Parcours féminins
La fausse route
(Concerne
Zoé Giraud)
Retournons à Zoé. Pendant le temps
qui vient de s'écouler, elle avait fait
d'incroyables efforts pour triompher des
difficultés de sa position, pour sortir de
la mort spirituelle où elle était
plongée, pour exercer une influence nouvelle
et chrétienne (elle le croyait du moins) sur
les personnes dont elle était
entourée. A peine Anne-Laure l'avait-elle
quittée, que Zoé, en rentrant dans sa
cuisine, avait répété sa
promesse : « Oui ! Je lirai ma Bible, je
prierai !»
Malheureusement, ce n'était
pas avec un coeur pénétré du
sentiment de son impuissance, ce n'était pas
avec le regard fixé sur celui qui est le
chef et le consommateur de notre foi, que
Zoé avait renouvelé cet engagement.
Son orgueil, froissé mais non vaincu,
s'était emparé de cette bonne
pensée d'une
régénération absolue, et, sous
ce masque, il régnait plus despotiquement
que jamais.
Zoé avait pris la fausse
route de l'observation rigoureuse des dehors de la
loi, la fausse route du croyant sauvé par
les oeuvres, et elle n'y rencontrait que des
souffrances. Elle lisait
régulièrement sa Bible, mais elle n'y
venait pas chercher une vue plus claire de son
péché et de la gratuité du don
de Jésus. Non, elle pensait, en parcourant
un ou deux chapitres, faire un acte
méritoire, se mettre en quelque sorte en
règle avec Dieu. Elle passait rapidement sur
les versets qui parlent de l'impossibilité
à la chair de faire le bien. Elle voulait
marcher, agir seule ! Elle prétendait
soulever par sa propre force le fardeau de ses
péchés, et ce fardeau, qui retombait
de tout son poids, l'écrasait.
Zoé priait, mais il en allait
de la prière comme de la lecture de la
Bible. Le plus souvent elle disait, ainsi que le
pharisien : « 0 Dieu ! Je te rends
grâces de ce que je ne suis point comme le
reste des hommes » (Luc 18 :11). Si elle
demandait au Seigneur son secours, elle le
demandait comme on demande un service dont,
à la rigueur, on pourrait se passer. Elle ne
criait pas à lui comme on crie quand on se
sent périr. Puis, il arrivait
qu'accablée par l'inutilité de ses
efforts, elle murmure machinalement une vague
confession de ses fautes, et prenne des
résolutions plus solennelles, toujours
cherchant la force là où elle n'est
pas.
L'étude de la Bible toutefois
ne restait pas sans fruit pour Zoé. Sa
conscience obscurcie par sept années
d'indifférence, s'éclairait peu
à peu. Elle devenait plus critique envers
elle-même. Elle se surprenait constamment en
faute, mais cette connaissance de sa misère,
premier degré que l'âme ait à
franchir pour remonter de la mort à la vie,
cette connaissance de sa misère remplissait
la pauvre Zoé d'irritation contre
elle-même et contre les autres. Elle prenait
pour des vices nouveaux ce qui n'était que
la vieille corruption de son coeur mise à
découvert. Et plus elle avançait,
plus elle croyait reculer.
Des actes que depuis longtemps elle
accomplissait sans répugnance, maintenant la
révoltaient, parce qu'elle les comparait
à ce qu'ordonne la loi de Dieu. Ainsi,
lorsque son mari, en revenant du marché, se
vantait d'avoir refilé de la marchandise
pourrie à des clients qui n'avaient rien vu,
de ne pas avoir rendu toute la monnaie à un
étranger qui ne connaissait pas bien la
valeur des billets, lorsqu'il se frottait les mains
de sa ruse, au lieu de rester insouciante comme
auparavant, Zoé était
scandalisée. Mais il s'agissait encore
d'orgueil de sa part, car elle se plaçait
au-dessus de son mari. Elle n'était bien
sûr pas comme lui ! Elle lui adressait
de hautains reproches, et il lui répondait
par un mot ironique, puis s'en allait en
fredonnant.
Quand, au moment de payer la
marchandise chez le producteur, Robert Giraud
parvenait, à force de ruse et de
roublardise, à payer moins qu'il n'avait
pris, Zoé, indignée, mais toujours
sèche, fière, prononçait le
mot de vol, et s'attirait quelque sanglante
réprimande.
Il en allait de même pour la
profanation du dimanche, pour les jurements, pour
les lectures autres que la Bible, pour les discours
légers ou impies. C'était toujours le
blâme orgueilleux de la part de Zoé.
Et en retour, c'était toujours le
dédain moqueur de la part de son mari, qui
ne manquait d'ailleurs pas de relever le fait
qu'elle lisait toujours ses magazines en plus de la
Bible.
Robert ne perdait pas une occasion
de faire remarquer à sa femme que toute
bigote, toute sucrée qu'elle était,
elle péchait comme une autre. Sa raideur,
ses vanités frivoles, ses fréquentes
révoltes contre son autorité, tout
cela était habituellement rappelé
à Zoé devant les enfants, et
même les invités.
Zoé, qui souffrait dans son
amour-propre, souffrait aussi dans sa conscience.
Elle sentait vaguement qu'elle faisait plus de mal
que de bien; qu'en manquant au respect, à
l'affection conjugale, elle se
déconsidérait elle-même,
qu'elle déconsidérait sa religion aux
yeux de son époux, aux yeux de ses enfants,
aux yeux de ses connaissances.
Il faut le dire, cependant,
Zoé remplissait consciencieusement des
devoirs auparavant négligés parce
qu'ils étaient dédaignés. On
la voyait plus soigneuse pour mettre de l'ordre
dans sa maison, plus vertueuse dans ce qui tenait
aux détails extérieurs de la vie,
mais si elle cherchait à remplir
rigoureusement ses obligations dans ce qu'elles
avaient de strict, elle n'allait pas
au-delà. Il n'y avait dans ce qu'elle
faisait ni élan, ni amour, ni même les
franches allures du bon vouloir. On reconnaissait
les oeuvres de l'esclavage, non celles de la
liberté.
Quoiqu'il eût remarqué
cette amélioration, Robert s'en montrait peu
reconnaissant. Il sentait dans ce nouveau
comportement quelque chose de contraint qui lui
disait que l'affection n'inspirait aucun de ces
efforts, et il en profitait pour se dispenser du
devoir de la gratitude. D'ailleurs il pensait que
ces progrès si subits pourraient bien
n'être que l'effet d'un caprice. Il attendait
pour manifester quelque satisfaction, que le
caprice eût duré longtemps. Et puis,
après deux ou trois paroles amicales, deux
ou trois encouragements qu'il avait adressés
à Zoé, et qui n'avaient
provoqué chez elle qu'un surcroît de
froideur, il s'était tenu pour averti, et ne
donnait plus aucun signe d'approbation.
Zoé ne réussissait pas
mieux avec ses enfants. L'aîné ne
l'écoutait que d'une oreille. Elle avait
essayé de lire avec lui les livres
chrétiens adaptés à son
âge, mais le jeune garçon se braquait
et allait se plaindre à son père.
Ainsi, quand Robert apprenait que sa femme essayait
d'endoctriner ses fils, il s'irritait toujours, et
s'en prenait rudement à
Zoé.
Zoé avait tout aussi peu de
succès auprès de Jérôme.
Il se moquait, il est vrai, de tout, et de ses
parents. Son caractère montrait
déjà un esprit de révolte et
d'insoumission. Il riait des enseignements de sa
mère, qu'il trouvait d'une
austérité et d'un ennui
atroce.
C'était normal !
Zoé, en présentant sans cesse les
épines du péché au nom de la
religion, écartait chacun de la
vérité. Il lui manquait l'essentiel,
le Christ lui-même et son amour qui attire
à lui tous les pécheurs.
Hélas ! Elle ne connaissait
pas cette douceur qui vient après la
repentance. Elle n'avait pas saisi cette
vérité parfaite. Elle s'était
arrêtée au pied de ce mont Sinaï,
où éclate le tonnerre, où la
foudre de la loi s'abat sur toute iniquité,
au lieu de s'en aller au pied du mont Golgotha,
où resplendit la douce, l'éternelle
clarté du pardon, d'où descendent ces
mots merveilleux: « Tout est accompli
! »
Le joug du péché est
si lourd à porter, alors que celui du
Sauveur est si léger !
Lorsqu'elle regardait à ses
enfants, une douleur poignante saisissait son
âme. Elle souffrait de l'éloignement
de l'un, de la dureté de l'autre, de son
influence perdue sur tous les deux. Ils semblaient
bien mal embarqués, malgré leur jeune
âge, et cela la déprimait. Elle se
sentait responsable de ce fiasco, de cette pente
glissante qui annonçait de terribles
déceptions.
Lorsqu'elle regardait à son
mari, sa tristesse devenait accablante. Pas
d'affection pour lui, pas de complicité, pas
de confiance, pas de compréhension, pas de
soutien ! Que n'aurait-elle pas donné pour
avoir un époux compatissant ! Oh !
Pas un homme parfait, mais au moins un tendre mari,
qui l'écouterait lorsque son pauvre coeur
demanderait à s'ouvrir, un homme droit qui
chercherait avec elle la
vérité.
Mais elle n'avait qu'à s'en
prendre à elle-même. Ne l'avait-elle
pas choisi pour son argent ? Ne se
mordait-elle pas maintenant les doigts pour
s'être ainsi trompée et
perdue ?
Si elle regrettait de ne pas pouvoir
lire la Bible avec Robert, ni de pouvoir prier avec
lui, elle n'arrivait pas à accepter que
c'était pleinement de sa faute.
C'était pourtant bien elle qui avait
rejeté l'enseignement reçu chez
Anne-Laure, et qui avait
préféré n'en faire qu'à
sa tête !
Zoé, profondément
découragée, se rappela la demande que
justement Anne-Laure lui avait faite:
« Viens me voir. » Elle
s'étonna de ne pas lui avoir rendu visite
plus vite. Comment avait-elle pu attendre si
longtemps, occupée à
s'améliorer par ses propres efforts ?
Elle se sentait confuse d'avoir laissé
passer tant de temps.
Elle alla donc dès ce jour
chez Anne-Laure, et elle lui dépeignit avec
franchise l'état d'âme que nous venons
de décrire.
- Ma chère Zoé,
répondit Anne-Laure, tu ne veux donc pas
aller à Christ pour avoir la vie ! Tu
persistes donc à chercher des fruits sur un
arbre qui n'a pas de racines ! Tu refuses de croire
que Jésus t'a rachetée, qu'il a
payé à ta place le prix de ton salut.
Tu es encore dans tes péchés, et tu
prétends produire les oeuvres de l'amour, de
la paix, de la conversion !
Oh ! Zoé, ne fais pas
Dieu menteur. Crois-le quand Il nous dit qu'un
homme ne peut sauver son âme, que toutes les
pensées de notre coeur ne sont que mal en
tout temps. Oui ! Crois-le encore lorsqu'il
nous dit qu'Il est venu non pour les justes mais
pour les injustes, que dès à
présent ceux qui ont la foi sont
sauvés, qu'ils seront
sanctifiés.
Zoé, quand d'un coeur humble
tu auras dit « Amen ! »
à ces paroles de Dieu, quand tu auras
reçu la grâce comme un mendiant
reçoit le don que laisse tomber le riche
dans sa main, avec la même simplicité,
avec la même confiance, sans t'imaginer que
le Seigneur te trompe en te donnant un faux salut,
alors tu te réjouiras d'une parfaite joie.
Tu ne t'irriteras plus, tu ne t'enfleras plus
d'orgueil sous prétexte de
fidélité à l'Évangile,
tu trouveras en Christ la force de combattre tes
péchés, tu seras patiente, tu seras
soumise, tu attireras les autres à Christ.
Et tu feras tout cela parce que tu te sentiras
aimée, parce que tu
aimeras !
Si au lieu d'être sèche
avec ton mari, tu lui témoignais une
réelle affection, si au lieu de rester
froide à ce qui le touche, tu prenais un
véritable intérêt à ses
affaires, si au lieu de le blâmer en public,
tu lui adressais en secret quelques remarques
modérées, pleines de douceur, comme
il convient à une femme chrétienne,
Robert resterait-il aussi moqueur ? Continuerait-il
à te traiter avec une sorte de mépris
?
Il pourra bien par contenance, par
une fierté mal placée, conserver
quelque temps la même façon d'agir,
mais dans le fond, je te l'affirme, Zoé, il
sera frappé à salut d'un tel
changement.
Que doit-il penser au contraire de
convictions qui laissent des défauts, qui en
ajoutent même d'autres ? Jusqu'à
présent, tu lui présentais un triste
visage de la foi, un masque qui n'a que le nom de
la foi ! Au nom de l'évangile, tu
l'assommais de critiques, de dédain, de
froideur !
Que la vraie foi te rende humble,
qu'elle répande sur ton visage le doux
éclat de la sérénité
chrétienne, sur tes lèvres le sourire
bienveillant de la charité. Que, dans tes
paroles, la fidélité sincère
soit celle d'un véritable enfant de Dieu.
Puisse Dieu te remplir le coeur d'une tendresse
désintéressée pour ton mari.
Et sois-en certaine, Zoé, cette foi
transportera les montagnes. Mais pour cela il faut
appartenir à Christ, et on ne lui appartient
que lorsqu'on se laisse racheter par
Lui.
Ne parle plus à Robert du
haut de ta propre justice ! Cette justice
n'existe pas plus chez toi que chez lui, que chez
moi. Mets-toi plutôt en face de tes fautes
habituelles et ne t'adresse à lui pour lui
faire une observation que lorsque tu seras bien
convaincue que tu ne vaux pas mieux que
lui.
Ce n'est pas tout, Zoé !
Aie à coeur le succès du conseil que
tu donnes, de l'effort que tu fais. Ne te contente
pas de servir la vérité par acquit de
conscience. Choisis pour la présenter le
moment favorable, dispose les coeurs à
l'entendre, rends-la attrayante, ou du moins ne la
rends pas repoussante. Ne prends plus jamais des
airs froids ou revêches, qui effraient un
mari, et qui, par conséquent, le
fâchent.
Allez ! Tant que j'y suis ! ce
que tu ne supportes pas chez toi, supporte-le chez
Robert. Ferme les yeux sur ses défauts, sans
pour autant être complice du
péché ! « Sois comme
la charité qui ne soupçonne point le
mal. » Se moque-t-il de toi ?
Résigne-toi de bonne grâce à
ses plaisanteries, si elles n'outragent pas Dieu.
T'offense-t-il par un mot injurieux ?
Considère si le coup a déchiré
ton orgueil ou ton coeur. T'impose-t-il des
tâches qui te répugnent ? Cherche en
Dieu la force de les accomplir gaîment, tant
qu'elles ne sont pas malhonnêtes. Oppose-t-il
un refus à de justes demandes ? Renonces-y
pour l'amour du Seigneur, car il a renoncé
à lui-même pour l'amour de
toi.
Robert ne te comprend pas, Robert te
fait souffrir !... Mais toi-même, Zoé,
tu ne le comprends pas, pas plus que tu ne te
comprends toi-même, d'ailleurs !
Commence donc à travailler en toi-même
avant de vouloir travailler sur les
autres.
Oh Zoé ! Aime le
Seigneur ! A cause de lui, aime ton mari, et
tu en seras bénie.
Ton mari est avare ! Abandonne
cet amour des vêtements et des bijoux qui
convient mal à une femme chrétienne.
Et surtout ne dérobe plus pour assouvir
cette envie ! Prends soin de ton
ménage. Agis en sorte qu'il voie, qu'il
sente que quelque chose de nouveau s'est
passé en toi, qu'il soit
entraîné à rechercher
d'où vient ce changement, que ta foi lui
prouve sa vérité par ses
oeuvres.
Je voudrais, sans te rebuter,
t'encourager à être une épouse
pieuse plutôt qu'à t'efforcer à
le paraître. Ainsi, si Robert n'ouvre pas la
Bible, il la lira en toi. Tu lui seras alors comme
une lettre ouverte de la part de Dieu.
Ton devoir est d'éclairer,
par ta conduite, l'âme de ton mari et de tes
deux fils. Mais cette lumière ne peut
briller que si elle vient de Dieu, que s'il l'a
déposée dans ton coeur.
Pour moi, je ne connais pas de
puissance qui ait le droit de t'empêcher de
briller dans ton foyer !
Que ta mission est grande et belle,
Zoé ! Amener un époux, amener des
enfants à la vie éternelle
!
Zoé, ton influence n'existe
pas encore. Tu n'es qu'au début, c'est
pourquoi tu dois prouver tes paroles par une vraie
vie en Christ. Tu dois montrer clairement la
transformation de ta conduite de l'efficace du
christianisme évangélique, mais cela
n'est possible que si tu es toi-même
complètement transformée, pas en
surface, en profondeur, jusqu'au plus profond de
ton être.
Ne tournons plus autour du
pot ! Cours vers le Sauveur, touche sa robe
comme la femme malade depuis douze années,
importune-le comme la Syro-phénicienne,
pleure sur tes péchés comme la
pécheresse, assieds-toi à ses pieds
ainsi que faisait Marie, écoute-le quand il
te dit : « Je suis le chemin, la
vérité et la vie: nul ne vient au
Père que par moi. » Sache,
Zoé, sache que Celui qui t'a donné
son Fils te donnera toutes choses avec Lui. Toutes
choses ! Par conséquent la bonne
volonté, par conséquent l'affection,
par conséquent le succès et la joie
!
Maintenant, je dois te laisser.
Prends courage, viens à Jésus. Il ne
repousse personne, pas même celle qui s'est
éloignée après avoir
été enseignée. Tiens, voici
une brochure sur le chemin du salut, je crois
qu'elle te sera utile.
Zoé reprit le chemin de sa
maison en repassant tout ce qu'Anne-Laure venait de
lui dire. Une phrase s'était tout d'abord
enfoncée dans son coeur :
« Tu ne veux pas aller à Christ
pour avoir la vie ! » (Jean
5 :40).
Elle sentit qu'elle n'avait rien
compris jusqu'alors à
l'évangile.
Arrivée chez elle, elle
parcourut la brochure qui éclaira pour elle
bien des obscurités. Cependant, elle
s'attacha surtout à la Bible, à ces
pages qu'elle avait tant de fois lues sans les
recevoir dans son coeur. Combien elle
s'était enfoncée dans l'illusion de
venir à Dieu par sa propre justice, par ses
oeuvres ! Que de souffrances elle se serait
épargnée si elle avait reconnu son
incapacité à se sauver
elle-même, à plaire à Dieu par
ses mérites ! Elle était
passée à côté du salut
par la foi, le seul vrai salut offert par Dieu.
Dès lors, il y avait maintenant la
nécessité d'une conversion, d'une
nouvelle naissance par la puissance du Saint
Esprit. La loi et son esclavage l'avaient
amenée au constat de son
impossibilité de se racheter par ses
efforts. Cette loi se dressait devant elle comme
une muraille infranchissable. Elle comprenait enfin
qu'elle ne devait pas la surmonter, mais que cette
loi l'amenait en pédagogue à la
grâce.
Si cette route nouvelle qui
s'ouvrait devant Zoé était la bonne
route.... nous le laissons à deviner au
lecteur.
L'aveu
(Concerne
Justine Jaquemin)
Durant toute la soirée Justine avait
attendu son mari. La nuit s'était
écoulée sans que Bernard ne soit
rentré. De bon matin, Justine mit son
ménage en ordre, envoya ses enfants à
l'école, puis, tremblant à la
pensée de l'aveu qu'elle avait à
faire, elle se reprit à lire et à
prier, car elle avait besoin de force.
- Cette confidence n'est-elle pas
inutile? murmurait le tentateur 32. Ne peux-tu pas
rompre avec le mal sans raconter ta faute à
Bernard ? insistait-il.
- Si tu bâtis sur le sable du
mensonge, disait à son tour sa conscience,
ton foyer s'écroulera. Ne te séduis
pas toi-même, tu ne peux cacher quelque chose
à ton mari sans être obligée
pour garder ton secret d'entasser détours
sur détours. Tu commences une nouvelle vie,
jette derrière toi le vieux levain du
péché.
- Avoue donc, reprenait avec plus de
force le tentateur, avoue, et Bernard te
méprisera. Il te croira plus coupable que tu
ne l'es, il se mettra en colère, il te
chassera peut-être.... ou bien il se rira de
toi, de tes scrupules, et au lieu de l'appui que tu
en attends, tu ne trouveras chez lui que moquerie
et dégradation.
- Laisse à Dieu l'issue de
cette affaire, répondait la conscience. Ne
te préoccupe que d'une chose, de
l'accomplissement de ton devoir. Ton mari te
méprisera ! Eh bien ! Cette humiliation
que tu mérites ne restera sans
bénédiction, ni pour ton âme ni
pour la sienne. Au travers de son emportement,
Bernard sentira que cet aveu est dicté par
un sentiment dont il ne se rendra pas compte
peut-être, qu'il ne comprendra pas, mais qui
tôt ou tard le fera réfléchir
à salut. Ici comme partout la
vérité produira ses
fruits.
- Tu n'as pas la force de faire une
telle confession, s'écriait le tentateur. Tu
ne peux affronter cette honte. Attends. Oui !
Attends encore un peu.
- Tu obéiras au Seigneur,
répliquait avec énergie sa
conscience, et le Seigneur ne t'abandonnera pas. Tu
parleras simplement, sobrement, comme en sa
présence. Tu seras honteuse, c'est vrai. Tu
auras aussi de l'angoisse, mais le Seigneur fera
descendre sur toi la fortifiante rosée du
Saint Esprit et tu seras consolée. Ecoute la
Parole de ton Dieu : « Quoi qu'il en soit, mon
âme se repose en l'Eternel; c'est de Lui que
vient ma délivrance. Quoi qu'il en soit, il
est mon rocher et ma délivrance, ma haute
retraite; je ne serai pas entièrement
ébranlé » (Psaume
62 :2).
En ce moment la clef tourna dans la
serrure. Bernard entra brusquement. Il avait
passé le jour précédent et la
nuit dans la débauche, il éprouvait
ce malaise, ce dégoût
qu'amènent les désordres. Il
s'attendait à une scène de la part de
sa femme ; en montant l'escalier, il
s'était préparé à
porter la guerre dans le camp ennemi.
- Qu'est-ce que tu fais là ?
dit-il à Justine courbée sur sa
Bible.
Puis, se dirigeant vers le
frigidaire, il continua :
- Il n'y a rien à manger dans
cette maison ! Et les enfants, que
font-ils?
Justine se leva les yeux humides, le
coeur gonflé, posa sur la table un morceau
de pain, un peu de beurre et la pot de confiture,
et répondit doucement :
- Les enfants sont à
l'école.
- Eh bien, eh bien ! Qu'est-ce que
tu as donc ? demanda Bernard, qui, remarquant les
yeux rougis de Justine, se défendait contre
un mouvement de pitié et de remords. Est-ce
que tu vas pleurer? Je t'avertis, cela ne prendra
pas ! Colère, reproches, pleurnicheries de
femme, je m'en soucie comme de ça
!
Et il fit un geste de
dédain.
- Bernard, reprit après un
instant de silence Justine, dont la voix tremblait,
je pleure parce que je me sens coupable envers Dieu
et envers toi.
Bernard regarda fixement sa femme,
comme s'il n'avait pas bien entendu.
- Depuis longtemps je marche dans un
mauvais chemin. Je ne suis ni pour toi ni pour mes
enfants ce que je devrais être.... En outre,
Bernard, (et ici la voix de Justine devint plus
faible et plus tremblante), j'ai une grave faute
à te confesser ! Je me suis laissée
entraîner à écouter un homme
qui s'efforçait de me séduire. Je
l'ai embrassée plusieurs fois, mais sans la
grâce de Dieu j'aurais succombé
complètement !
Bernard se leva brusquement !
Un tel aveu, ce repentir, cette humilité,
tout cela lui paraissait un rêve ! Justine
était-elle plus coupable qu'elle ne le
disait ? N'avait-elle pas été
plus loin qu'elle ne l'avouait? Etait-ce la
première fois qu'elle avait eu une
aventure de ce genre ? Ces questions se
pressaient dans sa tête et en chassaient les
dernières traces du désordre de la
nuit.
- Justine, voyons, ceci est
sérieux, dit-il toujours brusque, mais sans
violence. M'as-tu trompé ?
- Non, murmura Justine, mon
âme seule s'est égarée, bien
que mes lèvres et mon esprit ont
goûté au
péché.
- Alors, pourquoi viens-tu me parler
de cela ? Tu t'es laissée
séduire... cela ne t'arrivera plus,
voilà tout ! Tu fais des erreurs
quelquefois, moi aussi. D'ailleurs moi.... moi....
je ne suis pas blanc comme neige non plus. Bah ! Ne
parlons plus de cela ! Tournons la page,
répondit Bernard bien embêté de
cette confession qui lui plaçait ses propres
égarements devant sa conscience.
- J'ai beaucoup souffert pour
t'avouer ma faute, reprit Justine sérieuse
et humble, mais si je te l'avais cachée,
Bernard, j'aurais menti.... et je veux être
vraie. D'ailleurs j'ai besoin de toi pour revenir
au bien.
Cette parole secoua la conscience,
déjà quelque peu
ébranlée, de Bernard. Il se
détourna pour ne pas laisser voir son
trouble.
- A quoi puis-je te servir, moi ?
reprit-il d'un ton bourru.
- Ah ! Si tu voulais, Bernard
!
Quelques minutes
s'écoulèrent.
- Je connais l'homme qui t'a
embobiné ! s'écria tout à coup
Bernard, qui s'efforçait d'échapper
à son émotion. C'est Patrick
Leblanc ! C'est ça, c'est bien
lui ! Je vais lui apprendre à ne plus
tourner autour de ma femme.
Et il releva ses manches d'un air
significatif.
- Bernard, dit Justine avec calme,
ne me livre pas à la risée de cet
homme et de ses compagnons. Rompons toutes
relations avec lui, mais tenons cela secret, notre
honneur en dépend.
- Oui, tu as raison, reprit Bernard,
qui avait en fait peur de cet homme.
- Tu me pardonnes? reprit
sérieusement Justine. Tu m'aideras à
devenir une meilleure épouse, une meilleure
mère ? Tu me permettras de servir le
Seigneur ?
Bernard aurait voulu se mettre en
colère, mais il savait qu'il était
lui-même en faute. Sa culpabilité non
avouée ne lui permettait pas d'insister sur
ses droits de mari. Bien maladroitement, et tout
secoué de cette confession inattendue, il
prit sa femme entre ses bras.
Justine voulut alors commencer
à expliquer à son mari ce qui
s'était passé en elle, comment Dieu
l'avait mise devant son péché, de
quelle manière il l'avait relevée du
bas état dans lequel elle se vautrait, mais
Bernard ne lui en laissa pas le temps.
Bernard avait, en fait, bien trop
peur que la discussion ne vienne sur ses
péchés. Il fallait qu'il trouve un
prétexte pour ne pas se laisser
entraîner sur le terrain de la confession. Il
craignait plus que tout de devoir à son tour
parler de ses égarements et manquements. Il
se souvint alors d'un certain travail à
finir au plus vite, et quitta l'appartement aussi
rapidement que possible.
Justine, lorsqu'il fut parti, se
jeta à genoux pour remercier le Seigneur.
Son coeur était déchargé d'un
poids immense. Après tant de mois
passés dans les tourments d'une mauvaise
conscience, et pas seulement pour cette triste
affaire, elle respirait avec délices cet air
de liberté, de vérité qui
circulait autour d'elle. Plus de tromperies, plus
de précautions pour cacher son
péché, plus d'agitations de
l'entraînement au mal ! La
sérénité revenait avec la
grâce de Christ, et cette joie intime que
produit tout sacrifice offert à Jésus
inondait son coeur.
Justine, il est vrai,
prévoyait de rudes combats. Elle
était par moments comme
écrasée par ses fautes. Et le
tentateur ne manquerait pas de rôder autour
d'elle pour lui rappeler de mauvais souvenirs.
Cependant, elle avait l'assurance que le Seigneur
serait avec elle, que sa divine main la
soutiendrait et la garderait de tout mal. Elle
était résolue à marcher d'un
coeur droit, et ce coeur, elle le demandait
à Dieu qui ne refuse jamais.
Sachant que les paroles agissaient
peu sur Bernard, Justine résolut de lui
parler par sa conduite. Elle chercha un travail, en
trouva non sans peine et s'y appliqua avec
diligence. Son appartement fut nettoyé
chaque jour, et les enfants suivirent
l'école avec régularité.
Pendant quelques temps Bernard, encore sous l'effet
de cette confession, apporta tout l'argent qu'il
gagnait. Justine ne le dépensa qu'avec la
plus stricte économie, mais bientôt,
hélas ! son mari, fatigué de sagesse,
recommença le même train de vie, avec
cette différence toutefois qu'il se sentait
moins à l'aise, que l'étourdissement
habituel n'était plus complet, et qu'au
milieu même de la dissipation, des
pensées sérieuses lui arrivaient tout
à coup et se cramponnaient à son
âme pour ne la plus quitter.
Justine ne lui adressait pas de
reproches et c'est ce qui le dérangeait
encore plus ! Si elle avait râlé,
il se serait emporté. Ils auraient
été quittes, du moins c'est ce qu'il
le croyait. Mais cette tristesse douce, ce silence,
voilà qui tenait son coeur inquiet et
troublé.
Aussi tard qu'il rentrait le soir,
il trouvait Justine à l'ouvrage. Parfois
elle lisait dans sa Bible, et elle lui demandait
alors s'il voulait écouter quelques lignes.
Lorsqu'il répondait un
« non » brusque, elle se
taisait. S'il consentait, elle commençait
avec un sourire de bonheur et choisissait des
passages tantôt si tendres, tantôt si
énergiques, que le lendemain et les jours
d'après, ces paroles poursuivaient Bernard,
le reprenaient, le séparaient de ses
compagnons de débauche, le ramenaient
à la maison, le dominaient avec plus
d'autorité qu'un roi.
Les enfants de Justine auparavant
désobéissants, batailleurs,
ignorants, malpropres, avaient eux aussi subi un
commencement de transformation. Ils revenaient de
l'école l'air heureux, sachant par coeur
quelques beaux cantiques, lisant avec
facilité de petites histoires touchantes et
instructives que leur prêtait Anne-Laure.
Leur père trouvait chez eux plus de respect,
et quand une impertinence leur échappait,
quand le péché reprenait le dessus,
la douceur ferme de leur mère en triomphait
presque toujours.
Les dettes étaient encore
présentes dans le ménage. Cependant,
au moyen de beaucoup de privations et de beaucoup
de travail, Justine était parvenue à
rembourser un peu de ce que son mari devait, et
grâce à son activité, à
son économie, aux bontés
d'Anne-Laure, la nourriture n'avait jamais
manqué, et le solde des factures
d'électricité et de gaz était
apuré.
Il ne faut pas s'imaginer, pourtant,
que Justine devint tout d'un coup parfaite. Non, si
au lieu d'éclater en reproches contre
Bernard, elle parvenait maintenant le plupart du
temps à lui présenter un visage
calme, il y avait des moments où la
tentation, revenant plus forte, trouvait son coeur
bien faible. Lorsqu'après avoir
touché son salaire, son mari rentrait la
bourse vide, exigeant, colérique, le premier
mouvement de Justine la portait à le
recevoir avec des paroles piquantes, et ce premier
mouvement n'était pas toujours
réprimé.
Justine avait rompu avec ses
anciennes habitudes de frivolité, demandant
l'énergie à Dieu. Elle avait
renoncé à ses mauvaises
amitiés qu'elle entretenait. Elle passait
moins de temps devant la télévision.
Elle se levait plus tôt pour préparer
le déjeuner et les cartables des enfants. En
soirée, quand les enfants étaient
couchés, elle lisait sa Bible dans le calme.
Là-dessus, Bernard la laissait libre, bien
que tous ces changements lui pesaient un peu. Il se
sentait d'autant plus coupable !
Désirant se faire un peu
pardonner, Bernard invita un soir Justine à
sortir tous les deux en amoureux. Une séance
de cinéma à deux, il savait bien que
son épouse ne refuserait pas cela ! Et
pourtant, elle déclina gentiment
l'invitation, car elle comprenait le danger de ce
plaisir qui lui avait déjà tant fait
tourner la tête.
Cela ne fut pas facile pour Justine
! Elle avait déjà eu de grandes
luttes à soutenir, d'abord contre
elle-même. Mais devant cette offre, toutes
ses passions s'étaient
réveillées ! C'était
comme une armée de bonnes raisons qui la
poussait à accepter. Après tout, il
ne fallait pas être austère à
l'excès, il ne fallait pas froisser
inutilement son mari, il valait mieux partager avec
lui le danger que de l'y exposer.
Et puis Bernard s'était
indigné, il était blessé de ce
refus qu'il ne comprenait pas. Elle aussi
s'était irritée et froissée.
Elle avait défendu la vérité
par l'orgueil. Elle avait triomphé par de
mauvaises armes, et Bernard était parti
exaspéré.
On comprend quels remords
assiégeaient Justine après de telles
chutes, non pas que son choix fût mauvais,
mais elle l'avait défendu avec tant de
maladresse, et surtout à contrecoeur. Elle
s'agenouilla devant le Seigneur. Elle demanda
pardon à Bernard, à son retour, et il
ne put se défendre d'un certain
attendrissement. Son énervement disparut
devant cette nouvelle Justine qu'il reconnaissait
à peine.
Les rapports de ses enfants avec
leur papa étaient aussi un sujet de souci
pour Justine. Longtemps elle s'était
demandée si le silence absolu qu'elle
gardait sur les écarts de Bernard, si la
solidarité dont elle faisait preuve envers
lui ne fausseraient pas les idées qu'ils se
faisaient du bien et du mal. Lorsqu'il les
caressait au moment où elle venait de les
châtier, lorsque devant eux il tenait des
propos légers, lorsqu'il leur permettait un
plaisir défendu, elle se devait de
réagir, de blâmer avec tact, de
contredire avec douceur, de faire comprendre
à ses enfants la juste voie.
La lecture de la Bible et la
prière lui avaient appris que bien qu'elle
ne doive pas faire la guerre à son mari,
elle ne pouvait pas cautionner le mal, surtout
quand il s'agissait de l'éducation de leurs
enfants. C'était un équilibre
difficile ! Il fallait d'un côté
montrer l'exemple d'une bonne épouse, et de
l'autre l'exemple d'une bonne mère. Chaque
jour, Justine dut apprendre, non sans mal, à
marcher dans cet équilibre.
Bientôt l'expérience
lui montra que son exemple était la plus
éloquente des leçons, que son silence
et son regard suffisaient pour mettre les enfants
en garde contre certaines séductions, et que
sa soumission envers leur papa, loin d'affaiblir
son autorité maternelle, la relevait au
contraire.
Nous le répétons, ces
progrès s'accomplissaient à travers
beaucoup de faiblesses, et, s'ils étaient
frappants pour Anne-Laure, qui ne voyait que de
loin en loin le pauvre ménage, ils
étaient presque insensibles pour Justine,
qui cheminait péniblement au milieu des
difficultés que lui amenait chaque
journée.
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