À l'Image de Christ
III
Christ, membre de l'Eglise.
Matthieu Ill, 13-15; VIII, 4; IX, 35; XIII, 54; XXI, 12, 13. Marc III, 1-6; VI, 2; XII, 41-44. Luc II, 21-24, 39, 41-49; IV, 16-32, 44; XXII, 53. Jean IV, 22; V, 1; VIII, 20; X, 22, -23.
Matthieu IX, 10-17; XII, 1-14; XV, 1-9; XVI, 6; XXIII. Luc X, 31, 32. Jean II, 18-22.
Matthieu XXIV, 1, 2; XXVI, 17-30; XXVIII, 19-20. Jean XX, 22, 23.
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L'Église est, à quelques
égards, un corps plus étroit que la
famille elle-même, car elle peut recevoir un
membre d'une famille en même temps qu'elle en
exclut un autre, mais elle est cependant plus large
encore que l'État, puisque les citoyens de
nations différentes peuvent être
membres d'une même Église. La famille
et l'État sont des institutions
créées par la force même de la
nature humaine et en parfait accord avec ses lois
inhérentes; mais l'Église est une
institution divine, placée au milieu des
hommes pour éveiller et former les
âmes à une vie supérieure; dans
tout coeur naturel, elle trouve
un rejeton vivace que son
rôle sera de développer : c'est la
nostalgie d'un bonheur impossible à
réaliser ici-bas et qui ne peut être
obtenu que par un don du Ciel.
Sans révélation, il
n'y a pas d'Église.
Comme les clochers de nos
cathédrales s'élancent au-dessus des
demeures des hommes et montent vers le ciel, ainsi
l'institution de l'Église exprime
l'aspiration de l'homme à une vie divine et
éternelle que seule la grâce de Dieu
peut lui donner.
I
Jésus naquit dans une contrée
où existait déjà une
Église fondée sur la
révélation et dispensatrice de la
grâce de Dieu. Il était fils de cette
nation à laquelle appartenaient «
l'adoption et la gloire, les alliances, la loi, le
service de Dieu et les promesses. »
Admis dans l'Église par la
cérémonie habituelle de la
circoncision il fut, quelques semaines plus tard,
présenté dans le temple comme tout
enfant juif et consacré au Seigneur.
Ainsi, avant qu'il en eût
conscience, l'Église visible de Dieu
l'adoptait par des rites sacrés.
Le baptême a pour nous la
même signification. Mais un grand nombre de
ceux qui ont été baptisés dans
leur enfance n'ont, à l'âge mur, aucun
désir d'être liés avec
l'Église. Jésus au contraire,
aussitôt qu'il fut capable d'action
personnelle, s'assimila les pieux désirs de
ses parents et témoigna d'un amour
passionné pour la maison de Dieu. Quand ses
parents le perdirent à Jérusalem,
lors de son premier voyage à l'âge de
douze ans, ils le retrouvèrent dans le
temple et à l'ouïe de leurs reproches
il leur demanda, surpris, où donc ailleurs
ils pouvaient s'attendre à le trouver. Il
fréquenta sans doute assidûment la
synagogue durant les obscures années de sa
vie à Nazareth et il est étrange de
songer aux prédications que si longtemps il
dut entendre dimanche après
dimanche.
Quand il quitta la vie privée
de Nazareth pour entrer dans le ministère,
il resta fidèle à la synagogue; elle
fut, de fait le centre d'où se
développa son oeuvre. - « Il fit des
miracles dans les synagogues de la Galilée.
» Il ne négligea pas
davantage cet autre centre de l'adoration juive, le
temple de Jérusalem; il prit part à
ses fêtes; il mangea la pâque avec ses
disciples dans cette ville et prêcha dans ses
murs. Il ne dédaigna pas même le
devoir matériel de contribuer à la
collecte et envoya Pierre chercher dans la bouche
d'un poisson une monnaie pour payer la taxe due par
chaque membre de l'Église; il loua
chaleureusement la veuve qui jeta sa pite dans le
tronc.
Ainsi, Jésus aima avec
passion la maison de Dieu et put dire avec David :
« Que ton tabernacle est aimable, ô
Éternel! Mon âme soupire et languit
après les parvis de l'Éternel!
»
On entend quelquefois de nos jours
des hommes qui font profession de foi
chrétienne dénigrer le culte public,
comme si la religion pouvait exister aussi bien
sans cette forme extérieure et, pour des
raisons futiles ou sans raisons aucunes, ils se
retirent de l'Église visible comme si elle
était indigne d'eux. Jésus n'agit pas
ainsi. L'Église de son temps était
loin d'être pure et lui, plus que personne,
aurait pu l'estimer inférieure. Mais il en
accomplit régulièrement les
ordonnances et l'aima ardemment.
Peut-être est-il peu de congrégations
moins idéales que celle au milieu de
laquelle il adora à Nazareth et peu de
discours plus imparfaits que ceux qu'il
écouta. Mais dans cette synagogue, il se
sentait uni à toute la vie religieuse de la
contrée; tandis qu'il entendait lire
l'Écriture, la grandeur et la beauté
des premiers âges l'enveloppaient et le ciel
lui-même descendait pour lui dans cet
étroit sanctuaire.
L'Église est dans la demeure
humaine la fenêtre qui laisse entrevoir le
ciel et, pour rendre les étoiles visibles,
point n'est besoin d'une fenêtre bien
artistement, décorée. Bunyan,
l'auteur du Voyage du chrétien, a
donné à l'Église le nom de
Palais de Beauté; cependant, il ne connut
guère que les salles de réunions
baptistes dans le Bedforshire et, à une
époque de persécution, elles furent
certainement les plus humbles constructions qui
aient jamais servi à l'adoration. Aux yeux
vulgaires elles paraissaient à peine
supérieures à des granges; mais
à ses yeux, chacune d'elles était un
Palais de Beauté, car, assis sur un de leurs
bancs grossiers, il se sentait
membre de l'assemblée générale
et de l'Église du Christ; son imagination
voyait au-delà des poutres noircies, le toit
somptueux et le pinacle étincelant de
l'Église universelle. Que le temple soit une
salle construite en briques ou une imposante
cathédrale, c'est l'imagination
sanctifiée qui l'orne de vraie
sublimité et l'amour de Dieu transforme le
plus humble bâtiment en une demeure de
l'Esprit.
II
Quoique l'Église au temps de Christ
fût d'origine divine et qu'il reconnût
en elle la maison de Dieu, elle contenait une masse
d'erreurs. L'homme peut ajouter à une
institution divine ce qui lui est propre; peu
à peu, les adjonctions humaines
s'identifient si bien avec la base divine qu'elles
forment un seul bloc où il devient presque
impossible de discerner ce qui vient de Dieu de ce
qui vient de l'homme. Quelques âmes heureuses
cependant, pénètrent encore
jusqu'à la réalité, comme les
racines de ces arbres qui, à travers les
crevasses du rocher, vont chercher
leur nourriture jusqu'au sol;
mais les multitudes sont incapables de la trouver
et périssent de l'effort qu'elles font
d'assouvir leurs aspirations dans les
réalités humaines qu'elles confondent
avec le divin. De temps en temps, un homme parait,
qui perçoit la ligne invisible qui
sépare l'oeuvre originale de la couche
superposée; il démolit alors toute
cette construction artificielle au milieu des cris
sauvages des oiseaux de nuit qui en ont fait leur
demeure et, une fois de plus, l'oeuvre de Dieu est
mise en lumière ; cet homme est un
réformateur.
Dans la synagogue, l'accumulation
des erreurs humaines avait envahi la religion
jusqu'au sommet. Nul ne sait où et quand
elles commencèrent; peut-être fut-ce
innocemment; une méprise qui s'était
glissée au sujet de l'adoration due à
Dieu, avait contribué à leur rapide
développement.
Dans le principe, l'adoration est le
moyen par lequel l'âme s'approche de Dieu
pour recevoir sa plénitude et être
rendue capable de vivre pour Lui par la force ainsi
acquise. Mais la tendance naturelle est de regarder
cet acte comme un tribut que nous payons à
Dieu pour lui plaire et qui est
méritoire de notre part. Si c'est un,
tribut, il faut naturellement payer le plus
possible, afin d'augmenter le mérite de
l'adorateur; aussi les services sont
multipliés, de nouvelles formes sont
inventées et le souvenir de la grâce
de Dieu se perd dans l'accomplissement du
mérite humain.
C'est ce qui arriva en Palestine: Le
culte avait dégénéré en
une série interminable de services
multipliés au point d'être un fardeau
insupportable à la vie. Les ministres de la
religion les accumulaient sur le peuple
jusqu'à ce que les consciences fussent si
troublées du sentiment des déficits
inévitables que toute la joie de la
communion avec Dieu en fût éteinte.
Les prêtres eux-mêmes n'étaient
pas capables d'accomplir toutes les pratiques
qu'ils inventaient et de là naquit
l'hypocrisie, puisqu'ils étaient
censés exécuter ce qu'ils
prescrivaient à autrui. Mais « ils
liaient sur les épaules des hommes de lourds
fardeaux qu'ils n'auraient pas touchés
eux-mêmes ». Il était temps qu'un
réformateur apparût et tel fut le
rôle de Jésus.
La première explosion
éclata au début de son
ministère quand il chassa
du temple les vendeurs et les acheteurs. Une bonne
intention avait présidé autrefois
à ce trafic: ils vendaient les colombes et
les boeufs destinés aux sacrifices des
adorateurs étrangers qui arrivaient par
centaines de mille à la fête de
Jérusalem et ne pouvaient aisément
transporter avec eux ces animaux; ils
échangeaient encore la monnaie du pays
contre l'argent de ces voyageurs.
C'était un commerce utile,
mais qui était devenu un abus, car la vente
du bétail et le change de l'argent
étaient taxés à un prix
exorbitant; le marché se faisait au milieu
d'un bruit étourdissant de clameurs qui
troublaient le service divin et il tenait tant de
place que les Gentils étaient,
rejetés hors de la cour du temple. Bref, la
maison de prière était devenue une
caverne de voleurs.
Jésus avait sans doute
observé cet abus bien des fois et, lorsque
l'esprit prophétique s'empara de lui et que
son ministère public commença, un de
ses premiers actes fut de purifier la maison de
Dieu. Le jeune prophète, armé de son
fouet de cordes, flamboyant au-dessus de la foule
vénale qui, consciente de
son péché fuit le courroux divin, au
milieu des tables renversées et des animaux
effrayés, est l'image saisissante du
Réformateur.
On dit que les familles des
grands-prêtres touchaient un revenu sur ce
trafic impie et il n'est pas étonnant que
celui qui les privait ainsi de leurs
intérêts se soit attiré leur
antipathie. Jésus excita de la même
manière le ressentiment des Pharisiens en
jetant le ridicule sur leurs longues et
prétentieuses prières et
l'ostentation avec laquelle ils annonçaient
leurs aumônes. Il était de son devoir
de dénoncer ces pratiques, car on avait
enseigné au peuple à
révérer comme la fleur de la
piété ce qui n'était que
vulgarité et orgueil.
Le Christ consentit à
être traité de profane parce qu'il
négligeait les jeûnes et les
exagérations du sabbat qui sont une entrave
à la religion et plus encore, parce qu'il se
mêla aux publicains et aux pécheurs,
sachant que par là il remplissait le but
voulu de la miséricorde divine.
Il fut contraint à la fin
d'arracher complètement le masque
d'hypocrisie qui couvrait les
hommes religieux du temps et de
les exposer sous leurs véritables traits
« d'aveugles conducteurs des aveugles »
et de « sépulcres blanchis, beaux
à l'extérieur, mais remplis
d'ossements humains ». Ainsi, il
dégagea la maison de Dieu des erreurs qui
l'avaient envahie et le temple reparut dans ses
belles proportions. Mais il eut à payer le
prix de son audace. Les prêtres, dont il
avait interrompu la source de gains iniques, les
Pharisiens dont il avait dénoncé
l'hypocrisie, le poursuivirent avec une haine
implacable et, à son titre de
réformateur, ils ajoutèrent celui de
martyr.
L'Église du Nouveau Testament
n'est pas plus à l'abri des erreurs que
l'ancienne synagogue; la condition de
l'Église chrétienne était
pareille à celle des Juifs au temps de
Christ lorsque parurent Luther, Calvin et Wiclef;
les surcharges de l'homme avaient
complètement recouvert l'oeuvre de Dieu; la
religion, créée pour
révéler la grâce de Dieu,
s'était transformée en un cycle de
formes et de cérémonies
destinées à obtenir la faveur divine
au moyen de la propre justice et du mérite
personnel; et les prêtres
étaient devenus d'aveugles conducteurs de la
foule aveugle. Par la réforme, Dieu
délivra l'Église de cet état
de choses.
Il serait puéril cependant de
s'imaginer qu'à notre époque et dans
l'Église particulière que nous
fréquentons, il n'y ait pas d'erreur
nécessitant le coup de pioche du
réformateur. Notre aveuglement n'est pas une
preuve de leur non existence, car l'Église,
dans ses jours les plus sombres, a
été inconsciente de ses fautes et,
dans tous les âges, quelques-uns ont cru
servir Dieu en s'opposant aux transformations les
plus nécessaires.
III
Le nom de Réformateur est un grand nom,
mais Jésus en possède un plus grand
encore, celui de Fondateur de
l'Église.
L'antique synagogue dans laquelle il
fut élevé était près de
disparaître; elle avait accompli sa
tâche et lui-même prophétisa
qu'il ne resterait pas du temple pierre sur pierre;
il annonça à la Samaritaine que
l'heure viendrait où le
Père ne serait adoré ni à
Garizim ni à Sion, mais que les vrais
adorateurs l'adoreraient partout en esprit et en
vérité et, quand il mourut, le voile
du temple se déchira du haut en
bas.
Son sang versé établit
entre l'homme et Dieu une relation nouvelle et plus
pure que le sang des victimes offertes
jusque-là en sacrifice ; c'est ce qu'il
affirma en instituant la Cène: « Ceci
est la nouvelle alliance en mon sang. à, La
parfaite révélation du Père en
lui illumina l'Église qui reçut et
administra les riches bénédictions
obtenues par sa vie et sa mort.
Mais dans cette nouvelle fondation,
il ne rejeta pas absolument tous les
matériaux antérieurs; la Cène
fut composée des éléments de
la Pâque juive; les formes d'adoration et les
fonctions de l'Église chrétienne
ressemblèrent à celles de la
synagogue et les écrits de l'Ancien et du
Nouveau Testament formèrent dès lors
un seul et même livre.
Jésus lui-même ne
créa pas le plan de l'Église. Il se
contenta de poser les fondements et d'esquisser les
grandes lignes de l'édifice. Il lui
confia son Évangile et la
charge sacrée de l'annoncer à toute
créature. Il lui donna douze apôtres
dont les travaux et l'enseignement inspiré
peuvent servir de contreforts aux pierres d'assise
posées par lui; il les investit
d'autorité pour admettre ou exclure les
nouveaux disciples. Il institua les sacrements du
baptême et de la communion et surtout, il
laissa à l'Église cette promesse qui,
dans tous les âges, est son rayon d'espoir:
« Voici, je suis avec vous tous les jours
jusqu'à la fin du monde. »
L'oeuvre de fondation du Christ fut
faite une fois pour toutes et ne peut être
reproduite. Lès hommes rêvent parfois
de l'Église disparaissant devant une forme
plus parfaite; mais seule, sa reconstruction sur la
même pierre d'angle nous est laissée
et cette oeuvre doit être accomplie dans
l'esprit qui présida à sa
création. Il faut que les nouveaux
constructeurs s'assurent de la base primitive, car
bien des oeuvres sont faites au nom du Christ qu'il
ne reconnaîtra pas comme siennes; nous aurons
créé alors une Église
personnelle et nos efforts seront vains si nous
avons négligé cette nouvelle alliance
en son sang qu'il déclara
indispensable à son oeuvre.
Tous ceux qui participent à
ce labeur devraient y consacrer la même
sainte ardeur. Il mourut pour le salut des
âmes. Quels sacrifices sommes-nous
prêts à accepter pour la même
cause'? - Il donna sa vie; donnerons-nous notre
aisance, notre effort, notre argent ? - Chaque
âme individuelle lui parut plus
précieuse qu'un monde. Que sont-elles
à nos yeux? - Sommes-nous hantés par
leur sort, attristés de leurs
péchés? - Leur salut nous
remplirait-il d'une parcelle de cette joie qui fait
tressaillir les anges dans le ciel quand un
pécheur se convertit ?
Si le zèle est de rigueur
pour travailler à l'oeuvre de Christ, il
faut encore y apporter une personnalité
originale. Jésus ne prescrivit pas les
moindres détails d'organisation. Il laissa
à l'ingéniosité humaine le
soin de chercher le meilleur moyen d'accomplir son
oeuvre et l'Eglise cherche encore. De nouveaux
problèmes se sont élevés, de
nouvelles tâches s'imposent et elle a besoin
de pionniers et d'inventeurs pour
ouvrir la voie à de nouvelles
conquêtes. Il est impossible, par exemple, de
mesurer la valeur des services rendus à
l'Église par celui qui fonda la
première école du Dimanche. Ce
n'était pas un haut dignitaire ni
peut-être un homme remarquable, sauf en ceci
: - il vit devant lui un vaste champ de travail et
fut original dans la découverte de la
meilleure manière de le défricher. Il
entra dans le monde de l'enfance et procura
dès lors une oeuvre aux myriades de
moissonneurs volontaires qui l'ont suivi dans cette
attrayante partie du ministère.
Beaucoup d'autres problèmes
attendent leur solution du génie
chrétien sanctifié. Je ne sais aucun
but plus digne d'envie que celui d'être le
premier à découvrir pour la
pensée chrétienne l'exploitation de
quelque nouvelle mine de connaissance spirituelle,
à élever le caractère
chrétien à un niveau moral
supérieur, ou à atteindre et
satisfaire aux aspirations d'une fraction
négligée de la communauté.
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