L'ORDRE DE
DIEU
Les exposés qu'on va
lire ont été présentés
à Genève, à la Salle de la
Rive-Droite, au cours de l'hiver 1940-1941, sur
l'initiative de la Commission synodale de
l'Église évangélique libre de
Genève.
Les hommes auxquels
on avait fait appel n'ont pas pu se concerter;
d'où certaines lacunes et
répétitions. Le lecteur n'en sera pas
moins frappé par l'unité profonde de
leur inspiration, ces hommes, avant de parler,
s'étant tous mis à l'école de
la Parole de Dieu.
Ces exposés
étaient destinés à
l'Église. C'est à l'Église de
Jésus-Christ, en vue du regroupement des
croyants, que ce livre s'adresse. Il sera compris
par ceux qui, aujourd'hui, ont le souci de la
reconstitution et de la sauvegarde du peuple de
Dieu.
PRÉFACE
« Ainsi parle
l'Éternel, ton Rédempteur, le Saint
d'Israël : Je suis l'Éternel, ton Dieu,
qui t'instruis pour ton bien, qui te conduis dans
le chemin où tu dois marcher. Oh ! si tu
étais attentif à mes commandements !
Ton bonheur coulerait comme un fleuve, et ta
prospérité comme les flots de la mer.
» (Esaïe 48/17-18).
« Dieu a fait
à Abraham le serment de nous accorder cette
grâce que nous pourrions le servir ... »
(Luc 1/74).
La Réforme a,
dans l'ensemble, magnifiquement su ce
qu'était la loi de Dieu, et
l'obéissance de la foi. Mais nous l'avons,
depuis, presque complètement oublié.
Notre incrédulité se compose de Dieu
les images les plus funestes. Quand il n'est pas le
bon-dieu, ce grand-père indulgent et qui ne
sait pas ce qu'il veut, il est le maître
capricieux, jaloux de ses droits et de ses
privilèges, imposant à ses serviteurs
mille et une défenses : « Tu n'iras pas
ici ! Tu ne feras pas cela ! » Comme le
propriétaire d'un domaine qui se
réserve la chasse et la pêche, et le
bois et les fruits, et je ne sais quoi
encore.
Jamais content de ce
qu'on lui donne - toujours exigeant davantage. Dans
ce système, les ministres de la Parole de
Dieu au lieu d'être les messagers d'une bonne
nouvelle deviennent des gendarmes, des
gardes-chasse du domaine divin. Si l'on se soumet,
si l'on « pratique sa religion », c'est
pour éviter le procès-verbal. Mais
l'on soupire après la mort du maître,
et l'on rêve du partage des terres. En
attendant, on tâchera de ne pas se faire
prendre.
Et la grâce,
comment l'envisager dans ce système ? Elle
devient un permis de chasse ; une
possibilité d'infraction au
règlement. Ainsi défigurons-nous
totalement et la loi et la grâce et nous
fabriquons- nous, au moyen de ce que St-Paul
appelle « la lettre de la loi », la pire
des idoles, projection de notre tyrannie et de
notre faiblesse. On peut constater là
à quel « Dieu » nous voue notre
sentiment religieux, et ce que deviennent la
grâce et la volonté divines sans la
connaissance de celui qui fait grâce et qui
commande - sans la foi en
Jésus-Christ.
Nul ne doute,
cependant, que le sermon sur la montagne sorte de
la bouche du Sauveur, encore que souvent on veuille
le détacher de lui pour en faire quelque
sublime morale. Le décalogue (comme toutes
les autres expressions de la Loi dans l'ancien
Testament) sort pareillement de la bouche du
Sauveur. « Je suis le Seigneur, itou Dieu, qui
t'ai retiré de la maison de servitude
». « Ainsi parle l'Éternel, ton
Rédempteur, le Saint d'Israël ».
C'est le Rédempteur qui commande, celui qui
a donné sa vie pour nous racheter, celui qui
a jugé qu'aucun sacrifice n'était
trop grand pour nous venir en aide et nous
libérer de l'esclavage du Malin. Celui qui a
fait tout ce qu'il était possible de faire
pour nous arracher à la puissance des
ténèbres. C'est le Rédempteur,
le Crucifié, c'est Jésus-Christ, qui
prononce chacune des paroles du
décalogue.
Et c'est le saint,
celui en qui tout est pure lumière,
vérité, justice et bonté, le
Saint devant qui nulle trace de mensonge ou
d'orgueil ne saurait subsister, devant qui les
anges crient dans l'éternité : «
Saint, Saint, Saint! » et l'apôtre
Pierre, sur la route de Tibériade : «
Nous avons cru et nous avons connu que tu es le
Saint de Dieu ! »
Le Rédempteur
et le Saint, celui qui nous a rachetés de
l'oppresseur pour que nous vivions dans sa
sainteté.
C'est lui qui nous
« instruit pour notre bien ». Il y a
quelque chance, en effet, pour qu'un tel
maître sache mieux que nous quel est notre
bien et de quoi nous avons besoin d'être
instruits. Il y a quelque chance pour qu'il sache
nous conduire mieux que nous ne savons nous
conduire nous-mêmes. Il y a quelque chance
pour qu'il veuille notre bien, mieux que nous ne le
voulons. Oui, certes. Et pourtant nous avons une
peine inouïe à le comprendre. Nous
persistons avec une obstination invraisemblable
à penser qu'il y aura moyen de vivre
à côté de la volonté de
Dieu et qu'il existe un autre bien, un autre salut
que ce que Dieu veut - un autre chemin que celui
qu'il indique. Et c'est là le secret de nos
ruines, de nos malheurs, de notre
mort.
Ce livre n'a qu'un
but : nous réapprendre à
écouter la loi de Dieu comme la toi de notre
Sauveur, comme l'expression même du salut
qu'il nous accorde, comme la
nécessité de devenir sans cesse celui
que dans sa miséricorde il nous donne
d'être. Car Dieu ne nous commande rien qu'il
ne nous donne dans sa grâce. Et, inversement,
il ne nous donne rien dans sa grâce qu'il ne
nous commande par là même dans sa loi.
La grâce n'est donc pas la permission
d'enfreindre quelque règlement arbitraire,
mais bien la possibilité d'obéir
à la volonté « bonne,
agréable et parfaite » de Dieu - elle
est « la grâce de pouvoir le servir
» et non de nous moquer de lui. Elle est la
promesse du Royaume de Dieu qui est proche. La loi
ne fait alors rien que nous dire ce que c'est que
d'être sauvé, ce que c'est que de
vivre comme l'héritier du Royaume. La loi
sans l'évangile n'est qu'une tyrannie, une
morale. L'évangile sans la loi n'est qu'une
pieuse rêverie. On ne peut pas dire que les
deux se complètent. Non, car ils ne sont
rien l'un sans l'autre. Toute grâce est
obéissance, et toute obéissance est
grâce.
L'eau forte de
Rembrandt, ici reproduite, nous aide à
saisir cette bonne nouvelle : on voit l'ange qui
relève Daniel en même temps qu'il
l'instruit et lui désigne la Bête
(invisible sur la gravure inachevée).
Dirons-nous que c'est la grâce ? ou
dirons-nous que c'est la loi ? Ce sont toutes les
deux, justement. C'est « la grâce qui
enseigne » (Tite
2/12), ou bien c'est
la loi qui sauve et qui soutient. C'est en tout cas
la Parole de Dieu, dans son exigence salutaire, qui
nous garde de la Bête en attendant que
Jésus l'anéantisse au dernier
jour.
Si la tentation de
l'Église fut un temps plutôt
d'insister sur la loi et de prêcher la face
morale de l'évangile et de s'en tenir
à l'obéissance de la foi au
détriment de la confession de la foi, il
paraît qu'aujourd'hui sa tentation serait
plutôt de se laisser cantonner par les
puissances de ce monde dans «
l'évangile éternel » et la
confession d'une foi inopérante et
inoffensive. C'est pourquoi il est si urgent
qu'elle réapprenne que l'évangile est
toujours une loi, ou n'est pas l'évangile,
que la foi en Jésus-Christ est une
incrédulité à l'égard
de tous les autres seigneurs, ou n'est pas la foi
en Jésus-Christ ; que l'assurance de notre
justification est une résistance victorieuse
à toute forme d'injustice, ou n'est pas
l'assurance dans laquelle les hommes de la Bible
ont vécu ; qu'en un mot, la confession de la
foi n'est jamais autre chose que
l'obéissance de la foi, et le salut notre
soumission à la volonté du Sauveur.
Puisse ce livre aider l'Église à
devenir confessante, c'est-à-dire
obéissante ; lui apprendre à
obéir en lui apprenant à croire, et
à croire en lui apprenant à
obéir. « C'est ici l'oeuvre de Dieu que
vous croyez en celui qu'il l'a envoyé »
(Jean 6/29).
R. P.
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