À l'Image de Christ
V
Christ et la société.
Matthieu XI, 16-19. Luc XV, 1, 2 ; XIX, 5, 7 ; XXIV, 41-43.
Luc XI, 37-44; XIV, 1-24.
Matthieu XXVI, 6-13. Luc VII, 36-50. Jean II, 1-11; XII, 1-8.
Matthieu XIV, 15-21; XXVI, 26-30. Luc XXIV, 29-31; Jean XIII, 1-15.
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Au delà du cercle étroit de nos
amis, existe un cercle plus large de relations,
formées dans des circonstances diverses et
que l'on désigne par le terme
général de «
société ». Nos rapports avec
ceux que nous connaissons ainsi soulèvent
des questions qui ne sont pas sans
difficulté, mais qui s'éclairent par
l'étude de la conduite de Jésus.
I
Les vies de Christ et de son précurseur
Jean-Baptiste offrent dans ce domaine un grand
contraste. Celui-ci fuyait la société
et vivait au désert, loin
des demeures humaines. Vêtu de poil de
chameau, il se contentait de la nourriture d'un
ascète. Le Sauveur au contraire, descendit
parmi les hommes, sans attendre qu'ils vinssent
à lui. Au village et à la ville, dans
la rue et sur les places, dans la synagogue et le
Temple, partout où deux ou trois se
réunissaient, il était là,
pour se réjouir avec ceux qui étaient
dans la joie et pleurer avec ceux qui pleuraient.
Il commença son ministère dans un
repas de noces. Matthieu lui offrit une fête
et il vint et s'assit au milieu de la foule
bigarrée des hôtes du péager.
En une autre occasion, il s'invita lui-même
dans la maison de Zachée. Bref, ses
relations avec les publicains furent
remarquées.
Mais quand il fut invité par
des hommes haut placés dans l'échelle
sociale, il accepta leur hospitalité avec la
même simplicité et s'assit à la
table des scribes et des Pharisiens aussi
naturellement qu'à celle des publicains et
des pécheurs. Luc mentionne au moins trois
occasions dans lesquelles il dîna avec des
Pharisiens. Ainsi « le Fils de l'Homme vint,
mangeant et buvant ». Et en
vérité, sa conduite fut parfaitement
libre sous ce rapport et des critiques aigres et
inintelligents purent lui appliquer des
épithètes que nul n'eût jamais
songé à adresser au
Baptiste.
Ce contraste est remarquable entre
deux hommes aussi intimement associés. Tous
deux enseignaient la religion et avaient fait
école, mais leur exemple conduisait à
deux directions opposées : les disciples de
Jean jeûnaient, ceux de Christ festoyaient.
Ces lignes de conduite différentes
peuvent-elles être également
justifiées ?
Sans doute le Baptiste avait de
bonnes raisons pour expliquer sa règle de
vie. La société a ses dangers : la
convoitise de la chair, la convoitise des yeux et
l'orgueil de la vie. La compagnie a
été la ruine de plus d'un homme et de
plus d'une famille. Il y a des cercles mondains
dont la religion est bannie et d'autres dans
lesquels les chrétiens sont fortement
tentés de cacher leur drapeau. Jean sentit
ces influences si prédominantes dans la
société de son temps que ni lui ni
ses disciples n'auraient pu y
résister. Les seules
alternatives entre lesquelles ils eussent à
choisir étaient : d'un côté,
fuir la société et conserver leur
religion pure et intacte; de l'autre, rester dans
leur milieu et y perdre leur âme: le chemin
du devoir était donc nettement
tracé.
Jésus, au contraire,
vécut dans le monde, non seulement sans
renier son drapeau, mais en le déployant
au-devant de lui. Son caractère religieux
était si parfait, ses principes si fermes et
victorieux, qu'il pouvait fréquenter toute
compagnie, sans crainte d'obscurcir son
témoignage. Et il communiqua à ses
disciples la même puissance. Ils se
comportaient avec la libre et joyeuse aisance de
conviés à une noce; aussi
donnaient-ils partout le ton à la
société: leur enthousiasme
exubérant, loin de s'éteindre au
souffle des influences mondaines, leur communiquait
sa chaleur.
Il semble que nous trouvions ici la
vraie réponse à cette question
souvent débattue, à savoir si le
peuple de Dieu doit vivre dans le monde et prendre
part à ses joies. Quels en seront les effets
sur votre vie religieuse? Votre
témoignage sera-t-il
affaibli, votre zèle refroidi?
Deviendrez-vous frivoles et incapables de prier? Si
cela devait être, adoptez la ligne de
conduite du Baptiste et éloignez-vous du
monde ou cherchez une compagnie dans laquelle vos
principes soient à l'abri du
danger.
Mais certains hommes peuvent
s'aventurer partout et rester fidèles
à leur Sauveur. Ils sont chrétiens
aux yeux de tous et chacun respecte leurs
convictions; l'énergie de Christ en eux est
une force si ardente qu'elle frappe de son
empreinte la société dans laquelle
ils sont appelés à vivre.
Ce don est d'une acquisition
difficile ; mais il est hors de doute que c'est
vis-à-vis du monde l'attitude la plus digne
des serviteurs du Christ et la plus semblable
à la sienne.
II
Nombreux sont les récits où
Jésus nous apparaît au milieu d'une
fête. Ceci est d'accord avec toute sa
conduite, car aucun de ses actes, si trivial qu'il
semble, ne fut sans rapport avec
la grande mission qu'il devait
accomplir en ce monde, à savoir,
révéler l'amour d'En haut et faire
naître l'amour sur la terre entre les
hommes.
Il encouragea l'hospitalité
parce qu'elle favorise un de ces buts; elle
renverse les barrières et unit les hommes
dans les liens de la bonne volonté ; quand
ils se réunissent, la lumière dissipe
les malentendus ; il arrive qu'une rencontre dans
la société nous inspire une grande
admiration pour un caractère que nous
croyions auparavant fier, frivole ou superficiel.
Nos défiances et nos antipathies grandissent
à distance, mais s'évanouissent
souvent par le contact.
Jésus ne regardait pas les
simples lois de la politesse comme indignes de son
attention. Celles-ci entretiennent le respect
d'homme à homme, elles nous forcent à
considérer le prochain comme une
personnalité et non comme une
quantité négligeable qu'il est
loisible d'ignorer. Il fut invité un jour
à dîner chez un Pharisien qui crut
pouvoir se dispenser envers lui des formes
habituelles de la courtoisie
orientale. Cet homme n'avait
aucune considération réelle pour son
hôte et ne l'avait reçu que pour
satisfaire sa curiosité en examinant
à loisir celui dont parlait tout le pays ;
il pensait rehausser sa propre nullité de
toute la valeur de l'homme distingué qu'il
recevait sous son toit. Mais c'était de sa
part une grande condescendance et il le fit sentir
en supprimant les politesses qu'il aurait
prodiguées à des hôtes de son
rang. Jésus souffrit de ce dédain et
avant de quitter la table, il mit à nu le
coeur mesquin et sec de Simon,
énumérant l'une après l'autre
toutes ses omissions volontaires. Il ne pouvait
jouir d'une fête sans amour.
Là, au contraire, où
il le trouvait, il ne voulait pas qu'il fût
contrôlé dans son expansion. Dans la
maison d'un autre Simon, la douce Marie
répandit un jour sur sa tête un parfum
précieux et s'attira les reproches des
esprits étroits qui blâmaient cette
extravagance; Jésus la défendit
contre les prétendus champions des pauvres
et proclama sa liberté absolue de donner
à ses sentiments l'expression qu'elle avait
choisie.
Dans ses remarques sur
l'hospitalité, Jésus
dénonça avec
indignation ceux qui ne reçoivent que leurs
égaux en richesse, abaissant ainsi cette
vertu à une simple transaction commerciale.
Ce motif est peut-être encore plus mesquin
que le désir d'éblouir par
l'étalage du luxe. Le faste encombrant est
cependant la mort de la vraie hospitalité;
car, si les riches ne peuvent satisfaire que
rarement à de telles dépenses, les
fortunes plus modestes sont obligées d'y
renoncer tout à fait. C'est un des
périls croissants de notre temps. Avec
l'argent consacré à un seul festin
solennellement ennuyeux, une demi-douzaine de repas
simples et abondants pourraient être offerts
et les occasions d'exercer l'hospitalité en
seraient augmentées. Au lieu de nourrir les
riches déjà saturés de biens,
les hommes d'influence devraient, à
l'occasion, ouvrir leur porte à des convives
plus jeunes et plus humbles, les parents recevoir
à leur table une compagnie convenable pour
leurs enfants, plutôt que de chercher des
distractions au dehors.
Il reste à créer une
mission de bonté sociale pour
répandre l'influence du christianisme.
III
Bien qu'une des raisons pour lesquelles
Jésus s'assit à la table de ceux qui
l'invitaient, fût l'encouragement de
l'hospitalité et par là de l'amour,
il se proposait un but plus élevé.
Quand il entra dans la maison de Zachée, il
lui dit : « Aujourd'hui, le salut est
entré dans ta maison » et le salut
entra en effet avec lui sous plus d'un toit.
L'hospitalité offre des occasions uniques de
conversation et Jésus en profita pour
prononcer des paroles de vie éternelle. Si
l'on examine de près ses discours, on est
étonné de constater le nombre de ceux
qui sont littéralement des « propos de
table », adressés aux convives qui
dînaient avec lui : quelques-unes de ses plus
remarquables pensées furent
énoncées dans des circonstances
semblables.
Ceci est un exemple de la
manière dont Christ sut ennoblir la vie et
trouver l'occasion de faire le bien, là
où nous le croirions souvent inutile. Les
conversations et la gaîté de la table
sont un piège. Bien souvent, les hommes
doués de charme mondain
l'emploient à leur préjudice et
à celui des autres, et les réunions
joyeuses ont été pour beaucoup de
jeunes gens le début de leur ruine. Dans le
cas même où la sociabilité ne
dégénère pas en tentation, les
conversations de table tombent trop souvent dans la
trivialité et la rencontre d'amis, qui
devrait être un stimulant intellectuel et
faire naître de nobles aspirations, devient
une fatigue et laisse chacun mécontent.
C'est un don rare que de sortir la conversation de
l'ornière habituelle et de la maintenir sur
des sujets humains et profitables.
Quelques serviteurs de Dieu ont
cependant suivi de très près sur
cette voie les traces de leur Maître. Ils ont
fait de la conversation un art délicieux et
utile et, dans le libre échange des
relations sociales, leur compagnie a
été pour les autres une
révélation de bonté et de
vérité.
Un père ne peut rendre
à ses enfants de meilleur service que de
faire de sa maison le rendez-vous du savoir et de
la bonté; l'esprit pénétrant
de leur âge y puisera de nobles
leçons. « N'oubliez
pas de recevoir les étrangers, dit
l'apôtre aux Hébreux, car quelques-uns
ont reçu des anges sans le savoir »,
recommandation qui a été
commentée ainsi: « Par la pratique de
l'hospitalité, en traitant avec sympathie et
un cordial intérêt ceux qui nous sont
étrangers, en nous montrant aimables et en
leur ouvrant nos maisons à l'occasion, il
peut nous arriver aussi de recevoir des anges,
c'est-à-dire des hommes en qui nous
reconnaissons des messagers de Dieu, ou du monde de
l'esprit et des idées, et dont le
séjour auprès de nous, la
conversation, l'influence sur nos âmes, nous
apportera une bénédiction bien
supérieure à tout ce que nous,
pouvons faire pour eux ».
IV
Nous avons considéré en
Jésus l'hôte aimé ou
recherché de ses contemporains, mais
l'Évangile nous le présente aussi
dans le rôle d'amphytrion.
Ce caractère lui était
parfaitement naturel, car il lui servait à
manifester sa considération
pour les besoins matériels
de l'homme. Malgré sa hauteur spirituelle et
l'ardeur qu'il mettait à sauver les
âmes, il ne méprisa jamais le corps.
Au contraire, il reconnaissait en lui l'empreinte
et la gloire de son Créateur, et savait fort
bien que c'est par lui que l'on atteint souvent
à l'âme.
La grande majorité de ses
convives étaient pauvres et son coeur
généreux se réjouissait de
leur faire du bien. Au jour de la multiplication
des pains il ne leur offrit, il est vrai, qu'une
nourriture grossière ; le sol servit de
table, le gazon vert de nappe et la voûte du
ciel de salle de banquet; mais jamais cette foule
ne participa à un meilleur repas, car il
était présidé par l'amour qui
embellit tout.
Il est impossible à cette
vision du Christ rayonnant d'une joie divine devant
cette immense multitude, de ne pas songer à
ses paroles : « Je suis le pain de vie. - Le
pain que je vous donnerai est ma chair que je
donnerai pour la vie du monde. »
Dans son enseignement, il aimait
à comparer l'Évangile à un
festin auquel il invitait tous les
fils des hommes avec une large et
royale hospitalité.
Ce trait de son caractère se
retrouve d'une manière plus frappante dans
le symbole qu'il a choisi pour être en
mémoire à toutes les
générations. Cent autres souvenirs
étaient à sa disposition; il aurait
pu, par exemple, instituer un jeûne pour ses
disciples. Mais c'eût été un
symbole indigne de lui, car son Évangile a
apporté, l'abondance, la joie et l'union. Il
choisit donc ce qui était réellement
significatif et ainsi, à travers les
âges, le Sauveur nous apparaît, assis
à sa propre table comme un maître de
maison, le visage radieux de bienveillance et le
coeur débordant de
générosité ; au-dessus de sa
tête, sur le mur où il est
appuyé, se lisent ces mots: « Cet homme
reçoit les pécheurs et mange avec
eux! »
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