Parcours féminins
La belle-mère
(Concerne
Melissa Stiévenart)
Une semaine environ après la visite de
Mme Vivien à ses anciennes amies, Melissa
alla chez elle.
- Ma chère Anne-Laure, ton
arrivée est une bénédiction
pour moi, ma nature pécheresse me fait trop
souvent la guerre. Il y a dans ma vie des pierres
d'achoppement contre lesquelles je me heurte sans
cesse. J'aimerais t'en parler. J'ai besoin de tes
conseils.
- Assieds-toi, cela me rappellera
nos anciennes conversations, bien que ta situation
soit différente aujourd'hui.
- Je n'ai pas beaucoup de temps,
j'ai pu me libérer un moment à la
boulangerie, mais je ne peux pas trop
traîner. Je vais en venir directement au
fait. C'est à propos de ma
belle-mère. Elle est veuve, et bien qu'elle
ait deux filles, dont une est célibataire,
elle a voulu vivre auprès de Loïc,
qu'elle préfère à ses autres
enfants. Loïc m'avait averti, dès nos
fiançailles, qu'il considérait comme
un devoir de prendre soin de sa mère. Elle
s'est donc arrangée pour venir habiter avec
nous, après notre mariage. J'étais
alors sans expérience. Je pensais que je
trouverais une seconde mère dans la
mère de mon mari. Je ne me doutais pas des
inconvénients qu'entraîne la
continuelle présence d'un tiers dans le
ménage. J'ai donc accepté ce joug...
qui me blesse tant maintenant. Je n'arrive pas
à me faire à cette situation pesante.
Ma patience est mise à grande
épreuve. Et il y a des jours où je la
mettrais bien dehors !
- Melissa ! interrompit Anne-Laure,
d'un ton de reproche mêlé
d'affection.
- Oh! Je le sais, ce que je dis
là est mal. Mais c'est ce que je pense,
hélas ! C'est ce que je ressens
habituellement au plus profond de moi. Aussi je
viens te demander de m'aider. Loïc m'est d'un
grand secours, mais il s'agit de sa maman. Et puis
je n'ose lui dire tout ce que je souffre parfois.
Je n'ose pas lui raconter les détestables
mouvements de mon coeur. Je dois garder une
certaine réserve pour la paix dans ma
maison. Je n'ai pas envie de donner au diable
l'occasion de semer le trouble et la
discorde.
- Eh ! bien, Melissa, tu as tort.
C'est dans les rébellions de ton coeur qu'il
faut apporter de la réserve, et pas dans tes
attitudes de faux-semblant face à ta
belle-mère, à ton mari, et même
à tes enfants. Comprends-moi bien, ce n'est
pas en jouant un rôle surfait de belle-fille,
d'épouse, de maman que tu t'en sortiras.
Cette situation te pèsera de plus en plus,
si tu ne regardes pas à ton coeur. C'est de
lui que sortent toutes tes irritations, tes
impatiences. C'est à la source que tu dois
aller pour stopper ce flot d'amertume. Ton
comportement poli ne fera bientôt plus
barrage à ton énervement
intérieur, crois-en mon
expérience.
- Oui, tu as raison, il faut
cependant que tu sois mieux au courant de ma
position. Ma belle-mère, comme tu as
dû probablement t'en apercevoir, ne partage
pas notre foi. Elle a toujours scrupuleusement
accompli les devoirs extérieurs de la
religion. Elle lit sa Bible. Elle va
régulièrement aux offices religieux,
mais elle ne comprend rien à
l'évangile. Elle se croit juste, et la
nécessité d'une rédemption, la
nécessité d'une nouvelle naissance,
la nécessité de l'action du
Saint-Esprit dans son coeur, toutes ces
vérités trouvent son âme
fermée ... bien plus, elles
l'irritent.
Elle nous traite d'orgueilleux parce
que, croyant au témoignage des Saintes
Écritures, nous estimons avoir fait notre
paix avec Dieu par le moyen du sacrifice de
Jésus. Elle nous trouve intolérants
parce que nous disons avec l'apôtre Pierre
« qu'il n'y a qu'un seul nom sous le
ciel par lequel les hommes puissent être
sauvés, savoir le nom de CHRIST »
(Actes 4 :12). Elle trouve que l'on
exagère parce que nous établissons
dans notre vie certaines règles de conduite
prescrites par la Parole de Dieu. De là,
naissent des tensions pénibles. A chaque pas
dans la sanctification, nous rencontrons le
blâme de ma belle-mère ou les
moqueries de mes belles-soeurs. S'agit-il, pour
Loïc et moi, d'un refus de céder
à de la superstition religieuse, d'un don
à offrir au Seigneur, de l'opposition du
monde à braver, par exemple ...
aussitôt les reproches fusent. C'est
justement au moment où nous aurions le plus
besoin d'appui qu'on redouble d'efforts pour nous
détourner du droit chemin. C'est justement
quand le secours de la famille nous serait le plus
nécessaire que l'on nous écrase sous
les sarcasmes.
Loïc me dit que ces obstacles
augmentent notre zèle, que sans eux nous
tomberions dans le relâchement. Je sens bien
au fond qu'il n'a pas tort, mais quand la
contradiction arrive aussi sèche et
irritante, je suis blessée. Et j'ai beaucoup
de peine à pardonner.
Dans ces moments, il m'est
impossible de voir dans la présence de la
belle-mère autre chose qu'un piège,
qu'un malheur ! Oui, sa présence ne
m'empêche pas seulement d'avancer, elle me
fait pécher.
- De quelle manière ? demanda
gravement Anne-Laure.
- Mais, c'est clair. Mon coeur
devrait garder la paix, et ces luttes
intérieures le troublent. Je voudrais
montrer l'excellence de ma foi par ma gentillesse,
mais je bouillonne en moi. Si bien que j'ai
beaucoup de peine à ne pas prononcer des
paroles blessantes. Anne-Laure ! Je suis en
train de perdre la cause du Seigneur au lieu de la
défendre ! Que de fois n'ai-je pas pris la
résolution de me dompter ! Que de fois,
durant mes journées de travail au magasin,
n'ai-je pas cherché à
réveiller dans mon coeur des sentiments
d'affection pour ma belle-mère. Ils y sont,
ces sentiments, par la grâce de Dieu. Oui, je
l'aime ... mais lorsque, pleine de bonne
volonté je retourne dans
l'arrière-boutique, ce regard froid, cet
accueil hautain, la certitude que j'ai d'être
examinée avec malveillance, tout cela
détruit ma volonté, et l'amertume
revient dans mon coeur. Il ne me reste plus alors
qu'à me taire et à ravaler ma
frustration.
- Melissa, Melissa, dit Anne-Laure,
je vois bien du péché, mais ce
péché est le tien ! Ta
belle-mère ne te rend pas rebelle, haineuse,
impatiente. Elle met en évidence ces
mauvaises dispositions qui sont bel et bien en toi.
Crois-moi !
- C'est vrai, murmura Melissa ... et
pourtant quand j'entends mes belles-soeurs me
taquiner, lorsque que je vois ma belle-mère
sourire toutes les fois qu'elle réussit
à me mettre en contradiction avec mes
principes, je n'en peux plus. Je rêve du
calme dont je pourrais jouir dans l'intimité
avec Loïc et mes enfants. C'est plus fort que
moi, je ne peux pas m'empêcher de penser que
ma belle-mère est un obstacle à la
paix de notre foyer.
- C'est l'ennemi de ton âme,
Melissa, qui te dit cela. Dieu parle autrement.
Souviens-toi de ces paroles de l'apôtre Paul
qui nous invite à tirer profit des
épreuves, sachant que celles-ci produisent
la patience, l'expérience et
l'espérance, grâce à l'amour de
Dieu qui a été versé dans nos
coeurs par l'Esprit Saint » (Romains
5:3-5).
- Ah ! Je n'en suis pas
là.
v- Tu n'y arriveras pas, aussi
longtemps que tu t'appuieras sur ta volonté,
comme tu l'as fait jusqu'ici, sans vraiment t'en
apercevoir. Oh ! Melissa, si tu regardais plus
à Christ, et moins à toi. Si, au
moment de la tentation, au lieu de lutter toute
seule, tu appelais Jésus à ton
secours par une secrète supplication ... tu
n'aurais pas tant de chutes à
déplorer. Tu as un bon mari, et tu dois
comprendre que tu dois lui être une aide et
non une entrave. Et en te laissant aller à
de tels sentiments, tu es l'obstacle premier
à votre sanctification, même s'il ne
saisit pas bien la situation. Ce qui reste à
voir d'ailleurs.
- Je connais mon
péché, Anne-Laure, crois-le.
Hélas ! Oui, je m'y prends mal avec ma
belle-mère. Il faudrait, pour l'attirer
à notre foi, lui en montrer la douceur et la
bienheureuse réalité. Je n'en fais
rien. Par moments, elle me voit inquiète,
chagrine. Et cette confiance en Dieu, cette paix
chrétienne dont je parle si souvent, tout
cela ne lui semble que des mots. Par moments, je
m'abandonne à mes passions naturelles, et
cette foi qui laisse à mon caractère
toutes ses épines, ne lui paraît
être qu'une idée mise à la
place d'une autre idée... qu'une hypocrisie
parmi d'autres. Et même lorsque je rends
témoignage de l'amour de
Jésus-Christ, je le fais d'une
manière si maladroite ! Je manque
tellement de véritable amour,
d'humilité, de sincérité, que
je fais obstacle moi-même, dans l'esprit de
ma belle-mère, aux vérités que
je voudrais lui faire adopter.
- Ma chère, il n'est pas une
de ces expériences par laquelle je n'aie
passé. « Dieu qui sait bien ce qu'il
fait », laisse ces pierres sur le chemin
de tous les chrétiens. De telles
épreuves nous en apprennent plus long sur
notre coeur naturel et sur notre incapacité
que les meilleures leçons. Et pourtant, je
ne t'épargnerai pas les miennes. Je sais par
moi-même qu'il est plus facile de parler que
d'agir, plus facile de présenter
l'excellence de la foi chrétienne par des
discours que de la prouver par sa conduite. Je sais
que si le chrétien fidèle a de grands
sujets de joie, il en rencontre mille petits de
tristesse. Mais ce que je sais aussi, Melissa,
c'est que notre péché est la
première cause de notre
mécontentement 24, et que c'est au
coeur qu'il faut porter le
remède.
Melissa, si tu n'étais ni
impatiente ni orgueilleuse, les reproches de ta
belle-mère ne t'irriteraient pas. D'un autre
côté, si ta foi, tout en se montrant
sincère et ferme, ne marchait pas
accompagnée de défauts blessants,
elle froisserait bien moins ta belle-mère.
Ce que l'on prend souvent chez les autres pour de
l'opposition contre nos convictions
chrétiennes n'est dans beaucoup de
situations que de l'opposition contre nos propres
péchés. Ainsi, ce n'est pas la
beauté du message qui est mal
acceptée, mais les défauts du porteur
de ce message. Travaille donc sur toi-même,
mais sans compter sur ta volonté de bien
faire. Tourne-toi vers Celui de qui nous vient
toute force.
- Je ne l'ai presque jamais fait,
reprit tristement Melissa après un instant
de réflexion. Il arrive souvent à ma
belle-mère de me contrarier dans
l'éducation des enfants. Elle a le don
d'exciter la vanité des enfants, de se
moquer devant eux de nos scrupules. D'autres fois,
elle jalouse mon autorité dans le
ménage. Elle a son mot à dire sur
tout ! Mon affection pour Loïc la
fatigue. Elle m'envie jusqu'au regard tendre de mon
mari, quand elle ne cherche pas à
interrompre nos plus courts instants de
tête-à-tête.
Alors, je me torture avec de
mauvaises pensées. Je me demande pourquoi ma
belle-mère, qui ne partage aucune de nos
convictions, ne nous laisse pas en paix et ne va
pas vivre avec ses filles qui pensent comme elle.
Je me demande s'il faut que mes plus belles
années soient empoisonnées par cette
continuelle contrainte. Je me demande comment elle
peut prétendre qu'elle nous aime! Bref, je
me demande s'il elle n'est pas méchante au
point de vouloir briser notre couple.
- Ecoute-moi, Melissa. Je crois
qu'il est bon à un jeune ménage de
vivre seul. Je le crois, parce que Dieu a dit :
« L'homme quittera son père et sa
mère, pour se joindre à sa
femme » (Genèse 2 :24). Je le
crois, parce que tant qu'un fils demeure sous le
toit paternel, son autorité comme chef de la
famille s'établit difficilement, parce que
les rapports immédiats de belle-mère
à belle-fille, de beau-père à
gendre, amènent, à cause de notre
mauvaise nature, des frottements pénibles et
fâcheux. Je le crois encore, parce que la
présence habituelle, parce que la
domination, peut-être la jalousie des
parents, nuisent à l'intimité,
à l'union des époux. Cependant, il
peut y avoir des cas exceptionnels, et le tien,
Melissa, est un de ces cas-là.
Le veuvage laisse-t-il un
père, une mère dans
l'isolement ? Si la vieillesse ou la maladie
atteignent les parents, il n'y a pas
d'hésitation possible, le devoir est
clairement marqué par le Seigneur, il faut
les prendre chez soi, autant que cela est possible.
Et surtout, il faut l'accepter de plein coeur. Il
est trop facile aujourd'hui de placer ses parents
dans des maisons de repos pour la vieillesse. C'est
pour beaucoup un manque total de reconnaissance
envers ceux qui leur ont tant donné.
L'ingratitude des enfants est reine de nos jours.
Elle est implacable, et elle dénote le
caractère des temps mauvais dans lesquelles
nous sommes arrivés. Le chrétien ne
doit pas s'engager dans une telle voie, même
si cela lui coûte. Et cela lui coûte
assurément en bien des domaines.
v- Oh ! l'ingratitude des
enfants m'a toujours fait frémir, je te
l'assure.
- Oui, reprit Anne-Laure, elle est
horrible. Tiens, Melissa, j'ai vu, lors de mon
séjour en Suisse, une fille reléguer
sa mère âgée, infirme, dans une
institution tandis qu'elle occupait, avec son mari
et ses enfants, une superbe villa aux nombreuses
pièces. La pauvre vieille ne recevait la
visite de sa fille qu'une fois par mois, et encore,
c'était pour une vingtaine de minutes. Ma
voisine, qui connaissait bien cette dame, m'a
parlé de sa solitude, au soir de sa vie.
C'est ainsi que nous avons pu lui rendre visite de
temps à autre. Mais aussi, nous l'avons vu
s'éteindre petit à petit dans la
souffrance. C'est intolérable. J'en
frémis en t'en parlant. Ce souvenir m'est
très pénible.
- Oh ! C'est affreux !
s'écria Melissa en pleurant et en cachant sa
tête entre ses mains.
- Sans chercher des exemples aussi
odieux, poursuivit Anne-Laure, ce que nous voyons
tous les jours autour de nous ne dénote-t-il
pas dans le coeur des enfants une abominable
sécheresse, ce mépris des
commandements de Dieu, cette absence des affections
naturelles 25
dont parle l'apôtre Paul ? N'arrive-t-il pas
tous les jours que des parents eux-mêmes
enseignent à leurs enfants la
désobéissance,
l'irrévérence envers un
grand-père, envers une grand-mère ?
Ne se plaint-on pas devant ces derniers de leurs
infirmités qui exigent des soins, des
charges qu'ils représentent pour la famille?
Un fils, une fille s'imposent-ils quelque privation
pour adoucir la vieillesse d'un père, d'une
mère, pour lui procurer l'affection dont il,
ou elle, a besoin? Quand les parents
âgés tombent malades, s'empresse-t-on
d'aller vers eux ? Ces pauvres êtres
abandonnés, ils ont dépensé
leur existence pour soutenir la vie de leur fils,
de leur fille. Si les infirmités leur
arrivent, c'est qu'ils ont affronté les
difficultés et les peines pour élever
ces enfants qui les délaissent.
- Oh! Anne-Laure ! murmura Melissa
à travers ses sanglots.
- Tu fais bien de pleurer. Mais
rassure-toi, ta conduite envers ta
belle-mère n'offre rien de pareil. Tu la
soignes bien, je n'en doute pas. Cependant,
descends tout au fond de ton coeur, et scrute les
sentiments d'impatience que tu cultives en secret.
Ne sont-ils pas les mêmes qui ont produit,
qui produisent autour de nous, ces faits dont la
seule pensée t'indigne ?
- J'ai horreur de moi ! Que dois-je
faire ? Oh ! Que dois-je faire?
- D'abord, ma chère Melissa,
accepter dans son entier l'obligation que Dieu t'a
imposée. Tu ne peux plus batailler contre
cette situation. Le Seigneur a mis ce joug sur ton
cou, ne le refuse pas. Ne perds pas ton temps et
ton énergie à réfléchir
au bonheur dont vous jouiriez, si ta
belle-mère ne vivait pas sous votre toit. Il
y a du poison dans de telles rêveries. Ne
t'arrête ni aux regrets, ni aux
arrière-pensées, ni aux mauvais
désirs. La présence de ta
belle-mère réclame des sacrifices,
consens-les de bon coeur. Rejette le plaisir des
petites vengeances mesquines. Laisse ta
volonté, une fois pour toutes, dans la mort.
Et puis, c'est par là que j'aurais dû
commencer, aime ta belle-mère, aime-la
beaucoup.
- J'ai de l'affection pour elle,
Anne-Laure, je te l'assure.
- Tu crois en avoir, Melissa. Tu te
trompes ou plutôt, tu n'aimes pas comme il le
faudrait. Aime-la indépendamment de ses
qualités ou de ses défauts,
indépendamment de ses bons ou de ses mauvais
côtés. Aime son âme, son
âme pour laquelle Christ est mort. Aime ta
belle-mère à cause des soins qu'elle
a prodigués à ton mari, à
cause de l'attachement qu'elle lui témoigne,
quelque exigeante, quelque importune que soit
d'ailleurs une telle tendresse ! Tu sais bien,
Melissa, à qui il faut demander de disposer
ainsi ton coeur. Regarde à ton Sauveur
à chaque instant, dans chaque circonstance,
et vos rapports si difficiles se simplifieront, ou,
tout du moins, ton coeur sera en paix, et non plus
rongé comme il l'est maintenant.
Cela te paraît très
difficile, voire impossible ? Eh bien !
Tu serais étonnée de voir ce que le
Seigneur peut faire dans la vie de ceux qui
s'attendent à Lui pour toutes choses. Il
peut transformer ton amertume en douceur, ton
découragement en joie. Il peut le faire,
mais il veut aussi le faire. Cela dépend de
toi, est-ce que tu le veux
vraiment ?
Melissa était trop
émue pour pouvoir
répondre.
- Et le salut de la maman de ton
Loïc, poursuivit Anne-Laure, quel merveilleux
but ! Cela en vaut la peine, non ? Melissa, si
à cause de toi elle s'éloignait du
seul Sauveur, n'y aurait-il pas là de quoi
pleurer éternellement ? Mais si,
grâce à toi, elle vient à
connaître et à aimer Jésus, si
elle goûte dès cette vie l'immense
bonheur du pardon, si, au dernier souffle, elle
part vers la demeure paternelle, en te tenant la
main, n'y aura-t-il pas de quoi se réjouir
aux siècles des siècles avec les
anges ?
- Rien, non, rien ne me
coûtera pour triompher de moi, murmura
Melissa.
- Courage! Ne t'épargne
point, le temps est peut-être court !
Quand le Seigneur aura repris ta belle-mère,
et que tu ne pourras plus rien pour elle, tes
souffrances, l'épreuve de ta patience, tout
cela te paraîtra peu de chose.
- Quel remords j'aurais en effet,
s'écria la jeune femme, si j'avais rempli
d'amertume les vieux jours de ma belle-mère
! Avec la grâce de mon Dieu, je l'aimerai
vraiment, j'y trouverai mon plaisir.
Dorénavant, je ne regarderai plus à
moi, à mes sacrifices, mais à son
bien, à son salut. Car bien que j'aie dit
vouloir celui-ci, je cherchais d'abord mon confort
et ma satisfaction.
- Sacrifie-lui ton amour-propre, ton
orgueil, tes envies, mais agis néanmoins
avec prudence, avec fermeté en ce qui
concerne ton couple. Ne la laisse pas s'immiscer
dans ce qui relève de l'intimité
entre un mari et son épouse. Avec Loïc,
restez unis et ayez des moments de solitude, durant
lesquels vous puissiez lire, prier, causer sans
témoins. Agissez ensemble. Il ne faut pas
que tu essaies d'arranger les choses toute seule.
Vous êtes deux ! Quant à tes
enfants, qu'ils respectent leur grand-mère.
Préviens toute moquerie ou insolence de leur
part. Et s'il arrive que tu doives reprendre ta
belle-mère, fais-le après avoir
prié intérieurement, avec douceur.
Applique toujours le baume de la tendresse et du
respect.
- Que tout cela est
difficile !
- Impossible même ! Sans
le secours journalier du Saint Esprit, tu
t'enfoncerais plus vite que tu ne le penses !
Melissa, c'est par beaucoup d'afflictions qu'on
entre dans le royaume de Dieu. Tu passeras
certainement par bien des souffrances, et aussi des
chutes, mais nous sommes plus que vainqueurs par
celui qui nous a aimés. Ne l'oublie
pas ! Il nous faut être
émondés pour porter du fruit.
Confions-nous donc à celui qui tient la
serpe, il ne retranche que les branches
mortes.
Après un moment de
silence:
- Si tu as encore le temps de
m'écouter, Anne-Laure, reprit Melissa, les
yeux humides et le coeur gros, je te dirai que je
ne suis pas toujours contente de moi sous d'autres
rapports. Il s'agit de Loïc. Oh ! Cela n'est
presque rien, et toute la faute vient de
moi.
Dieu m'a fait des grâces
inouïes. Je peux le dire sans honte, puisque
Loïc n'est pas là. J'ai en lui un mari
tendre, profondément pieux, qui me soutient,
qui me supporte, que j'aime de toutes mes forces !
Eh bien ! Le croirais-tu, Anne-Laure, heureuse
comme je le suis, il y a des moments où je
trouve le moyen d'être triste, des moments
où je trouve le moyen de me fâcher
contre lui, où je me préoccupe de ce
qui lui manque peut-être, pour ensuite le
regretter !
Je ne sais pas cacher ce que j'ai
sur le coeur. Dire à mon mari tout ce qui me
contrarie est un besoin pour moi. Et si je ne le
dis pas ouvertement, je le montre par mes
attitudes. Loïc, au contraire, se renferme
souvent en lui-même, et lorsqu'il a l'air de
ne pas faire attention à mes confidences, je
me retire, blessée. Je vais à
l'écart nourrir des sentiments de rancune.
Je boude, pire encore, si dans ce moment il se
rapproche de moi, j'éprouve une diabolique
joie à le repousser.
Son amour s'exprime plus par des
actes que par des paroles. Dans ses moments de
silence obstiné, je suis assez folle pour
mettre en doute son affection. Son calme me
fatigue, m'impatiente presque. Ainsi, quand j'ai
une remarque à lui adresser, je le fais
quelquefois avec douceur, avec humilité...
mais plus souvent c'est ma passion et mon orgueil
qui parlent. J'ai l'air fâchée, et je
querelle au lieu d'avertir.
Si Loïc est parfois un peu
sombre, je m'efforce de le sortir de ses
réflexions pour qu'il porte son attention
sur moi. Je me crispe trop souvent, et alors je lui
adresse quelques mots froids, irritants. Si cela ne
suffit pas pour le toucher, je recommence, je
redouble, je deviens insupportable, et je finis par
le faire sortir de sa douceur habituelle, ce qui
l'afflige profondément, et moi plus que lui,
lorsque je rentre en moi-même.
- Melissa, rien de tout cela ne
m'étonne. Tu es exigeante, insupportable,
parce que tu es idolâtre.
- Oh ! Oui ! C'est bien cela !
J'aime trop, mille fois trop, Loïc
!
- Dis plutôt: « Pas
assez ! » Tu l'aimes en
égoïste, car l'idole c'est toi, et non
pas lui.
- Pourtant... fit Melissa d'un air
de doute...
- Réfléchis bien,
Melissa, et vois si dans votre union vous
poursuivez ce qui te plaît ou ce qui convient
à ton mari ? Vois si ce n'est pas de toi
plus que de lui que tu te
préoccupes...
Allez, ma chère, les
âpres fruits sauvages ne croissent ni sur le
figuier ni sur la vigne. Quand tu sens monter en
toi de tels mouvements d'impatience contre ton
mari, quand tu nourris du mécontentement, ne
te donne pas l'illusion de croire que ces
sentiments viennent de ton amour pour lui, c'est de
ton amour pour toi qu'ils procèdent. Sois-en
certaine ! Mais il y a ici autre chose.
Crois-moi, Melissa, s'il est bon d'éclaircir
tous les points louches, de ne pas laisser
s'établir des rapports froids et contraints
dans le mariage, s'il faut aller au-devant des
pensées de son mari, ouvrir soi-même
ce coeur naturellement fermé, il y a du
danger à examiner de trop près
l'humeur d'un mari. Il faut prendre garde à
ne pas le provoquer trop facilement en voulant lui
soutirer des explications sur tout. Fais attention
à ne pas le tyranniser à force de
sensibilité inquiète. Ne laisse pas
ton imagination regretter ce que tu n'as pas, mais
réjouis-toi de ce que tu possèdes. Tu
l'as dit, Melissa, tu es la plus heureuse des
femmes. Eh bien ! La plus heureuse des femmes
trouvera toujours des raisons à son
bonheur... surtout si elle met des lunettes pour
mieux les voir.
Melissa, je te conseille de chercher
la simplicité de coeur dans les affections;
d'aimer en actes, et non en idées. Sous
prétexte de tendresse, les femmes remplacent
trop souvent leur besoin d'être aimée
par une certaine forme d'exclusivité, de
possessivité.
L'unité entre les
époux est une arche sainte, personne n'y
doit toucher. Et il ne faut pas fissurer cette
unité par des sautes d'humeur. D'autant plus
qu'elles sont visibles aux autres membres de la
famille. Les enfants voient bien plus que l'on ne
pense. Et ta belle-mère ne ratera pas
l'occasion de te rappeler l'une ou l'autre de ces
tensions.
- Merci, Anne-Laure. J'avais besoin
d'entendre cela.
- Entendre, maintenant il reste
à appliquer ces principes pour ton bonheur
et la paix dans ton foyer. Melissa, c'est
peut-être la dernière fois que je te
parlerai ainsi. J'ai entendu avec un vif
intérêt tes confidences sur tes
relations conjugales, et mes conseils te seront
utiles, du moins je l'espère ! Mais,
écoute-moi bien, Melissa. Découvrir
ces détails intimes à d'autres, ce
serait porter atteinte à la dignité
du mariage ; nul oeil étranger, pas
même le mien, ne doit se glisser entre ton
mari et toi ! L'union conjugale a été
faite pour renfermer deux personnes, pas une de
plus. Dans vos difficultés, allez au
Seigneur. Il vous dira tout ce qu'il faut faire.
Prie le Seigneur seule, et avec ton mari, avec
régularité, en consacrant un certain
temps à ce saint exercice... Je parierais
que, là-dessus, il y a quelques reproches
à vous adresser?
- Je prie parfois avec Loïc, et
seule un instant avant de m'endormir. Je prie aussi
de temps à autre durant mes occupations de
la journée.
- Ce n'est pas assez. La
prière est une joie, elle est aussi un
combat ! Nous ne pouvons nous approcher de
Dieu sans renverser, à droite et à
gauche, cent ennemis comme la distraction, la
froideur, la sécheresse. Lorsque nous
n'avons pas assez prié, le Seigneur se fait
chercher. Il exerce notre foi par un apparent
silence. Il faut donc prendre du temps pour la
prière, pour prier avec efficacité.
Ne laisse point de prétexte à votre
paresse. Ne permets pas à Satan de te dire:
« Aujourd'hui, tu n'as pas le temps, tu es mal
préparée, tu es trop fatiguée,
demain tu prieras à ton aise ! »
Levez-vous un peu plus tôt, couchez-vous un
peu plus tard, et mettez au moins quinze minutes
devant vous pour lire quelques versets, pour
présenter toutes vos requêtes au
Seigneur. Et fais attention à la
télévision que j'ai vue dan ton
salon. Qu'elle ne soit pas un piège, qu'elle
ne mange pas votre temps, en plus de souiller votre
esprit.
Melissa se leva et pressa les mains
d'Anne-Laure dans les siennes.
- Me voilà prête
à faire ce que le Seigneur voudra,
s'écria-t-elle. Il m'en donnera les
moyens.
Melissa s'en retourna chez elle,
accompagnée un bout de chemin par
Anne-Laure, qui avait à faire des courses.
La conversation tomba alors sur les anciennes amies
de Melissa.
- Maintenant, il n'y a pas à
s'occuper de Patricia autrement que par la
prière, dit Melissa. Elle se croit heureuse,
les idées sérieuses l'irritent ou la
font rire. C'est Dieu qui se chargera de la
toucher... Mais Zoé, oh ! Zoé a
besoin de toute notre affection. Elle n'est pas
entièrement tombée, elle est
même plus près de revenir à la
vérité qu'elle ne le croit. Elle a
éprouvé de cruelles
déceptions. Son orgueil, son coeur, tout est
froissé dans ce moment. Elle se
révolte, mais si elle peut comprendre que
Jésus l'aime encore, et qu'elle vienne
à Lui, elle sera sauvée ! Et par
elle, on pourrait toucher son mari, lui faire
échanger sa triste philosophie contre les
vérités évangéliques !
Quelle oeuvre ce serait ! Quelle
bénédiction !
Anne-Laure opina de la tête,
regrettant des mots de doute qu'elle venait de
formuler à propos de Zoé et de son
époux.
- C'est vrai, Melissa, j'ai
manqué de confiance en la puissance du Saint
Esprit pour convertir Zoé et son mari. Mais
je te le promets, si Zoé ne vient pas me
voir, j'irai la trouver. A Dieu le soin de faire le
reste.
Là-dessus les deux amies se
séparèrent; l'une, pour rentrer
l'âme fortifiée et comme
rafraîchie dans son heureux ménage;
l'autre, pour vaquer à ses devoirs, et, tout
en les remplissant, recommander au Seigneur sa
protégée, pieuse de coeur et de fait,
mais encore bien jeune dans la vie
chrétienne.
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