Un Gagneur
d'Âmes:
CÉSAR
MALAN
DEUXIÈME PARTIE:
L'ACTIVITÉ PUBLIQUE DE MALAN APRÈS
1830
CHAPITRE
VII
MALAN MISSIONNAIRE DE LA PAROLE
L'année 1830 campe devant nous un
Malan dont la vie privée et la vie de
famille connaissent une sphère plus
élargie, dont l'activité missionnaire
à l'intérieur et à
l'étranger s'accroît sans cesse, mais
qui continue à occuper une place à
part dans le monde spécial du
Réveil.
L'isolement de
Malan
Il était normal qu'il
fût isolé du clergé genevois
dont il s'était séparé sans
hésitation, parce qu'il voyait en lui
l'adversaire de la vérité
évangélique. Mais il devait
ressentir, avec peine, l'isolement dans lequel le
maintenaient ceux-là même qu'il
regardait comme ses frères en la foi, les
animateurs du deuxième Réveil
évangélique dans Genève :
Galland, Gaussen, Merle d'Aubigné. Gaussen
lui-même, disait un jour à Mme Malan :
« C'est lui qui nous a frayé la voie,
où nous n'avons plus qu'à marcher !
» Mais tout en honorant en lui le
témoin décidé de la foi, ils
évitaient avec soin tout ce qui aurait pu
faire confondre leur cause avec la sienne.
Pourtant, la fondation de la
Société Évangélique en
1831, avec son Oratoire et ensuite son École
de Théologie, avait été pour
Malan et les siens un sujet de grande joie et un
grand événement. Joie en tant que
réalisation définitive de ce
qu'avaient tenté les hommes du
Réveil; événement qui mettait
fin, pour les siens, à une douloureuse
période d'ostracisme où leur seul nom
les privait de toute relation sociale. Dès
l'origine, Malan envoya ses enfants aux nouvelles
assemblées, et plus tard, ses fils à
la nouvelle École.
L'Oratoire de la
Société
Evangélique
Cette réserve de la
congrégation de l'Oratoire à
l'égard de Malan, s'explique par le souci
d'éviter tout ce qui eût pu donner,
à son initiative, le caractère d'une
dissidence avouée. Or, la petite
Église du Témoignage, incarnait
auprès de Genève le «
séparatisme extrémiste ».
D'autre part, les membres de la nouvelle Eglise
appartenaient à une tout autre classe
sociale que celle des « partisans du premier
Réveil ». Enfin, il faut bien dire que
l'importance considérable qu'elle avait
prise, dès le début et qui faisait
d'elle le centre du mouvement religieux
évangélique, la dispensait de
chercher ailleurs des appuis plutôt
compromettants.
Cette réserve n'empêcha
pas, toutefois, une estime réciproque et une
fraternité sincère de
s'établir entre eux et s'accroître
avec le temps.
Replié ainsi sur lui-même
et sur une Église où sa tâche
de pasteur avait subitement diminué
d'importance, Malan redoubla d'activité dans
ses travaux de prédicateur,
d'écrivain religieux et de témoin de
l'Évangile, à Genève comme
à l'étranger.
Malan
prédicateur
De novembre 1818 jusqu'à
novembre 1863, Malan ne laissa pas passer un seul
dimanche sans monter en chaire, souvent
jusqu'à 3 fois dans les premières
années. De plus, il ne cessa de tenir, en
semaine, ce qu'on appelait des
«prières» (réunions
consacrées à l'exposition
familière des Écritures) que
contraint par la fatigue et les infirmités
de l'âge.
Le dimanche, après-midi, Malan
s'adressait, dans « le sermon », à
un public mêlé; le matin, il
présidait à 10 heures « un
catéchisme » ou explication plus
élémentaire et plus méthodique
de l'Écriture (pour jeunes gens et adultes).
Une « assemblée pastorale », ou
culte d'édification mutuelle groupait
ensuite, autour de lui, les membres de l'Eglise.
Enfin « un service du soir »
clôturait la journée. Le premier
dimanche du mois, un service de communion suivait
le culte du matin.
Longtemps on vit aussi plusieurs
familles du voisinage se joindre, à 8 heures
du matin, au culte de famille des Malan.
Il arrive souvent qu'une trop grande
activité prive les serviteurs de Dieu du
soin de préparer leurs prédications :
il n'en fut pas ainsi pour César Malan. La
prédication demeura toujours pour lui l'acte
le plus solennel de sa vie : une grande
facilité de parole ou un auditoire
réduit ne le dispensèrent jamais
d'une consciencieuse préparation dans la
méditation et la prière. Il se
préparait même pour les simples
exhortations du culte .de famille. Personne
n'eût pensé à
pénétrer dans son cabinet pendant les
heures qui précédaient
immédiatement son service. Et ce n'est
guère qu'après le dernier service du
dimanche qu'il apparaissait dans le cercle de
famille.
Ceux qui l'ont entendu prêcher,
s'accordaient à dire que sa tenue en chaire
avait quelque chose de frappant. On le voyait, tel
qu'un des portraits le présente, la
tête entourée des longues boucles
d'une chevelure abondante, le regard sérieux
et pétillant de vie, d'intelligence, le
maintien digne et serein.
Sa prédication reflétait
son caractère : vrai, sérieux, clair,
ayant en horreur la phrase, la pompe
déclamatoire. Il méritait la
définition de Vinet : « Il parlait et
ne prêchait pas. » C'est surtout dans
son exhortation finale, où il donnait libre
cours à ses convictions puissantes, qu'il se
montrait orateur populaire, mais sans
négligence ni vulgarité.
Mais il ne souffrait pas plus les
négligences dans la tenue de son auditoire
qu'il n'en tolérait dans sa tâche de
prédicateur. Il ne comprenait pas qu'on
conversât, même à voix basse,
dans la « maison de Dieu ». Plus d'une
fois, une conversation, un chuchotement, ou tel
autre manque de convenance, suscitait de sa part,
soit un regard et un geste significatif, soit un
arrêt subit dans son discours, parfois
même un avertissement formel et direct du
haut de la chaire. Si quelqu'un venait à
s'endormir, il n'hésitait pas, le plus
naturellement du monde, à prier
lui-même un voisin de le
réveiller.
Malan
aimait prêcher aux foules
Improvisateur admirable,
César Malan était comme
comprimé devant un auditoire restreint. Il
n'était vraiment lui-même qu'en face
d'une foule pressée et attentive.
Doué d'un remarquable don de sympathie avec
l'auditoire, il savait lire dans les âmes et
marcher ainsi à la trace de ses
appels.
On comprend qu'il ait cherché, de
bonne heure, à s'adresser aux masses. Aussi
en 1820, lors d'un voyage à pied en Suisse,
nous le voyons à Courendlin «
prêcher sur la place publique ». Sa foi
brûlante lui faisait saisir avidement toutes
occasions « de rendre témoignage
à l'Évangile ». À une
époque où l'on limitait la
prédication des vérités
religieuses aux seules heures officielles et aux
seuls discours de la chaire, il fut l'un des
premiers à annoncer l'Évangile «
en temps et hors de temps ». Ce qui lui
faisait répondre à un magistrat le
menaçant d'interdire la construction de sa
chapelle « qu'il louerait une barque et
prêcherait sur le lac ». Il ne s'en
privait d'ailleurs pas. Ainsi, un certain jour de
1829, sur un des bateaux à vapeur du Lac
Léman, il avait groupé plusieurs
personnes autour de lui; montant sur un rouleau de
câbles à l'avant du navire, son
Nouveau Testament à la main, il exhorta les
gens « à s'approcher pour entendre la
bonne Parole de Dieu ».
Neff et
Malan, unis dans le même zèle
missionnaire
C'est par ces traits
caractéristiques du zèle missionnaire
que César Malan s'apparente
étroitement à Félix Neff.
« Ils possédaient, tous deux, a dit de
Goltz (dans « Genève religieuse
»), une puissance de foi, d'esprit de
prière, et un courage de témoignage
qui rendirent leur travail extraordinairement
béni. Personnalités puissantes, ils
portaient partout où ils se trouvaient, le
témoignage de Jésus-Christ. Ils ne
laissaient pas passer une promenade, une rencontre
fortuite ; ils n'entendaient pas une parole
ennemie, ils ne faisaient pas un voyage, sans y
trouver ou y faire naître l'occasion de
parler de leur Sauveur. Se tenant constamment en la
présence du Seigneur, il était
impossible qu'ils ne se sentissent pas
enflammés d'un saint amour pour les
âmes que Dieu mettait sur leur chemin, et ils
ne pouvaient avoir aucun rapport avec leurs
semblables sans en profiter aussitôt pour
travailler à leur salut. »
Rachetés à grand prix, ils
estimaient au même prix l'avenir spirituel
des autres; ils avaient la passion du salut des
âmes. Chez Malan, cette ardeur missionnaire
était un don d'En-Haut, fruit de la
simplicité de la foi et du dévouement
à son Maître, plus qu'un don d'audace
naturelle. On se tromperait lourdement si l'on
pensait que Malan ne fut jamais gêné
par les regards curieux, les chuchotements et
sourires railleurs d'un public prévenu, ou
froissé par les grossièretés
d'une foule hostile. « J'ai souvent
éprouvé qu'il m'était
difficile d'entamer une conversation religieuse
avec des étrangers »,
écrivait-il dans son premier traité
« Germain le Bûcheron ». Mais tous
ses sentiments personnels, toutes ses
préoccupations s'évanouissaient
dés qu'il fallait « rendre
témoignage à l'Évangile du
salut », dès qu'il fallait parler
à une âme de son avenir, de la «
redoutable éternité ». «
L'amour de Christ nous presse ! » Cette parole
de saint Paul suffit à caractériser
l'apostolat de César Malan. À un ami
qui s'étonnait, avec regret, qu'il eût
mis délibérément de
côté toutes ses préoccupations
littéraires, il répondait : « Ma
vie est trop courte pour cela ! » Dès
qu'il se trouvait en présence d'une
âme au salut incertain, il n'entendait que
l'antique parole de l'apôtre : « Malheur
à moi si je n'évangélise !
» Laissant de côté toute autre
considération, il abordait cette âme
avec ce sérieux, cette bienveillance, cette
angoisse même qui autorisaient l'audace de
ses questions. C'est qu'il était pleinement
convaincu « qu'une seule conversation est
souvent plus efficace que plusieurs sermons
».
Distribution de
traités
Il aimait beaucoup distribuer des
Traités religieux et ne perdait aucune
occasion d'en remettre avec un sens remarquable des
besoins de ses interlocuteurs. Jusqu'à la
fin de ses jours, il pratiqua fidèlement
cette Mission Intérieure par
l'imprimé. On peut dire qu'il inaugura ce
genre de colportage en Suisse et en garda longtemps
le monopole de fait. C'est dans les entretiens
nés de ces rencontres qu'il puisa le
thème de la plupart des nouveaux
traités qu'il édita. Et l'on
pourrait, en suivant la chronologie des
traités, retracer les traits les plus
saillants de son ministère de missionnaire
à l'intérieur.
Un
à un
Relevons ici quelques jolis traits
cités par son fils : « Comme nous
suivions la route de Bienne à Sonceboz,
à travers les gorges de la Suze, nous
rejoignîmes des véhicules
chargés de planches. Mon père
m'appela et me pria d'aller remettre un
traité à un grand jeune homme qui
conduisait une des voitures. Celui-ci se mit
à lire à haute voix aux autres
conducteurs arrêtés un instant; puis
il se détacha de leur groupe et vint prier
mon père de vouloir bien lui expliquer
« des choses qu'ils ne comprenaient pas
». Mon père s'approcha d'eux, et plus
loin, en les quittant, les invita à se
joindre, ce même soir, à notre culte
de famille à Tavannes. Ils promirent de s'y
rendre et tinrent parole. »
Le lendemain, nos deux voyageurs
reprirent leur route. Une halte, pour le
déjeuner, dans un petit café de
hameau, permit à César Malan de
réconforter une âme affligée ;
celle-ci voulut aussitôt faire profiter une
amie de la bonne nouvelle de l'Évangile.
César Malan et son fils furent introduits
dans la grande chambre d'une humble maison, au fond
de laquelle était couché un vieillard
à cheveux blancs. « Père, dit la
jeune fille, je vous amène un ministre de
l'Évangile. » - « Dieu soit
béni ! » répondit le malade qui
manifesta bientôt les marques d'une
sincère et touchante piété, En
causant, mon père lui demanda comment il
était arrivé à la connaissance
de son Sauveur. « C'est dans ce lit, où
je suis couché depuis bien des
années, répondit le malade, et par la
lecture d'un livre qui a été
écrit par un Monsieur Malan, de
Genève ! Ah ! si je n'étais pas vieux
et infirme, il y a longtemps que je fusse aller
à Genève le trouver. Voyez !
Monsieur, j'ai tant demandé à Dieu de
voir cet homme avant de mourir ! J'ai longtemps cru
qu'Il m'accorderait ma prière, mais il me va
falloir y renoncer !... » Je portai les yeux
sur mon père, qui regardait ses mains en
silence. « Comment s'appelle le livre dont
vous parlez ? » dit-il tout à coup au
malade en relevant la tête. - « Tenez,
fit celui-ci, je l'ai toujours là : il ne me
quitte pas ! » En même temps, le
vieillard tira de dessous son oreiller un
exemplaire fort usé d'une des
premières éditions des « Chants
de Sion » et le donna à mon
père... Puis il ajouta, comme se parlant
à lui-même : « Si seulement je
pouvais le voir, le cher Monsieur qui les a
écrits, ces cantiques ! Ce doit être
un vrai et tout bon chrétien,
celui-là ! » La conversation se
prolongea encore; mon père fit la
prière, puis, après que nous
eûmes chanté ensemble un cantique, il
s'apprêta à partir. Arrivé
près de la porte, cependant, il
s'arrêta, puis, retournant vers le lit
où le vieillard était encore assis
les mains jointes : « Mon père, lui
dit-il avec émotion, Dieu Lui-même,
que vous allez bientôt rejoindre, Dieu vous a
exaucé ! Je suis Malan, de Genève,
votre frère dans la foi de notre béni
Sauveur ! » Le pauvre vieillard, fixant sur
celui qui lui parlait un long regard noyé de
larmes, et levant lentement ses mains tremblantes :
« Bénissez-moi ! avant que je meure,
s'écria-t-il, vous pour qui j'ai si
longtemps prié Dieu !
Bénissez-moi, puisque j'ai le bonheur de
vous voir de mes yeux ! » Mon père, se
mettant à genoux devant le lit, dit d'une
voix émue: « Ce serait à vous de
me bénir, car vous pourriez être mon
père ! Mais toute bénédiction
vient de Dieu seul, et nous la Lui demanderons
ensemble ! » Alors, serrant dans ses bras
l'humble frère qu'il quittait pour ne plus
le revoir que dans la patrie céleste, il
implora sur lui « la paix que Jésus
donne », et nous quittâmes le hameau.
»
Expériences de
voyages
Les deux autres traits que nous
voulons citer, sont extraits de sa correspondance
laquelle abonde, surtout pendant ses voyages de
mission, en anecdotes de ce genre :
« Dans une des villes du Nord de la
France, écrit-il en 1849, un
décrotteur d'un certain âge, auquel
j'avais eu recours par un jour de pluie et de boue,
dit, à demi-voix, en regardant mes bottes :
Elles en ont, ma foi ! bien besoin ! - « Pas
tant que notre âme du sang de Christ ! »
répliquai-je avec sérieux. Le
décrotteur s'arrêta : «
C'est-à-dire, Monsieur ? fit-il...
Après avoir entendu ma réponse, il
reprit sa besogne en se disant à
lui-même : « Tu n'as jamais encore
entendu cela. »
Une lettre à sa femme,
datée de Heidelberg, le 9 septembre 1849,
contient ce qui suit :
« Le pays est couvert de militaires
prussiens, et deux capitaines ont
été, avec un Israélite, mes
compagnons de route, tout aujourd'hui. Ils ont
beaucoup parlé de leurs campagnes, redoutes,
maisons incendiées, etc... Je me suis tu,
jusqu'à ce qu'enfin, vers les 3 heures,
comme ils étaient fort
échauffés dans leur récit, je
dis à l'Israélite : Dites-leur, de ma
part, que dans le Ciel il n'y aura plus de guerre !
Il le leur dit. Sur quoi, un des capitaines m'a dit
: Si, si, s'il y a des Badois, nous n'y serons pas
en paix !... - Il n'y aura là, ai-je dit, ni
Badois, ni Prussiens. Il ne s'y trouvera que des
enfants de paix, des sauvés ! - Un grand
silence a aussitôt succédé
à la tempête militaire. Puis j'ai dit
au Juif : Dites-leur que le Seigneur Jésus
se nomme le Prince de Paix ! L'Israélite le
leur a répété très
sérieusement et l'un d'eux s'est
tourné vers moi en me disant à
mi-voix : Si l'on aimait l'ordre, on ne se ferait
pas la guerre ! Je lui ai dit : Dites plutôt,
Monsieur, si l'on était chrétien !
Mais on ne l'est pas; on se tue, quoique l'on soit
des hommes, et du même sang ! Il a
gémi et m'a serré la main. La
conversation est dés lors devenue plus
calme, et quand nous nous sommes quittés,
tous trois m'ont souhaité un bon voyage !
»
Il faudrait ainsi reprendre chacune des
journées de la vie de Malan pour constater
à quel point son coeur aimant brûlait
d'un constant et ardent désir d'amener les
âmes à Jésus-Christ. Une fois
allumée en lui, cette passion ne le quitta
plus. « Que de fois, écrit son fils,
lorsque nous laissions, au cours de nos promenades
solitaires, errer nos regards sur les villages
d'alentour, ne l'ai-je pas entendu interrompre
l'admiration qu'il éprouvait à cette
vue, pour s'écrier : « Si seulement on
pouvait espérer que dans chacune de ces
maisons, dans chacun de ces villages, il y
eût un seul coeur qui connût et
aimât le Sauveur ! »
Ministère
individuel
Quand il passait la frontière
de sa patrie, pour répondre aux appels des
pas étrangers, il exerçait, partout
où il le pouvait, ce ministère
individuel avec autant de zèle que celui de
prédicateur aux foules. Il était,
beaucoup plus un convertisseur d'âmes, qu'un
fondateur d'églises. L'idéal qu'il
avait devant lui, nous le trouvons exprimé,
en ses propres termes, dans une de ses brochures :
« Quatre-vingts jours d'un missionnaire »
: c'était celui « de missionnaires qui,
voyageant eux-mêmes, sauraient aborder les
voyageurs et leur présenter, avec le salut
affable de la vraie charité, de petits
traités religieux ou même le volume
sacré, leur laissant ainsi des
prédicateurs qui les accompagneraient dans
leurs journées et les entretiendraient dans
leurs maisons. »
Une
tournée d'évangélisation en
France
Suivons donc César Malan dans
l'une de ses tournées
d'évangélisation en France, et
cueillons dans son rapport quelques traits
savoureux de son activité en tête
à tête !
Le voici dans la voiture de
Genève à Dôle, abordant un
catholique romain et s'efforçant de le
convaincre sans controverse : « Il est plus
facile, écrivait-il, de parler des points
qui divisent que de s'attacher au point central qui
peut nous unir. Mais on fait comme on peut. Quant
à mon compagnon de route d'ici à
Dôle, voici comment j'ai fait. Je lui ai dit
simplement : Je voudrais vous parler de votre
âme, mais je ne sais comment m'y prendre. -
Eh ! bien ! Monsieur, continuez ! me dit cet homme
avec esprit. Nous continuâmes, et en le
quittant, j'eus le bonheur de l'entendre remercier
Dieu de lui avoir fait parler du salut, et il me
pria de lui envoyer une Bible.
Autre fait : « Je veux vous dire
encore ce qui m'arriva, un jour que je me trouvais
sur le haut de la diligence, entre Paris et
Versailles J'avais à côté de
moi 5 jeunes négociants fort aimables, que
j'entendais depuis un moment causer avec
vivacité de mille choses. Tout à
coup, je me mis à leur dire : « Vous
autres, Français, vous me faites l'effet de
cerfs-volants sans ficelles. - Premièrement,
Monsieur, me dirent-ils, prouvez que nous sommes
des cerfs-volants, ensuite vous nous direz comment
il se fait que nous soyons sans ficelles. Il ne me
fut pas difficile de leur prouver alors,
l'Évangile à la main, que l'homme
n'est que le jouet de sa vanité, et que,
s'il n'est retenu par la forte corde de l'Esprit de
Dieu, il est infailliblement emporté par le
vent fougueux de la convoitise et des passions. Je
leur demandai alors si tel n'était pas leur
cas, et, quatre d'entre eux nous ayant
quittés à Sèvres, j'eus avec
le dernier une conversation sérieuse et
prolongée. »
À Angoulême, il voit monter
dans la voiture un jeune Parisien « aimable et
de bonnes manières » qui commence la
conversation en lui disant : « Monsieur vient
de Paris ? Il aura sûrement vu « jouer
les Huguenots » ? - Non pas,
répliqua-t-il, en tirant de sa poche un
Nouveau Testament, mais j'ai ici le trésor
des Huguenots. » Le jeune homme traite cela de
« fables » bonnes pour les enfants. Malan
prit alors son Évangile et lui en lut
quelques passages. « Il se fâcha,
raconte-t-il. Je reconnus que la Parole de Dieu
avait atteint sa conscience, et je continuai; mais
il se mit fort en colère, puis, se mordant
les lèvres, il se tut. Après avoir
gardé le silence environ une demi-heure, il
s'écria cependant tout à coup :
« Je voudrais avoir un tel livre, car je
commence à croire que ce qu'il renferme est
vrai, et que je me suis trompé ! »
Malan donna alors son Évangile à ce
jeune homme, qu'il retrouva plus tard à
Bordeaux, suivant attentivement ses
prédications et montrant qu'il avait
reçu une impression profonde. « Lorsque
je vis ce fruit de la Parole de Dieu, conclut
Malan, je me réjouis de ce que je n'avais
pas alors parlé de moi et de mes
raisonnements. »
C'est à Bergerac qu'à la
table de l'auberge, il interrompt une conversation
bruyante, sur les mérites comparés
des Espagnols et des Français, en disant
à haute voix « qu'aux yeux du Juge
suprême, aucune nation n'est meilleure que
l'autre » et que « celui-là seul
est réellement meilleur qui a
été
régénéré par l'Esprit
de Dieu ». Puis, profitant de la
stupéfaction générale, il pose
un traité sur l'assiette de chacun avant de
quitter la salle.
En cours de route, il rédigeait
quelque traité : le lendemain de son,
arrivée à Perpignan, par exemple, il
écrivit le traité : « Le
meilleur et le plus sûr des chemins ».
Envoyé par lui à ses amis de
Toulouse, ceux-ci l'imprimèrent
aussitôt. Deux jours après il achevait
« La Route perdue ». Et la veille de son
départ, il écrivait, sur un mot
surpris au passage, le traité : « On ne
naît pas chrétien. »
En
Hollande
Si l'on feuillette le volume
où il a consigné les souvenirs de sa
mission en Hollande : « Pécheur
d'hommes vivants », on trouve d'autres traits
de sa manière attentive, sérieuse et
alerte, d'aborder les âmes. Un voyageur ayant
parlé devant lui de l'impression «
religieuse » qui se produit en lui lorsqu'il
entre dans certaines églises, Malan lui dit
:
Ainsi donc, si vous étiez
aveugle, vous auriez moins de piété !
» Et la conversation s'engage aussi
naturellement qu'une autre fois avec un menuisier
qui voulait se rendre digne de la grâce de
Dieu et auquel Malan demanda :
Êtes-vous jamais arrivé, en
polissant avec soin un morceau de bois ordinaire,
à en faire de l'acajou ? » Mais s'il
est sévère avec les orgueilleux, il
est plein de compassion envers les pauvres, les
faibles, les égarés, les malheureux,
les enfants. Ces émotions d'un coeur
sensible et bon, nous les trouvons magnifiquement
exprimées dans cet entretien avec un pauvre
bûcheron qu'il a rapporté
lui-même dans sa brochure : « Une
semaine aux montagnes ».
Ah ! voyez ! Ça peut se
perdre!
Qu'il était abattu, ce
pauvre bûcheron, quand il m'a dit ces mots !
Il n'y avait que peu de moments que j'avais
quitté ma « Halte
bénie », et je cheminais doucement
et pensif sur le bord de la route, quand s'est
approché de moi un ouvrier, descendu de la
montagne, et dont la hache luisante, appuyée
de son fer sur le bras de cet homme, m'a dit que
c'était un bûcheron qui
m'abordait.
En effet, j'ai bientôt su que cet
homme, habitant d'un hameau voisin, et père
de cinq enfants, gagne leur vie par le rude travail
des bois ; et que c'était pour
débiter quelques arbres nouvellement
abattus, qu'il se rendait à la prochaine
forêt.
« Vous avez beaucoup de peine
? », lui ai-je dit avec affection.
Ah ! la peine, ce n'est rien ! On en vit
chaque jour. Mais... c'est qu'elle est à
présent, si peu payée ! Ce n'est
guère que la moitié d'autrefois.
Du moins Dieu soit remercié de ce
qu'il vous donne force et santé!
Ah ! voyez ! cher Monsieur, ça peut
se perdre !
Mais ce qui ne se perd pas, c'est la
miséricorde de Dieu ; et si votre coeur y
compte, dans l'amour du Seigneur Jésus,
notre Sauveur, tout va bien pour vous.
- Je ne dis pas non l... Mais, croyez-moi !
il y a bien du souci dans la tête d'un pauvre
père de famille, quand il pense, par
exemple, à l'hiver... Les enfants sont
encore bien petits. Mon aîné n'a que
neuf ans !
- Mais... vous savez, sans doute, que ce
même bon Dieu qui nourrit les petits des
corbeaux, prend encore bien plus soin de ses
propres enfants. Si donc vous aimez le Seigneur
Jésus, vous avez en Dieu votre père ;
et ce père-là, tout-puissant et tout
charitable, sait bien de quoi vous et votre famille
vous avez besoin.
Ce que vous dites-là est bien beau,
bien consolant... Mais, voyez ! ça peut ne
pas durer. Oui, ça peut se perdre d'un jour
à l'autre. Aujourd'hui, par exemple, le
travail va bien ; l'on est content, et l'on peut
prier un peu plus : mais... qui nous dira que
demain ce sera la même chose ?
Mais, mon Ami, demain ce sera beaucoup mieux
encore qu'aujourd'hui, si du moins votre coeur se
repose franchement sur la bonté de Dieu en
Jésus. Puisque Dieu est fidèle, et
qu'il nous promet de nous donner toutes choses avec
son Fils, comment vous oublierait-il, si vous aimez
Jésus ?
Bien obligé ! Monsieur. Votre raison
est bonne et toute juste... Mais, voyez ! tout cela
peut ne durer qu'un jour, qu'un moment ; et quant
aux soucis, ils durent toujours. Ça,
malheureusement, ne se perd pas. Voilà,
aujourd'hui, je vais travailler mais, je me sens,
quelquefois, terriblement usé, je vous
assure.
Eh bien donc ! brave Ami ! pensez à
ce qui ne s'use pas : je veux dire à l'amour
de Dieu pour nous, en notre bon Sauveur. Croyez-en
cet ami qui vous rencontre aujourd'hui; ou
plutôt croyez la Sainte-Écriture qui
nous rappelle que l'homme, même le plus
pauvre homme, qui, de coeur, se confie au Seigneur
Jésus, trouve alors une grande richesse, et
toujours, du moins, sa consolation dans ses peines.
Cela, certainement, ne peut se perdre.
Il m'a encore remercié, et
cordialement mais son regard n'était pas
moins triste, quand il a passé le ruisseau
pour aller... à son ouvrage !...
Pauvre homme ! ai-je pensé, pendant
que je le voyais s'avancer dans une
clairière de la forêt, ah ! que Dieu
lui-même te dise que dans l'amour du Sauveur
se trouvent une force et un repos qui ne se perdent
jamais !
PRE BENI 1851
Tous ces entretiens individuels étaient
nourris de cette sève, remplis de cette
certitude de l'amour de Dieu, qui était
l'essence même de sa vie spirituelle tout
entière et la source de son zèle
aimant.
Cela explique aussi l'influence de ses
Missions à l'étranger auxquelles nous
revenons à la fin de ce chapitre.
Mission
à l'étranger
Jusqu'à l'année 1830,
Malan ne prêcha guère à
l'étranger que dans les voyages qu'il fit en
Grande-Bretagne en 1822, 1826 et 1828. Au cours de
ces voyages, il prit certaines habitudes
religieuses qui marquèrent
profondément sa piété et le
distinguèrent même du monde du
Réveil à Genève : par exemple,
ses vues strictes sur la sanctification du
dimanche. Là aussi, il s'initia à la
distribution publique des traités religieux
et à l'indépendance à
l'égard des formes imposées.
De la prédication de Malan dans
ces tournées en Angleterre, un auditeur
pouvait dire, en reprenant le mot d'un vieux
théologien : « Malan amène le
croyant à faire deux monceaux, l'un de ses
bonnes oeuvres et l'autre de ses
péchés, et à laisser l'un et
l'autre pour se réfugier auprès de
Christ Lui-même.»
En 1833, 1834, 1839 et 1843, il visita
à nouveau l'Angleterre et l'Écosse,
en passant par la Hollande (1834 et 1839). C'est de
Kelso (Écosse), qu'il écrivait
à l'une de ses filles : « Après
avoir prêché une heure et quart
à Dundee, j'ai dû parler encore
pendant plus d'une heure à près de
2.000 personnes silencieuses et
pénétrées. Il me semblait que
la Parole du Seigneur découlait sur ces
âmes, comme la pluie sur l'herbe
fraîchement coupée. Quelle joie Dieu a
mise en mon coeur ce soir-là ! Ma mission a
été bénie. J'ai partout
été accueilli comme un messager de
paix. »
Mais en Angleterre, il n'avait
guère de rapports qu'avec « le monde
religieux». Or, ce qu'il cherchait, avant
tout, c'était « de porter la parole de
Dieu là où elle est encore inconnue
». C'est ce désir qui le poussa, en
1836 et en 1842, en France d'abord, puis en 1842 en
Belgique. En 1845, il visita de nouveau les
Églises de la Hollande et, après
être retourné en France dans les
années 1849, 1852 et 1853, et avoir
visité Elberfeld (Allemagne) en 1856, il fit
son dernier voyage missionnaire, cette même
année, dans les Vallées vaudoises du
Piémont. Déjà son âge ne
lui permettait plus d'affronter seul les fatigues
promises à l'évangéliste ! Il
fit donc ce dernier voyage accompagné d'une
de ses filles.
Quelques-uns de ces voyages
étaient dus à sa seule initiative. La
plupart du temps, il était envoyé ou
appelé par des Églises ou des
Sociétés religieuses. Dans ces
tournées, il prêchait dans toutes les
chaires qui lui étaient ouvertes, quelles
que fussent les Églises qui
l'accueillaient.
Dès 1830, Malan saisit, avec
empressement, avidité même, les
occasions qui lui furent ainsi offertes de quitter
l'atmosphère d'isolement qui l'encerclait
à Genève, d'aller apporter la Parole
Sainte à des âmes
altérées et à des coeurs
ouverts.
Ses lettres, nombreuses et
détaillées, unissaient
étroitement sa famille à cette
activité extérieure. Il y revenait
avec joie, heureux, rafraîchi,
encouragé, chargé de manuscrits
prêts pour l'impression, de notes rapides
d'où jaillissait un vivant rapport pour Son
Eglise ou les amis qui l'avaient envoyé. Les
souvenirs qu'il rapportait, les amitiés
contractées qu'entretenait ensuite une
fidèle correspondance, illuminaient les
heures parfois difficiles de sa vie solitaire, en
marge de frères qui ne le comprenaient plus
ou craignaient sa collaboration.
À qui voudrait refaire, avec
Malan, toutes les étapes de ces
tournées missionnaires, nous conseillerions
de relire les brochures où il les a si
vivement dépeintes : Quatre-vingts jours
d'un Missionnaire (1842) ; Un Pêcheur
d'Hommes vivants (1855); Incidents de voyage (1856)
; En temps et hors de temps (1856).
Une page
de théologie pastorale
C'est de la première, qu'il avait
modestement intitulée : « Simples
récits des divers travaux d'un des ouvriers
de la grande moisson », que nous extrayons ce
passage qui exprime le mieux la manière dont
Malan comprit sa tâche de missionnaire. C'est
une admirable page de théologie pastorale
digne d'être méditée par tous
les messagers de Dieu : « Au commencement de
mon ministère, je me persuadais facilement
que c'était le Saint-Esprit qui agissait,
quand ce n'était que le ton persuasif de
l'homme. Plus d'une fois j'ai du reconnaître,
en ce temps-là, que j'avais bâti avec
du foin et du chaume. Mais depuis bien des
années, j'ai appris à ne pas croire
que toute émotion religieuse vienne
d'En-Haut. Je sais que le Saint-Esprit seul
vivifie. Je tâche de l'écouter en mon
coeur, et de le suivre lorsque je
répète ses enseignements. Je prie
Dieu de l'envoyer devant la Parole, dans ceux
à qui je m'adresse. J'ai soin aussi de
recommander à son efficace les âmes
qui témoignent de quelque impression
reçue ; mais je laisse le tout au Seigneur;
je préfère attendre l'effet
plutôt que de l'anticiper. »
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