L'ORDRE DE
DIEU
IX
Tu ne diras point de
faux témoignages contre ton
prochain.
- par J.-L. LEUBA
Tu ne diras point de faux
témoignages contre ton
prochain.
Exode 20/16.
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Les mots centraux de ce texte sont : faux
témoignage. Pour savoir ce qu'ils
signifient, il nous faut consulter
l'Écriture sainte, c'est-à-dire le
livre qui contient la Parole de Dieu. De
nous-mêmes, nous ne saurions pas ce qu'est un
témoignage faux, ni ce qu'est un
témoignage véritable. Nous ne
saurions pas même quelle est la chose dont il
faut témoigner ni quelle est la bonne
manière de le faire fidèlement.
Placés en face de cette chose
extraordinairement complexe et mystérieuse
qu'est la vie du prochain, nous ne saurions
l'estimer vraiment et nous ne pourrions par
conséquent éviter ce faux
témoignage dont il est ici question. Comment
pourrions-nous dire : « Je témoigne que
mon prochain a volé » si nous ignorons
ce que c'est que voler ? Comment pourrions-nous
porter quelque jugement que ce soit sur sa conduite
si nous ignorons le critère vrai qui nous
permettra de juger ? Comment oserions-nous
prétendre porter un témoignage, si ce
témoignage devait venir de nous-mêmes?
Car - c'est là le centre du message
évangélique - la
réalité et la vérité
nous glissent entre les doigts tant que nous en
restons aux idées que
nous avons nous-mêmes.
Seuls, nous sommes dans un chaos
ténébreux où nous ne pouvons
saisir ni les choses, ni les personnes, ni
nous-mêmes.
Mais Dieu nous a donné sa Parole.
Et c'est en nous laissant guider par elle que nous
comprendrons ce commandement et sa
portée.
Dès que nous ouvrons la Bible,
dès que nous regardons où il y a les
mots témoignage et témoin, un
témoin apparaît centralement, un
témoignage est immédiatement
distingué. Ce témoin, c'est
Jésus-Christ, ce témoignage, c'est ce
qu'il dit. Cela peut nous paraître
étonnant. Mais c'est par là qu'il
nous faut commencer. Car c'est ce
témoignage-là qui nous permettra d'y
voir clair dans notre commandement, lequel, au
premier abord, mais au premier abord seulement,
parait se rapporter à tout autre
chose.
Depuis le témoignage que
constituaient les tables de la loi dans l'Ancienne
Alliance
(Exode 16/34,
25/16,
40/20, etc.) jusqu'au «
témoin fidèle » de l'Apocalypse
(1/5), il y a un fait, un seul lait central qui est
celui dont témoignent bien des choses et
bien des gens : la rencontre de Dieu et de l'homme
en Jésus-Christ. C'est par rapport à
ce témoignage central que s'orientent tous
les autres témoignages de la Bible et tous
les autres témoignages du monde. Car ce
fait, Jésus-Christ, est le fait de la Bible
et le fait du monde. C'est ce fait qui est la
Vérité et la Réalité.
En dehors de lui, il n'y a qu'erreur ou
néant.
Mais quel est ce fait ? Quelle est cette
rencontre de Dieu et de l'homme en
Jésus-Christ ? Quelle est la substance de ce
témoignage ?
C'est tout d'abord l'initiative de Dieu
de se révéler aux hommes. C'est de
cela que témoignent les tables
de la loi. Dieu n'a pas
laissé les hommes seuls, il est venu
à eux, il leur a montré que leur vie
était une fausse vie, une mort vivante pour
ainsi dire. Devant le témoignage de la loi,
les vies des hommes sont qualifiées de
pécheresses, et leurs oeuvres de fruits
mauvais.
Mais le fait ne s'arrête pas
là. Car Dieu ne s'est pas seulement
intéressé à l'humanité,
il est devenu lui-même homme en
Jésus-Christ. Et cela non pour lui, mais
pour nous. Il est devenu homme pour que, à
sa suite, nous ayons part à son
humanité, qui est le principe et le secret
de notre humanité. Son initiative est donc
une initiative de grâce. Si elle nous
confond, c'est pour nous relever. En
Jésus-Christ repose donc, pour nous, notre
vraie humanité, notre vraie vie. C'est donc
en fin de compte par rapport à
Jésus-Christ que nous pouvons vraiment juger
de l'homme, c'est en lui que nous trouvons notre
propre condition.
Voilà, très
brièvement dit, l'essentiel de ce
témoignage. Témoignage qu'il nous est
possible de recevoir et de transmettre. Ici, il
faut encore ajouter une précision : puisque
Dieu ne s'est pas seulement «
intéressé » à
l'humanité, mais qu'il est devenu
lui-même homme, témoin de
l'humanité nouvelle selon Dieu, son
témoignage est identique à sa
personne et sa personne est identique à son
témoignage. Un homme qui témoigne de
Jésus-Christ, un homme qui transmet
Jésus-Christ, est donc, malgré toutes
les imperfections de sa pensée, de ses
paroles, de sa vie ou de ses actes, un homme qui a
Jésus-Christ dans sa bouche, avec toute
l'essence de Jésus-Christ, avec toute la
puissance de Jésus-Christ, avec toute
l'existence de Jésus-Christ.
Le témoignage vrai sur l'homme
est Jésus-Christ.
Tout autre témoignage sur l'homme
que celui qui vient de Jésus-Christ sera
donc un faux témoignage. Toute parole qui
n'est pas la Parole de Dieu sera une fausse parole,
toute affirmation d'un fait autre que
Jésus-Christ, basée sur une autre
autorité que la sienne, sera une fausse
affirmation. Tout jugement porté au nom d'un
autre jugement que celui de Dieu manifesté
en Jésus-Christ sera un faux jugement. Et
toute vérité tirée d'ailleurs
que de la vérité de Dieu en
Jésus-Christ sera une erreur. Le faux
témoignage sera donc toute
déclaration qui se rapporte à un fait
autre que Jésus-Christ, qui néglige
ou qui combat ce fait central, toute parole qui
livre passage à une autre puissance
qu'à la puissance de sa Parole, qui invoque
une autre puissance que la puissance de
Jésus-Christ.
Maintenant que nous avons situé,
très brièvement, la perspective dans
laquelle la Bible nous invite à examiner
notre commandement, nous pouvons en venir au
commandement lui-même.
Tu ne diras pas. La première
chose que nous apprenons, c'est la puissance de la
parole. Cette puissance, nous l'avons
oubliée. La Bible nous l'enseigne à
nouveau. Car, pour la Bible, la parole, c'est la
réalité, et le nom, c'est la chose.
Ce que nous disons est une invocation de Dieu ou
une incantation des puissances diaboliques. Dans
notre bouche, nous avons la malédiction et
la bénédiction, comme le dit
l'apôtre Saint
Jacques (3/10). Et il est
très remarquable, signalons-le en passant,
que l'apôtre qui met en valeur le rôle
des oeuvres
(2/14-26) soit aussi
précisément celui qui souligne
l'importance de la parole. Gardons-nous donc de
toute religion qui tendrait à accorder
quelque suprématie que ce soit aux oeuvres
sur la parole. Car la parole est
l'élément
constitutif du monde et de
l'humanité. C'est par la parole que Dieu a
créé le monde, c'est par la parole
que le serpent communiqua avec Eve et Eve avec
Adam; c'est la parole de Dieu qui est devenue
chair. Ce n'est pas seulement une constatation
psychologique, c'est surtout et bien auparavant une
vérité de Dieu: ce qui est dit
existe, par le fait que cela a été
dit. C'est par la parole que les hommes sont
sauvés, c'est par elle qu'ils sont
trompés, menés, damnés, c'est
par elle qu'ils dominent le monde et c'est par elle
qu'ils vivent et, qu'ils meurent.
Mais notre commandement ne se borne pas
à nous signaler l'importance de la parole.
Il nous en enseigne le véritable usage. Tu
ne diras pas de faux témoignage. En d'autres
termes : tu diras le vrai témoignage, tu
diras Jésus-Christ. C'est ainsi que Dieu
veut être glorifié par notre bouche,
et que nous recevons la grâce de parler la
vraie parole. Certes, Jésus-Christ pourrait
très bien vivre sans nous; la Parole
pourrait très bien exister au milieu de nos
paroles contraires. Mais il a plu à Dieu de
mettre sa Parole dans notre bouche, de
recréer le monde avec notre collaboration,
d'ailleurs jamais indispensable pour lui. Il lui a
plu de ne pas nous laisser perdre notre temps
à mille occupations mortelles mais de nous
associer, dès maintenant, à son
oeuvre.
Il nous est donc donné de
manifester Dieu par nos paroles et, en
conséquence, de manifester la
vérité de l'homme en
Jésus-Christ. Il nous est donné,
portant le vrai témoignage sur Dieu, de
porter le vrai témoignage sur
l'homme.
Tout jugement porté sur le monde
qui ne proviendrait pas du jugement de Dieu serait
faux. Mais il nous est permis de porter le juste
jugement. C'est ici que l'on
voit apparaître le rapport entre le
témoignage au sens étroit de
«témoignage sur
Jésus-Christ» et le témoignage
au sens général de «
témoignage sur tel ou tel fait particulier
» du monde, de l'histoire des hommes, des
individus ou des collectivités. La Parole de
Dieu créant et recréant le monde,
c'est par elle seule que nous connaîtrons le
monde en vérité et en
réalité. C'est à travers le
fait Jésus-Christ que nous pourrons juger en
vérité de tous les autres faits. Il
serait vain de notre part de nous imaginer pouvoir
porter un jugement « objectif » sur le
monde et l'histoire, alors que seul l'« objet
» par excellence Jésus-Christ nous
permet de connaître en vérité
le monde et l'histoire.
Par exemple, nous rendrons un faux
témoignage contre notre histoire
contemporaine et les hommes qui la font si nous en
jugeons d'après nos petits ou nos grands
intérêts, d'après nos craintes
physiques ou nos espérances
égoïstes. Mais nous ne pourrons bien
juger de notre histoire contemporaine, porter sur
elle un témoignage véritablement
objectif, que si nous voyons, par
Jésus-Christ, les forces de
bénédiction et de malédiction
qui oeuvrent en elle, que si nous nous laissons
conduire par la Parole de Dieu à «
discerner les esprits ». Ou encore : nous
rendrons un faux témoignage contre notre
prochain si nous le jugeons d'après
nous-mêmes. C'est en ce sens-là qu'il
est écrit : Ne jugez point. Mais au
contraire nous rendrons sur lui un
témoignage vrai si nous voyons en notre
prochain ce que Jésus-Christ y voit : un
pauvre homme qui est pécheur, mais auquel le
pardon est donné et qui est appelé
ainsi à un nouvel avenir. Ou encore : nous
rendrions un faux témoignage contre
nous-mêmes si nous jugions de notre propre
situation d'après les idées
personnelles que nous nous en
faisons, d'après les sentiments que nous
éprouvons, les joies ou les tristesses qui
nous surprennent. Mais nous ne nous jugerons bien
nous-mêmes que si notre conscience (ce qui
signifie : savoir avec) est orientée sur la
Parole de Dieu. Ai-je obéi à la loi
de Dieu? Si oui, je suis heureux, même si je
me sens malheureux. Si non, je suis malheureux,
même si je me sens heureux.
Toute la réalité nous est
ainsi dérobée tant qu'elle ne nous
est pas donnée et redonnée par
Jésus-Christ. Voilà ce qu'il faut que
nous mettions dans notre tête pour
éviter cette effrayante anarchie de
témoignages contradictoires, personnels et
faux parce que fondés en autre chose qu'en
Jésus-Christ.
C'est Jésus-Christ qui nous
permet de savoir ce qui se passe dans le monde et
en l'homme. Car lui-même le sait
(Jean 2/25) et, à travers lui,
nous pouvons le savoir. Nous ne pourrons porter
aucun jugement sur les faits du monde et de l'homme
qui ne provienne directement de la parole
créatrice.
À propos du prochain, nous sommes
donc appelés à manifester les oeuvres
du Seigneur : oeuvres de jugement et de
grâce, oeuvres de condamnation et de
rédemption, oeuvre de châtiment et
d'espérance. Mais ce n'est pas tout. Car il
est dit : tu ne diras point de faux
témoignage contre ton prochain. Dire un faux
témoignage, c'est donc parler contre son
prochain. Et dire le vrai témoignage, c'est
parler en faveur de son prochain.
Dire un faux témoignage, taire
Jésus-Christ et le monde tel que
Jésus-Christ en révèle la
réalité et la vérité,
c'est nuire à son prochain. C'est nuire
à son prochain que de lui taire qu'il est,
lui aussi, un de ceux qui ont crucifié
Jésus-Christ, qu'il est, lui aussi, un de
ceux qui n'ont pas voulu de
Dieu, qu'il est, lui aussi, comme nous, dans une
situation anormale, monstrueuse, perdue. C'est
nuire à son prochain que de consentir
à le voir des jours entiers, des
années entières, sans jamais lui dire
ce qu'il nous est possible et donné de lui
dire : que sa situation est fausse, que son bonheur
est une illusion, et ses malheurs des appels
secrets de la grâce de Dieu. C'est nuire
à son prochain que de prononcer, en face de
lui, des paroles qui évoquent, au sens le
plus fort du terme, des paroles d'incantation qui
évoquent les puissances infernales, les
puissances de néant que Jésus-Christ
a vaincues: paroles de luxure, paroles de crainte
des fausses puissances, paroles de
légèreté, paroles de
désespoir, paroles de découragement,
paroles de haine, paroles d'envie, paroles de
jalousie, paroles de mort. C'est nuire à son
prochain que de lui cacher que, pour lui aussi,
Jésus est ressuscité, qu'en
Jésus il peut renaître en
nouveauté de vie. C'est nuire à son
prochain que de lui dire : « Tu es un de ceux
que je connais bien, tu ne changeras guère,
c'est bien dommage qu'il en soit ainsi », et
de le lui signifier par toute notre attitude. C'est
nuire à son prochain que de lui dire, en un
mot, des paroles de mensonge, que d'être
devant lui un témoin piteux des faux dieux
vaincus par Jésus-Christ.
De ce témoignage centré en
Jésus-Christ dépendra aussi le
témoignage sur ses faits et gestes, et en
particulier, le témoignage devant le
tribunal. Il y aurait faux témoignage de
notre part lorsque nous ne verrions pas le prochain
tel qu'il est (et Jésus-Christ seul nous
permet de le voir tel qu'il est) mais tel que, soit
par une haine coupable, soit par une affection tout
aussi coupable, soit par quelque
intérêt égoïste et
coupable, nous
prétendrions le voir. Alors, nos passions
déformeraient notre témoignage et de
toute manière nous nuirions à notre
prochain (voir plus bas comment, de toutes
manières, un faux témoignage nuit au
prochain).
En face de ce commandement, qui est
toute grâce pour nous, nous voyons quelles
grâces nombreuses nous avons laissé
échapper. Nous aurions pu dire :
Jésus-Christ et, en lui, la
vérité du monde et de l'homme. Mais
tant de choses nous en ont détournés
: il était délicat, pensions-nous, de
nous immiscer dans les affaires des autres (comme
si nous ne nous immiscions pas dans leurs affaires
en refusant de leur donner Jésus-Christ !
C'est toujours la même chose : on ne veut pas
prendre trop de responsabilités. Et on ne se
rend pas compte qu'on prend une aussi grande
responsabilité en n'agissant pas qu'en
agissant! Que nous le voulions ou non, nous sommes
responsables !), nous avons craint de ne savoir que
dire; par suite de ce malheureux
préjugé qui cantonne les choses
« religieuses » dans les Églises,
nous n'avons pas osé, malgré toute
notre piété, dire et montrer ce
témoignage vrai aux gens que nous
rencontrions dans notre vie quotidienne, dans notre
famille, dans notre bureau, dans notre usine, dans
notre école. Mais surtout, nous n'avons pas
très bien su ce qu'était ce
témoignage vrai. Nous sommes
chrétiens et nous ignorons notre religion.
Nous ne sommes pas armés pour le vrai
témoignage. Il y a dans notre religion trop
de convention, trop de tradition morte, trop de
pudeur mal placée, trop d'ignorance surtout.
Nous avons tous besoin d'un bon catéchisme
qui nous donne ces connaissances indispensables
pour que la Parole de Dieu s'exprime par notre
bouche. Nous avons tous besoin de pensées
claires, de doctrines utiles,
qui n'enferment pas la Parole de Dieu, mais qui
nous aident à lui laisser passage à
travers nous.
Mais le pardon de Dieu dure encore. Il
n'est pas trop tard pour prendre connaissance de ce
témoignage vrai et pour le dire.
Ce grand fait de Dieu en
Jésus-Christ, cette grande lumière
qui éclaire les ténèbres, ce
grand jugement qui détruit et qui construit,
qui détruit le faux monde et rebâtit
le vrai monde, il nous est permis, possible et
donné de les apporter au prochain. Et, ce
faisant, nous agirons en faveur de notre prochain.
Ici aussi, nous avons beaucoup à apprendre.
C'est agir en faveur de son prochain que de lui
apporter Jésus-Christ, c'est même la
seule manière d'agir vraiment en sa faveur.
Et toutes les autres faveurs que nous pourrions lui
témoigner sont rapportées à
celle-là. C'est agir en faveur du prochain
que de lui donner et la vérité de
Dieu en Jésus-Christ et la
vérité de l'homme en
Jésus-Christ. Car nous lui apportons sa
vraie situation : celle d'un pécheur (et il
ne faut pas que cette situation soit cachée)
et celle d'un pécheur pardonné (et il
ne faut pas que ce pardon soit tu, que cette
espérance d'un nouvel avenir soit
dérobée).
C'est cela même qui nous permet de
le voir tel qu'il est et de témoigner, au
tribunal s'il est nécessaire, sans passions
et sans autre « parti-pris » que celui de
la vérité qui nous est donnée
eu Jésus-Christ et qui nous permet de
témoigner en vérité de
l'existence et des actes d'un homme (voir
ci-dessous comment un témoignage vrai est
toujours en faveur d'un homme).
Ce que nous avons vu jusqu'ici contient
l'essentiel du commandement. Pourtant il ne sera
pas inutile d'ajouter encore
deux précisions qui compléteront la
perspective.
I. Notre texte n'admet pas qu'un
témoignage faux puisse être en faveur
des hommes. Il n'est jamais en faveur des hommes
que leur situation soit dissimulée à
leurs propres yeux ou que le salut qui est en
Jésus-Christ soit dérobé
à leur vue. Il n'est jamais en faveur des
hommes que leurs péchés soient
cachés, leurs mauvaises actions
passées sous silence, leur conduite couverte
par un autre (rue par Jésus-Christ. Notez ce
très remarquable caractère de la
pensée biblique : il n'est pas dans
l'intérêt des hommes que Dieu ou
n'importe quel ministre de Dieu (par quoi il faut
entendre tout homme agissant au nom de Dieu)
dissimule les crimes des hommes publics ou
privés, les crimes des nations et les crimes
des collectivités diverses. La
définition d'« intérêt
» dont il s'agit ici ne saurait être une
définition de droit formel. Dans le droit
formel, un témoignage mensonger peut
être en faveur d'un coupable. Par exemple, si
quelqu'un a volé, que je le sache et que je
témoigne faussement qu'il n'en est rien, mon
témoignage sera à «
décharge » comme on dît. Il
déchargera le prévenu. Il sera en sa
« faveur ». Mais la Parole de Dieu, qui
est le vrai, le seul témoignage, ne nous
permet plus d'en rester à ces « faveurs
» provisoires, à ces « droits
» passagers, à ces témoignages
superficiels. Elle va jusqu'au fond des vies
(Hébreux 4/12), elle n'admet
pas qu'un témoignage mensonger puisse
être en faveur des hommes. Non, un mensonge
sur la situation humaine est toujours en la
défaveur de l'homme. La charité
divine ne nous permet pas de nous plonger dans des
illusions mortelles sur notre véritable
situation. Il faut que clarté se fasse, sur
notre état et sur nos
actes.
Il est bon que nous rappelions cela,
à une époque où certains
milieux chrétiens, par suite d'une certaine
tendresse coupable - le contraire de la
charité - dissimulent le vrai
témoignage de Dieu sur les hommes et les
choses. Certes, ce n'est pas eux qui doivent juger;
mais ils ont à laisser la Parole de Dieu
juger. Il importe, dans l'intérêt
même des hommes qui se perdent dans leurs
tours de Babel politiques, militaires ou
économiques, que nous leur disions,
même s'ils ne veulent pas l'entendre : «
Votre affaire est une mauvaise affaire. Et c'est
dans votre véritable intérêt
que nous vous le disons. Car vous n'avez
d'espérance en ce monde comme en l'autre que
dans la vérité qui est en
Jésus-Christ et qui, pour toute chose,
procède de lui. »
Il. Mais, réciproquement, notre
texte n'admet pas qu'un témoignage vrai
puisse être contre les hommes. Ici, de
nouveau, puisque c'est la réciproque de ce
que nous avons vu tout à l'heure, le droit
auquel nous avons à faire est tout
différent d'un droit formel. Car, dans le
droit formel, un témoignage vrai peut
être à charge, parce que les termes
« à charge » et « en
défaveur de » sont compris ici dans une
perspective extrêmement limitée. On
admet que c'est une chance pour un criminel
d'échapper à un châtiment qu'il
aurait mérité, et à n'importe
quel « honnête » homme d'avoir pu
dissimuler telle petite ou grosse vilenie aux yeux
de ses congénères. Mais, selon la
perspective nouvelle que nous donne la Parole de
Dieu, il est toujours dans l'intérêt
d'un homme que sa situation soit découverte
et portée publiquement en
Jésus-Christ., portée publiquement
par la vérité et non point
portée secrètement par le mensonge.
Il n'y a pas moyen de recevoir le pardon
de fautes que l'on ne veut pas
voir, et que l'on ne veut pas avouer. Dans
«Crime et Châtiment» de
Dostoiewski, il était à l'avantage du
criminel Baskolnikov que son crime fût
découvert, avoué, condamné,
parce que, à cause de Jésus-Christ,
la repentance dans la vérité
était possible et que le bagne de
Sibérie était plus propice à
la nouvelle vie que l'existence mensongère
dans la patrie.
Au terme de cette brève
étude, il nous est possible de rassembler en
une phrase l'essentiel de ce que nous avons dit. Tu
ne diras pas de faux témoignage signifie: Tu
invoqueras Dieu seul, en Jésus-Christ, et
ainsi, portant un vrai témoignage sur Dieu,
tu porteras un vrai témoignage sur toute
chose et tout homme, et ce vrai témoignage
sera en leur faveur, car il est en la faveur des
hommes que la vérité de Dieu -
péché et grâce - (qui est leur
vérité secrète) soit
manifestée.
Jean-Louis LEUBA.
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