Un Gagneur
d'Âmes:
CÉSAR
MALAN
PREMIÈRE PARTIE: CÉSAR
MALAN ET L'EGLISE DU TÉMOIGNAGE
CHAPITRE IV
LA CHAPELLE DU TÉMOIGNAGE ET LE
BOURG-DE-FOUR
Ce fut le 19 mars 1820 que l'on
commença à creuser les fondements de
la chapelle dans le jardin du
Pré-l'Évêque.
Parmi les ouvriers, se trouvait le
futur évangéliste Félix Neff,
alors soldat de la garnison de Genève, qui
employait ses jours de liberté à
divers travaux chez les particuliers. C'est lui
qui, aux premiers coups de pioche, découvrit
dans la terre une petite pièce de cuivre
qu'ornait l'image d'un semeur avec cette devise :
« E jactura lucrum. »
Neff l'apporta à Malan qui ne
put s'empêcher aussitôt de penser au
mot du psalmiste qui promet une moisson triomphante
à celui qui sème avec larmes. Il se
souvint aussi de la médaille que Francke
avait trouvée lorsqu'il jetait les
fondements de son Orphelinat de Halle.
Appels à la confiance dans
l'aide divine : « Lorsque je commençais
le travail, j'avais 250 francs, don d'un
frère d'Irlande... Le même jour
où fut trouvée la médaille,
des frères de Wurtemberg m'envoyaient 30
louis d'or. »
Ne
dépendre que de Dieu
En juin, les secours avaient
été si rares que, sur les instances
de sa femme, C. Malan se décidait enfin
à vendre sa maison pour subvenir aux frais
de construction. « Dans toute cette affaire,
j'appris à ne dépendre que de Dieu
seul. » Certain jour où il devait faire
un paiement à l'architecte, il reçut
trois lettres par le même courrier. Il se
hâta d'en ouvrir deux dont l'écriture
rappelait des amis sur qui il croyait pouvoir
compter. Mais il n'y trouva que
désapprobations et blâmes. Sa femme
désira savoir ce que renfermait la
troisième lettre : c'était un envoi
de 2.500 francs, avec des paroles d'encouragement,
d'une personne tout à fait inconnue.
D'autres dons semblables lui
évitèrent heureusement d'avoir
à se dépouiller de son patrimoine et,
six mois après le premier coup de pioche, la
chapelle fut édifiée et totalement
payée. « On eût pu, à
juste titre, l'appeler Philadelphie. On la nomma
« la Chapelle du Témoignage
».
Malan ne voulait, d'une part, «
prêcher que le témoignage que Dieu a
rendu de son Fils » et, d'autre part, il
voulait que cette Chapelle servît « de
témoignage public contre le clergé
qui l'avait destitué et rejeté
à cause de la doctrine
évangélique ».
Voici le texte du parchemin qu'il
plaça sous la pierre de l'angle, dans une
boîte de plomb et que son fils en retira lors
de la démolition de la chapelle en 1864 :
- Le parchemin
de consécration
« Au nom du Père, du
Fils et du Saint-Esprit ! »
- « Éternel ! mon Dieu et mon
Sauveur ! Mon coeur est plein de joie à
cause de la bénédiction que tu
accordes à ton serviteur, en lui
permettant de construire cette Église,
sur laquelle j'implore ta victorieuse
grâce, par les mérites de ton Fils
bien-aimé Jésus-Christ, mon
Rédempteur et mon Maître !
- « O Seigneur ! que, selon Ta
promesse, Ton nom soit là ! Amen !
- « L'Eglise de Genève est
désolée : on n'entend plus
l'Évangile au milieu de nous que
rarement. Une détestable
hérésie tue les âmes. Christ
n'est plus adoré comme étant Dieu
béni éternellement
manifesté en chair, et ses mérites
sont assimilés à ceux de la
créature.
- « Le Seigneur a suscité
dans) notre ville, depuis quelques
années, des prédicateurs de la
Vérité qui se sont
séparés de l'Église
nationale.
- « Miséricorde m'a
été aussi faite : j'ai
été destitué d'un emploi
public au Collège, et
éloigné des chaires de ce pays,
pour avoir été fidèle au
Ministère qui m'a été
conféré par les hommes en 1810, et
par le Seigneur en 1817.
- Sans être séparé de
l'Eglise, je prêche dans ce jardin depuis
un an et demi, dans une petite chapelle.
Celle-ci, que le concours du peuple rend
nécessaire, verra la gloire de Dieu, car
c'est ici son oeuvre. La doctrine qui se
prêche est l'Évangile reconnu dans
la Confession de foi des Eglise suisses.
- « Des chrétiens d'Allemagne
(Stuttgart, Léonberg, Metzingen),
d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande, de
France, d'Amérique et de Suisse, ont
fourni à la dépense de cette
maison.
- « Cette pierre de l'angle, que je
prie le Seigneur d'appuyer spirituellement sur
la Pierre rejetée par les Conducteurs, a
été posée par moi et ma
maison, à la gloire de la Très
Sainte Trinité. Le vendredi 28 avril
1820.
- César Malan, Ministre de l'Eglise de
Genève. »
8 octobre 1820,
Inauguration de la Chapelle
Le 7 octobre 1820, Malan parla pour
la dernière fois dans la petite salle du
jardin et le 8 octobre, il inaugura la nouvelle
chapelle. Huit cents personnes environ assistaient
à cette cérémonie qui eut lieu
à 2 heures de l'après-midi, sous la
protection des gendarmes postés sur la route
et à la porte de la maison « pour
empêcher tout désordre
».
Après la lecture de la
Confession de foi et des Commandements, le chant
d'un cantique et la prière, Malan exposa son
but à l'Assemblée. Il prit pour texte
la parole de Salomon (I Rois 8 : 57-58) lors de la
dédicace du temple : « Que
l'Éternel notre Dieu soit avec nous comme Il
a été avec nos pères. «
Affirmant publiquement et irrévocablement
l'exercice de son ministère de
prédicateur en dehors des habitudes
traditionnelles de l'Eglise nationale, Malan
protestait pourtant qu'il n'avait d'autre but que
de créer un asile où fût
annoncée la pure vérité de
l'Évangile telle que l'avaient
confessée les pères, dont il rappela
en quelques mots la foi et les moeurs.
Déclaration de
fidélité à l'Eglise de
Genève
En janvier 1821, Malan confirma ces
dispositions en publiant sa
«Déclaration de fidélité
à l'Eglise de Genève » où
il repoussait les reproches d'avoir
créé une dissidence.
Vu mon serment, ceci ne tendrait pas
à moins qu'à me charger d'un parjure.
» - « Je proteste devant Dieu que je n'ai
été dirigé que par le
désir de remplir mon devoir vis-à-vis
de mes compatriotes : celui d'exercer purement au
milieu d'eux le ministère
évangélique et de garder, pour ma
part et selon ma force, le précieux
dépôt de la sainte doctrine du salut !
»
À ses propres yeux, sa
séparation de l'Église nationale de
Genève était un malheur et un mal.
Tous ses écrits de l'époque montrent
qu'il ne s'y résolut que pour obéir
à la voix de sa conscience et dans le seul
intérêt de cette doctrine
évangélique dont « la
pureté » passait, à ses yeux,
avant toute autre considération de
sentiment, d'unité extérieure et de
tradition. Lorsque, 3 ans après la fondation
de sa chapelle, il se vit forcé, pour
pouvoir continuer à prêcher dans son
pays, de se retirer lui-même de l'Eglise de
Genève, il eut soin d'ajouter que
c'était de l'Église telle qu'elle
était alors » et qu'en
définitive, il souffrit plutôt pour
avoir voulu demeurer fidèle à
l'Église des pères ».
C'est uniquement à la libre
expression de sa foi, et non à des
convictions ecclésiastiques, qu'il' sacrifia
les liens qui le rattachaient, lui et sa famille,
à l'Eglise de son pays. Ce n'est pas comme
pasteur, comme conducteur d'Eglise, niais bien
comme « ministre », c'est-à-dire
comme simple prédicateur qu'il
commença à agir indépendamment
de l'Église où il était
né, et qu'il se vit plus tard contraint de
la quitter tout à fait.
Un
calviniste qui s'ignore
On a accusé Malan d'avoir
voulu rétablir à Genève
l'ancienne Église théocratique de
Calvin. Sans doute, la pensée religieuse de
Malan reflète-t-elle quelque tendance
théocratique. Mais là n'est pas
l'origine de sa sortie de l'Eglise; non plus,
d'ailleurs, qu'un désir de copier Calvin, ce
qui lui fut reproché par certains
adversaires. Ce n'est, en effet, que longtemps
après que les chaires eurent
été fermées à sa
prédication, qu'il eut connaissance de ce
qu'avaient été et la doctrine et les
institutions de l'ancienne Eglise de Genève.
Et lorsqu'il formula sa doctrine, si proche dans
ses traits essentiels, de celle du grand
Réformateur, il n'avait même pas lu
les écrits de Calvin.
L'oeuvre ecclésiastique de
Malan, loin d'avoir été le but et la
cause déterminante de sa séparation,
n'est venue que par contrainte extérieure
s'ajouter à son oeuvre essentielle de «
témoin de la vérité dans
Genève ». Il n'aspirait pas au titre de
novateur; dans ses requêtes aux magistrats,
il soutenait même que le clergé qui
dirigeait alors l'Eglise de Genève n'avait
aucun droit à l'exercice du pouvoir dont il
disposait, et cela précisément
à cause du caractère « novateur
» des doctrines qu'il avait peu à peu
et subrepticement introduites dans le
Catéchisme et les règlements de cette
Église. Mais il n'abandonnait pas l'espoir
de le voir revenir à la foi de ses
fondateurs.
Dresser une église contre une
autre était loin de ses plans : comment
expliquer alors qu'il continuât,
jusqu'après la fondation de sa chapelle
à communier avec les siens dans les temples
de l'Eglise Nationale et à y
présenter ses enfants au baptême
?
On peut dire que, dans son ensemble,
l'oeuvre de César Malan fut une oeuvre de
confession et de témoignage de la
foi.
Malan et la
dissidence
À l'égard des
mouvements de dissidence, Malan avait adopté
la même position de dé
préoccupation ecclésiastique qu'il
avait manifestée à l'endroit de
l'Eglise officielle.
En juillet 1820, tandis qu'on
bâtissait la chapelle, il avait
décliné l'offre, transmise par
Empeytaz, de se joindre à « la petite
Église ». Il avait répondu
«qu'ils ne suivaient pas entièrement le
même chemin, et que, pour lui, il se croyait
appelé à une oeuvre qui
n'était pas précisément la
leur ». En effet, pour Empeytaz et ses amis,
la grande affaire était beaucoup plus la
recherche d'une « intimité fraternelle
que celle de l'exactitude de la formule dogmatique.
Hors les grands faits du salut par grâce, on
était chez eux très peu fixé,
ce qui était, aux yeux de César
Malan, un défaut capital.
Dogmatisme et
sentimentalisme
Les dissidents reprochaient
bientôt à Malan « l'isolement
où le mettait son dogmatisme » et Malan
n'hésitait pas à leur dire «
qu'il n'aimait pas leur christianisme de sensation
».
Malan n'a jamais fait de place, dans
sa religion, à ce christianisme de
sensation, plus communément
dénommé « piétisme
», dans lequel la dévotion va moins
à l'objet vivant de la foi qu'à la
jouissance qu'il procure. Pour Malan, il y avait
là une recherche de soi, une faiblesse qui
répugnaient à la dignité
virile de son caractère. Chez lui, le souci
de l'obéissance active et empressée
à la volonté clairement
définie d'un Dieu adoré, toujours
vivant et présent, l'emportait sur la
culture énervante de ses propres
sentiments.
Malan et le Réveil au canton
de Vaud
Cela ne l'empêcha point
d'ailleurs de manifester une ardente sympathie
chrétienne à ces Églises
séparées que la persécution
fit bientôt surgir dans le canton de Vaud.
Non seulement il se rapprochait et des jeunes
ministres qui représentaient alors le
Réveil vaudois et des pasteurs du Bourg du
Four, mais il cherchait à leur rendre
service, soit en prenant publiquement leur parti,
soit en les faisant participer aux secours
pécuniaires qui lui parvenaient pour son
oeuvre à lui. Dans une note manuscrite du 6
septembre 1821, on lit : « Le Seigneur m'a mis
au coeur de donner ce jour, pour la première
fois, une chaire à Empeytaz, qui y
prêchera, s'il plaît à Dieu, ce
soir. Je regarde cela comme un grand pas vers le
mieux. » Puis, après avoir dit que l'on
avait remarqué, le dimanche
précédent, sa présence dans un
temple de l'Eglise nationale où il avait
communié, il dit que cela appuie, par le bon
côté de tolérance et d'amour,
tout ce que je fais pour nos frères
séparés ».
Besoin d'une
discipline
Cependant, les circonstances
elles-mêmes amenèrent Malan à
préciser davantage son point de vue sur le
plan ecclésiastique. Une conversation avec
un pasteur dissident anglais, l'amena à la
conviction qu'il devait introduire « une
discipline » dans ce qui n'avait
été, jusque-là, qu'une
« congrégation d'auditeurs ».
Il hésita pourtant longtemps.
Une nuit, ne dormant pas, je
m'étais assis sur mon lit, et là,
j'avais fait, avec serment, l'offre de tout mon
être à Christ, le conjurant de me
prendre à lui et de briser tout lien qui me
retenait encore loin d'une totale
obéissance... Le lendemain, à la
promenade et lisant dans l'Ecriture, j'ai
demandé au Seigneur de m'indiquer, par la
lecture que j'allais faire, sa volonté
à mon égard... Après cette
lecture, mille sentiments se sont
précipités dans mon âme; un
seul a dominé avec puissance et avec paix,
savoir qu'il faut que je prenne soin des âmes
qui sont engendrées par la Parole de Dieu
que je prêche, en établissant une
discipline. (Discipline pour la réception
des membres de la communauté).
Premier pas vers une Eglise
indépendante
Depuis ce moment et ce pas en avant,
j'ai eu un joyeux repos d'esprit et une grande
liberté de parole... » C'était,
sans qu'il l'aperçût, le premier pas
vers la formation d'une Eglise indépendante.
Trois ans plus tard, à la rupture des liens
officiels avec l'Eglise de Genève, il se
trouva, grâce à ce premier pas,
à la tête d'une communauté
dissidente constituée.
À ce moment (1824), quelqu'un
qui lui tenait de très près (sans
doute sa femme), fit tous ses efforts pour le
détourner d'une voie où il paraissait
s'engager à fond. Elle lui représenta
que la position de conducteur d'un troupeau
n'était pas, vu son caractère
très indépendant et ses habitudes
d'initiative, ce à quoi il lui semblait
appelé. « Il y serait, lui disait-elle,
comme un aigle en cage, occupant à lui seul
toute la place, rendant ses pouvoirs inutiles et
finissant par se blesser lui-même.
»
Faits et
théories
Mais Malan ne fut pas convaincu et
il considéra définitivement comme un
devoir d'établir cette communauté.
Contradiction chez cet homme si
décidé et si clairvoyant ?.., Non ;
son cas relève de la psychologie des hommes
de Réveil chez lesquels bien souvent les
faits engendrent les théories plus que les
théories ne suscitent les faits. Mais devant
certaines situations imprévues, nées
du Réveil, ils se voient contraints de les
sanctionner, de les muer en institutions, et cela
les entraîne plus loin qu'ils n'auraient
voulu, loin surtout de leurs propres
théories. C'est une loi d'ici-bas que tout
principe doit, sous peine de disparition,
s'incarner tôt ou tard dans une
réalité. Protester contre un
état de choses au nom de certains principes
supérieurs, expose presque infailliblement
à remplacer la réalité
combattue par une autre considérée
meilleure. On quitte le « revivalisme »
pour s'engager sur le plan de la «
réformation ».
Or, n'est pas réformateur qui
veut ou s'y essaye !... Malan entreprenait,
à cette époque, une tâche qui,
de l'aveu même de son propre fils, le
dépassait. Rebelle à l'imitation,
pensant que le Saint-Esprit développait ses
cadres d'action, les églises historiques,
selon les nécessités des
époques, il regimbait à la conception
« puritaine » d'un décalque
littéral des Églises
apostoliques.
Ce
qui manquait à Malan
Replié sur un petit troupeau,
une communauté isolée, il ne pouvait
songer à y appliquer le système
« presbytérien » qui avait ses
préférences,
D'autre part, César Malan
manquait de deux dons essentiels à la
tâche de fondateur d'église : la
culture historique et le sens pastoral. Les
études ne l'avaient en effet, de son propre
aveu, aucunement préparé à une
connaissance approfondie du passé historique
de l'Eglise de Genève et du long et
laborieux processus de l'Église
chrétienne à travers les âges.
Quant au sens pastoral, laissons parler le fils de
César Malan :
« Disons-le ouvertement ! Non
seulement la tâche de pasteur n'était
pas la sienne, mais celle qui lui était
réellement imposée était tout
autre, et même tout autrement importante.
Nature de témoin, de confesseur et
d'apôtre, on a aussi le droit de dire de lui
ce que le plus grand des apôtres »
n'hésitait pas à dire de
lui-même qu'il n'était pas
envoyé pour baptiser, niais pour annoncer
l'Évangile. Si Malan a été
pour son petit troupeau un cher et
vénéré pasteur, si sa
pensée survit encore, à cette heure,
dans le souvenir ému des membres de son
Eglise qui lui survivent, il n'en est pas moins
vrai que son oeuvre était, avant tout et
essentiellement, une oeuvre de témoignage
personnel, et que sa chapelle, après avoir
été fondée par lui uniquement
et en vue de cette oeuvre-là, devait bien
finir avec lui.
« La tâche du pasteur
diffère de celle du missionnaire en ceci,
que, tandis que ce dernier n'a affaire qu'avec des
vérités éternelles et des
faits absolus, le premier est encore amené
à compter constamment avec des faits
toujours nouveaux, en sorte qu'il doit être
capable de se prêter, sans
infidélité, aux mille accommodations
que nécessitent ces faits-là. Ce
n'était pas là le don de César
Malan. Prenant tout au sérieux; attribuant
chaque erreur, non pas à sa source
accidentelle et prochaine, mais aux principes
absolus auxquels son esprit pénétrant
ne manquait jamais de la rapporter tout de suite,
on pouvait craindre qu'il ne courût le risque
de voir un crime dans chaque
légèreté, une
hérésie dans chaque ignorance, une
rébellion calculée contre
l'autorité qui revient au ministère
de la parole, dans chaque protestation contre ses
convictions personnelles. »
PORTRAIT DE MALAN A 20
ANS
Malan
évangéliste
Évangéliste dans le
plein sens du terme, missionnaire de
l'intérieur, telle nous apparaît la
vraie vocation de César Malan. Il ne pouvait
qu'être à l'étroit dans la
tâche plus minutieuse et plus lente du
pasteur.
Cependant, il s'appliqua à
cette tâche, pendant toute sa vie, avec la
persévérance la plus consciencieuse.
On a de lui un Registre qu'il a tenu « pour
son propre usage », depuis 1825 jusqu'en
novembre 1863 (date de sa dernière
prédication), et qu'il avait intitulé
: « Transactions du troupeau et de la diaconie
de l'Eglise ». On y trouve marquées les
réceptions de catéchumènes, -
les admissions et les sorties, ou parfois aussi les
exclusions, des membres, - les baptêmes, -
les mariages célébrés par lui
dans la chapelle.
Le
registre de l'Eglise
Ce registre est écrit en
entier de sa main, et surtout avant 1830, dimanche
après dimanche. Jusqu'à cette date,
c'était le compte-rendu des
délibérations d'une communauté
qui se régit elle-même sous la
présidence de son pasteur; depuis cette
époque, ce sont les notes personnelles d'un
directeur d'Eglise. Sur la première page, en
date de février 1825, on trouve cette
demande, « question à laquelle doit
répondre par écrit toute personne qui
demande à être admise dans l'Eglise du
Témoignage » « Voyez-vous, par la
Parole de Dieu, que vous devez quitter, absolument
et sans réserve, l'Eglise de la multitude,
et le faites-vous ? »
Cette Église
représenta cependant, dans la sphère
de la dissidence déclarée, la plus
grande largeur d'idées.
Une
Eglise vivante
Constamment paisible en
elle-même, éloignée par la
clarté absolue et la
supériorité d'esprit de son
conducteur des divisions intestines qui
affligeaient d'autres troupeaux, elle joignait
à une vie bien personnelle la pratique
persévérante de vertus actives. Bien
que de composition sociale modeste, elle
rassemblait pour telle ou telle oeuvre de
charité ou d'évangélisation
des dons qui surpassaient toujours l'attente de
César Malan. Prenant un soin spécial
de ses indigents, elle participait à
l'oeuvre des écoles et à celle de
l'évangélisation sans négliger
de manifester, dans la vie privée de ses
membres, l'expression de sa sympathie ou l'aide de
ses prières. C'était une grande
famille religieuse, dont tous les membres se
connaissaient personnellement, et se rencontraient
chaque dimanche dans le tranquille et beau jardin
et à la chapelle de leur pasteur et
ami.
Une
Eglise personelle
Comme d'autres congrégations
isolées du premier Réveil, elle a
été essentiellement une Église
« personnelle », en ce sens que son
origine et son existence demeurent liées
à une personnalité
spéciale.
Une
Eglise collaboratrice
Il ne faut pas conclure de là
que cette communauté ait manqué de
vie propre. Son pasteur avait soin de l'associer
à tous les travaux de son ministère.
Il lui demandait l'aide de ses prières
lorsqu'il partait pour ses voyages de mission ; il
lui racontait, à son retour, ce qu'il
croyait propre à l'édifier; il lui
faisait part des joies ou des deuils de ceux de ses
membres qui le désiraient; ou même
encore, avec sa simplicité et sa bonhomie
coutumières, il sollicitait, du haut de la
chaire, ses prières pour tel ou tel
événement dans sa propre famille. Il
l'invitait à assister soit aux
baptêmes et mariages qu'il devait
célébrer; soit à la
réception des jeunes gens qui étaient
toujours appelés à confesser
publiquement leur foi dans la chapelle, Non content
de saisir chaque occasion pour la pousser à
agir par elle-même, il lui fit, adopter
à cet égard quelques principes
formels. C'était l'assemblée qui
nommait ses diacres et qui, en fin d'année,
recevait d'eux un rapport contresigné par le
pasteur. C'était elle qui votait ses
règlements, admettait ou excluait ses
membres. C'était elle qui envoyait des
évangélistes, désignait son
« Comité de mission intérieure
», et, à telle occasion, mettait aussi
à part des jours de jeûne et
d'humiliation et des jours d'actions de
grâce.
Indépendamment de l'auditoire
ordinaire, la chapelle était constamment
visitée par de nombreux étrangers :
c'était souvent une véritable
affluence. Il arrivait parfois que
Malan, après avoir
prêché en français,
résumât son discours en langue
étrangère, en anglais maintes fois.
Bien souvent, à la descente de la chaire, il
était attendu par un grand nombre de
personnes et toute sa journée était
ainsi absorbée par la prédication de
l'Évangile, en public ou en
particulier
Ainsi se révèle, dans
les pages du Registre mentionné, cette vie
d'Eglise si étroitement mêlée
à la vie de son conducteur, autant par la
simple influence de l'un que par la libre
acceptation de l'autre.
Mais la paix n'est pas d'ici-bas,
même dans les Églises où l'on
croit toucher de plus près l'idéal.
C'est du côté de l'Église
séparée du Bourg-de-Four qu'allaient
venir les nuages qui assombriraient le ciel heureux
de l'Eglise du Témoignage.
Les
nuages de l'Eglise du
Bourg-de-Four
D'une part, l'Eglise du
Bourg-de-Four était travaillée par un
esprit « d'individualisme religieux »
parfois très bruyant. D'autre part, elle se
souciait peu de l'expression formelle de la foi, en
particulier de la doctrine de la grâce, et
était fortement travaillée par des
tendances baptistes, A cela, s'ajouta bientôt
le souci des fidèles du Bourg-de-Four de
traduire en une unité visible l'unité
mystique de tous les chrétiens.
Autant de traits qui s'opposaient
aux propres tendances de Malan et à la
direction qu'il avait imprimée à sa
propre Eglise. De là vinrent les
difficultés de ses rapports avec le
Bourg-de-Four.
Un
règlement exclusif
Les conceptions
ecclésiastiques des fidèles de ce
dernier groupement aboutirent à un «
Règlement » déclarant que tout
fidèle qui prendrait l'a Cène dans
son sein devrait se soumettre aux préceptes
qu'elle tirait de l'Écriture et se regarder
comme étant, par là même,
soumis à ses pasteurs.
À une aussi singulière
déclaration, les membres de l'Eglise du
Témoignage exprimèrent, dans une
lettre, leur douloureux regret de se voir
dorénavant privés de prendre la
Cène dans la congrégation du
Bourg-de-Four, comme ils le faisaient parfois; en
effet, d'après les principes exposés,
leur démarche équivaudrait de leur
part, à déclarer qu'ils quittaient la
conduite de leur pasteur pour se mettre sous celle
des chefs de cette congrégation. «
Venez donc, chers frères, disait la lettre,
puisqu'il n'y a aucune barrière de notre
côté, venez communier avec nous, vos
frères ! Vous nous empêchez d'aller
vers vous par votre règlement, mais puisque
la même chose n'existe pas chez nous, et
qu'ainsi nous pouvons communier tous ensemble sans
blesser la conscience d'aucun, venez réjouir
vos âmes avec les nôtres...
»
Unité et
divesité
De son côté,
César Malan écrivait aux pasteurs du
Bourg-de-Four une justification approfondie des
principes impliqués dans la lettre de
l'Eglise. Une proposition la résume, qui fut
plus tard aussi formulée par Ami Bost (1835)
: « L'unité spirituelle, dans la
diversité des faits extérieurs, est
la loi constante du Royaume de Dieu. » Autant
il voyait d'importance « à la
dignité à ses yeux
indélébile du ministère de la
Parole », « aussi peu voyait-il, dans la
constitution extérieure des Églises
visibles, un fait directement institué par
Dieu lui-même ». Il mit toujours les
droits de la liberté individuelle de chaque
Eglise au-dessus du désir de traduire, par
une unité extérieure et sensible,
l'unité spirituelle née d'une foi
commune.
L'Eglise primitive n'est pas
normative aux yeux de Malan
À propos de l'idée
qu'on lui avait opposée « que la Parole
de Dieu ne veut qu'une Eglise dans chaque ville
», il faisait cette judicieuse remarque :
« Ce n'est pas raisonner sûrement, dans
ce qui concerne la forme et la discipline de
l'Eglise, que d'établir que nous devons
strictement imiter ce qu'a fait l'Eglise primitive,
puisqu'en posant ce principe, on place l'Eglise
sous la conduite de l'Eglise et non plus sous la
direction de l'Esprit Saint. Cet Esprit, dont la
sagesse est infiniment diverse, et qui a
laissé beaucoup de directions,
données à Tite et à
Timothée, inconnues au reste des ministres
de Dieu, peut aussi donner, de nos jours, aux
troupeaux du Seigneur et h leurs conducteurs, les
pensées, les directions et les
déterminations, qui se rapportent à
l'urgence de leurs besoins et au plus grand
avancement de l'Évangile dans telle ou telle
circonstance. »
Divergence grave avec l'Eglise du
Bourg-de-Fourg
Cette divergence de vues à
l'égard de la question d'église,
jointe à la dogmatique particulière
de Malan, l'éloigna toujours plus de ses
frères dissidents de Genève. Ce fut
pour lui une douleur de tous les jours. La lecture
des documents qui ont trait à cette
période révèle le spectacle
pénible d'une nature ardente,
généreuse, sans défiance et
sans arrière-pensée, aux prises avec
des esprits souvent incapables de la comprendre et
chez lesquels les jugements hâtifs et
partisans paralysaient les élans, du coeur.
Les divergences dans les principes se
transportèrent bientôt, comme dans
toutes les luttes ecclésiastiques, dans le
domaine des sentiments personnels. Bientôt,
la résistance inébranlable de Malan
poussa les fidèles de l'Eglise du
Bourg-de-Four à s'attaquer ouvertement soit
à son caractère de ministre de
l'Évangile, soit même à son
caractère personnel.
Cette opposition s'aggravait encore
des progrès indiscutables de l'oeuvre de
Malan. Non seulement la fréquence des
étrangers à la Chapelle était
devenue considérable, mais au mois de mars
1830, l'Assemblée de l'Eglise se
préoccupait des moyens d'ouvrir un second
lieu de culte dans la ville pour les fidèles
trop éloignés du
Pré-l'Évêque.
Les scrupules ou les
susceptibilités de l'Eglise du Bourg-de-Four
en furent alarmés. Ils se traduisirent par
des accusations « d'orgueil et de despotisme
clérical prémédités
». L'écho de ces accusations s'infiltra
jusqu'au sein de la Chapelle du Témoignage
pour en troubler désormais la vie
jusqu'alors si remarquablement paisible.
Conflits
intérieurs
Au mois de mai 1830, Malan,
apercevant des signes de mécontentement chez
plusieurs membres de son troupeau, demanda à
celui-ci un vote de confiance. Fidèle
à lui-même, il fit porter ce vote, non
sur son ministère, mais sur sa doctrine
qu'il présenta, par motif de conscience et
de loyauté, sous sa forme la plus
accentuée. Le résultat était
inévitable : scrupules des uns sur le
terrain dogmatique, refus des autres de se laisser
imposer d'office une profession de foi; les plus
avancés et les plus indépendants de
ses adhérents se séparèrent de
lui. Son Eglise perdit alors le tiers de ses
membres, qui allèrent bientôt se
joindre à celle du Bourg-de-Four.
L'humilité de Malan, qui sut
reconnaître ce qui avait pu être un
abus de son autorité en ces circonstances,
lui ramena plus tard plusieurs de ceux qui
l'avaient quitté alors. D'autre part,
l'oeuvre de la Société
Évangélique vint modifier
bientôt les relations des deux
congrégations qui, jusque-là, avaient
seules représenté dans Genève
le mouvement du Réveil.
Les
outrances de l'individualisme
La Communauté du
Bourg-de-Four, dès longtemps
travaillée par le baptisme, puis par
l'individualisme outrancier des fidèles, fut
bientôt envahie par le darbysme. Ses pasteurs
se virent eux-mêmes aux prises avec les
tendances qui, après leur avoir servi
à diviser l'Eglise du Témoignage,
arrivèrent à déchirer sous
leurs yeux leur propre
congrégation,
La scission provoquée dans
son Eglise porta à Malan un coup très
sensible. Depuis cette année 1830, il faut
bien reconnaître que l'Eglise du
Témoignage ne retrouva plus les jours
d'affluence de son passé, bien qu'elle
conservât longtemps une place marquante dans
le monde religieux.
Mais Malan ne se laissa pas
décourager. Les devoirs de son pastorat ne
lui offraient plus une sphère suffisante
pour son activité : il s'adonna dès
lors toujours plus, soit à des travaux de
plume, soit à la noble tâche de
prédicateur itinérant et de
missionnaire qui était si éminemment
la sienne.
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