Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



L'ORDRE DE DIEU


X
Tu ne convoiteras point
par R. de PURY.

Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain; tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son boeuf, ni son âne, ni aucune chose qui soit à ton prochain.
Exode 20/17.

Ce commandement est le plus grave de tous, en ce sens qu'il nous place seul à seul devant Dieu et que son observation échappe à tout contrôle humain. Tout le reste de la loi, nous pouvons jusqu'à un certain point l'observer aux yeux des hommes et aux nôtres propres, et par conséquent recevoir de ces yeux humains l'illusion d'une obéissance. Il est toujours, grâce à eux, possible de s'imaginer que l'on est véridique, généreux, fidèle, puisque l'on accomplit des gestes et prononce des paroles que le monde peut juger tels. Avec le dixième commandement toute référence humaine disparaît. Nul au monde ne peut savoir ici quand nous obéissons. Nous tombons dans le secret de Dieu, nous sommes livrés à la grande surprise de son jugement. La convoitise, c'est vraiment le feu qui couve sous la cendre de notre justice. Quand le vent de l'Eternel, au dernier jour, soufflera sur cette cendre, il ne restent comme réalité de notre existence que ce feu qui nous dévorera éternellement, que ce feu de la convoitise qui aura couvé durant toute notre vie sous notre observation de la loi divine.

Ce dixième commandement nous révèle un terrible secret. C'est le regard du juge qui pénètre jusqu'à la racine de toutes nos attitudes, c'est l'épée qui déchire le voile de notre meilleur comportement. En plein milieu du soin que je prends pour arranger ma vie : Tu convoites ! déclare le juge. Tout ce que tu fais pour regagner mon paradis, c'est la convoitise qui t'y pousse! Peine perdue ! Peine éternellement perdue ! Je ne veux rien de ce que tu m'apportes ainsi. Tu prétends accomplir ma volonté, et ton coeur est plein de calcul, d'envie et d'arrière-pensée.

La convoitise ! Qu'est-ce au juste ? Nous en avons rappelé l'origine à propos du septième commandement. Nous avons analysé cette pensée démoniaque insufflée à Adam par le Malin, qu'il pourrait exister un Dieu meilleur que celui qui l'a créé, et qu'il pourrait, lui, Adam, être quelque chose de plus que la créature de ce Dieu. Nous n'y reviendrons pas maintenant. Mais nous verrons d'abord comment la convoitise se manifeste à tous les degrés de notre existence et constitue la trame même de l'histoire de l'humanité. Nous verrons aussi les différents noms qu'elle porte.

1.
Il y a d'abord la convoitise matérielle, explicitement décrite dans le commandement (la femme, la maison, le boeuf, l'âne, aucune chose qui soit à ton prochain). La convoitise, en somme, c'est l'esprit de comparaison. Elle a commencé le jour où, soit à ton La convoitise, en somme, c'est l'esprit de comparaison.
Elle a commencé le jour où sous l'impulsion du serpent, Adam s'est comparé à Dieu, et s'est trouvé différent de Lui. Cet esprit malin de comparaison vient aujourd'hui empoisonner les heures de notre existence quotidienne. Il la remplit de secrètes exclamations, depuis l'enfant qui préfère le jouet de son camarade, à nous tous qui vivons dans les: « Ah ! si seulement ! » et qui cherchons toujours dans les choses à avoir, la guérison de la maladie de notre être. Nous en avons peut-être à peine conscience, mais les convoitises sont tapies dans l'ombre de notre coeur comme des bêtes prêtes à bondir et à encombrer tout d'un coup le champ de notre vie :
Ah ! si j'avais une femme comme celle de mon voisin, la vie serait autrement facile ! Ah, si j'avais un domestique comme celui de mon frère, la culture marcherait ! Ah, si j'avais des rentes comme mon cousin, même modestes, cela me suffirait, je serais heureux! Ah, si je trouvais une place comme mon ami, ce serait le rêve ! Si j'étais riche comme Madame X., je pourrais moi aussi faire du bien ! Si j'étais pauvre, la vie serait tellement plus simple ! On encore convoitise du passé, convoitise de vieillards : Ah, de mon temps ! ... Convoitise de l'avenir : Quand les choses s'arrangeront...

Telle est la première forme de la convoitise : une pensée qui continuellement s'échappe du milieu et des circonstances qui nous sont assignées pour y obéir. Cela semble peu de chose. Ces regrets et ces désirs ne font de mal à personne, songeons-nous. Peut-être, en effet, pour le moment ne font-ils de mal qu'à toi-même en chargeant ta vie de souci et de ressentiment, en stérilisant ton obéissance; mais ne remarques-tu pas où cela mène infailliblement ? Ne vois-tu pas sur le plan social et international le résultat de ces millions de : « Ah ! si seulement ! » accumulés; tu crois que cela ne servira pas un jour à quelque chose, tout cet arsenal de convoitises ensevelies dans le coeur des honnêtes gens, et que cela ne prendra pas corps dans une mystique impérialiste, dans quelque phénomène dictatorial, dans quelque titanisme collectif? Tu crois que ces animaux avides, tapis dans les cavernes de ton coeur et tenus en laisse par les convenances, la police, l'opinion publique, et la peur de l'enfer, tu crois que tous ces animaux-là n'apparaîtront pas un jour comme ton véritable maître, sous la forme de la Bête, à laquelle selon l'Apocalypse « le pouvoir est accordé sur tout peuple, toute langue et toute nation et que tous les habitants de la terre adoreront ? » (13/7-8).

2.
Mais nous passons à un autre degré de convoitise, plus grave, plus secrète, qui n'est plus seulement la convoitise de ce que les autres possèdent, mais de ce que les autres sont. L'exemple en pourrait être l'homme de la parabole qui n'a reçu qu'un talent, et qui, par convoitise de ce qu'ont reçu les autres, refuse de le faire valoir, et juge que ce serait assez d'obéir si Dieu avait fait de lui ce qu'il a fait de Pierre ou de Paul... et s'il était à leur place. Il y a une bonne part de cette convoitise dans la mystique démocratique et le pathos de l'égalité que Berdiaier a si bien défini : « l'envie de l'être d'autrui et l'impossibilité d'affermir l'être en soi.» Ici la convoitise porte le nom de jalousie. On ne pense pas : Ah ! si j'avais !..., on pense : Ah ! si j'étais ! ... On regrette de n'être pas un autre. On lui déroberait volontiers non pas sa femme ou son argent ou sa situation, mais sa personnalité-même, ses oeuvres-mêmes. On voudrait bien avoir fait ce qu'il a fait, avoir dit ce qu'il a dit. Pourquoi ne serait-ce pas aussi bien moi que lui ? Si je pouvais me glisser dans sa peau, me faire passer pour lui, ne pas être moi, mais lui !

Si je pouvais prendre sa vie, son oeuvre ! Ainsi raisonnait Caïn quand il convoitait d'être Abel et d'avoir offert le sacrifice d'Abel, sans se douter qu'en cela déjà il était un meurtrier. Ce désir de se substituer à un autre, de lui prendre sa personne, c'est la jalousie, c'est la haine, c'est le meurtre. Sans que nous nous en doutions la convoitise passe son temps à supprimer des gens. Ainsi sommes-nous tous à l'égard de notre prochain (même de notre meilleur ami) : ou bien nous le jugeons avec un sentiment de suffisance, contents de ne pas être ce péager; ou bien, s'il donne décidément des signes manifestes d'appartenance à Jésus-Christ, si nous apprenons qu'il est rentré justifié dans sa maison, nous voilà tourmentés de ne pas être lui, convoitant son obéissance, son humilité, sa prière, et les conditions où il s'est trouvé - que nous estimons toujours plus favorables que les nôtres. De même, avec autant de légèreté que d'indiscrétion, nous convoitons encore la destinée des hommes de Dieu, celle d'Abraham, de Moïse, de Jérémie', de Marie, de Pierre ou de Paul, « flirtant avec le résultat » comme dit Kierkegaard, et ignorant tout de l'épreuve, de la solitude et du combat de ces hommes, ignorant qu'à leur place nous aurions désespérément convoité la place où nous sommes aujourd'hui et déserté sur les ailes de l'envie la destinée unique et paradoxale que Dieu leur imposait.

Cette convoitise est bien l'exacte antithèse de l'amour. Tu aimeras ton prochain comme toi-même veut dire : Tu ne convoiteras pas la destinée de ton prochain, tu te réjouiras qu'il soit ce qu'il est, comme d'être toi ce que tu es ! Tu te réjouiras de sa vocation comme de la tienne !

3.
La convoitise va plus loin encore. Et nous atteignons son dernier degré qui nous ramène d'ailleurs à son origine, et qui n'est rien d'autre dans notre vie présente que la convoitise d'Adam à l'instant de la chute : nous convoitons l'être de Dieu, nous convoitons la vie éternelle.

Ici la convoitise met la main sur toute notre vie religieuse, elle en fait l'expression suprême de notre révolte. Il est normal qu'après avoir convoité la femme et la maison de son prochain, l'homme en vienne à convoiter la destinée de son prochain, et pour finir la vie éternelle, c'est-à-dire la destinée même de son Créateur. C'est toujours la même convoitise de cet homme qui a perdu sa destinée et qui cherche à la dérober où il peut. Mais ici, l'objet de la convoitise étant Dieu lui-même, la convoitise atteint son degré suprême, et utilise aussi les moyens suprêmes : à savoir la volonté de Dieu. Sans doute toutes les pratiques religieuses, toutes les idolâtries, les superstitions et les mystiques païennes sont au service de notre convoitise, mais ce n'est pas assez dire. Et il ne faut pas oublier que la loi «sainte, juste et bonne », la Révélation même de Dieu, peuvent devenir son instrument. Car la convoitise saura se plier à tout pour parvenir à ses fins, pour s'emparer du Royaume de Dieu. Elle deviendra la servante du Seigneur, elle observera scrupuleusement ses commandements, elle se soumettra aux pénitences et aux ascèses les plus dures, elle entraînera Luther au couvent et l'y martyrisera pendant dix ans, elle abondera en bonnes oeuvres, elle multipliera les prières et les sacrifices, elle proclamera les doctrines les plus irréprochables, elle récitera la confession des péchés et se couvrira, d'humilité. Elle ira jusqu'à distribuer ses biens pour la nourriture des pauvres, jusqu'à livrer son corps pour être brûlé; aucun prix n'est trop élevé pour celui qui veut s'emparer du fruit de l'arbre de la vie, aucun prix n'est trop élevé pour celui qui veut acheter la justice de Dieu. On renâclera bien sûr, on maudira secrètement ces exigences, mais on s'exécutera tout de même, on rampera s'il le faut, on fera des kilomètres sur les genoux pour se rendre maître de la place, pour forcer la porte du Royaume et obliger le juge éternel à céder.

Ainsi la loi de Dieu, loin de nous sauver, n'est qu'instrument de perdition en donnant à notre convoitise l'ultime moyen d'une stratégie aujourd'hui bien connue : la convoitise se servira des commandements divins pour revêtir son armée de l'uniforme des élus et s'avancer comme une alliée à l'assaut de l'imprenable forteresse du Dieu vivant. C'est là l'état que Paul a décrit dans Romains 7 quand il déclare : « La convoitise m'a séduit par le commandement-même. Par lui, elle a atteint son dernier degré de gravité ».

Si cela est vrai, si vraiment cela se passe ainsi, nous Sommes obligés de répondre à la question : que veut l'homme avec sa religion ? par la réponse nette : il veut s'emparer des faveurs de Dieu, il veut déposséder Dieu, il veut tuer Dieu. Comme Caïn enviait l'être d'Abel et voulait lui prendre sa vie, l'homme convoite la vie de Dieu et veut la lui prendre.

- Tuer Dieu ! Mais vous ne savez pas ce que vous dîtes: Vous videz les mots de leur sens à force d'exagérer! Qu'est-ce que cela veut dire : tuer Dieu ? Cela veut dire tout simplement ce qui s'est passé le jour où Dieu est venu se mettre à la portée de notre convoitise. Les faits sont criants et aucun argument ne peut contre eux quoi que ce soit. Ce ne sont pas en effet des brigands, ni des sans-dieux, ni des péagers qui ont crucifié le Seigneur de toutes choses; mais ce sont les meilleurs, mais ce sont les plus saints, les plus obéissants, les plus scrupuleux, les prêtres, les gardiens de l'Écriture les hommes qui s'étaient retirés et séparés du monde, tous ceux qui veillaient jalousement sur l'honneur et la gloire de Dieu, les dépositaires de la Révélation, les observateurs irréprochables de la loi («quant à la justice de la loi, exempt de tout reproche » dira Paul aux Philippiens 3/6). Oui, tous ceux-là, tous ces hommes religieux, le jour où ils réclament la mort de Jésus, ne font pas une erreur, ils ne se trompent pas, ils commettent J'acte suprême de leur existence, l'acte qui à la fois révèle et dénonce le véritable sens de leur vie religieuse et de leur sainteté. Tous ces hommes, dans leur obéissance, dans leur sainteté, convoitent l'existence de Dieu, si bien que ce Seigneur même qu'ils prétendaient aimer et servir de tout leur coeur, ce Seigneur dont ils défendaient l'honneur et gardaient la Parole, lorsqu'il s'est livré entre leurs mains dans la pauvreté, dans la vulnérabilité d'une existence humaine, ils l'ont tué.

Ils ne l'avaient donc jamais aimé, ils n'aimaient qu'eux-mêmes; ils n'avaient donc jamais cherché Sa gloire, ils ne cherchaient que la leur, ces observateurs irréprochables de la loi ! Ainsi la condamnation qu'ils portent contre Jésus-Christ, c'est exactement la condamnation qu'ils portent contre eux-mêmes, contre le meilleur d'eux-mêmes. Sur la croix de Jésus-Christ, la religion des hommes est démasquée et apparaît comme la forme suprême de leur convoitise, le lieu où le péché, loin d'être surmonté, abonde dans une jalousie désespérée. (L'Évangile note, en effet, a plusieurs reprises que les scribes et les prêtres livrent Jésus par jalousie.) C'est ce que montre la parabole des vignerons. Ils cultivent la vigne que leur maître leur a confiée, ces ouvriers; il n'est pas dit qu'ils la négligent. Ils observent la loi. La vigne porte son fruit. Ils obéissent semble-t-il aux neuf premiers commandements. Tout est bien. Mais quand Dieu leur envoie des messagers pour toucher son loyer, pour recevoir la récolte, ils ne l'entendent pas de cette manière. Ils veulent bien cultiver la vigne du maître, mais que la gloire en soit pour eux, et que la louange leur en demeure. Et quand enfin le Seigneur envoie son propre fils, c'est-à-dire, quand il vient lui-même pour recevoir la gloire qui lui est due, les hommes se disent: C'est l'héritier! Allons, tuons-le et l'héritage sera pour nous. Vous voyez comme c'est clair là aussi. Ils cultivent leur vie religieuse, ils portent du fruit, mais c'est pour eux et non pour le maître. C'est pour leur gloire et pour leur justice qu'ils obéissent. Tout leur travail n'est que convoitise.

À ce stade religieux, la convoitise s'appelle hypocrisie. « Malheur à vous, pharisiens hypocrites » ! Et cela veut dire : tant que la convoitise originelle n'aura pas été ôtée de notre coeur, tant que nous n'aurons pas reçu un coeur nouveau, tout ce que nous entreprendrons pour pénétrer dans le Royaume de Dieu, toute notre piété, tout notre service, tout notre amour pour Dieu, ne peut pas être autre chose qu'une comédie, une attitude que nous prenons. Tous nos efforts n'aboutiront jamais qu'à nous donner le meilleur air possible d'être ce que nous ne sommes pas. La convoitise fait de notre vie chrétienne une hypocrisie, un rôle plus ou moins bien joué.

Est-ce que nous en sommes là ? Est-ce que les menaces de Jésus pourraient nous être destinées à nous, dans notre christianisme ? Faut-il vraiment que le dixième commandement révèle en nous l'hypocrisie des pharisiens ? Voyons un peu. Je suppose que vous vivez dans la Terre Sainte, c'est-à-dire que votre vie est gardée et limitée par les commandements de Dieu et que vous vous tenez dans leur observation. Ne vous arrive-t-il pas de jeter un coup d'oeil par dessus la barrière, vers les plaines opulentes du Nil ou de l'Euphrate ? Ne vous arrive-t-il pas comme aux enfants d'Israël de regretter le pays d'Égypte dont vous avez été retirés, et de penser secrètement: « Quel dommage! il serait bon tout de même de pouvoir se permettre... » N'arrive-t-il pas que la bienheureuse frontière du Royaume de Dieu vous apparaisse tout d'un coup comme une chaîne? Eh bien, la convoitise est là, qui, par un seul regard, par une seule pensée, par un seul regret, nous arrache au Royaume de Dieu. Pouvoir penser qu'il est dommage de faire la volonté de Dieu, c'est déjà ne plus la faire, c'est avoir tout perdu. Comme vous le savez, Dieu demande au pécheur de regretter son péché, de se repentir. Et voici ce qui arrive: le plus souvent ce n'est pas tant notre péché que nous regrettons que notre obéissance. Tout au fond de nous, nous regrettons peut-être davantage ce que Dieu nous défend que ce que nous aurions fait malgré sa défense.
Ainsi la convoitise n'est pas quelque désobéissance particulière, mais la révolte qui se cache dans notre obéissance, ce regret d'obéir qui est l'inverse de la repentance, qui est la forme secrète de la haine contre Dieu. Nous obéissons bien sans doute, parce qu'il le faut, parce que c'est plus sûr, mais nous ne pensons pas que la volonté de Dieu soit la seule chose bonne, agréable et parfaite, nous pensons au contraire que la vie serait plus belle, plus riche sans la volonté de Dieu. Autrement dit : nous n'aimons pas cette volonté, nous nous en passerions si nous le pouvions. C'est à quoi revient la convoitise : à faire la volonté de Dieu sans aimer cette volonté, la faire à regret, comme si, au fond, elle était inutile, comme si elle était mauvaise pour nous, comme si Dieu voulait nous ennuyer, comme s'il ne voulait pas notre bien, en définitive comme si Dieu était un mauvais Dieu. Oui, nous devons aller jusque là, on ne peut s'arrêter à mi-chemin. Convoiter, ce n'est rien de moins que cela : estimer que Dieu est mauvais et qu'on serait plus heureux sans sa volonté. En un mot, convoiter, c'est haïr Dieu. Nous rejoignons par une autre voie ce que nous avons constaté tout à l'heure dans le procès de Jésus. Nous réclamons sa mort nous aussi quand nous faisons sa volonté à regret; quand, la main à la charrue, nous regardons en arrière; quand nous lui obéissons sans trouver, comme dit l'apôtre Jacques, « notre bonheur dans notre obéissance » (1/25).

Voilà ce que nous fait saisir le dixième commandement : le noyau de l'obéissance chrétienne n'est pas tant le fait de ne pas mentir, ni tuer, ni commettre adultère, ni travailler le dimanche; car tout cela, les païens le peuvent aussi bien que nous. Le point spécifique de l'obéissance chrétienne, c'est que notre bonheur suprême soit de ne pas faire cela, et notre douleur immense de le faire cependant; c'est que nous ne convoitions pas ce que Dieu nous demande de ne pas faire, c'est que nous aimions de tout notre coeur cette volonté que nous accomplissons. Car telle est uniquement l'obéissance que Dieu réclame, une obéissance qui soit notre bonheur, une obéissance sans convoitise.

C'est ainsi que la présence du dixième commandement est, dans la loi elle-même, l'indication de l'Évangile et doit nous faire saisir qu'elle n'est pas une série de restrictions, un appauvrissement, mais quelque chose de merveilleusement bon, le cadeau le plus précieux sans lequel nous ne pouvons pas vivre. Qu'il ne faille pas convoiter veut dire que ce dont la loi nous prive, ce n'est pas d'une chose bonne et utile, mais d'un poison mortel, d'une catastrophe irrémédiable. Regrette-t-on de n'avoir pas été empoisonné ? Convoite-t-on un accident auquel on a échappé ? S'il n'y a rien à regretter, rien à convoiter, c'est que la volonté de Dieu est vraiment bonne, agréable et parfaite, qu'elle est un don de son amour et non de son caprice, en un mot qu'elle est une grâce, l'expression même de la grâce. Le dixième commandement va jusque-là. Car ne pas convoiter n'est possible qu'à l'heure où nous comprenons ceci: ce que Dieu nous demande dans sa loi, c'est justement ce qu'il nous donne dans sa grâce, c'est le Royaume de son Fils bien-aimé où son pardon nous a introduit. Ne plus convoiter, cela n'est possible qu'au moment où notre obéissance est devenue son grand cadeau, la réalité même de sa miséricorde. « Il nous a élus' pour que nous soyons saints ». « Il nous a fait la grâce de pouvoir le servir » (Luc 1/74).

Il nous reste à savoir comment cette grâce de ne plus convoiter nous a été faite, comment le commandement, d'accusation inéluctable devient promesse de vie éternelle. Il a été bien établi jusqu'ici que nous ne possédions aucun moyen d'échapper à notre convoitise, puisque tous nos moyens, y compris la loi de Dieu, étaient utilisés par elle, puisque tous nos efforts, y compris nos efforts religieux, l'avaient, elle, pour fondement. Mais, maintenant, la bonne nouvelle est là, la promesse nous est faite : Si tu crois en Jésus-Christ, tu ne convoiteras pas ! Comment donc. Jésus a-t-il pu barrer la route à cette convoitise qui se glissait avec nous dans toutes nos entreprises? Quelle est la porte assez étroite pour que nous y passions sans que notre convoitise y passe ? Ce seuil que ne franchit pas la moindre trace de notre péché, cette porte si merveilleusement étroite que l'homme n'entre par elle que dépouillé, absolument, de tout ce qu'il a voulu être et avoir sans Dieu ? cette porte où notre désobéissance est laissée ? C'est la croix.

Jésus n'arrache pas de force la convoitise, car alors nous péririons avec elle. Sa tactique est autre. Elle est plutôt d'affamer notre convoitise; elle est de devenir de plus en plus celui que vomira la convoitise humaine, celui qui n'a rien à lui donner. Quand il résiste à la première tentation, déjà la décision est prise. Jésus ne nourrira pas notre convoitise. Il ne nous prendra pas avec du pain. Il ne nous prendra qu'avec la Parole de Dieu; c'est-à-dire avec lui-même. Tout au long de son ministère, cependant qu'il nous vient en aide de toute manière, il s'applique à décevoir soigneusement notre convoitise, qui, déçue de son côté, le rejette de plus en plus. Ceci est d'une dialectique étourdissante, car plus Jésus se laisse faire et se livre à la convoitise des hommes, et plus il lui échappe. Plus nous portons les mains sur lui et plus il nous glisse entre les doigts. S'il s'était laissé couronner roi après la multiplication des pains, on peut dire qu'alors en lui notre convoitise aurait triomphé, triomphé justement dans notre soumission à ce roi; et ce roi n'aurait été à son tour que l'instrument de nos désirs, il aurait été le Dieu de notre convoitise, le dieu qu'Adam voulait quand il écouta le serpent. Mais Jésus devient de plus en plus celui que nous voulons de moins en moins. Quand il est sur la croix, la rupture entre lui et nous est presque totale, pas encore tout à fait cependant. La convoitise est encore là autour qui guette une dernière fois la proie possible. Car si le Seigneur descendait de la croix, il serait encore bon à manger, il vaudrait la peine d'une ovation et même d'un culte. Mais une fois mort, c'est fini. Tout ce qu'il pouvait être pour notre convoitise est mort avec lui. Devant la croix, la convoitise n'a qu'une alternative : mourir de faim ou chercher d'autres dieux. Mais, en tous cas, Jésus lui échappe totalement. Il n'aura jamais rien à faire avec elle. Elle ne franchit pas ce seuil, cette porte étroite. À l'heure où elle le cloue au bois, elle se prive à jamais du Dieu vivant et de son royaume. En le faisant mourir, elle se condamne à mort, elle s'exclut à jamais de l'éternité. Tout ce qui se passe au delà de la croix, le rayonnant miracle de Pâques, le déchaînement de la bonté de Dieu, lui est à jamais inaccessible. Jésus est entré dans sa gloire par la honte de la croix, afin que notre convoitise demeure à cette porte, et ne songe même pas à la franchir.

C'est sur ce seuil que s'opère notre rédemption, c'est ici qu'il faut ouvrir les oreilles, car si maintenant le St-Esprit ressuscite et nous donne pour Seigneur celui qui est mort sur la croix, il se trouve à ce moment précis où nous croyons en Jésus-Christ que pour la première fois de notre vie et sans que nous y soyons pour quelque chose, notre convoitise est restée en arrière. Nous nous trouvons en un lieu nouveau où elle ne nous a pas suivis. Nous nous trouvons être en Christ un homme nouveau, absolument délivré de la convoitise, hors de son atteinte. Nous sommes dans le Royaume de Dieu dont les remparts sont inexpugnables et dont la porte est verrouillée par la croix mieux que par toutes les puissances imaginables. Si tu crois en Jésus-Christ, s'il est ton Sauveur sur la croix, tu ne convoiteras pas. Pas plus que nous ne pouvons servir Dieu et Mammon, nous ne pouvons croire en Jésus-Christ et convoiter. Par la foi, par la foi seule, nous sommes vraiment sauvés de la convoitise.
Vous le voyez, ce n'est point par son enseignement ou par son exemple que Jésus nous sauve. En tant que modèle ou que législateur il ne nous fournit qu'une meilleure façon de jouer la comédie et d'avoir l'air d'obéir. Mais il n'est pas venu pour parfaire notre rôle, et nous aider à être de meilleurs hypocrites; il est venu pour démasquer toute convoitise et la rejeter loin de nous par sa croix.

Maintenant que par lui la servitude d'Égypte est derrière nous, et que notre convoitise, comme l'armée de Pharaon, s'est abîmée dans la Mer Bouge, maintenant que Jésus règne sur des hommes que la croix a séparés de leur convoitise, il peut les combler, il peut tout leur promettre, il peut tout leur donner. Telle est la sagesse de Dieu, insondable. Cet héritage dont les vignerons voulaient s'emparer en tuant l'héritier, Dieu finalement le leur donne, gratuitement, - il le donne à ceux des vignerons qui reconnaissent dans la mort de l'héritier la mort de leur péché et se trouvent par conséquent sans péché, avec l'innocence d'un enfant nouveau-né, à l'instant même où ils étaient le plus pécheurs. Justement, parce qu'ils ne la convoitent plus, il peut leur donner sa propre vie, la vie éternelle. Parce que nous sommes pauvres en esprit, il peut nous donner son Royaume. Parce que nous sommes doux, il peut nous donner la terre. Tout ce qu'il donne ne cause qu'émerveillement et reconnaissance. Il peut nous rassasier éternellement pendant qu'à la porte notre convoitise crève de faim. Ressuscités avec lui, héritiers avec lui de toute la terre pour toujours, ce n'est donc pas seulement parce que la croix tient notre convoitise à distance que nous en serons délivrés, c'est d'une manière toute positive encore, parce que maintenant nous avons tout ce que nous pouvons avoir, nous possédons le trésor d'un plus haut prix que tout ce qu'auraient pu rêver nos appétits. Celui qui croit en Jésus-Christ a découvert la perle de grand prix et tout vendu pour l'acquérir. Comment voulez-vous qu'après cela il se mette à convoiter les petits cailloux de son prochain. Celui qui est ressuscité avec le Christ a dans le ciel une demeure éternelle qui n'est pas faite de main d'hommes, comment voulez-vous qu'après cela il convoite la bicoque de son voisin. Le croyant est né une seconde fois à l'espérance d'un héritage incorruptible. Comment voulez-vous qu'en même temps il s'émeuve au sujet de l'héritage d'un oncle ?

« Là où est ton trésor, là aussi sera ton coeur ». Si notre trésor est en Christ, s'il est vraiment le trésor absolu et définitif, alors notre coeur y est tout entier et n'a plus de place pour loger la convoitise; la reconnaissance le remplit et ne lui permet plus aucun de ces : Ah ! si j'avais ! ... Quand on possède soi-même le bonheur indescriptible de connaître Jésus-Christ et la puissance de sa résurrection, l'on est assez riche pour pouvoir se réjouir de ce qu'on a, même quand on n'a presque rien, même quand on a tout perdu. On est assez riche, surtout, pour pouvoir se réjouir du bonheur des autres, au lieu de le convoiter.

Celui qui est ressuscité avec Jésus-Christ ne peut pas convoiter. C'est plus fort que lui. S'il convoite, c'est exactement dans la mesure où il oublie qu'il est l'héritier de toutes choses et perd son assurance première. Ainsi nous voyons comment la Résurrection autant que la Croix de Jésus nous délivre de la convoitise. La Croix nous en sépare et la tient à distance, pendant que la Résurrection comble notre coeur du trésor absolu et n'y laisse que louange et reconnaissance. La convoitise peut venir maintenant et, certes, elle ne se fera pas faute de donner l'assaut à notre coeur jusqu'au dernier jour. Mais il n'y a plus de place et il n'y a rien pour elle. Celui qui est comblé de tout ce qu'elle désirait, c'est un autre homme qu'elle ne peut pas rejoindre et auquel elle ne peut plus rien offrir, qui est devenu éternellement riche sans elle. « Comme l'enfant gorgé de lait dort tranquille auprès de sa mère, tel est l'enfant rassasié, telle est mon âme.» (Ps. 131/2). Que peut-il donc convoiter celui-là !

Crucifié avec Jésus, le croyant ressuscite avec lui hors de la convoitise. Ses Yeux s'ouvrent alors sur la merveille de tout ce qui est. Car, aussitôt le voile de sa convoitise déchiré, l'homme entre dans le Royaume de Dieu. Il entrevoit la splendeur première de toutes choses et l'ordre véritable de la création. À la place du vide horrible et de l'amertume qu'entretenait en lui son envie, un cantique nouveau monte et emplit son coeur d'une jubilation inouïe : c'est la louange du Seigneur; cantique qui ne franchira jamais les lèvres de celui qui convoite, langage que seuls les rachetés connaissent et qui leur vint sur les rives de la Mer Rouge, (Exode 15) quand les dieux de l'Égypte et leur monde illusoire se sont engouffrés dans l'abîme. Le cantique de Moïse qui est le cantique de l'Agneau (Apoc. 15/3). Je louerai le Seigneur pour ce qu'il est, et pour ce que je suis, et pour ce que sont tous les hommes (sans leur convoitise, bien entendu). Je le louerai pour ce qu'est mon pays et pour ce que sont les autres pays (sans leur convoitise). Je le louerai pour ce que je possède et pour ce que mon frère possède. Je le louerai pour tout ce qui existe sur la terre et dans le ciel. Quand retentit ce cantique de louanges, où donc se cache la convoitise? Les choses anciennes sont passées. Le plus petit son de ce cantique, le plus petit commencement de balbutiement de cette louange, est une révolution plus profonde que tous les bouleversements sociaux, moraux et militaires de l'histoire, une révolution plus radicale que tous les ordres nouveaux imaginables et toutes les tromperies engendrées, par la convoitise des nations, par leur refus d'être ce que Dieu les a faites et de louer le Seigneur pour ce qu'il les a faites et ce qu'il leur commande. Et certes l'homme le plus pauvre, l'homme le plus dépourvu, qui seulement loue le Seigneur possède le monde et toutes choses mieux que les conquérants, mieux qu'aucune convoitise ne pourra jamais rêver de les posséder.

Si tu crois en Jésus-Christ tu ne convoiteras point. Ce commandement n'est que la manière négative, ou si l'on veut, la manière humblement quotidienne et silencieuse d'exprimer la louange qui éclate et roule comme un torrent dans les derniers psaumes et dans l'Apocalypse. « Louange, honneur et gloire à celui qui est assis sur le trône et à l'Agneau ! » Ce sont toutes les créatures qui chantent ainsi, c'est la création tout entière délivrée de la servitude de la convoitise, toutes les créatures du Ps. 148 :

Halleluia !
Louez le Seigneur des cieux !
Louez le dans les lieux très hauts !
Vous, tous ses Anges, louez le
Louez le toutes ses légions
Soleil et lune, louez le !
Et vous, étoiles de clarté,
Louez le !
Vous, cieux des cieux louez le !
Et les pluies amassées au-dessus des cieux
Qu'il soit loué de tous, le Nom de l'Eternel !
Car Il a ordonné et ils furent créés
Il les a établis à tout jamais
En d'immuables lois.
Louez l'Eternel aux bas-fonds de la terre
Monstres marins, abîmes.
Feu et grêle, neige et brouillards,
Vent de tempête exécutant sa voix,
Montagnes et collines.
Arbres à fruits, forêts de cèdres,
Bêtes sauvages et bêtes des troupeaux,
Reptiles, oiseaux ailés !
Que les rois de la terre et tous les peuples,
Les Princes et Maîtres de la terre,
Les jeunes hommes et les pucelles,
Les anciens et les enfants,
Louent le Nom de l'Eternel 1
Car son Nom seul est grand
Sa majesté dépasse et la terre et les cieux.
Il a élevé la force de son peuple.
Louange à Lui par tous ses fidèles,
Et par les enfants d'Israël
Le peuple près de son coeur.
Halleluia !

Ainsi s'exprime et s'épanouit dans la louange, la parfaite absence de convoitise des héritiers du royaume de Dieu. Ainsi s'accomplit leur véritable obéissance. Ils louent Dieu de pouvoir le servir. Ils louent Dieu pour ce qu'il leur commande. Ils s'émerveillent de sa volonté. « Agrée mes chants de louanges, dit le Ps. 119, je n'oublie point ta loi ». « Tes enseignements sont pour toujours mon héritage, ils sont la joie de mon coeur ».
Et plus loin (v. 163) : « J'aime ta loi. Je te loue sept fois le jour pour les arrêts de ta justice.»
Plus loin encore (v. 171) : « Mes lèvres proclameront ta louange, quand tu m'auras enseigné tes préceptes. »

Ainsi Dieu ne peut rien nous dire de plus qu'il ne nous dit dans cette dernière parole du Décalogue. Il ne peut rien nous donner ni nous demander de plus. Avec elle nous avons atteint le secret de la nouvelle naissance, le secret de la louange, le secret même du Royaume de Dieu. Il ne peut rien nous arriver de meilleur que ce dixième commandement. Il ne peut pas nous être fait de plus totale promesse.

Roland de PURY.


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