retenue, puis fixée sur celui
qui ose parler ainsi, car il a ses raisons de le
faire et vous ne tarderez pas à
reconnaître qu'il a bien fait de proclamer
heureux les malheureux, heureux ceux qui pleurent,
ceux qui ont faim et soif de justice ou qui sont
persécutés, parce qu'il est là
capable, lui, de répondre à leurs
besoins et tout disposé à le faire en
se communiquant à eux. Pour recevoir le
Christ il faut un certain état d'âme,
l'état d'une âme qui se sent vide et
malheureuse ; dès que l'âme en fait
l'expérience, elle devient capable de saisir
le Christ dans son infinie beauté et son
amour plus infini encore. Il faut pour que la
semence soit reçue dans la terre que la
charrue ait creusé de profonds sillons : il
en est de même de l'âme humaine qui,
pour recevoir le grain de blé tombé
en terre, le germe nouveau mis par Dieu dans le
monde, doit tout d'abord être labourée
par la charrue de l'épreuve.
Il est peu de scènes plus
saisissantes et plus poignantes en même temps
que celle du sermon sur la montagne, puisqu'au
moment où Jésus-Christ l'a
prononcé, il était là tout
disposé à répondre aux soupirs
des âmes qui l'entouraient, il ne se
contentait pas de parler, il était
prêt à se donner, il ne proposait pas
seulement un merveilleux programme de bonheur, il
s'offrait lui-même à le remplir. Il
continue depuis cette heure solennelle à le
faire pour tous ceux qui le lui demandent, pour
toi, mon frère, pour toi, ma soeur, qui
peut-être dans ce moment même te sens
triste, découragé, vide, presque
désespéré ; lève donc
les yeux et contemple-le, celui qui te regarde avec
amour, fais silence, écoute les paroles qui
sortent de sa bouche, il te déclare heureux
puisque tu es malheureux, mais à la
condition expresse que ce soit en lui
désormais, et, par lui, en Dieu, ton
Père et ton Créateur, que tu cherches
le bonheur, aujourd'hui, tous les jours et jusque
dans l'éternité.
- La voix de tes sentinelles,
- Au loin déjà retentit ;
- Sur les cimes éternelles
- L'aube du matin reluit.
-
- Ceux dont l'âme est languissante
- Ceux dont le coeur est troublé,
- Entendront sa voix puissante
- Qui nous dit : «Je t'ai sauvé
».
-
- Avec des chants d'allégresse,
- Les délivrés marcheront
- Vers Sion ; plus de tristesse,
- Mais le bonheur sur leur front.
-
- Ses promesses sont certaines,
- Jésus a tout accompli ;
- Venez aux vives fontaines,
- D'où le salut a jailli !
-
- Oh ! plénitude ineffable,
- Transformés de jour en jour
- Par ton Esprit adorable,
- Nous vivons dans ton amour
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