Un Gagneur
d'Âmes:
CÉSAR
MALAN
DEUXIÈME PARTIE:
L'ACTIVITÉ PUBLIQUE DE MALAN APRÈS
1830
CHAPITRE
VI
LE DOGMATISME DE MALAN
Félix Nef et
César Malan
Dans sa remarquable biographie de
Félix Neff
(1), le D
Lortsch, voulant préciser l'attitude de
Félix Neff dans les milieux de son temps,
cite de lui ce fragment de lettre : « Une
autre chose qui me rend le séjour de
Genève bien pénible, c'est le triste
état où se trouve le règne de
Dieu ; l'esprit de théologie, de
système, de dispute, de critique, et je
dirai presque d'inquisition, qui trouble et
détruit toute simplicité de foi et
bientôt toute vie !».
« La principale cause de
tout le mal est ce fameux Malan, qui est de plus en
plus exclusif et tout à l'heure un vrai
pape, condamnant au feu tous les livres religieux
dont il n'est pas l'auteur; accusant
d'hérésie tous les
prédicateurs qui ne prennent pas
journellement le mot d'ordre chez lui, et
défendant à son troupeau de les
entendre; travaillant à former de ses
sectateurs autant d'agents de sa haute police et de
son saint office. J'aimerais mieux, en
vérité, prêcher parmi les Turcs
que parmi de tels chrétiens...
Quelque admiration que nous ayons
pour Félix Neff, cette outrance nous
attriste; mais tout chrétien a sa paille et
les erreurs de jugement de F. Neff sur notre
héros n'altèrent point l'admiration
que nous avons pour Neff lui-même. Disons
simplement que cette erreur sent « son
Bourg-de-Four » !... Il n'est pas difficile de
retrouver là les traces des reproches et des
insinuations avec lesquelles le personnel du «
Bourg-de-Four » travailla à
discréditer César Malan. Dans la note
de bas de page où le Dr Lortsch explique la
vivacité de Neff, il indique : « Neff
n'en veut qu'aux principes d'un calvinisme exclusif
et intransigeant, que professait le
célèbre prédicateur et
poète genevois. Le Doyen Maury a
souligné avec justesse qu'on attribua
souvent à tort à César Malan
les outrances de ses disciples.
Il convient donc ici, avant
d'examiner son oeuvre missionnaire et le message
qui la soutenait, d'examiner ce qu'on a
appelé « le dogmatisme de Malan
».
Une
doctrine théologique
constante
Dans le ministère de Malan,
on a pu relever une évolution très
nette quant aux principes ecclésiastiques.
En matière de doctrine théologique,
il n'a jamais varié : c'est toujours dans le
même sens et sur les mêmes bases qu'il
a développé les données
initiales de sa foi.
Il n'ignorait certes pas «
l'insuffisance, pour convertir les coeurs à
Dieu, de la seule puissance logique de
l'énoncé dogmatique de la
vérité ». Comment l'aurait-il
pu, lui qui appelait son oeuvre, essentiellement
« un témoignage » ? Car ce qu'il
faut d'abord chercher, chez Malan, c'est un
témoin fidèle et courageux de la foi
plutôt qu'un théologien au sens que
donnent à ce mot les disputes
religieuses.
Le
vrai théologien
D'autre part, s'il est exact que
« les trois traits qui caractérisent un
vrai théologien sont la prière, le
travail assidu et l'étude constante des
Écritures », Malan a bien
mérité le titre qu'on lui
décernait alors
généralement.
Dès 1817, il se voua
exclusivement à l'étude
journalière de l'Écriture. Il lisait
assidûment le Nouveau Testament dans le texte
grec. Il s'était remis à
l'étude de l'hébreu, qui
n'était guère enseigné
à Genève au temps de ses
études, et pendant bien des années,
lut chaque jour un ou deux psaumes dans la langue
originale, au point d'en citer maints passages de
mémoire. Quant à l'étude de
l'Écriture sainte en général,
il y consacrait les premières heures du jour
: peu à peu, cette étude devint son
occupation habituelle.
« Je ne suis pas un
théologien, disait-il. Tout ce que je sais,
c'est la souveraine grâce de Dieu en
Jésus-Christ. C'est là le
dépôt qui m'a été
confié: c'est ce dont je devrai rendre
compte. » Cette humble déclaration
n'ôte rien pourtant à l'influence
profonde de son témoignage clair et
courageux rendu aux doctrines, alors si
négligées, de la grâce, de la
divinité essentielle de la personne de
Jésus-Christ, de l'autorité divine
des Écritures.
Malan dogmaticien
Peut-être lui eût-on
pardonné d'être le théologien
de ce qu'on a appelé, chez Félix
Neff, « le christianisme expérimental
et pratique n, Mais le grand reproche qu'il
mérita, aux yeux de certains de ses
contemporains, fut d'être un dogmaticien.
Deux camps s'accordèrent à l'en
blâmer : les rationalistes du Corps pastoral
genevois et les frères dissidents (Neff,
Eglise du Bourg-de-Four, etc.).
À l'époque de Malan,
les adversaires et les partisans du Réveil
se tenaient, les uns et les autres, sur le terrain
d'un supranaturalisme religieux. Les rapports du
fait humain avec le fait divin n'avaient
guère de place dans les
préoccupations théologiques d'alors.
Quant à l'autorité religieuse, nul ne
songeait à en invoquer d'autre que celle de
l'Écriture dans son texte, « la
révélation écrite ». Sous
ce dernier rapport, l'Eglise de Genève
était demeurée strictement
attachée à ses origines; l'influence
de la scolastique du XVIIe siècle et des
controverses avec Rome à coup de «
textes » l'avaient même amenée
à un point de vue que les
Réformateurs eux-mêmes n'avaient
jamais formulé : celui de l'inspiration
littérale, du caractère oraculaire
des écrits sacrés. Même dans
les rangs des adversaires les plus
déclarés du Réveil, ce point
de vue n'était pas discuté. D'autre
part, la réaction du côté
évangélique en faveur de la
volonté personnelle de Dieu et de la
souveraineté de Sa Grâce, acculait
trop le croyant à une passivité
d'où était exclu le caractère
personnel et vivant de la foi : il s'agissait moins
alors de la réception d'un don de Dieu que
de l'acceptation de croyances correctes
tirées de la parole écrite; le
ministère pastoral et le fait
général de l'Eglise visible prenaient
alors le pas sur l'autorité et le
ministère essentiels du
Saint-Esprit.
Malan, champion des droits de la
personnalité religieuse
Contre ce supranaturalisme et ses
dangereuses conséquences, Malan a
été le champion des droits
sacrés de la personnalité religieuse.
Sur ce plan, il a été l'homme du
mouvement, de la pensée vivante, de la foi
personnelle, de la fidélité
courageuse et pratique à l'autorité
des Ecritures.
Dogmatisme
autoritaire
Si nous passons de la défense
à la confession et à l'enseignement
de sa foi, il convient mieux alors d'affirmer le
« dogmatisme » Malan. De sa
prédication et de la plupart de ses
écrits, un fait précis se
dégage : il ne se bornait pas simplement
à rendre témoignage à la
réalité de l'objet de sa foi, mais il
s'efforçait encore de justifier, et
même d'imposer la formule intellectuelle par
laquelle il se représentait cet
objet.
Intolérance, fanatisme,
papisme ? ? ?... Mais pour Malan, cette formule
même n'était pas le résultat
personnel de sa propre pensée. Elle
n'était autre chose que ce qui avait
été dicté directement par Dieu
aux hommes dans la parole inspirée. Malan ne
se préoccupait pas du moyen de la
révélation divine : expérience
ou enseignement. Il ne faisait aucune distinction
précise et explicite entre sa religion et sa
théologie, entre l'autorité de sa foi
et celle de son dogme. Au nom même de sa foi
vivante, « don de Dieu à son âme
», il repoussait avec indignation le reproche
de s'en tenir à une croyance, simple
conclusion de l'esprit !
Malan n'est pas un orthodoxe de
tête
Mais la persistance de ce reproche
prouvait que, dans son enseignement, plus d'un
trait y prêtait. On peut dire que, pour
Malan, croire n'est même pas un acte. «
Croire ne donne pas de la peine », dit-il
lui-même... « Il faut croire sans bouger
de place... » En quoi il ne faudrait pas
chercher la pente d'un esprit crédule, ce
qu'il n'a jamais été, mais ce coeur
confiant que toute sa vie révèle en
lui.
Ce
qui compte
Ce qui comptait surtout aux yeux de
Malan, c'était le salut de Dieu plus que
l'acte par lequel l'âme saisit ce salut ;
cela lui paraissait si simple et si naturel !
Absorbé tout entier par la contemplation de
l'oeuvre historique de Dieu dans le passé,
il se souciait peu d'analyser la manifestation
actuelle de cette oeuvre dans le coeur du croyant.
Homme d'action avant tout, ni rêveur, ni
psychologue, il s'est toujours refusé
à l'analyse minutieuse et laborieuse du
coeur de l'homme. À ses yeux, cette
concentration sur l'humain était plus qu'une
rêverie : c'était un
péché, et à tout prendre, une
entreprise vaine. N'allait-il pas jusqu'à
déclarer « que c'est offenser Dieu que
de le prier pour un salut qu'Il nous affirme avoir
déjà été accompli
» ?
acte
de foiFoi, confiance
La foi demeurait pour lui « le
repos et la confiance du coeur sur ce que Dieu dit
». C'est donc une confiance que notre coeur
met en une oeuvre de Dieu rendue certaine à
notre esprit. Il faut, non pas aimer Dieu pour
pouvoir le connaître, mais bien l'avoir connu
avant de pouvoir l'aimer. Voici un passage d'une de
ses lettres sur le sujet (22 mars 1827) : « La
foi qui sauve est un acte tout puissant du
Saint-Esprit, qui éclaire l'entendement et
touche ou soumet le coeur ; tellement que la foi
qui ne se rapporte qu'à l'entendement est
une science ou une connaissance seulement, et que
la foi qui saisit et reçoit Christ est une
science vivante, reçue par l'esprit et le
coeur, c'est-à-dire par le principe voulant
et actif de l'homme. Cette foi n'est donc point,
comme vous l'avancez, la pleine évidence de
la vérité connue et admise par
l'esprit ou l'entendement; mais c'est cette
vérité perçue par
l'entendement et reçue par le coeur... Il y
a donc, dans cette foi, une opération du
Saint-Esprit sur les deux puissances de l'homme,
l'entendement et la volonté, et non pas
seulement sur le premier...» Il y a loin de
cette piété fervente à
l'orthodoxie morte, pure conclusion intellectuelle
d'un esprit paresseux et
superficiel !
Mais, à cause du rôle
décisif que Malan fait jouer à
l'intelligence dans les origines de la foi qui
sauve, on a pu l'accuser de donner plus de place
à la foi au salut de Dieu qu'à la foi
au Dieu Sauveur.
Le
scolasticisme de César
Malan
D'autre part, l'acte de foi
étant ainsi présenté, il en
découlait aussitôt que l'intelligence
du croyant devait paraître capable de se
rendre à elle-même, et de fournir
à autrui, un compte exact de cette foi.
Dès lors, rien de plus naturel que Malan
fît entrer, dans la définition de la
foi qui sauve, son système
théologique tout entier. De là, les
accusations d'ultra-calvinisme, et en
général de scolasticisme que ne lui
épargnèrent pas même ses
meilleurs amis. Pour lui, ces accusations lui
demeuraient tellement incompréhensibles
qu'il n'y répondait jamais qu'en
précisant toujours plus exactement sa
pensée dogmatique. Peut-être ceux qui
le blâmaient, auraient été plus
justes s'ils avaient d'abord fait la distinction
entre la vérité religieuse et le fait
psychologique.
Croire n'est pas
sentir
Pour Malan, le fait psychologique
n'était qu'un simple résultat de
notre imagination, de notre sentiment propre, donc
de notre nature déchue. « Sentir que je
suis riche, c'est me séduire moi-même;
mais croire que le Roi l'est, car Il le dit, c'est
être sûr d'un fait, quoique je ne le
sente pas. » À ses yeux, il ne pouvait
donc y avoir, en fait, d'oeuvre divine de salut,
que celle que Dieu accomplit tout d'abord avant
nous, et par conséquent, tout d'abord sans
nous. Tout ce qui serait de notre part une
participation à cette oeuvre, tout ce qui
mériterait chez nous le nom d'une
appropriation de cette oeuvre, tout cela devait
donc débuter en nous, non pas tant par une
expérience instinctive, que par une vue
précise de cette même oeuvre. Ceci
explique l'importance extrême qu'il devait
nécessairement attacher à la
clarté du dogme, à l'expression
intelligible de la foi. Doué d'une
pensée extrêmement logique et
pénétrante, sa doctrine devait en
refléter le caractère syllogistique.
Non content d'exposer cette foi comme un fait
vivant en lui, il ne pouvait donc s'empêcher
de vouloir l'expliquer comme une confiance que
justifiait sa propre réflexion. Cette
rigueur et cette sévérité
envers lui-même expliquent qu'il n'ait jamais
pu admettre, sauf sur un plan de charité, la
présence d'une foi réelle là
où elle ne revêtait pas la forme
exacte de son dogme personnel.
Atmosphère de
l'époque
Bien des éléments
expliqueraient la position prise par Malan, en
dehors de la tournure particulière de son
esprit. Du côté positif,
l'atmosphère essentiellement dogmatique qui
entourait les hommes de réveil d'alors :
protestantisme de Genève; tendances du
protestantisme d'Écosse et du « parti
évangélique anglais », dont
l'influence fut si décisive dans les
commencements du Réveil, et tout
spécialement pour Malan. Du
côté négatif, la double
explosion d'un mysticisme bourgeois aussi vague
qu'exalté et d'un mysticisme populaire aussi
superstitieux que sentimental. Ajoutons à
cela le caractère éminemment
français de son esprit qui classait au rang
des idées fausses celles qui ne se pouvaient
exactement définir, et nous comprendrons
mieux le sens de ses réactions, le
caractère syllogistique et
démonstratif de son enseignement religieux,
la position qu'il adopta comme chef
spirituel.
Nous comprendrons mieux aussi, sur
ce point, les vives réactions de Neff envers
César Malan. Neff se courbait devant le
dogme comme devant un mystère, une
profondeur cachée de Dieu; « il se
contentait de l'honorer, écrit le Doyen
Maury, et voyait un grand danger dans la forme
absolue, analytique et arrêtée dans
laquelle le professait Malan ».
Humilité émouvante de Neff ?... Oui
certes. Mais peut-être aussi
différence de culture qui empêchait
son esprit de saisir sous le même angle de
grandes et fortes pensées. Braqué sur
la voie de l'expérience, le piétisme
s'est parfois désintéressé,
à tort, des exigences de la connaissance :
croyant éviter le dogmatisme, il a souvent
glissé vers un mysticisme flou et un
subjectivisme outrancier qui n'étaient plus
la manifestation d'une vraie foi. La
piété des natures fortes, comme Neff,
a tenu bon : celle des faibles s'est
volatilisée ou
égarée.
En général, il faut
bien dire que Malan se préoccupa beaucoup
plus de l'objet et des privilèges de sa foi,
que de l'analyse de sa foi. Ce qui lui importait,
c'était de contempler, surtout d'annoncer au
loin le fait célesta que cette foi avait
révélé à son âme.
Ce qui le préoccupait, c'est ce fait
lui-même et sa grandeur, le salut personnel
avec la certitude et la joie qui en
découlaient. Il laissait à d'autres
les recherches psychologiques et
théologiques proprement dites, Ce qui le
passionnait, lui, c'était de proclamer,
chaque jour, avec un nouveau zèle, l'oeuvre
historique de Dieu, ce qu'Il a fait un jour pour
Ses élus; c'est pourquoi il exposait, avec
l'autorité d'une conviction toujours plus
profonde et toujours plus émue, le fait
historique de la Rédemption comme cause et
source première de notre salut, plus encore
que manifestation historique des pensées
éternelles de l'amour divin.
Aussi demeura-t-il l'un des
prédicateurs les plus saisissants de la
réalité objective et absolue de ce
salut que Dieu nous donne. Ce fut la raison
d'être et le privilège de son «
dogmatisme ».
Dangers
d'antinomianisme?
Courait-il vraiment les dangers de
cet « antinomianisme » que certains lui
ont reproché ? Au contraire, ce dogmatisme
demeure pour son âme la source toujours plus
abondamment ouverte d'une piété
vivante et active. Nature primesautière,
enthousiaste, que la sobriété et la
maîtrise personnelle n'empêchent pas de
brûler d'ardeur et d'activité, coeur
d'une simplicité et d'une
sincérité atteignant à la
grandeur, Malan ressemble, sur ce point, à
Calvin lui-même.
Il ne comprenait pas, en effet,
qu'on admît la réalité d'un
fait sans que cette admission manifestât
aussitôt toutes ses conséquences dans
les sentiments, la volonté et la
vie.
Le
Calvinisme de Malan
Prédicateur de la grâce
et du salut de Dieu, il ne connaissait à
tous les maux de l'âme qu'un seul et unique
remède, à toutes ses
difficultés qu'une seule réponse : le
témoignage écrit de Dieu, l'oeuvre
historique de Dieu, le salut accompli, une fois
pour toutes, par le Fils de Dieu. Ne
s'arrêtant jamais à vouloir même
établir l'autorité des
Écritures, il se contentait d'en supposer,
et à l'occasion, d'en imposer l'acceptation
pure et simple, et cela au nom de
l'expérience dont ces Écritures sont
la source pour tout homme de bonne volonté.
En présence des prétentions de la
liberté humaine, il allait parfois
jusqu'à la nier avec emphase : c'est ainsi
qu'il intitule un de ses traités : Le Libre
arbitre d'un mort ! Il établissait entre
l'homme et Dieu, une différence essentielle,
absolue, infranchissable, qui lui faisait ajouter
au mot de l'apôtre : « Tout de Dieu
», un énergique « Rien de l'homme
».
C'est ainsi que peuvent s'expliquer
les froissements que causait sa doctrine à
des frères qui, tout en partageant sa foi,
différaient de point de vue. Croyant
sincère, admirablement convaincu et soumis
dans sa foi, il était toujours
éclatant de lumière et
irrésistible de force et de vie quand il
rendait témoignage à la grâce
de Dieu. Mais dans la lutte qu'il engagea avec un
dogmatisme négatif, il dut se montrer
positivement et agressivement
dogmatique.
Réservant toute son attention
aux intérêts de la
piété, à la foi vivante et
pratique, il voulut surtout annoncer à ses
frères, qu'il croyait dans une mortelle
erreur, la grâce souveraine et le salut
éternel d'un Dieu personnel et vivant. Il
saisit pour cela la seule formule qui fût
à sa portée; ce qui avait
été, dans le monde où il
vivait, la dernière expression de cette foi
réveillée en lui. Cette formule, il
la trouva dans l'Abrégé des doctrines
de B. Pictet, et dans la Confession de foi du
Synode de Dordrecht. Et encore, convient-il de
souligner qu'il n'utilisa ces armes qu'au nom de la
foi et non pas de l'orthodoxie. La puissance avec
laquelle il appelait et réveillait les
âmes, suffirait à dissiper tout doute
à cet égard.
La doctrine
historique du protestantisme
réformé
Si l'on passe de la tendance «
dogmatiste » de Malan à la forme
particulière que revêtit son dogme
personnel, à sa doctrine, il suffira de dire
que c'était celle de l'ancienne orthodoxie
symbolique du protestantisme, formulée dans
les Confessions de foi des Églises
réformées, tout spécialement
celle du Synode de Dordrecht, au XVII°
siècle.
Toutefois, ce fut d'une façon
indépendante que Malan arriva à cette
doctrine. Il ne lisait les écrits
réformés hollandais ou anglais, que
pour y retrouver ses convictions personnelles.
Quant à Calvin, auquel il touche par un des
côtés les plus caractéristiques
de sa pensée religieuse, il ne
l'étudia que longtemps après le
changement définitif de ses convictions.
Vers 1820, Malan avait écrit ces quatre vers
sous un portrait de Calvin qui ornait sa salle
à manger :
- Si nous voyons en toi ce qu'un docteur doit
être,
- Et si nous admirons les dons que tu
reçus,
- Comme nous serviteur, tu n'es pas notre
Maître,
- Mais avec toi, Calvin, nous adorons
Jésus.
Malan l'a souvent dit lui-même : ce fut la
Sainte Écriture qui éclaira
directement son âme. Ce fut, d'autre part,
cette simple parole qu'Haldane ne se lassait pas de
répéter dans ses mémorables
entretiens de 1817 : « Comment est-ce
écrit ? Comment lis-tu? » qui explique
toute l'influence de ce croyant laïque sur
notre héros.
D'un mot, ce sont les circonstances
de sa conversion personnelle au Sauveur qui
déterminèrent la direction
spéciale de la pensée et de
l'enseignement religieux de Malan.
Message de la Grâce
souvraine
Ce qui le frappa par-dessus et avant
tout, ce fut « la libre souveraineté de
la grâce de Dieu ». Cette
première et éclatante impression,
sans cesse renouvelée par la contemplation,
l'adoration, remplit toujours plus son âme :
elle en devint la préoccupation
suprême, constante, exclusive même.
Être aimé d'un Dieu qui aime parce
qu'Il veut aimer, qui n'attend pas que l'objet de
cet amour soit aimable à ses yeux, mais qui
l'aime avant cela et dont l'amour arrive à
rendre aimable cet objet, cette expérience
suffit à réveiller et diriger
l'activité brûlante de sa
piété. Jamais rien ne vint, un seul
instant, voiler à ses yeux l'éclat
céleste dont cette certitude et cette
expérience avaient illuminé son
âme.
L'on retrouve cette vue claire,
précise, au fond de toute son oeuvre de
prédicateur, de missionnaire,
d'écrivain religieux. Arsenal de sa
pressante controverse, elle est aussi le fondement
de sa sévère morale. Ses cantiques en
sont la confession constante : il ne se lassait
jamais de chanter cette liberté de la
souveraine grâce d'un Dieu vivant.
CHAPELLE DU TEMOIGNAGE
C'était ce don inespéré de
l'Amour Divin à l'âme perdue qui lui
faisait reconnaître en Jésus-Christ
non pas un aide, mais un Sauveur. Son adoration
reconnaissante ne cessait de contempler le
caractère essentiellement divin de l'oeuvre
que Jésus a accomplie pour les
pécheurs. D'où le sens, la
nécessité et l'importance absolue de
cette divinité éternelle du Fils de
Dieu, au témoignage de laquelle il sacrifia,
sans hésiter, tout ce qu'il était et
toutes les aspirations de sa jeunesse.
À cet égard, Malan
opéra une réaction capitale contre la
conception faussée d'une justification de
l'âme qui cessait d'être le fruit
parfait de l'Amour éternel pour n'être
plus que le résultat de la foi, de la
régénération et de la
fidélité du croyant.
La
prédestination au Salut
Enfin, le sentiment de la
Souveraineté de Dieu l'amena
nécessairement au dogme spécial de
l'élection restreinte ou de la
prédestination individuelle au salut. Dans
cette doctrine scripturaire de l'élection,
Malan voyait cette déclaration formelle,
que, lorsqu'un homme reçoit, par la foi, la
révélation du salut de Dieu en
Jésus-Christ, c'est là, pour cet
homme, non seulement le commencement d'une
responsabilité nouvelle, mais avant tout la
réalisation effective d'un décret
positif de Dieu sur lui. Le salut ne lui est donc
pas remis entre les mains, mais simplement
déclaré, annoncé comme un fait
accompli dont il n'a plus qu'à se
réjouir avec actions de grâces. Cette
foi vivante du coeur qui accueille ce salut n'est
pas un acte du croyant, mais avant tout un don de
Dieu à ce croyant par lequel il
reçoit la révélation d'un
salut déjà opéré par
Dieu Lui-même. Dieu ne sauve donc pas
actuellement l'âme élue dans le moment
où cette âme vient à lui. Il ne
fait, dans ce moment-là, qu'annoncer
à cette âme, par la foi qu'il met en
elle, qu'elle est une de ces âmes qui ont
été dès longtemps
sauvées. La foi n'est pas seulement et avant
tout la vie dont cette âme doit vivre; elle
est tout spécialement le gage de son salut,
le signe auquel elle le reconnaît. « Ou
bien cette âme est déjà
sauvée, disait-il, ou bien elle ne le sera
jamais. »
Nous n'insisterons pas sur les
protestations que suscitèrent de telles vues
et le qualificatif de doctrines
relâchées que des amis même leur
appliquèrent.
Théories et
pratique
Simple expression d'une adoration de
Dieu soumise et sincère, le résultat
de cette doctrine fut toujours pour lui
l'humilité et la reconnaissance envers Dieu,
c'est-à-dire les cieux
éléments qui demeurent l'unique base
d'une piété réelle. Il sut le
manifester dans la sobriété et la
réserve de ses jugements sur le
caractère religieux des individus, dans sa
promptitude à croire le bien, dans sa
charité et sa bienveillance envers
tous.
Par ailleurs, on peut dire que sa
vie active, courageuse, dévouée,
brûlait de cette « passion pour le salut
des âmes » qui fut la marque et la
grandeur de ce Réveil du début du
XIX° siècle. « tout cela
exclut jusqu'à la pensée du fatalisme
étroit et orgueilleux que l'on aime parfois
à rattacher à la profession de la
doctrine de l'élection de la
grâce.
Croyant pratique, conséquent
et actif, Malan sut éviter, en même
temps, les dangers d'un intellectualisme sans
chaleur et ceux d'une contemplation mystique et
d'une piété de sentiment, Il lui
suffit pour cela de cette clarté parfaite et
de cette assurance inébranlable que donne
seule à l'âme la vue d'un salut
accompli pour nous par un Dieu souverain, en
dépit de notre impuissance et de notre
indignité.
Avec quelle intensité
brûlait dans son âme la flamme de ces
certitudes glorieuses et comment elles
l'embrasaient pour le service de Dieu, une
étude de son oeuvre de missionnaire de
l'Évangile, va maintenant nous le
révéler.
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