LA PALESTINE AU TEMPS DE
JÉSUS-CHRIST
CHAPITRE IV
LE SANHEDRIN
Son origine. - Le
nombre de ses membres. - Qui était
Président du Sanhédrin? -
Les- Les Attributions
du Sanhédrin. - Sur qui retombe la
responsabilité de la mort de
Jésus ? - La Commission juridique.
- La Salle des Séances. - Où
Jésus fut-il jugé ? - Les
Sanhédrins
provinciaux.
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Les Romains, suivant
leur politique constante et qui leur avait toujours
réussi, avaient laissé aux Juifs
leurs autorités religieuses, leurs tribunaux
particuliers, leurs
Sanhédrins.
Au premier,
siècle, l'administration des affaires
publiques et de la justice était
partagée entre les procurateurs et les
tétrarques d'une part et les
autorités locales de l'autre. Il est parfois
difficile de fixer les limites de leurs pouvoirs
respectifs. Cependant, sous la suprématie
des procurateurs, le Sanhédrin de
Jérusalem, dont nous allons parler
spécialement, avait un rôle presque
exclusivement religieux et ne s'occupait que des
affaires intérieures. Ce Sanhédrin
était une assemblée permanente, un
sénat (1) qui siégeait à
Jérusalem, dont les pouvoirs avaient
été très étendus sous
les Macchabées et dont nous chercherons tout
à l'heure à déterminer les
attributions au premier siècle. Il va sans
dire que la tradition juive en faisait remonter
l'institution à Moïse et la trouvait
fort clairement exposée dans la Loi
(2), mais il va sans dire aussi qu'il
n'y a rien de commun entre le Sanhédrin et
les hommes dont parle Moïse et qui sont
désignés comme représentants
du peuple (3), Il n'y a non plus aucun lien entre
cette première assemblée et celle qui
devait se former plus tard. Sous Esdras
lui-même, le Sanhédrin n'existait pas
encore; Esdras créa ce qu'on appelle la
« grande synagogue », terme impropre qui
fait confondre cette institution avec les
synagogues proprement dites et qu'on ferait mieux
de remplacer par celui de : grande
assemblée. Celle-ci subsista jusque vers
l'an 300 avant Jésus-Christ. C'était
un collège de Scribes résolvant les
questions de théologie
(4). Le Sanhédrin, au contraire,
était une autorité gouvernementale.
Nous trouvons la première trace de son
existence sous Antiochus Epiphane (223-187).
Josèphe parle en effet, d'une c'est-à-dire d'un sénat
(5) qui aurait fonctionné alors.
Il est donc possible que les
Ptolémées eussent permis aux Juifs la
création du Sanhédrin pour gagner
leur affection en les autorisant à se
gouverner eux-mêmes; mais le pouvoir de cette
assemblée devait être fort peu de
chose sous leur administration et sous celle des
Séleucides ; il est évident que c'est
sous les Hasmonéens seulement que cette
luit devenir puissante. De 162 à 130 nous ne
trouvons aucune mention de son existence. Tout nous
porte à croire que c'est le roi Hyrcan qui,
en 130, organisa ou réorganisa le
Sanhédrin. Il en fit une sorte de
représentation nationale
(6) ; avant celle époque le
pouvoir appartenait presque exclusivement au grand
prêtre.
Les Romains, en
s'emparant de la Palestine (63 ans avant
laissèrent subsister le Sanhédrin.
mais en restreignant ses pouvoirs. Nous trouvons
pour la première fois le mot dans les Psaumes de Salomon,
ouvrage composé à cette
époque. Josèphe l'emploie aussi
(7) quand il nous raconte que le jeune
Hérode fut cité devant le
Sanhédrin comme ayant outrepassé ses
pouvoirs (47 av. J.-C.). Le Sanhédrin donna
là son dernier signe d'indépendance.
Plus tard, Hérode vainqueur, maître de
la ville, se vengeait cruellement en
décimant ses anciens juges et le
Sanhédrin ne fut plus qu'un troupeau docile
prêt à approuver tous les actes du
maître. L'indépendance se
réfugia dans les écoles des
Pharisiens. Ceux-ci furent désormais en
minorité au Sanhédrin et
laissèrent la majorité aux
Saducéens, toujours prêts à
être complaisants pour le
pouvoir.
Le Sanhédrin
avait, au premier siècle, sous les
Hérodes et sous les procurateurs, une
existence officielle. Il se réunissait, il
délibérait, il avait une apparence
d'autorité (8).
Il comptait 71
membres. Ce chiffre nous est donné par la
Mischna (9). Il est emprunté à la
Loi (10), et peut être difficilement
contesté. Josèphe le confirme quand
il nous dit qu'il établit en Galilée
un conseil de soixante-dix anciens « à
l'instar de celui de Jérusalem
(11)». Le
président
était le soixante et
onzième.
Ici se pose une
grosse question : Qui était président
du Sanhédrin'? Etait-ce de droit, le grand
prêtre, ou les deux charges, celle de grand
prêtre et celle de président du
Sanhédrin, étaient-elles distinctes?
Nous n'hésitons pas à répondre
que, pendant la vie du Christ, la présidence
appartenait au grand prêtre. Lorsque
Jésus fut condamné, Kaïaphas
présidait le Sanhédrin. Il n'y avait
pas, comme on l'a cru, un autre président
dont l'autorité était annulée
par l'influence prépondérante de
Kaïaphas. Josèphe et le Nouveau
Testament résolvent cette question aussi
clairement que possible. Citons ici le
témoignage de Josèphe : «
Après le bannissement
d'Archélaüs, dit-il, l'administration
fut aristocratique ; mais la présidence du
peuple. fut confiée aux grands prêtres
(12). » Le grand prêtre,
dit-il ailleurs, garde les Lois, juge les
différends, fait exécuter les
sentences contre les condamnés
(13). »
Dans un passage plus
formel encore, il désigne
expressément Ananos (62 ap. J.-C.) comme
remplissant les deux fonctions de grand
prêtre et de président du
Sanhédrin (14). *Dans le Nouveau Testament, les
passages abondent (15) et tous sont
concluants.
Le savant Lightfoot,
dans ses Horae hebraïcae et talmudicae, et
plusieurs critiques après lui, entre autres
M. Cohen, dans son livre des « Pharisiens
», ont cru à tort que, du temps de
Jésus-Christ, la présidence du
Sanhédrin appartenait aux membres de la
famille de Hillel. Celui-ci avait été
nommé président de son vivant; or,
Siméon, son fils, lui aurait
succédé, puis Gamaliel, son
petit-fils. Ceux qui défendent cette opinion
citent à l'appui plusieurs passages des
Talmuds.
Etudions ces
passages. Dans le traité Chagiga
(16), nous trouvons deux listes de noms
parallèles : José ben Joeser et
José ben Jochanan ; José ben Perachia
et Nittaï d'Arbela ; Juda ben Tabbaï et
Simon ben Schetach ; Abtalion et Schemaïa ;
Schammaï et Hillel. Cette double liste de
duumvirs se trouve aussi dans le premier chapitre
du Pirké Aboth. On appelait ces personnages
les couples (zougoth), et le traité Chagiga,
après les avoir nommés, ajoute:
« Les uns étaient présidents et
les autres vice-présidents du Tribunal
» (c'est-à-dire du Sanhédrin)
« le président s'appelait Nâssi
(prince), et le vice-président Ab Beth Din
(Père du Tribunal), parce qu'il
présidait dans les affaires judiciaires
(17). »
Cette dernière
observation nous parait juste. Il y eut des
duumvirs (18) ; Hillel fut bien Nâssi
(prince), et nous ne voyons pas pourquoi ce terme
n'aurait pas signifié président du
Sanhédrin. Les duumvirs étaient aussi
probablement les chefs des écoles des
docteurs de la Loi, et la tradition talmudique a
sans doute raison de les confondre souvent avec les
présidents du Sanhédrin. Quand Hillel
fut nommé Nâssi par acclamation, nous
pensons qu'il fut porté à la fois
à la présidence des écoles des
Docteurs et à la présidence du
Sanhédrin (19). Nous acceptons donc comme exact ce
passage du traité Chagiga.
Mais dans d'autres
traités, la tradition talmudique, que nous
venons de signaler, se développe, s'enrichit
et alors tombe dans l'erreur C'est ce que n'ont su
voir ni Lightfoot, ni M. Cohen. D'après le
Talmud de Babylone (20) la présidence du
Sanhédrin serait restée dans la
famille de Hillel. Simon I, son fils, lui aurait
succédé, et, après
Siméon, Gamaliel l'Ancien, le maître
de saint Paul, aurait été chef de
cette assemblée. Il aurait laissé,
lui aussi, le pouvoir à son fils. Nous
aurions ainsi la liste ininterrompue des
présidents du Sanhédrin depuis les
Macchabées jusqu'à la destruction de
Jérusalem. .
Mais ici nous sommes
en contradiction formelle avec Josèphe et
avec le Nouveau Testament, et M. Cohen
(21) se trompe quand il affirme que
Siméon, fils de Hillel, et père de
Gamaliel, présidait le Sanhédrin
l'année de la mort de Jésus.
D'après Lightfoot
(22), le président aurait
été Gamaliel lui-même. Nous
avons aussi commis cette erreur
(23). Elle est évidente; nous
savons quelles étaient les tendances de
Gamaliel. Il était plus libéral
encore que son grand-père, et on admettrait
difficilement que, président du
Sanhédrin, il se fût abaissé
devant le grand prêtre et l'eût
laissé décider à sa place. Du
reste, le livre des Actes
(24) nomme Gamaliel comme docteur de la
loi, membre du Sanhédrin et ne dit point
qu'il en fût président. Josèphe
(25) nous parle de Siméon fils de
Gamaliel, et dit qu'au temps de la guerre il
était membre du Sanhédrin. Il ne dit
pas qu'il le présidât.
Il y a donc dans les
Talmuds deux traditions : l'une, la plus ancienne,
nous affirmant que les docteurs
célèbres ont été
présidents et vice-présidents du
Sanhédrin jusqu'à Hillel et
Schammaï inclusivement, mais ne parlant pas de
leurs successeurs ; cette tradition est vraie
à nos yeux ; l'autre, plus moderne,
affirmant que la présidence est
restée dans la famille de Hillel ;
celle-là est fausse. Et ici, nous croyons
devoir nous séparer de MM. Schürer,
Derenbourg, etc., qui rejettent les deux
traditions; la première comme la seconde. M.
Schürer croit même à une
interpolation. Nous pensons, au contraire, que la
première des deux traditions est
parfaitement historique. D'après elle, le
grand prêtre n'était pas primitivement
président de droit du Sanhédrin, et
il ne l'a pas été avant la mort de
Hillel (26). A ce moment, au contraire,, il le
devint, et garda cette présidence
jusqu'à la ruine de Jérusalem. Parmi
les passages de Josèphe que nous avons
cités, il en est un qu'on n'a pas assez
remarqué, dont le sens est fort clair et
confirme notre opinion. « Après la mort
d'Hérode et le bannissement
d'Archélaüs, dit-il (6 ap. J.-C.),
l'administration fut aristocratique et la
présidence du peuple fut confiée aux
grands prêtres
(27). » Elle ne leur était
donc pas confiée auparavant ; ce passage
nous semble concluant. La présidence du
grand prêtre a commencé alors, et
c'est exactement à la mort de Hillel. Cette
mort fut le signal d'un changement de la
présidence. Elle fut ôtée aux
Pharisiens et donnée aux Saducéens,
et non seulement aux Saducéens, mais, parmi
eux, au grand prêtre. Remarquons que cette
prise de possession coïncide exactement avec
le commencement du règne des procurateurs
romains. Archélaüs fui banni comme
Hillel venait de mourir.
Or, les Romains
favorisaient précisément le
saducéïsme conservateur et
détestaient les libéraux et les
patriotes partisans des idées de Hillel.
C'est eux, sans doute, qui imposèrent
d'autorité ce changement. Dans cette
hypothèse, le premier grand prêtre,
président du Sanhédrin, aurait
été le fameux Hanan, beau-père
de Kaïaphas. On se représente fort bien
cet homme habile, intelligent, sans scrupule,
s'emparant de cette charge après plusieurs
grands prêtres insignifiants qui avaient
laissé Hillel présider.
L'autorité des Saducéens devint alors
très grande ou, du moins, tout à fait
officielle. Le Sanhédrin perdit toute
indépendance et il est à remarquer
que la condamnation de Jésus n'a
peut-être tenu qu'à cette substitution
de la famille d'Hanan à la famille de
Hillel. Il est permis, en effet, de douter que
Jésus eût été
condamné à mort si l'ancien
état de choses avait subsisté et si
Gamaliel, le sage et tolérant Gamaliel,
avait présidé le tribunal devant,
lequel il comparut.
Hanan
(28), grand prêtre de l'an 7
à l'an 14, fut, déposé, mais
il conserva son titre et son autorité
(29). Il avait une influence
considérable. Son gendre Kaïaphas fut
grand prêtre de l'an 25 à l'an 36.
Déposé en 36 par Vitellius,
légat de Syrie, il fut remplacé par
Théophile, fils de Hanan. Cinq des fils de
cet homme furent ainsi grands prêtres tour
à tour et présidents du
Sanhédrin. C'est « la famille
sacerdotale », disait-on, comme si le
sacerdoce y était héréditaire
(30). Pendant cinquante ans elle garda le
pontificat. Hanan, dont le règne avait
duré si longtemps, passait pour avoir
été un homme très heureux
(31).
Le Sanhédrin
comptait, avons-nous dit, soixante et, onze
membres, y compris le président. Le Nouveau
Testament distingue dans cette assemblée les
grands prêtres les anciens et les scribes
(32). La Mischna, de son
côté, nous donne une division à
peu près semblable. « Le
Sanhédrin se compose, dit-elle
(33), de prêtres, de Lévites
et d'Israélites dont les filles ont le droit
d'épouser des prêtres.
»
Elle entend par cette
dernière expression les Israélites
qui pouvaient, en produisant leurs tables
généalogiques, établir la
pureté de leur origine juive. Ces membres se
rencontraient dans toutes les classes de la
société.
Il est assez
difficile de déterminer le sens exact du mot
grands prêtres (au pluriel) dans le Nouveau
Testament, car il n'y avait à la fois qu'un
seul grand prêtre. On peut supposer que
celui-ci, une fois déposé, gardait
son titre. Josèphe, en effet, conserve toute
leur vie aux grands prêtres leur titre d'
Or, ceux-ci étaient au nombre
de six pendant la vie d'Hérode, de huit
pendant la vie de Jésus-Christ. Le grand
prêtre avait, en effet, un caractère
indélébile ; il était
censé nommé à vie, et, quand
il était déposé et
remplacé, il conservait dans sa retraite un
certain nombre de prérogatives dont on ne
pouvait le dépouiller
(34). Cette explication serait
entièrement acceptable si le Nouveau
Testament n'appelait pas grands prêtres des
hommes qui n'avaient jamais été
souverains pontifes, par exemple Jean
(35), Alexandre
(36), Skeuas
(37); Josèphe fait de même
(38). Ce nom désignait-il alors
les chefs des vingt-quatre classes de prêtres
?
Nous n'en avons
aucune preuve. L'hypothèse la plus
vraisemblable donne ce nom aux membres (les
familles qui fournissaient les grands
prêtres. Le souverain pontificat
était, en effet, un droit de certaines
familles (39) (par exemple celle de Hanan). Le mot
aurait donc une triple signification
au singulier, il désignerait le grand
prêtre proprement dit au pluriel, ceux qui
avaient été grands prêtres et
enfin ceux qui pouvaient le devenir comme membres
des familles qui seules avaient droit au
pontificat.
Le nom était le
nom général des autres membres. Ils
n'étaient pas nécessairement
laïques et plus d'un prêtre pouvait se
rencontrer parmi eux. Quant aux
c'étaient les Scribes dont, nous parlerons
dans un chapitre spécial.
Nous avons dit que la
majorité du Sanhédrin était
saducéenne.
Tous les
prêtres, entre autres, étaient
saducéens et il était bien rare au
premier siècle qu'un prêtre fût
pharisien. Ce parti cependant devait être
largement représenté dans
l'assemblée. Josèphe et le Nouveau
Testament nous montrent Pharisiens et
Saducéens mêlés sans
distinction de parti
(40).
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