Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Parcours féminins



La maison construite sur le sable
(Concerne Patricia Maillard)

 

Revenons à Patricia et à son mari qui avaient laissé un si triste souvenir à Anne-Laure. Ce couple continuait à pratiquer ce qu'ils appelaient leur philosophie. Patricia jouissait des plaisirs de la vie, riait, jasait, dansait, faisait grande toilette et bonne chère, tandis que Charles buvait de son mieux tout en débitant sa marchandise. Quant aux enfants, ils grandissaient dans le mépris du devoir. Le nom de Dieu n'était prononcé dans la maison que lorsqu'il entrait dans quelque blasphème. Avec tout cela, le ménage prospérait rapidement, et Anne-Laure s'étonnait de voir tant de bénédictions extérieures répandues sur des gens qui se déclaraient les ennemis du Seigneur.

Daniel rappela à sa femme qu'il en était, malheureusement, souvent ainsi. Il lui rappela le psaume 73, et lui montra qu'Asaph avait déjà, en son temps, rencontré de telles personnes. Il lui dit encore : « Ne te dépite point à cause des méchants, ne sois point jalouse de ceux qui s'adonnent à la perversité; car ils seront soudainement retranchés comme le foin, et se faneront comme l'herbe verte » (Psaume 37 :2).

L'accord qui régnait entre Patricia et son mari n'était pas l'union chrétienne, cette union pleine de paix, pleine de bons fruits, qui a pour but la sanctification des âmes, et que chaque circonstance fait avancer vers ce but. Sans qu'ils le réalisent vraiment, Patricia et Charles s'associaient dans le mal et pour le mal. Leurs entretiens roulaient sur les défauts du prochain, sur les scandales de l'arrondissement, sur les mauvaises blagues à faire, sur les vengeances à tirer de tel ou tel. Charles avait-il querelle avec un client, Patricia, au lieu de l'apaiser, excitait son orgueil, exagérait les torts de son adversaire, engageait son mari à ne pas se laisser marcher sur les pieds. Et lorsque par ses soins une haine positive naissait de cette tension qui, sans cela, se serait dissipée d'elle-même, elle en ressentait un plaisir que nous appellerons diabolique, bien qu'il soit très commun.

S'agissait-il d'un marché à conclure ? Patricia réchauffait dans le coeur de son mari le désir des gains illicites. Ils cherchaient ensemble le moyen de tromper le vendeur, et de tromper ensuite leurs clients, couvrant le tout par un malin plaisir, et une soif renouvelée de poursuivre dans cette voie de perdition.

S'il semble parfois que le ciel est fermé sur de telles actions malhonnêtes, soyons assurés qu'il n'en est rien : « La vengeance m'appartient ; je la rendrai, dit l'Eternel. »

Dieu, qui souvent laisse prospérer le méchant sur cette terre, et qui attend au grand jour de la rétribution pour faire justice, Dieu, déjà sur la terre, appesantit sa main sur les époux Maillard. Il permit que Charles et Patricia, pris dans leurs propres filets, deviennent à leur tour la risée du village.

Charles avait exploité les vices du prochain. Il avait fait de l'ivrognerie des autres son grand moyen de gain déshonnête : on se servit contre lui des mêmes armes.

C'était la foire à Erquelinnes. Charles, occupé à boire ou à faire boire, cherchait comme d'ordinaire à rouler quelques pauvres clients ivres, lorsqu'un de ces représentants à belle allure, aux placements hasardeux, toujours en quête de capitaux, entra dans le bar-tabac et s'assit auprès d'une table solitaire.

Monsieur Maillard, que cet individu guettait depuis longtemps, avait, à plusieurs reprises, conclu avec lui de petits placements assez avantageux. De plus, il buvait à son tour tout le vain babil de ce chercheur de dupes. Patricia se plia en quatre pour accueillir comme il convenait un personnage si huppé. Charles accourut et lui apporta une bouteille de son meilleur vin, et il s'assit à côté de Monsieur Lenoble, qui, dit en passant, portait bien mal son nom.

On but, on but beaucoup, Monsieur Lenoble moins que Charles, auquel il versait toujours double ration.

Lorsque le moment de la confiance fut arrivé, ou plutôt de l'inconscience, le représentant commença à mettre en place les filets de son piège. Parvenu à ce moment où l'ivrogne, qui a perdu tout pouvoir de juger sainement, devient le jouet de qui veut se rire ou se servir de lui, ce moment où il jure une tendresse éternelle à celui qu'après deux ou trois bouteilles de plus, il assommera pour la moindre plaisanterie, quand cet instant, premier degré de l'abrutissement, fut arrivé, le chercheur de dupes se rapprocha de Charles, et à mi-voix lui demanda s'il était vraiment son ami.

Charles répondit par une énergique affirmation.

- Je l'ai toujours pensé, reprit Lenoble, et c'est pour cela que je vous ai choisi, vous entre tous les habitants de ce village, pour vous associer à une entreprise qui, si elle réussit, vous fera tout simplement rouler en Royce Roll, vous fournira de quoi acheter un plus grand débit de boissons, et pourquoi pas partir en vacances dans les endroits les plus chics ! La grande vie, quoi !

Charles faillit renverser la table.

- Doucement, doucement, le succès de l'affaire dépend de votre silence ! Et Lenoble, se penchant vers Maillard, entra dans l'explication très embrouillée d'une opération qui n'existait que dans son cerveau.

Charles écoutait de toutes ses oreilles, ne saisissait qu'à moitié les explications de Lenoble et ne comprenait rien du tout à l'ensemble de l'affaire en question, si ce n'est qu'il s'agissait de millions à gagner dans l'avenir, et pour le présent, de six cent mille francs belges à débourser.

- Six cent mille francs ! disait Lenoble, c'est peu d'argent en comparaison du pactole à gagner ! Mon ami, vous concevez bien que je les aurai demain si je les veux. Six cent mille, sept cent mille, un million même ! Mais mes capitaux sont engagés et je ne peux les débloquer pour l'instant. D'autre part, j'aurais franchement regret de faire profiter un autre que vous. Par exemple, pas plus tard qu'avant-hier, un commerçant d'Erquelinnes, dont je ne peux vous dire le nom, me pressait de le faire entrer pour une part dans cette affaire juteuse. Mais je veux premièrement vous proposer ce placement très rentable, parce que je vous tiens pour un bon client.

- Il vous faut donc de l'argent ? balbutia Charles, hébété par le vin.

- De l'argent pour moi ! Qui vous parle d'argent ? Est-ce que j'ai besoin d'argent, moi ! Monsieur Maillard, il me faut juste l'appui de votre nom. Hein ! l'ami ! C'est joli une signature qui rapporte des millions de francs !

-Oui, c'est joli ! bégaya Charles, en jurant pour se prouver à lui-même la lucidité de ses idées et la force de sa volonté.

- Vous êtes de mon avis ! reprit Lenoble, dans ce cas pourquoi ne terminerions-nous pas cette petite affaire aujourd'hui ? Aujourd'hui nous vivons, demain qui sait ? Aujourd'hui la fortune frappe à notre porte, demain sa roue aura tourné.

- Sa roue aura tourné, répéta Charles en regardant Lenoble avec de gros yeux ronds.

- Je vois avec plaisir que nous pensons exactement de même. Eh bien, lisez-moi ça, lisez-moi ça attentivement et signez, bien entendu si le coeur vous en dit.

- Pourquoi pas ! murmura Charles en se levant et en trébuchant, donnez et que j'étudie le contrat !

- Bien sûr ! Croyez-vous donc que je veuille vous prendre en traître ? Lisez, relisez, je n'accepte votre signature qu'à cette condition.

Charles parcourut plusieurs fois le papier d'un oeil stupide. La feuille était timbrée et contenait, écrite de la main de Lenoble, la formule ordinaire d'un engagement à le cautionner.

- C'est.... c'est un cautionnement que vous voulez ?

- Un cautionnement ! oui, et non. Cela n'est pas vraiment cela. Vous me faites confiance, n'est-ce pas ? Avez-vous déjà eu à vous plaindre de mes placements ? Quant à vos six cent mille francs, il est plus que probable que je n'en aurais pas besoin. Ce que je veux, c'est une sécurité pour quelques jours. En retour, je vous offre une part dans le plus sûr placement du moment. Je l'aurais fait seul d'ailleurs, si je n'avais pas, comme je vous l'ai dit, pris d'autres engagements. Et c'est parce que je vous connais comme un honnête homme que je vous le propose en priorité.

- Oui, poursuivit Lenoble en se frappant la cuisse, pourquoi pas ! Si je vendais mes actions de la Compagnie Minière, si je retirais les cinquante mille francs que j'ai sur les comptes épargne des enfants, ou encore si je mettais là les cent mille que m'a rapportés ma dernière affaire, je pense que je pourrais rassembler une telle somme !

Lenoble fit mine de se lever.

- Je ne vous presse pas, ce sera pour une autre fois. Mais n'attendez pas trop, j'ai encore deux jours avant de clôturer ce dossier.

- Venez, venez par ici ! dit Charles, qui au travers de son ivresse avait assez suivi le raisonnement du rusé compère, pour comprendre que l'occasion était belle et qu'il en fallait profiter. Venez ! Il se dirigea en chancelant vers son comptoir. Patricia, un stylo, vite !

- N'en dites rien à votre épouse, elle pourrait vendre la mèche à d'autres, et tant que cela n'est pas fait, je veux éviter que l'on nous vole cette fabuleuse idée, se hâta de dire Lenoble à voix basse.

Il sortit de sa poche tout ce qu'il fallait pour écrire, et quand Patricia arriva, Lenoble glissait dans son portefeuille le cautionnement dûment signé.

La figure avinée de Charles, le rire sournois du fripon, cette feuille de papier qu'il cachait précipitamment, tout cela jeta quelque soupçon dans l'esprit de Patricia. Elle interrogea son mari. Il ne lui répondit que par un éclat de rire accompagné de ces mots : «  Patricia, tu seras bientôt une grande dame ! »

Elle se tourna vers Lenoble; celui-ci tirant son chapeau la salua profondément, et sortit en disant :

- Votre mari, Madame, vient de conclure une affaire... dont on parlera dans tout Erquelinnes.

On appelait, on criait de tous côtés dans le bar-tabac. Patricia, mal rassurée par la phrase ambiguë de Lenoble, devait répondre à tous et servir chacun. Toute la journée et une partie de la nuit se passa de la sorte, si bien qu'elle ne put en discuter avec son époux.

Le lendemain matin, Charles essaya de se rappeler ce qui s'était passé avec Monsieur Lenoble. Peu à peu, la scène de la veille sortit du brouillard où le tenait enseveli un reste d'ivresse. La spéculation lui parut moins sûre, mais quand il en vint à cette certitude qu'il avait signé un cautionnement de six cent mille francs, il poussa un cri, sauta dans ses habits, et sans répondre un mot aux questions de Patricia, il courut vers le téléphone.

Charles s'efforça de dissimuler les inquiétudes qui le dévoraient d'autant plus que cela ne répondait pas. Pas moyen d'atteindre Lenoble sur son portable. Un instant, il pensa à poursuivre le filou, mais où le trouver ! Comment lui faire rendre l'engagement ? Et puis, qui sait, peut-être l'affaire était-elle bonne ! Lenoble ne lui avait-il-pas déjà procuré le gain de quelques sommes, légères à la vérité ! Quoi qu'il en soit, la physionomie de Charles resta sombre et son esprit fortement préoccupé.

Patricia, excitée encore plus par la curiosité que par une affectueuse sollicitude, poursuivait Charles de ses interrogations. Le christianisme ne lui avait pas appris que si le coeur d'un mari doit être sans secret pour son épouse, le devoir de la soumission conjugale s'oppose à ce qu'elle force par violence, à ce qu'elle ouvre par ruse les portes que celui-ci ferme devant elle.

Plus Charles lui opposait de refus, plus elle redoublait d'instances. Après deux semaines de persécutions et de querelles, Charles avoua tout. On comprend quel orage éclata.

Le silence sur cette affaire importait aux intérêts du ménage.

- Tu sais, dit Charles, je suis sûr de ne rien perdre avec Lenoble. J'ai la conviction que l'affaire est bonne, mais....

Ici Patricia recommença à injurier son mari.

- Tais-toi ! dit Charles en la saisissant par le bras. Tais-toi ! Sinon, plusieurs de nos amis vont venir redemander l'argent qu'on leur a emprunté. On me croira perdu, notre établissement se videra, nous deviendrons la fable de tout le village ! Tu m'entends, il n'est pas question que tu parles à tort et à travers ! Veux-tu nous réduire à la misère, veux-tu servir de risée à tes voisines ? Parle et tu seras la perdante dans l'affaire !

Patricia entendait, Patricia comprenait, mais la passion de jaser, mais le besoin de blâmer son mari, de se faire plaindre, de criailler, de débiter des nouvelles; tout cela était trop fort. Sous le prétexte de prendre des informations sur Lenoble, de s'assurer de la bonne volonté des créanciers de Charles, sa langue se délia peu à peu. Quant au respect qu'une femme doit aux ordres de son mari, il y avait longtemps que pour Patricia de tels préjugés n'existaient plus.

Elle parla donc. Elle dit un mot, puis deux, puis les voisins l'interrogèrent, se répétèrent les uns aux autres ce qu'ils tiraient d'elle, et bientôt ils surent l'histoire entière. La sottise de Charles, sa folie fournirent le sujet de toutes les conversations, ses créanciers l'assiégèrent, il fallut payer. Le bruit de ses déboires financiers se répandit, on refusa de l'approvisionner, le bar-tabac perdit certains de ses fournisseurs, mais ce n'était encore rien ! Deux mois ne s'écoulèrent pas que Lenoble fit faillite et prit la fuite avec un joli pactole. Charles l'avait cautionné pour six cent mille francs, il fallut les trouver. Les huissiers arrivèrent, saisirent la maison, le terrain, les meubles, le peu d'argent qui restait. Et ce ménage, dont l'union paraissait heureuse, offrit alors un spectacle hideux.

Exaspérée par son malheur, animée par ceux qu'elle avait pris pour confidents de ses griefs contre son mari, Patricia ne trouvait de soulagement que dans l'injure. Abaisser son mari aux yeux des autres, le livrer aux moqueries, exciter ses enfants contre lui, blasphémer la Providence, le sort, comme elle disait, c'était là tout ce qu'elle savait faire.

Charles, hors de lui, répondait par de la violence aux emportements de sa femme, aux impertinences de ses enfants. Puis, à l'aide des quelques sous qu'il gagnait par un rare travail ou de quelque entourloupe, il allait chercher dans une abrutissante ivresse l'oubli de ses fautes et de ses chagrins.

Que leur restait-il à ces infortunés, maintenant que la prospérité les avait abandonnés ? Leur affection ! Elle s'était brisée au premier choc de l'épreuve, comme se brise tout sentiment qui ne puise sa force que dans notre égoïsme. Leur philosophie ? Elle les avait laissés dès le jour où ils lui avaient demandé autre chose que les préceptes impuissants d'une morale relâchée.

Plus rien n'était debout autour d'eux, plus rien que la pensée d'un Dieu juste, d'un Dieu vengeur, du Dieu dont ils avaient méprisé les appels, violé les commandements, et cette pensée qui, lorsque Charles s'y arrêtait, le frappait de stupeur, soulevait au contraire les pires révoltes chez Patricia.

Les consolations chrétiennes que lui portait Anne-Laure lui semblaient autant d'accusations. Elles tombaient sur sa conscience comme de l'huile bouillante sur une blessure ouverte. Elle les repoussait avec colère. Les consolations humaines ? Elle y lisait l'orgueilleuse pitié, la secrète joie que cause notre abaissement aux amis mondains, et son amour-propre en souffrait horriblement. L'amitié de Charles ? Elle la détruisait à plaisir, trouvant une infernale joie à l'exaspérer par la violence, par la continuité de ses récriminations. L'affection de ses enfants ? De bonne heure ils avaient appris à se montrer égoïstes, audacieux, rebelles, et les leçons qu'ils recevaient à cette heure fructifiaient avec une effrayante rapidité.

Les voisins s'étonnaient de découvrir chez Patricia, chez Charles, des défauts qu'ils ne leur avaient jamais connus. « Le malheur les a rendus méchants », disaient-ils. Non, le malheur ne les avait pas rendus méchants ! Le malheur, en déchirant l'enveloppe qui recouvrait leur coeur mauvais, avait manifesté leur péché, il ne l'avait pas créé.

Lorsque Maillard et sa femme, plongés dans l'indigence, expulsés de leur maison, réduits à s'abriter dans un taudis, n'eurent plus pour ressource que leur travail, travail auquel une vie mal réglée et avec de longues habitudes pernicieuses ne les avait guère préparés, chacun applaudit à leur chute. Daniel et Anne-Laure Vivien seuls pleurèrent sur eux et tentèrent de leur porter des secours qu'ils refusaient orgueilleusement, d'ordinaire, mais qu'ils acceptaient avec aigreur, toutes les fois que le besoin les pressait.

Le mal continua chez eux à enfanter le mal : leurs seuls plaisirs furent les horribles satisfactions de l'emportement, de l'ivresse... Ces insensés avaient bâti l'édifice de leur affection, de leur bonheur, sur le sable; la pluie, les vents se déchaînaient, et la ruine en était grande.




La superstition aveugle
(Concerne Anne-Laure Vivien)

 

Les Vivien avaient pour voisins immédiats un jeune couple, Catherine et Paul Meurant. Ceux-ci avaient déjà trois jeunes enfants, bien qu'ils ne soient mariés que depuis quelques années.

Avec le temps, Anne-Laure entra en contact avec sa jeune voisine. Dès la première visite, elle s'aperçut que la superstition avait grande place dans ce foyer. Ce que Catherine Meurant appelait « religion » n'était qu'une suite de croyances erronées qui la maintenait dans l'ignorance et la crainte d'un Dieu lointain.

Il faut dire à sa décharge qu'elle tenait cela de sa mère, Madame Pireux, qui l'avait élevée dans une foi étrangère à la révélation des Saintes Écritures. Il s'agissait bien plutôt de traditions et de commandements humains 40 qui empêchaient la grâce de faire son effet.

Madame Pireux tenait cela de sa mère qui à son tour tenait cela de sa mère. C'était comme un héritage spirituel transmis de génération en génération, et ce avec d'autant plus de convictions que ces femmes n'avaient pas eu la vie facile. Elles s'étaient alors réfugiées dans cette fausse sécurité des superstitions religieuses pour ne pas sombrer. Elles s'y étaient attachées de toute leur âme !

Par petites touches, Anne-Laure essaya d'amener la mère et la fille à la lumière de l'évangile, du salut par pure grâce, mais à chaque fois elle buttait contre les remparts de la religiosité. Il y avait bien chez ces dames la forme de la piété, mais elles étaient étrangères à la vraie vie, à la vie en Christ. Elles ne connaissaient Dieu que comme un être suprême qui répondait aux prières par l'intervention d'une armée de « saints ».

Bien des fois, Anne-Laure leur expliqua qu'il fallait venir à Dieu directement, sans autre intermédiaire que Christ (1 Timothée 2 :5-6), le Fils bien-aimé du Père, mais en vain ! Elles ne voulaient rien entendre de ce qui différait de leurs pratiques. Les neuvaines étaient leurs assurances de plaire à Dieu. Elles avaient des neuvaines pour tout, même pour que les jeunes enfants n'aient pas de convulsions.

Le coeur d'Anne-Laure souffrait de cette ignorance. Elle aurait tant voulu qu'elles s'ouvrent à la vraie vie, au bonheur de s'approcher de Dieu par son Fils, par ce chemin nouveau et consacré. Mais avec les mois, elle perdit patience.

Un mardi matin, alors qu'elle rendait une visite à Catherine et sa mère, Anne-Laure s'irrita de leurs paroles qui tournaient autour de leurs prières.

- Arrêtez ! Combien de fois dois-je vous répéter qu'il n'y a qu'un seul médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus ? Nulle part dans la Bible, il n'est question de prier un homme ou une femme, aussi pieux soient-ils !

- Madame Vivien ! reprit furieusement Catherine, vous ne pourrez nous faire changer de religion. Nous sommes dans l'église, et nous ne voulons pas nous en écarter !

- Oui ! Cela suffit ! poursuivit Madame Pireux, nous vous avons assez entendue. Depuis des mois vous nous distillez votre venin. C'en est assez !

- Ne comprenez-vous donc pas que vous êtes dans l'erreur ? On ne peut plaire à Dieu que par la foi, par la foi en ses Saintes Écritures. Et pour cela, il faut que vous les lisiez et les mettiez en pratique. Écoutez Dieu plutôt que les hommes !

- C'est ce que nous faisons ! répondit Catherine excédée, nous ne vous écoutons pas ! Et dorénavant vous n'êtes plus la bienvenue chez nous.

- Je vais donc partir, reprit Anne-Laure, mais avant de vous quitter, je vous assure de mon souci pour vos âmes. Je ne veux que votre bénédiction!

- C'est plutôt pour votre âme qu'il faut prier, interrompit Madame Pireux d'un ton sec. Vous êtes en dehors de « l'Eglise », et vous essayez de perdre d'autres avec vous-même. La Bible est bien le livre de Dieu, mais il faut l'interpréter avec l'aide de l'église et pas comme vous le faites, à votre bon plaisir. Je crois que nous n'avons plus rien à nous dire. Au revoir !

Anne-Laure quitta la pièce avec un mouvement d'irritation qu'elle ne pouvait contenir, mais, arrivée dans sa maison, elle pleura amèrement.

Quelle folie l'avait prise de sortir ainsi de ses gonds. Ses paroles, mais surtout sa colère et le ton désagréable qu'elle avait manifestés, n'étaient pas dignes d'un véritable enfant de Dieu. En quelques minutes elle avait détruit des mois de patience, de visites, de prières. Elle s'était fermé les coeurs de personnes qui lui étaient chères. Par sa rudesse, elle avait brisé la confiance qu'elle gagnait peu à peu.

Anne-Laure se repentit amèrement de son absence de douceur, de sa violence intérieure. Elle se confessa sincèrement à Dieu, en parla à son mari, et envoya une lettre d'excuse à sa voisine.

La lettre resta sans réponse. Ce foyer lui resta fermé, comme ces coeurs, et d'autres qui ne manquèrent pas de relever cette faute pour juger Madame Vivien, cette dame qui paraissait si gentille, mais qui n'était à leurs yeux qu'une dangereuse et hypocrite personne.

Cette chute coûta cher à Anne-Laure. Elle en souffrit longtemps. Le fait de vouloir apporter la vérité ne lui donnait aucun droit pour outrager les autres. Elle comprit combien sa langue pouvait allumer un grand feu que plusieurs attisèrent avec un malin plaisir.

Elle vit que des âmes blessées par des paroles dures étaient plus difficiles à gagner qu'une ville forte. Et il ne lui restait plus que l'intercession et la supplication comme armes.

Elle avait, dans un moment d'égarement, pris les armes de la chair 41. Il fallait maintenant prendre celles de la lumière.




Dieu tire le bien du mal
(Concerne Justine Jaquemin )

 

Patrick Leblanc avait vainement essayé de continuer ses avances auprès de Justine. Quelques mots sérieux et fermes lui avaient fait comprendre que cette proie lui échappait pour toujours.

Qu'il comprît ou non la cause de cette rupture, Patrick Leblanc en conçut un profond dépit et résolut de se venger. Il employa toutes ses ressources, et les esprits corrompus en possèdent beaucoup, à combattre l'influence chrétienne et affectueuse que Justine s'efforçait d'exercer sur son mari.

Comme il arrive aux âmes faibles, Bernard, d'abord exaspéré, puis radouci, était peu à peu retombé sous la domination de Leblanc. Il rencontrait Patrick au café, Patrick venait le chercher au travail, Patrick buvait et mangeait avec lui son argent, Patrick l'introduisait dans la société d'hommes vicieux mais bons vivants, Patrick était gai, Patrick avait du caractère, et Bernard, tout en le redoutant, tout en le détestant lorsqu'il se rappelait ses procédés, Bernard se laissait subjuguer.

Justine voyait avec terreur les progrès que faisait Leblanc dans la confiance de son époux. Elle aimait son mari depuis que le Seigneur l'avait éclairée. Cette affection était devenue plus élevée, plus tendre. L'avenir de Bernard embrassait toute sa sollicitude. Par moments, elle songeait à ce qu'aurait été pour eux une union chrétienne, à la douceur qu'ils auraient trouvée à prier ensemble, à guider ensemble leurs enfants dans la bonne voie, aux jouissances si pures qu'ils auraient goûtées le dimanche après une laborieuse semaine, et son coeur débordait, ses mains se joignaient, elle suppliait le Seigneur de lui accorder la grâce de vivre ainsi, ne fût-ce qu'un jour. Mais quand la réalité lui apparaissait, quand elle suivait la marche rapide de la dépravation dans cette âme précieuse, quand elle se rappelait qu'elle-même avait été un des instruments de sa corruption, oh ! alors, elle ne pouvait retenir ses sanglots, elle se sentait humiliée jusqu'au découragement.

La vue de son propre péché l'aidait à supporter le mauvais comportement de Bernard. Lorsqu'après un jour d'absence, il rentrait ivre, et que, dans un accès de colère, il jetait à terre chaises et table, brisant tout ce qui tombait sous ses mains, lorsque bourru, colérique, triste de cette tristesse pleine d'amertume que donne la mauvaise conscience, il venait s'asseoir à la table du souper et s'indignait de n'y voir tout au plus qu'un morceau de pain, Justine, au premier moment troublée, près d'éclater, se taisait, ou bien soutenue d'En haut, elle essayait de ramener Bernard au moyen de quelques paroles affectueuses. De longues nuits d'insomnie et de larmes suivaient ces terribles moments. Bernard alors, se défendait contre le repentir en se plongeant dans le sommeil, ou alors, touché, vaincu malgré lui, s'accusait lui-même, implorait le pardon de Justine, jurait de rompre avec les mauvaises compagnies et tenait parole jusqu'à l'instant où Patrick Leblanc, d'un mot, d'un signe, le faisait revenir à lui.

Bernard n'était pas heureux. Il passait vite, il est vrai, des remords à l'étourdissement. Mais, par une grâce de Dieu à laquelle, pauvre insensé, il avait souvent désiré échapper, le mécontentement restait au fond de son coeur et le dévorait en secret. Il s'efforçait d'échapper à cette tristesse au moyen de plus grands excès, mais le désordre ne lui apportait que plus de dégoût, que plus de chagrin.

Un soir que les enfants étaient couchés, que Justine veillait en travaillant, le bruit de plusieurs pas et de voix tumultueuses se fit entendre dans l'escalier. Ce bruit se rapprocha, s'accrut, puis on frappa deux ou trois coups précipités. Justine s'élança, tremblante, et son mari, le visage ensanglanté, se traînant avec peine, parut devant elle, soutenu par Leblanc et un homme de mauvaise mine.

- Bernard ! cria la pauvre femme en retombant sur sa chaise.

- Ne t'effraie pas, murmura le blessé.

- C'est l'histoire d'une simple bagarre, voilà tout, dit Leblanc en ricanant.

- Avez-vous de l'eau de vie, quelque chose pour le faire revenir à lui, reprit son compagnon d'un ton plus doux, vous voyez bien qu'il s'en va !

- Rien... rien... balbutia Justine presque sans voix.

- Laisse donc, interrompit Leblanc en appuyant Bernard contre le divan, il a assez bu comme ça, et il rit d'un rire qui fit frémir Justine, tandis que les enfants se cachaient dans leur chambre sous leur couverture.

- Messieurs, murmura Justine, je vous remercie. Je vais appeler un médecin, je vais...

- Madame veut être seule ! reprit Leblanc d'un ton moqueur, allons-nous-en.... d'ailleurs.... c'est plus sûr pour nous !

Ils disparurent et laissèrent Justine avec son mari.

Justine s'assura que Bernard n'avait pas reçu de graves blessures, qu'il pouvait parler, respirer, et elle remercia Dieu avec effusion. Mais quand le médecin de garde qu'elle avait appelé annonça que Bernard avait reçu une blessure très grave, lorsqu'il déclara que la guérison serait longue, qu'elle nécessiterait un repos absolu dans le lit, alors, la révolte monta un instant au coeur de Justine. Elle osa presque demander compte à Dieu de ses voies. Quoi ! Encore cette douleur ! Ce coup par-dessus les autres! Qu'allait-elle devenir ? Il n'y avait plus rien dans le frigidaire et dans les armoires, et ce n'est pas le peu d'argent qu'elle rentrait qui allait les aider à passer l'hiver. En plus, il faudrait payer les visites du docteur et les médicaments pour Bernard !

- Envoyez votre mari à l'hôpital ! décida le médecin.

Cette parole fit tressaillir Justine. A l'hôpital, mais avec quel argent ? C'était impossible !

- Monsieur, répondit-elle d'une voix ferme au médecin, je garderai mon mari. Dieu qui me le rend dans cet état me donnera bien la force de subvenir à nos besoins.

Bernard tendit à sa femme une main brûlante.

- Comme il vous plaira, dit le docteur en haussant les épaules, et il sortit après avoir posé un premier appareil.

Le médecin, ayant compris la situation de ce ménage, estima qu'il valait mieux les laisser à leur sort. Ils ne faisaient pas partie de sa clientèle, après tout ! Et bien vite, il étouffa le peu de remords qu'il pouvait avoir.

Ce petit appartement était bien triste, avec ce malade couché sur le divan, avec ces pauvres enfants aux visages redevenus tristes, avec cette femme dénuée de tout ! Et pourtant, dans le coeur de cette femme, il y avait de la paix ! Son Sauveur invisible mais toujours présent la fortifiait. «  Ne crains point, crois seulement ! », lui répétait-il. «  Appuie-toi sur ton Dieu, marche avec foi; quand les mères abandonneraient leurs enfants, moi je ne te délaisserai point.» Et Justine, agenouillée, pleurait, mais ses larmes étaient sans amertume, elle entrevoyait le bord des voies de Dieu, elle se rappelait que la douleur est un appel du Seigneur, elle pressentait qu'un jour viendrait peut-être où cette terrible soirée serait pour elle et pour Bernard le sujet d'éternelles actions de grâces.

Dès le matin, Justine appela Anne-Laure qui arriva aussi vite que possible. Elle apporta de la nourriture et contacta un frère en Christ qui était médecin à Hornu. Dès le lendemain, Daniel, le mari d'Anne-Laure, ayant pris congé, vint auprès du malade. Ses entretiens avec Bernard, les lectures de la Bible, les prières qu'il faisait auprès de lui, cette sympathie d'un homme qui connaît par expérience les affections de la famille, attiraient Bernard à l'Évangile en dissipant chez lui beaucoup de préjugés, tandis qu'ils fortifiaient Justine.

Fréquemment, le zèle de celle-ci l'entraînait trop loin, elle aurait voulu faire entrer la foi, comme de vive force, dans le coeur du malade, mais Anne-Laure modérait cette ardeur dans ce qu'elle avait d'outré, sachant qu'elle souffrait encore d'une telle erreur. Et Justine apprenait que, tout en travaillant sans relâche, il faut tout remettre au bon plaisir de l'Eternel, même l'accomplissement des désirs les plus chrétiens.

Bernard, surtout dans les premiers jours, se montrait parfois impatient. Il fallait à chaque instant quitter, pour le servir, un travail urgent. Il fallait endurer des reproches d'indifférence à l'instant même où, succombant sous la fatigue que lui causaient des nuits sans sommeil, des journées surchargées d'occupations, Justine pratiquait le plus absolu dévouement. Il lui semblait par moments que prières, méditations de la Parole de Dieu, affection, rien n'agissait sur son mari, et pourtant elle ne pouvait méconnaître les grâces de Dieu.

Justine souffrait de cruelles privations, il est vrai, mais ses enfants avaient-ils été privés de pain ? Les visites du médecin, les médicaments, les soins avaient-ils manqué à Bernard ?

Justine déplorait encore des chutes fréquentes. Cependant, avec l'aide du Seigneur, elle triomphait de ses plus mauvais mouvements. La bonne nouvelle du salut par grâce pénétrait plus avant dans son âme, elle commençait à jouir de toute la liberté des enfants de Dieu.

L'appartement était bien triste et sombre, mais lorsque Justine se répétait ces paroles de la Bible : « Dieu habitera son tabernacle avec les hommes, ils seront son peuple et Dieu sera lui-même leur Dieu, et il sera avec eux. Dieu essuiera toutes larmes de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni travail » (Apocalypse 21 :3-4), toutes les gloires de l'éternité resplendissaient dans son âme, et revêtaient de leur éclat ces murs désolés.

Sans doute, Bernard était encore loin de la vérité; tantôt accablé par les remords, il n'avait ni la force de chercher Dieu, ni celle de répondre à ses appels; tantôt léger, oublieux, rebelle, il échappait à sa conscience et éteignait le Saint Esprit.

Cependant, on ne pouvait méconnaître une sensible amélioration dans son âme. Il prenait souvent plaisir à lire la Bible lui-même, il s'associait aux prières qu'on prononçait près de son lit de douleurs, il se sentait plus heureux depuis qu'il avait échappé à l'influence de ses compagnons de vice. Enfin, un respect profond, une tendre reconnaissance pour Justine remplissaient son coeur.

Les journées passaient vite, et, qui le croirait, doucement pour le malade comme pour Justine.

Dès le matin, celle-ci faisait son ménage, envoyait les enfants à l'école. Elle se mettait à l'ouvrage, veillait aux soins que réclamait son mari, écoutait les lectures qu'il lui faisait. Puis les enfants rentraient, montraient tout joyeux les travaux qu'ils avaient faits. Bernard, qui s'était proposé, faisait les leçons avec ses enfants. Ils prenaient ensuite un repas modeste, et M. Jaquemin, dans ses bons moments, s'écriait en riant qu'il ne voulait pas guérir, qu'il n'était heureux et sage que sous la tutelle de sa femme.

Toutefois, la convalescence se terminait. Et lorsque le docteur fixa le jour où Bernard pourrait reprendre son travail, le regret, la crainte émurent le coeur des deux époux. Bernard avait peur de lui-même. Justine ne pouvait le voir partir de la maison sans un serrement de coeur. Au moment où, pour la première fois, elle avait goûté quelques-unes des joies de l'union chrétienne, elle frémissait à la pensée des pièges qui attendaient son mari, mais elle avait appris à connaître la fidélité du Seigneur, et, bien que troublée, elle lui abandonna, pleine de confiance, la souveraine direction de cette âme.


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L'aveu (Concerne Justine Jaquemin)
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