Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Un Gagneur d'Âmes:
CÉSAR MALAN

DEUXIÈME PARTIE: L'ACTIVITÉ PUBLIQUE DE MALAN APRÈS 1830

CHAPITRE VII
MALAN MISSIONNAIRE DE LA PAROLE

 L'année 1830 campe devant nous un Malan dont la vie privée et la vie de famille connaissent une sphère plus élargie, dont l'activité missionnaire à l'intérieur et à l'étranger s'accroît sans cesse, mais qui continue à occuper une place à part dans le monde spécial du Réveil.

L'isolement de Malan
Il était normal qu'il fût isolé du clergé genevois dont il s'était séparé sans hésitation, parce qu'il voyait en lui l'adversaire de la vérité évangélique. Mais il devait ressentir, avec peine, l'isolement dans lequel le maintenaient ceux-là même qu'il regardait comme ses frères en la foi, les animateurs du deuxième Réveil évangélique dans Genève : Galland, Gaussen, Merle d'Aubigné. Gaussen lui-même, disait un jour à Mme Malan : « C'est lui qui nous a frayé la voie, où nous n'avons plus qu'à marcher ! » Mais tout en honorant en lui le témoin décidé de la foi, ils évitaient avec soin tout ce qui aurait pu faire confondre leur cause avec la sienne.

Pourtant, la fondation de la Société Évangélique en 1831, avec son Oratoire et ensuite son École de Théologie, avait été pour Malan et les siens un sujet de grande joie et un grand événement. Joie en tant que réalisation définitive de ce qu'avaient tenté les hommes du Réveil; événement qui mettait fin, pour les siens, à une douloureuse période d'ostracisme où leur seul nom les privait de toute relation sociale. Dès l'origine, Malan envoya ses enfants aux nouvelles assemblées, et plus tard, ses fils à la nouvelle École.

L'Oratoire de la Société Evangélique
Cette réserve de la congrégation de l'Oratoire à l'égard de Malan, s'explique par le souci d'éviter tout ce qui eût pu donner, à son initiative, le caractère d'une dissidence avouée. Or, la petite Église du Témoignage, incarnait auprès de Genève le « séparatisme extrémiste ». D'autre part, les membres de la nouvelle Eglise appartenaient à une tout autre classe sociale que celle des « partisans du premier Réveil ». Enfin, il faut bien dire que l'importance considérable qu'elle avait prise, dès le début et qui faisait d'elle le centre du mouvement religieux évangélique, la dispensait de chercher ailleurs des appuis plutôt compromettants.
Cette réserve n'empêcha pas, toutefois, une estime réciproque et une fraternité sincère de s'établir entre eux et s'accroître avec le temps.

Replié ainsi sur lui-même et sur une Église où sa tâche de pasteur avait subitement diminué d'importance, Malan redoubla d'activité dans ses travaux de prédicateur, d'écrivain religieux et de témoin de l'Évangile, à Genève comme à l'étranger.

Malan prédicateur
De novembre 1818 jusqu'à novembre 1863, Malan ne laissa pas passer un seul dimanche sans monter en chaire, souvent jusqu'à 3 fois dans les premières années. De plus, il ne cessa de tenir, en semaine, ce qu'on appelait des «prières» (réunions consacrées à l'exposition familière des Écritures) que contraint par la fatigue et les infirmités de l'âge.

Le dimanche, après-midi, Malan s'adressait, dans « le sermon », à un public mêlé; le matin, il présidait à 10 heures « un catéchisme » ou explication plus élémentaire et plus méthodique de l'Écriture (pour jeunes gens et adultes). Une « assemblée pastorale », ou culte d'édification mutuelle groupait ensuite, autour de lui, les membres de l'Eglise. Enfin « un service du soir » clôturait la journée. Le premier dimanche du mois, un service de communion suivait le culte du matin.
Longtemps on vit aussi plusieurs familles du voisinage se joindre, à 8 heures du matin, au culte de famille des Malan.

Il arrive souvent qu'une trop grande activité prive les serviteurs de Dieu du soin de préparer leurs prédications : il n'en fut pas ainsi pour César Malan. La prédication demeura toujours pour lui l'acte le plus solennel de sa vie : une grande facilité de parole ou un auditoire réduit ne le dispensèrent jamais d'une consciencieuse préparation dans la méditation et la prière. Il se préparait même pour les simples exhortations du culte .de famille. Personne n'eût pensé à pénétrer dans son cabinet pendant les heures qui précédaient immédiatement son service. Et ce n'est guère qu'après le dernier service du dimanche qu'il apparaissait dans le cercle de famille.

Ceux qui l'ont entendu prêcher, s'accordaient à dire que sa tenue en chaire avait quelque chose de frappant. On le voyait, tel qu'un des portraits le présente, la tête entourée des longues boucles d'une chevelure abondante, le regard sérieux et pétillant de vie, d'intelligence, le maintien digne et serein.

Sa prédication reflétait son caractère : vrai, sérieux, clair, ayant en horreur la phrase, la pompe déclamatoire. Il méritait la définition de Vinet : « Il parlait et ne prêchait pas. » C'est surtout dans son exhortation finale, où il donnait libre cours à ses convictions puissantes, qu'il se montrait orateur populaire, mais sans négligence ni vulgarité.
Mais il ne souffrait pas plus les négligences dans la tenue de son auditoire qu'il n'en tolérait dans sa tâche de prédicateur. Il ne comprenait pas qu'on conversât, même à voix basse, dans la « maison de Dieu ». Plus d'une fois, une conversation, un chuchotement, ou tel autre manque de convenance, suscitait de sa part, soit un regard et un geste significatif, soit un arrêt subit dans son discours, parfois même un avertissement formel et direct du haut de la chaire. Si quelqu'un venait à s'endormir, il n'hésitait pas, le plus naturellement du monde, à prier lui-même un voisin de le réveiller.

Malan aimait prêcher aux foules
Improvisateur admirable, César Malan était comme comprimé devant un auditoire restreint. Il n'était vraiment lui-même qu'en face d'une foule pressée et attentive. Doué d'un remarquable don de sympathie avec l'auditoire, il savait lire dans les âmes et marcher ainsi à la trace de ses appels.

On comprend qu'il ait cherché, de bonne heure, à s'adresser aux masses. Aussi en 1820, lors d'un voyage à pied en Suisse, nous le voyons à Courendlin « prêcher sur la place publique ». Sa foi brûlante lui faisait saisir avidement toutes occasions « de rendre témoignage à l'Évangile ». À une époque où l'on limitait la prédication des vérités religieuses aux seules heures officielles et aux seuls discours de la chaire, il fut l'un des premiers à annoncer l'Évangile « en temps et hors de temps ». Ce qui lui faisait répondre à un magistrat le menaçant d'interdire la construction de sa chapelle « qu'il louerait une barque et prêcherait sur le lac ». Il ne s'en privait d'ailleurs pas. Ainsi, un certain jour de 1829, sur un des bateaux à vapeur du Lac Léman, il avait groupé plusieurs personnes autour de lui; montant sur un rouleau de câbles à l'avant du navire, son Nouveau Testament à la main, il exhorta les gens « à s'approcher pour entendre la bonne Parole de Dieu ».

Neff et Malan, unis dans le même zèle missionnaire
C'est par ces traits caractéristiques du zèle missionnaire que César Malan s'apparente étroitement à Félix Neff. « Ils possédaient, tous deux, a dit de Goltz (dans « Genève religieuse »), une puissance de foi, d'esprit de prière, et un courage de témoignage qui rendirent leur travail extraordinairement béni. Personnalités puissantes, ils portaient partout où ils se trouvaient, le témoignage de Jésus-Christ. Ils ne laissaient pas passer une promenade, une rencontre fortuite ; ils n'entendaient pas une parole ennemie, ils ne faisaient pas un voyage, sans y trouver ou y faire naître l'occasion de parler de leur Sauveur. Se tenant constamment en la présence du Seigneur, il était impossible qu'ils ne se sentissent pas enflammés d'un saint amour pour les âmes que Dieu mettait sur leur chemin, et ils ne pouvaient avoir aucun rapport avec leurs semblables sans en profiter aussitôt pour travailler à leur salut. »

Rachetés à grand prix, ils estimaient au même prix l'avenir spirituel des autres; ils avaient la passion du salut des âmes. Chez Malan, cette ardeur missionnaire était un don d'En-Haut, fruit de la simplicité de la foi et du dévouement à son Maître, plus qu'un don d'audace naturelle. On se tromperait lourdement si l'on pensait que Malan ne fut jamais gêné par les regards curieux, les chuchotements et sourires railleurs d'un public prévenu, ou froissé par les grossièretés d'une foule hostile. « J'ai souvent éprouvé qu'il m'était difficile d'entamer une conversation religieuse avec des étrangers », écrivait-il dans son premier traité « Germain le Bûcheron ». Mais tous ses sentiments personnels, toutes ses préoccupations s'évanouissaient dés qu'il fallait « rendre témoignage à l'Évangile du salut », dès qu'il fallait parler à une âme de son avenir, de la « redoutable éternité ». « L'amour de Christ nous presse ! » Cette parole de saint Paul suffit à caractériser l'apostolat de César Malan. À un ami qui s'étonnait, avec regret, qu'il eût mis délibérément de côté toutes ses préoccupations littéraires, il répondait : « Ma vie est trop courte pour cela ! » Dès qu'il se trouvait en présence d'une âme au salut incertain, il n'entendait que l'antique parole de l'apôtre : « Malheur à moi si je n'évangélise ! » Laissant de côté toute autre considération, il abordait cette âme avec ce sérieux, cette bienveillance, cette angoisse même qui autorisaient l'audace de ses questions. C'est qu'il était pleinement convaincu « qu'une seule conversation est souvent plus efficace que plusieurs sermons ».

Distribution de traités
Il aimait beaucoup distribuer des Traités religieux et ne perdait aucune occasion d'en remettre avec un sens remarquable des besoins de ses interlocuteurs. Jusqu'à la fin de ses jours, il pratiqua fidèlement cette Mission Intérieure par l'imprimé. On peut dire qu'il inaugura ce genre de colportage en Suisse et en garda longtemps le monopole de fait. C'est dans les entretiens nés de ces rencontres qu'il puisa le thème de la plupart des nouveaux traités qu'il édita. Et l'on pourrait, en suivant la chronologie des traités, retracer les traits les plus saillants de son ministère de missionnaire à l'intérieur.

Un à un
Relevons ici quelques jolis traits cités par son fils : « Comme nous suivions la route de Bienne à Sonceboz, à travers les gorges de la Suze, nous rejoignîmes des véhicules chargés de planches. Mon père m'appela et me pria d'aller remettre un traité à un grand jeune homme qui conduisait une des voitures. Celui-ci se mit à lire à haute voix aux autres conducteurs arrêtés un instant; puis il se détacha de leur groupe et vint prier mon père de vouloir bien lui expliquer « des choses qu'ils ne comprenaient pas ». Mon père s'approcha d'eux, et plus loin, en les quittant, les invita à se joindre, ce même soir, à notre culte de famille à Tavannes. Ils promirent de s'y rendre et tinrent parole. »

Le lendemain, nos deux voyageurs reprirent leur route. Une halte, pour le déjeuner, dans un petit café de hameau, permit à César Malan de réconforter une âme affligée ; celle-ci voulut aussitôt faire profiter une amie de la bonne nouvelle de l'Évangile. César Malan et son fils furent introduits dans la grande chambre d'une humble maison, au fond de laquelle était couché un vieillard à cheveux blancs. « Père, dit la jeune fille, je vous amène un ministre de l'Évangile. » - « Dieu soit béni ! » répondit le malade qui manifesta bientôt les marques d'une sincère et touchante piété, En causant, mon père lui demanda comment il était arrivé à la connaissance de son Sauveur. « C'est dans ce lit, où je suis couché depuis bien des années, répondit le malade, et par la lecture d'un livre qui a été écrit par un Monsieur Malan, de Genève ! Ah ! si je n'étais pas vieux et infirme, il y a longtemps que je fusse aller à Genève le trouver. Voyez ! Monsieur, j'ai tant demandé à Dieu de voir cet homme avant de mourir ! J'ai longtemps cru qu'Il m'accorderait ma prière, mais il me va falloir y renoncer !... » Je portai les yeux sur mon père, qui regardait ses mains en silence. « Comment s'appelle le livre dont vous parlez ? » dit-il tout à coup au malade en relevant la tête. - « Tenez, fit celui-ci, je l'ai toujours là : il ne me quitte pas ! » En même temps, le vieillard tira de dessous son oreiller un exemplaire fort usé d'une des premières éditions des « Chants de Sion » et le donna à mon père... Puis il ajouta, comme se parlant à lui-même : « Si seulement je pouvais le voir, le cher Monsieur qui les a écrits, ces cantiques ! Ce doit être un vrai et tout bon chrétien, celui-là ! » La conversation se prolongea encore; mon père fit la prière, puis, après que nous eûmes chanté ensemble un cantique, il s'apprêta à partir. Arrivé près de la porte, cependant, il s'arrêta, puis, retournant vers le lit où le vieillard était encore assis les mains jointes : « Mon père, lui dit-il avec émotion, Dieu Lui-même, que vous allez bientôt rejoindre, Dieu vous a exaucé ! Je suis Malan, de Genève, votre frère dans la foi de notre béni Sauveur ! » Le pauvre vieillard, fixant sur celui qui lui parlait un long regard noyé de larmes, et levant lentement ses mains tremblantes : « Bénissez-moi ! avant que je meure, s'écria-t-il, vous pour qui j'ai si longtemps prié Dieu ! Bénissez-moi, puisque j'ai le bonheur de vous voir de mes yeux ! » Mon père, se mettant à genoux devant le lit, dit d'une voix émue: « Ce serait à vous de me bénir, car vous pourriez être mon père ! Mais toute bénédiction vient de Dieu seul, et nous la Lui demanderons ensemble ! » Alors, serrant dans ses bras l'humble frère qu'il quittait pour ne plus le revoir que dans la patrie céleste, il implora sur lui « la paix que Jésus donne », et nous quittâmes le hameau. »

Expériences de voyages
Les deux autres traits que nous voulons citer, sont extraits de sa correspondance laquelle abonde, surtout pendant ses voyages de mission, en anecdotes de ce genre :

« Dans une des villes du Nord de la France, écrit-il en 1849, un décrotteur d'un certain âge, auquel j'avais eu recours par un jour de pluie et de boue, dit, à demi-voix, en regardant mes bottes : Elles en ont, ma foi ! bien besoin ! - « Pas tant que notre âme du sang de Christ ! » répliquai-je avec sérieux. Le décrotteur s'arrêta : « C'est-à-dire, Monsieur ? fit-il... Après avoir entendu ma réponse, il reprit sa besogne en se disant à lui-même : « Tu n'as jamais encore entendu cela. »

Une lettre à sa femme, datée de Heidelberg, le 9 septembre 1849, contient ce qui suit :
« Le pays est couvert de militaires prussiens, et deux capitaines ont été, avec un Israélite, mes compagnons de route, tout aujourd'hui. Ils ont beaucoup parlé de leurs campagnes, redoutes, maisons incendiées, etc... Je me suis tu, jusqu'à ce qu'enfin, vers les 3 heures, comme ils étaient fort échauffés dans leur récit, je dis à l'Israélite : Dites-leur, de ma part, que dans le Ciel il n'y aura plus de guerre ! Il le leur dit. Sur quoi, un des capitaines m'a dit : Si, si, s'il y a des Badois, nous n'y serons pas en paix !... - Il n'y aura là, ai-je dit, ni Badois, ni Prussiens. Il ne s'y trouvera que des enfants de paix, des sauvés ! - Un grand silence a aussitôt succédé à la tempête militaire. Puis j'ai dit au Juif : Dites-leur que le Seigneur Jésus se nomme le Prince de Paix ! L'Israélite le leur a répété très sérieusement et l'un d'eux s'est tourné vers moi en me disant à mi-voix : Si l'on aimait l'ordre, on ne se ferait pas la guerre ! Je lui ai dit : Dites plutôt, Monsieur, si l'on était chrétien ! Mais on ne l'est pas; on se tue, quoique l'on soit des hommes, et du même sang ! Il a gémi et m'a serré la main. La conversation est dés lors devenue plus calme, et quand nous nous sommes quittés, tous trois m'ont souhaité un bon voyage ! »

Il faudrait ainsi reprendre chacune des journées de la vie de Malan pour constater à quel point son coeur aimant brûlait d'un constant et ardent désir d'amener les âmes à Jésus-Christ. Une fois allumée en lui, cette passion ne le quitta plus. « Que de fois, écrit son fils, lorsque nous laissions, au cours de nos promenades solitaires, errer nos regards sur les villages d'alentour, ne l'ai-je pas entendu interrompre l'admiration qu'il éprouvait à cette vue, pour s'écrier : « Si seulement on pouvait espérer que dans chacune de ces maisons, dans chacun de ces villages, il y eût un seul coeur qui connût et aimât le Sauveur ! »

Ministère individuel
Quand il passait la frontière de sa patrie, pour répondre aux appels des pas étrangers, il exerçait, partout où il le pouvait, ce ministère individuel avec autant de zèle que celui de prédicateur aux foules. Il était, beaucoup plus un convertisseur d'âmes, qu'un fondateur d'églises. L'idéal qu'il avait devant lui, nous le trouvons exprimé, en ses propres termes, dans une de ses brochures : « Quatre-vingts jours d'un missionnaire » : c'était celui « de missionnaires qui, voyageant eux-mêmes, sauraient aborder les voyageurs et leur présenter, avec le salut affable de la vraie charité, de petits traités religieux ou même le volume sacré, leur laissant ainsi des prédicateurs qui les accompagneraient dans leurs journées et les entretiendraient dans leurs maisons. »

Une tournée d'évangélisation en France
Suivons donc César Malan dans l'une de ses tournées d'évangélisation en France, et cueillons dans son rapport quelques traits savoureux de son activité en tête à tête !
Le voici dans la voiture de Genève à Dôle, abordant un catholique romain et s'efforçant de le convaincre sans controverse : « Il est plus facile, écrivait-il, de parler des points qui divisent que de s'attacher au point central qui peut nous unir. Mais on fait comme on peut. Quant à mon compagnon de route d'ici à Dôle, voici comment j'ai fait. Je lui ai dit simplement : Je voudrais vous parler de votre âme, mais je ne sais comment m'y prendre. - Eh ! bien ! Monsieur, continuez ! me dit cet homme avec esprit. Nous continuâmes, et en le quittant, j'eus le bonheur de l'entendre remercier Dieu de lui avoir fait parler du salut, et il me pria de lui envoyer une Bible.

Autre fait : « Je veux vous dire encore ce qui m'arriva, un jour que je me trouvais sur le haut de la diligence, entre Paris et Versailles J'avais à côté de moi 5 jeunes négociants fort aimables, que j'entendais depuis un moment causer avec vivacité de mille choses. Tout à coup, je me mis à leur dire : « Vous autres, Français, vous me faites l'effet de cerfs-volants sans ficelles. - Premièrement, Monsieur, me dirent-ils, prouvez que nous sommes des cerfs-volants, ensuite vous nous direz comment il se fait que nous soyons sans ficelles. Il ne me fut pas difficile de leur prouver alors, l'Évangile à la main, que l'homme n'est que le jouet de sa vanité, et que, s'il n'est retenu par la forte corde de l'Esprit de Dieu, il est infailliblement emporté par le vent fougueux de la convoitise et des passions. Je leur demandai alors si tel n'était pas leur cas, et, quatre d'entre eux nous ayant quittés à Sèvres, j'eus avec le dernier une conversation sérieuse et prolongée. »

À Angoulême, il voit monter dans la voiture un jeune Parisien « aimable et de bonnes manières » qui commence la conversation en lui disant : « Monsieur vient de Paris ? Il aura sûrement vu « jouer les Huguenots » ? - Non pas, répliqua-t-il, en tirant de sa poche un Nouveau Testament, mais j'ai ici le trésor des Huguenots. » Le jeune homme traite cela de « fables » bonnes pour les enfants. Malan prit alors son Évangile et lui en lut quelques passages. « Il se fâcha, raconte-t-il. Je reconnus que la Parole de Dieu avait atteint sa conscience, et je continuai; mais il se mit fort en colère, puis, se mordant les lèvres, il se tut. Après avoir gardé le silence environ une demi-heure, il s'écria cependant tout à coup : « Je voudrais avoir un tel livre, car je commence à croire que ce qu'il renferme est vrai, et que je me suis trompé ! » Malan donna alors son Évangile à ce jeune homme, qu'il retrouva plus tard à Bordeaux, suivant attentivement ses prédications et montrant qu'il avait reçu une impression profonde. « Lorsque je vis ce fruit de la Parole de Dieu, conclut Malan, je me réjouis de ce que je n'avais pas alors parlé de moi et de mes raisonnements. »

C'est à Bergerac qu'à la table de l'auberge, il interrompt une conversation bruyante, sur les mérites comparés des Espagnols et des Français, en disant à haute voix « qu'aux yeux du Juge suprême, aucune nation n'est meilleure que l'autre » et que « celui-là seul est réellement meilleur qui a été régénéré par l'Esprit de Dieu ». Puis, profitant de la stupéfaction générale, il pose un traité sur l'assiette de chacun avant de quitter la salle.

En cours de route, il rédigeait quelque traité : le lendemain de son, arrivée à Perpignan, par exemple, il écrivit le traité : « Le meilleur et le plus sûr des chemins ». Envoyé par lui à ses amis de Toulouse, ceux-ci l'imprimèrent aussitôt. Deux jours après il achevait « La Route perdue ». Et la veille de son départ, il écrivait, sur un mot surpris au passage, le traité : « On ne naît pas chrétien. »

En Hollande
Si l'on feuillette le volume où il a consigné les souvenirs de sa mission en Hollande : « Pécheur d'hommes vivants », on trouve d'autres traits de sa manière attentive, sérieuse et alerte, d'aborder les âmes. Un voyageur ayant parlé devant lui de l'impression « religieuse » qui se produit en lui lorsqu'il entre dans certaines églises, Malan lui dit :
Ainsi donc, si vous étiez aveugle, vous auriez moins de piété ! » Et la conversation s'engage aussi naturellement qu'une autre fois avec un menuisier qui voulait se rendre digne de la grâce de Dieu et auquel Malan demanda :
Êtes-vous jamais arrivé, en polissant avec soin un morceau de bois ordinaire, à en faire de l'acajou ? » Mais s'il est sévère avec les orgueilleux, il est plein de compassion envers les pauvres, les faibles, les égarés, les malheureux, les enfants. Ces émotions d'un coeur sensible et bon, nous les trouvons magnifiquement exprimées dans cet entretien avec un pauvre bûcheron qu'il a rapporté lui-même dans sa brochure : « Une semaine aux montagnes ».

Ah ! voyez ! Ça peut se perdre!

Qu'il était abattu, ce pauvre bûcheron, quand il m'a dit ces mots ! Il n'y avait que peu de moments que j'avais quitté ma « Halte bénie », et je cheminais doucement et pensif sur le bord de la route, quand s'est approché de moi un ouvrier, descendu de la montagne, et dont la hache luisante, appuyée de son fer sur le bras de cet homme, m'a dit que c'était un bûcheron qui m'abordait.
En effet, j'ai bientôt su que cet homme, habitant d'un hameau voisin, et père de cinq enfants, gagne leur vie par le rude travail des bois ; et que c'était pour débiter quelques arbres nouvellement abattus, qu'il se rendait à la prochaine forêt.
«  Vous avez beaucoup de peine ? », lui ai-je dit avec affection.
Ah ! la peine, ce n'est rien ! On en vit chaque jour. Mais... c'est qu'elle est à présent, si peu payée ! Ce n'est guère que la moitié d'autrefois.
Du moins Dieu soit remercié de ce qu'il vous donne force et santé!
Ah ! voyez ! cher Monsieur, ça peut se perdre !
Mais ce qui ne se perd pas, c'est la miséricorde de Dieu ; et si votre coeur y compte, dans l'amour du Seigneur Jésus, notre Sauveur, tout va bien pour vous.
- Je ne dis pas non l... Mais, croyez-moi ! il y a bien du souci dans la tête d'un pauvre père de famille, quand il pense, par exemple, à l'hiver... Les enfants sont encore bien petits. Mon aîné n'a que neuf ans !
- Mais... vous savez, sans doute, que ce même bon Dieu qui nourrit les petits des corbeaux, prend encore bien plus soin de ses propres enfants. Si donc vous aimez le Seigneur Jésus, vous avez en Dieu votre père ; et ce père-là, tout-puissant et tout charitable, sait bien de quoi vous et votre famille vous avez besoin.

Ce que vous dites-là est bien beau, bien consolant... Mais, voyez ! ça peut ne pas durer. Oui, ça peut se perdre d'un jour à l'autre. Aujourd'hui, par exemple, le travail va bien ; l'on est content, et l'on peut prier un peu plus : mais... qui nous dira que demain ce sera la même chose ?

Mais, mon Ami, demain ce sera beaucoup mieux encore qu'aujourd'hui, si du moins votre coeur se repose franchement sur la bonté de Dieu en Jésus. Puisque Dieu est fidèle, et qu'il nous promet de nous donner toutes choses avec son Fils, comment vous oublierait-il, si vous aimez Jésus ?
Bien obligé ! Monsieur. Votre raison est bonne et toute juste... Mais, voyez ! tout cela peut ne durer qu'un jour, qu'un moment ; et quant aux soucis, ils durent toujours. Ça, malheureusement, ne se perd pas. Voilà, aujourd'hui, je vais travailler mais, je me sens, quelquefois, terriblement usé, je vous assure.

Eh bien donc ! brave Ami ! pensez à ce qui ne s'use pas : je veux dire à l'amour de Dieu pour nous, en notre bon Sauveur. Croyez-en cet ami qui vous rencontre aujourd'hui; ou plutôt croyez la Sainte-Écriture qui nous rappelle que l'homme, même le plus pauvre homme, qui, de coeur, se confie au Seigneur Jésus, trouve alors une grande richesse, et toujours, du moins, sa consolation dans ses peines. Cela, certainement, ne peut se perdre.
Il m'a encore remercié, et cordialement mais son regard n'était pas moins triste, quand il a passé le ruisseau pour aller... à son ouvrage !...
Pauvre homme ! ai-je pensé, pendant que je le voyais s'avancer dans une clairière de la forêt, ah ! que Dieu lui-même te dise que dans l'amour du Sauveur se trouvent une force et un repos qui ne se perdent jamais !

PRE BENI 1851

Tous ces entretiens individuels étaient nourris de cette sève, remplis de cette certitude de l'amour de Dieu, qui était l'essence même de sa vie spirituelle tout entière et la source de son zèle aimant.
Cela explique aussi l'influence de ses Missions à l'étranger auxquelles nous revenons à la fin de ce chapitre.

Mission à l'étranger
Jusqu'à l'année 1830, Malan ne prêcha guère à l'étranger que dans les voyages qu'il fit en Grande-Bretagne en 1822, 1826 et 1828. Au cours de ces voyages, il prit certaines habitudes religieuses qui marquèrent profondément sa piété et le distinguèrent même du monde du Réveil à Genève : par exemple, ses vues strictes sur la sanctification du dimanche. Là aussi, il s'initia à la distribution publique des traités religieux et à l'indépendance à l'égard des formes imposées.

De la prédication de Malan dans ces tournées en Angleterre, un auditeur pouvait dire, en reprenant le mot d'un vieux théologien : « Malan amène le croyant à faire deux monceaux, l'un de ses bonnes oeuvres et l'autre de ses péchés, et à laisser l'un et l'autre pour se réfugier auprès de Christ Lui-même.»

En 1833, 1834, 1839 et 1843, il visita à nouveau l'Angleterre et l'Écosse, en passant par la Hollande (1834 et 1839). C'est de Kelso (Écosse), qu'il écrivait à l'une de ses filles : « Après avoir prêché une heure et quart à Dundee, j'ai dû parler encore pendant plus d'une heure à près de 2.000 personnes silencieuses et pénétrées. Il me semblait que la Parole du Seigneur découlait sur ces âmes, comme la pluie sur l'herbe fraîchement coupée. Quelle joie Dieu a mise en mon coeur ce soir-là ! Ma mission a été bénie. J'ai partout été accueilli comme un messager de paix. »
Mais en Angleterre, il n'avait guère de rapports qu'avec « le monde religieux». Or, ce qu'il cherchait, avant tout, c'était « de porter la parole de Dieu là où elle est encore inconnue ». C'est ce désir qui le poussa, en 1836 et en 1842, en France d'abord, puis en 1842 en Belgique. En 1845, il visita de nouveau les Églises de la Hollande et, après être retourné en France dans les années 1849, 1852 et 1853, et avoir visité Elberfeld (Allemagne) en 1856, il fit son dernier voyage missionnaire, cette même année, dans les Vallées vaudoises du Piémont. Déjà son âge ne lui permettait plus d'affronter seul les fatigues promises à l'évangéliste ! Il fit donc ce dernier voyage accompagné d'une de ses filles.

Quelques-uns de ces voyages étaient dus à sa seule initiative. La plupart du temps, il était envoyé ou appelé par des Églises ou des Sociétés religieuses. Dans ces tournées, il prêchait dans toutes les chaires qui lui étaient ouvertes, quelles que fussent les Églises qui l'accueillaient.

Dès 1830, Malan saisit, avec empressement, avidité même, les occasions qui lui furent ainsi offertes de quitter l'atmosphère d'isolement qui l'encerclait à Genève, d'aller apporter la Parole Sainte à des âmes altérées et à des coeurs ouverts.

Ses lettres, nombreuses et détaillées, unissaient étroitement sa famille à cette activité extérieure. Il y revenait avec joie, heureux, rafraîchi, encouragé, chargé de manuscrits prêts pour l'impression, de notes rapides d'où jaillissait un vivant rapport pour Son Eglise ou les amis qui l'avaient envoyé. Les souvenirs qu'il rapportait, les amitiés contractées qu'entretenait ensuite une fidèle correspondance, illuminaient les heures parfois difficiles de sa vie solitaire, en marge de frères qui ne le comprenaient plus ou craignaient sa collaboration.

À qui voudrait refaire, avec Malan, toutes les étapes de ces tournées missionnaires, nous conseillerions de relire les brochures où il les a si vivement dépeintes : Quatre-vingts jours d'un Missionnaire (1842) ; Un Pêcheur d'Hommes vivants (1855); Incidents de voyage (1856) ; En temps et hors de temps (1856).

Une page de théologie pastorale
C'est de la première, qu'il avait modestement intitulée : « Simples récits des divers travaux d'un des ouvriers de la grande moisson », que nous extrayons ce passage qui exprime le mieux la manière dont Malan comprit sa tâche de missionnaire. C'est une admirable page de théologie pastorale digne d'être méditée par tous les messagers de Dieu : « Au commencement de mon ministère, je me persuadais facilement que c'était le Saint-Esprit qui agissait, quand ce n'était que le ton persuasif de l'homme. Plus d'une fois j'ai du reconnaître, en ce temps-là, que j'avais bâti avec du foin et du chaume. Mais depuis bien des années, j'ai appris à ne pas croire que toute émotion religieuse vienne d'En-Haut. Je sais que le Saint-Esprit seul vivifie. Je tâche de l'écouter en mon coeur, et de le suivre lorsque je répète ses enseignements. Je prie Dieu de l'envoyer devant la Parole, dans ceux à qui je m'adresse. J'ai soin aussi de recommander à son efficace les âmes qui témoignent de quelque impression reçue ; mais je laisse le tout au Seigneur; je préfère attendre l'effet plutôt que de l'anticiper. »


Table des matières

 

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