Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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Parcours féminins



La fausse route
(Concerne Zoé Giraud)

 

Retournons à Zoé. Pendant le temps qui vient de s'écouler, elle avait fait d'incroyables efforts pour triompher des difficultés de sa position, pour sortir de la mort spirituelle où elle était plongée, pour exercer une influence nouvelle et chrétienne (elle le croyait du moins) sur les personnes dont elle était entourée. A peine Anne-Laure l'avait-elle quittée, que Zoé, en rentrant dans sa cuisine, avait répété sa promesse : « Oui ! Je lirai ma Bible, je prierai !»

Malheureusement, ce n'était pas avec un coeur pénétré du sentiment de son impuissance, ce n'était pas avec le regard fixé sur celui qui est le chef et le consommateur de notre foi, que Zoé avait renouvelé cet engagement. Son orgueil, froissé mais non vaincu, s'était emparé de cette bonne pensée d'une régénération absolue, et, sous ce masque, il régnait plus despotiquement que jamais.

Zoé avait pris la fausse route de l'observation rigoureuse des dehors de la loi, la fausse route du croyant sauvé par les oeuvres, et elle n'y rencontrait que des souffrances. Elle lisait régulièrement sa Bible, mais elle n'y venait pas chercher une vue plus claire de son péché et de la gratuité du don de Jésus. Non, elle pensait, en parcourant un ou deux chapitres, faire un acte méritoire, se mettre en quelque sorte en règle avec Dieu. Elle passait rapidement sur les versets qui parlent de l'impossibilité à la chair de faire le bien. Elle voulait marcher, agir seule ! Elle prétendait soulever par sa propre force le fardeau de ses péchés, et ce fardeau, qui retombait de tout son poids, l'écrasait.

Zoé priait, mais il en allait de la prière comme de la lecture de la Bible. Le plus souvent elle disait, ainsi que le pharisien : « 0 Dieu ! Je te rends grâces de ce que je ne suis point comme le reste des hommes » (Luc 18 :11). Si elle demandait au Seigneur son secours, elle le demandait comme on demande un service dont, à la rigueur, on pourrait se passer. Elle ne criait pas à lui comme on crie quand on se sent périr. Puis, il arrivait qu'accablée par l'inutilité de ses efforts, elle murmure machinalement une vague confession de ses fautes, et prenne des résolutions plus solennelles, toujours cherchant la force là où elle n'est pas.

L'étude de la Bible toutefois ne restait pas sans fruit pour Zoé. Sa conscience obscurcie par sept années d'indifférence, s'éclairait peu à peu. Elle devenait plus critique envers elle-même. Elle se surprenait constamment en faute, mais cette connaissance de sa misère, premier degré que l'âme ait à franchir pour remonter de la mort à la vie, cette connaissance de sa misère remplissait la pauvre Zoé d'irritation contre elle-même et contre les autres. Elle prenait pour des vices nouveaux ce qui n'était que la vieille corruption de son coeur mise à découvert. Et plus elle avançait, plus elle croyait reculer.

Des actes que depuis longtemps elle accomplissait sans répugnance, maintenant la révoltaient, parce qu'elle les comparait à ce qu'ordonne la loi de Dieu. Ainsi, lorsque son mari, en revenant du marché, se vantait d'avoir refilé de la marchandise pourrie à des clients qui n'avaient rien vu, de ne pas avoir rendu toute la monnaie à un étranger qui ne connaissait pas bien la valeur des billets, lorsqu'il se frottait les mains de sa ruse, au lieu de rester insouciante comme auparavant, Zoé était scandalisée. Mais il s'agissait encore d'orgueil de sa part, car elle se plaçait au-dessus de son mari. Elle n'était bien sûr pas comme lui ! Elle lui adressait de hautains reproches, et il lui répondait par un mot ironique, puis s'en allait en fredonnant.

Quand, au moment de payer la marchandise chez le producteur, Robert Giraud parvenait, à force de ruse et de roublardise, à payer moins qu'il n'avait pris, Zoé, indignée, mais toujours sèche, fière, prononçait le mot de vol, et s'attirait quelque sanglante réprimande.

Il en allait de même pour la profanation du dimanche, pour les jurements, pour les lectures autres que la Bible, pour les discours légers ou impies. C'était toujours le blâme orgueilleux de la part de Zoé. Et en retour, c'était toujours le dédain moqueur de la part de son mari, qui ne manquait d'ailleurs pas de relever le fait qu'elle lisait toujours ses magazines en plus de la Bible.

Robert ne perdait pas une occasion de faire remarquer à sa femme que toute bigote, toute sucrée qu'elle était, elle péchait comme une autre. Sa raideur, ses vanités frivoles, ses fréquentes révoltes contre son autorité, tout cela était habituellement rappelé à Zoé devant les enfants, et même les invités.

Zoé, qui souffrait dans son amour-propre, souffrait aussi dans sa conscience. Elle sentait vaguement qu'elle faisait plus de mal que de bien; qu'en manquant au respect, à l'affection conjugale, elle se déconsidérait elle-même, qu'elle déconsidérait sa religion aux yeux de son époux, aux yeux de ses enfants, aux yeux de ses connaissances.

Il faut le dire, cependant, Zoé remplissait consciencieusement des devoirs auparavant négligés parce qu'ils étaient dédaignés. On la voyait plus soigneuse pour mettre de l'ordre dans sa maison, plus vertueuse dans ce qui tenait aux détails extérieurs de la vie, mais si elle cherchait à remplir rigoureusement ses obligations dans ce qu'elles avaient de strict, elle n'allait pas au-delà. Il n'y avait dans ce qu'elle faisait ni élan, ni amour, ni même les franches allures du bon vouloir. On reconnaissait les oeuvres de l'esclavage, non celles de la liberté.

Quoiqu'il eût remarqué cette amélioration, Robert s'en montrait peu reconnaissant. Il sentait dans ce nouveau comportement quelque chose de contraint qui lui disait que l'affection n'inspirait aucun de ces efforts, et il en profitait pour se dispenser du devoir de la gratitude. D'ailleurs il pensait que ces progrès si subits pourraient bien n'être que l'effet d'un caprice. Il attendait pour manifester quelque satisfaction, que le caprice eût duré longtemps. Et puis, après deux ou trois paroles amicales, deux ou trois encouragements qu'il avait adressés à Zoé, et qui n'avaient provoqué chez elle qu'un surcroît de froideur, il s'était tenu pour averti, et ne donnait plus aucun signe d'approbation.

Zoé ne réussissait pas mieux avec ses enfants. L'aîné ne l'écoutait que d'une oreille. Elle avait essayé de lire avec lui les livres chrétiens adaptés à son âge, mais le jeune garçon se braquait et allait se plaindre à son père. Ainsi, quand Robert apprenait que sa femme essayait d'endoctriner ses fils, il s'irritait toujours, et s'en prenait rudement à Zoé.

Zoé avait tout aussi peu de succès auprès de Jérôme. Il se moquait, il est vrai, de tout, et de ses parents. Son caractère montrait déjà un esprit de révolte et d'insoumission. Il riait des enseignements de sa mère, qu'il trouvait d'une austérité et d'un ennui atroce.

C'était normal ! Zoé, en présentant sans cesse les épines du péché au nom de la religion, écartait chacun de la vérité. Il lui manquait l'essentiel, le Christ lui-même et son amour qui attire à lui tous les pécheurs.

Hélas ! Elle ne connaissait pas cette douceur qui vient après la repentance. Elle n'avait pas saisi cette vérité parfaite. Elle s'était arrêtée au pied de ce mont Sinaï, où éclate le tonnerre, où la foudre de la loi s'abat sur toute iniquité, au lieu de s'en aller au pied du mont Golgotha, où resplendit la douce, l'éternelle clarté du pardon, d'où descendent ces mots merveilleux: « Tout est accompli ! »

Le joug du péché est si lourd à porter, alors que celui du Sauveur est si léger !

Lorsqu'elle regardait à ses enfants, une douleur poignante saisissait son âme. Elle souffrait de l'éloignement de l'un, de la dureté de l'autre, de son influence perdue sur tous les deux. Ils semblaient bien mal embarqués, malgré leur jeune âge, et cela la déprimait. Elle se sentait responsable de ce fiasco, de cette pente glissante qui annonçait de terribles déceptions.

Lorsqu'elle regardait à son mari, sa tristesse devenait accablante. Pas d'affection pour lui, pas de complicité, pas de confiance, pas de compréhension, pas de soutien ! Que n'aurait-elle pas donné pour avoir un époux compatissant ! Oh ! Pas un homme parfait, mais au moins un tendre mari, qui l'écouterait lorsque son pauvre coeur demanderait à s'ouvrir, un homme droit qui chercherait avec elle la vérité.

Mais elle n'avait qu'à s'en prendre à elle-même. Ne l'avait-elle pas choisi pour son argent ? Ne se mordait-elle pas maintenant les doigts pour s'être ainsi trompée et perdue ?

Si elle regrettait de ne pas pouvoir lire la Bible avec Robert, ni de pouvoir prier avec lui, elle n'arrivait pas à accepter que c'était pleinement de sa faute. C'était pourtant bien elle qui avait rejeté l'enseignement reçu chez Anne-Laure, et qui avait préféré n'en faire qu'à sa tête !

Zoé, profondément découragée, se rappela la demande que justement Anne-Laure lui avait faite: « Viens me voir. » Elle s'étonna de ne pas lui avoir rendu visite plus vite. Comment avait-elle pu attendre si longtemps, occupée à s'améliorer par ses propres efforts ? Elle se sentait confuse d'avoir laissé passer tant de temps.

Elle alla donc dès ce jour chez Anne-Laure, et elle lui dépeignit avec franchise l'état d'âme que nous venons de décrire.

- Ma chère Zoé, répondit Anne-Laure, tu ne veux donc pas aller à Christ pour avoir la vie ! Tu persistes donc à chercher des fruits sur un arbre qui n'a pas de racines ! Tu refuses de croire que Jésus t'a rachetée, qu'il a payé à ta place le prix de ton salut. Tu es encore dans tes péchés, et tu prétends produire les oeuvres de l'amour, de la paix, de la conversion !

Oh ! Zoé, ne fais pas Dieu menteur. Crois-le quand Il nous dit qu'un homme ne peut sauver son âme, que toutes les pensées de notre coeur ne sont que mal en tout temps. Oui ! Crois-le encore lorsqu'il nous dit qu'Il est venu non pour les justes mais pour les injustes, que dès à présent ceux qui ont la foi sont sauvés, qu'ils seront sanctifiés.

Zoé, quand d'un coeur humble tu auras dit « Amen ! » à ces paroles de Dieu, quand tu auras reçu la grâce comme un mendiant reçoit le don que laisse tomber le riche dans sa main, avec la même simplicité, avec la même confiance, sans t'imaginer que le Seigneur te trompe en te donnant un faux salut, alors tu te réjouiras d'une parfaite joie. Tu ne t'irriteras plus, tu ne t'enfleras plus d'orgueil sous prétexte de fidélité à l'Évangile, tu trouveras en Christ la force de combattre tes péchés, tu seras patiente, tu seras soumise, tu attireras les autres à Christ. Et tu feras tout cela parce que tu te sentiras aimée, parce que tu aimeras !

Si au lieu d'être sèche avec ton mari, tu lui témoignais une réelle affection, si au lieu de rester froide à ce qui le touche, tu prenais un véritable intérêt à ses affaires, si au lieu de le blâmer en public, tu lui adressais en secret quelques remarques modérées, pleines de douceur, comme il convient à une femme chrétienne, Robert resterait-il aussi moqueur ? Continuerait-il à te traiter avec une sorte de mépris ?

Il pourra bien par contenance, par une fierté mal placée, conserver quelque temps la même façon d'agir, mais dans le fond, je te l'affirme, Zoé, il sera frappé à salut d'un tel changement.

Que doit-il penser au contraire de convictions qui laissent des défauts, qui en ajoutent même d'autres ? Jusqu'à présent, tu lui présentais un triste visage de la foi, un masque qui n'a que le nom de la foi ! Au nom de l'évangile, tu l'assommais de critiques, de dédain, de froideur !

Que la vraie foi te rende humble, qu'elle répande sur ton visage le doux éclat de la sérénité chrétienne, sur tes lèvres le sourire bienveillant de la charité. Que, dans tes paroles, la fidélité sincère soit celle d'un véritable enfant de Dieu. Puisse Dieu te remplir le coeur d'une tendresse désintéressée pour ton mari. Et sois-en certaine, Zoé, cette foi transportera les montagnes. Mais pour cela il faut appartenir à Christ, et on ne lui appartient que lorsqu'on se laisse racheter par Lui.

Ne parle plus à Robert du haut de ta propre justice ! Cette justice n'existe pas plus chez toi que chez lui, que chez moi. Mets-toi plutôt en face de tes fautes habituelles et ne t'adresse à lui pour lui faire une observation que lorsque tu seras bien convaincue que tu ne vaux pas mieux que lui.

Ce n'est pas tout, Zoé ! Aie à coeur le succès du conseil que tu donnes, de l'effort que tu fais. Ne te contente pas de servir la vérité par acquit de conscience. Choisis pour la présenter le moment favorable, dispose les coeurs à l'entendre, rends-la attrayante, ou du moins ne la rends pas repoussante. Ne prends plus jamais des airs froids ou revêches, qui effraient un mari, et qui, par conséquent, le fâchent.

Allez ! Tant que j'y suis ! ce que tu ne supportes pas chez toi, supporte-le chez Robert. Ferme les yeux sur ses défauts, sans pour autant être complice du péché ! « Sois comme la charité qui ne soupçonne point le mal. » Se moque-t-il de toi ? Résigne-toi de bonne grâce à ses plaisanteries, si elles n'outragent pas Dieu. T'offense-t-il par un mot injurieux ? Considère si le coup a déchiré ton orgueil ou ton coeur. T'impose-t-il des tâches qui te répugnent ? Cherche en Dieu la force de les accomplir gaîment, tant qu'elles ne sont pas malhonnêtes. Oppose-t-il un refus à de justes demandes ? Renonces-y pour l'amour du Seigneur, car il a renoncé à lui-même pour l'amour de toi.

Robert ne te comprend pas, Robert te fait souffrir !... Mais toi-même, Zoé, tu ne le comprends pas, pas plus que tu ne te comprends toi-même, d'ailleurs ! Commence donc à travailler en toi-même avant de vouloir travailler sur les autres.

Oh Zoé ! Aime le Seigneur ! A cause de lui, aime ton mari, et tu en seras bénie.

Ton mari est avare ! Abandonne cet amour des vêtements et des bijoux qui convient mal à une femme chrétienne. Et surtout ne dérobe plus pour assouvir cette envie ! Prends soin de ton ménage. Agis en sorte qu'il voie, qu'il sente que quelque chose de nouveau s'est passé en toi, qu'il soit entraîné à rechercher d'où vient ce changement, que ta foi lui prouve sa vérité par ses oeuvres.

Je voudrais, sans te rebuter, t'encourager à être une épouse pieuse plutôt qu'à t'efforcer à le paraître. Ainsi, si Robert n'ouvre pas la Bible, il la lira en toi. Tu lui seras alors comme une lettre ouverte de la part de Dieu.

Ton devoir est d'éclairer, par ta conduite, l'âme de ton mari et de tes deux fils. Mais cette lumière ne peut briller que si elle vient de Dieu, que s'il l'a déposée dans ton coeur.

Pour moi, je ne connais pas de puissance qui ait le droit de t'empêcher de briller dans ton foyer !

Que ta mission est grande et belle, Zoé ! Amener un époux, amener des enfants à la vie éternelle !

Zoé, ton influence n'existe pas encore. Tu n'es qu'au début, c'est pourquoi tu dois prouver tes paroles par une vraie vie en Christ. Tu dois montrer clairement la transformation de ta conduite de l'efficace du christianisme évangélique, mais cela n'est possible que si tu es toi-même complètement transformée, pas en surface, en profondeur, jusqu'au plus profond de ton être.

Ne tournons plus autour du pot ! Cours vers le Sauveur, touche sa robe comme la femme malade depuis douze années, importune-le comme la Syro-phénicienne, pleure sur tes péchés comme la pécheresse, assieds-toi à ses pieds ainsi que faisait Marie, écoute-le quand il te dit : « Je suis le chemin, la vérité et la vie: nul ne vient au Père que par moi. » Sache, Zoé, sache que Celui qui t'a donné son Fils te donnera toutes choses avec Lui. Toutes choses ! Par conséquent la bonne volonté, par conséquent l'affection, par conséquent le succès et la joie !

Maintenant, je dois te laisser. Prends courage, viens à Jésus. Il ne repousse personne, pas même celle qui s'est éloignée après avoir été enseignée. Tiens, voici une brochure sur le chemin du salut, je crois qu'elle te sera utile.

Zoé reprit le chemin de sa maison en repassant tout ce qu'Anne-Laure venait de lui dire. Une phrase s'était tout d'abord enfoncée dans son coeur : « Tu ne veux pas aller à Christ pour avoir la vie ! » (Jean 5 :40).

Elle sentit qu'elle n'avait rien compris jusqu'alors à l'évangile.

Arrivée chez elle, elle parcourut la brochure qui éclaira pour elle bien des obscurités. Cependant, elle s'attacha surtout à la Bible, à ces pages qu'elle avait tant de fois lues sans les recevoir dans son coeur. Combien elle s'était enfoncée dans l'illusion de venir à Dieu par sa propre justice, par ses oeuvres ! Que de souffrances elle se serait épargnée si elle avait reconnu son incapacité à se sauver elle-même, à plaire à Dieu par ses mérites ! Elle était passée à côté du salut par la foi, le seul vrai salut offert par Dieu. Dès lors, il y avait maintenant la nécessité d'une conversion, d'une nouvelle naissance par la puissance du Saint Esprit. La loi et son esclavage l'avaient amenée au constat de son impossibilité de se racheter par ses efforts. Cette loi se dressait devant elle comme une muraille infranchissable. Elle comprenait enfin qu'elle ne devait pas la surmonter, mais que cette loi l'amenait en pédagogue à la grâce.

Si cette route nouvelle qui s'ouvrait devant Zoé était la bonne route.... nous le laissons à deviner au lecteur.




L'aveu
(Concerne Justine Jaquemin)

 

Durant toute la soirée Justine avait attendu son mari. La nuit s'était écoulée sans que Bernard ne soit rentré. De bon matin, Justine mit son ménage en ordre, envoya ses enfants à l'école, puis, tremblant à la pensée de l'aveu qu'elle avait à faire, elle se reprit à lire et à prier, car elle avait besoin de force.

- Cette confidence n'est-elle pas inutile? murmurait le tentateur 32. Ne peux-tu pas rompre avec le mal sans raconter ta faute à Bernard ? insistait-il.

- Si tu bâtis sur le sable du mensonge, disait à son tour sa conscience, ton foyer s'écroulera. Ne te séduis pas toi-même, tu ne peux cacher quelque chose à ton mari sans être obligée pour garder ton secret d'entasser détours sur détours. Tu commences une nouvelle vie, jette derrière toi le vieux levain du péché.

- Avoue donc, reprenait avec plus de force le tentateur, avoue, et Bernard te méprisera. Il te croira plus coupable que tu ne l'es, il se mettra en colère, il te chassera peut-être.... ou bien il se rira de toi, de tes scrupules, et au lieu de l'appui que tu en attends, tu ne trouveras chez lui que moquerie et dégradation.

- Laisse à Dieu l'issue de cette affaire, répondait la conscience. Ne te préoccupe que d'une chose, de l'accomplissement de ton devoir. Ton mari te méprisera ! Eh bien ! Cette humiliation que tu mérites ne restera sans bénédiction, ni pour ton âme ni pour la sienne. Au travers de son emportement, Bernard sentira que cet aveu est dicté par un sentiment dont il ne se rendra pas compte peut-être, qu'il ne comprendra pas, mais qui tôt ou tard le fera réfléchir à salut. Ici comme partout la vérité produira ses fruits.

- Tu n'as pas la force de faire une telle confession, s'écriait le tentateur. Tu ne peux affronter cette honte. Attends. Oui ! Attends encore un peu.

- Tu obéiras au Seigneur, répliquait avec énergie sa conscience, et le Seigneur ne t'abandonnera pas. Tu parleras simplement, sobrement, comme en sa présence. Tu seras honteuse, c'est vrai. Tu auras aussi de l'angoisse, mais le Seigneur fera descendre sur toi la fortifiante rosée du Saint Esprit et tu seras consolée. Ecoute la Parole de ton Dieu : « Quoi qu'il en soit, mon âme se repose en l'Eternel; c'est de Lui que vient ma délivrance. Quoi qu'il en soit, il est mon rocher et ma délivrance, ma haute retraite; je ne serai pas entièrement ébranlé » (Psaume 62 :2).

En ce moment la clef tourna dans la serrure. Bernard entra brusquement. Il avait passé le jour précédent et la nuit dans la débauche, il éprouvait ce malaise, ce dégoût qu'amènent les désordres. Il s'attendait à une scène de la part de sa femme ; en montant l'escalier, il s'était préparé à porter la guerre dans le camp ennemi.

- Qu'est-ce que tu fais là ? dit-il à Justine courbée sur sa Bible.

Puis, se dirigeant vers le frigidaire, il continua :

- Il n'y a rien à manger dans cette maison ! Et les enfants, que font-ils?

Justine se leva les yeux humides, le coeur gonflé, posa sur la table un morceau de pain, un peu de beurre et la pot de confiture, et répondit doucement :

- Les enfants sont à l'école.

- Eh bien, eh bien ! Qu'est-ce que tu as donc ? demanda Bernard, qui, remarquant les yeux rougis de Justine, se défendait contre un mouvement de pitié et de remords. Est-ce que tu vas pleurer? Je t'avertis, cela ne prendra pas ! Colère, reproches, pleurnicheries de femme, je m'en soucie comme de ça !

Et il fit un geste de dédain.

- Bernard, reprit après un instant de silence Justine, dont la voix tremblait, je pleure parce que je me sens coupable envers Dieu et envers toi.

Bernard regarda fixement sa femme, comme s'il n'avait pas bien entendu.

- Depuis longtemps je marche dans un mauvais chemin. Je ne suis ni pour toi ni pour mes enfants ce que je devrais être.... En outre, Bernard, (et ici la voix de Justine devint plus faible et plus tremblante), j'ai une grave faute à te confesser ! Je me suis laissée entraîner à écouter un homme qui s'efforçait de me séduire. Je l'ai embrassée plusieurs fois, mais sans la grâce de Dieu j'aurais succombé complètement !

Bernard se leva brusquement ! Un tel aveu, ce repentir, cette humilité, tout cela lui paraissait un rêve ! Justine était-elle plus coupable qu'elle ne le disait ? N'avait-elle pas été plus loin qu'elle ne l'avouait? Etait-ce la première fois qu'elle avait eu une aventure de ce genre ? Ces questions se pressaient dans sa tête et en chassaient les dernières traces du désordre de la nuit.

- Justine, voyons, ceci est sérieux, dit-il toujours brusque, mais sans violence. M'as-tu trompé ?

- Non, murmura Justine, mon âme seule s'est égarée, bien que mes lèvres et mon esprit ont goûté au péché.

- Alors, pourquoi viens-tu me parler de cela ? Tu t'es laissée séduire... cela ne t'arrivera plus, voilà tout ! Tu fais des erreurs quelquefois, moi aussi. D'ailleurs moi.... moi.... je ne suis pas blanc comme neige non plus. Bah ! Ne parlons plus de cela ! Tournons la page, répondit Bernard bien embêté de cette confession qui lui plaçait ses propres égarements devant sa conscience.

- J'ai beaucoup souffert pour t'avouer ma faute, reprit Justine sérieuse et humble, mais si je te l'avais cachée, Bernard, j'aurais menti.... et je veux être vraie. D'ailleurs j'ai besoin de toi pour revenir au bien.

Cette parole secoua la conscience, déjà quelque peu ébranlée, de Bernard. Il se détourna pour ne pas laisser voir son trouble.

- A quoi puis-je te servir, moi ? reprit-il d'un ton bourru.

- Ah ! Si tu voulais, Bernard !

Quelques minutes s'écoulèrent.

- Je connais l'homme qui t'a embobiné ! s'écria tout à coup Bernard, qui s'efforçait d'échapper à son émotion. C'est Patrick Leblanc ! C'est ça, c'est bien lui ! Je vais lui apprendre à ne plus tourner autour de ma femme.

Et il releva ses manches d'un air significatif.

- Bernard, dit Justine avec calme, ne me livre pas à la risée de cet homme et de ses compagnons. Rompons toutes relations avec lui, mais tenons cela secret, notre honneur en dépend.

- Oui, tu as raison, reprit Bernard, qui avait en fait peur de cet homme.

- Tu me pardonnes? reprit sérieusement Justine. Tu m'aideras à devenir une meilleure épouse, une meilleure mère ? Tu me permettras de servir le Seigneur ?

Bernard aurait voulu se mettre en colère, mais il savait qu'il était lui-même en faute. Sa culpabilité non avouée ne lui permettait pas d'insister sur ses droits de mari. Bien maladroitement, et tout secoué de cette confession inattendue, il prit sa femme entre ses bras.

Justine voulut alors commencer à expliquer à son mari ce qui s'était passé en elle, comment Dieu l'avait mise devant son péché, de quelle manière il l'avait relevée du bas état dans lequel elle se vautrait, mais Bernard ne lui en laissa pas le temps.

Bernard avait, en fait, bien trop peur que la discussion ne vienne sur ses péchés. Il fallait qu'il trouve un prétexte pour ne pas se laisser entraîner sur le terrain de la confession. Il craignait plus que tout de devoir à son tour parler de ses égarements et manquements. Il se souvint alors d'un certain travail à finir au plus vite, et quitta l'appartement aussi rapidement que possible.

Justine, lorsqu'il fut parti, se jeta à genoux pour remercier le Seigneur. Son coeur était déchargé d'un poids immense. Après tant de mois passés dans les tourments d'une mauvaise conscience, et pas seulement pour cette triste affaire, elle respirait avec délices cet air de liberté, de vérité qui circulait autour d'elle. Plus de tromperies, plus de précautions pour cacher son péché, plus d'agitations de l'entraînement au mal ! La sérénité revenait avec la grâce de Christ, et cette joie intime que produit tout sacrifice offert à Jésus inondait son coeur.

Justine, il est vrai, prévoyait de rudes combats. Elle était par moments comme écrasée par ses fautes. Et le tentateur ne manquerait pas de rôder autour d'elle pour lui rappeler de mauvais souvenirs. Cependant, elle avait l'assurance que le Seigneur serait avec elle, que sa divine main la soutiendrait et la garderait de tout mal. Elle était résolue à marcher d'un coeur droit, et ce coeur, elle le demandait à Dieu qui ne refuse jamais.

Sachant que les paroles agissaient peu sur Bernard, Justine résolut de lui parler par sa conduite. Elle chercha un travail, en trouva non sans peine et s'y appliqua avec diligence. Son appartement fut nettoyé chaque jour, et les enfants suivirent l'école avec régularité. Pendant quelques temps Bernard, encore sous l'effet de cette confession, apporta tout l'argent qu'il gagnait. Justine ne le dépensa qu'avec la plus stricte économie, mais bientôt, hélas ! son mari, fatigué de sagesse, recommença le même train de vie, avec cette différence toutefois qu'il se sentait moins à l'aise, que l'étourdissement habituel n'était plus complet, et qu'au milieu même de la dissipation, des pensées sérieuses lui arrivaient tout à coup et se cramponnaient à son âme pour ne la plus quitter.

Justine ne lui adressait pas de reproches et c'est ce qui le dérangeait encore plus ! Si elle avait râlé, il se serait emporté. Ils auraient été quittes, du moins c'est ce qu'il le croyait. Mais cette tristesse douce, ce silence, voilà qui tenait son coeur inquiet et troublé.

Aussi tard qu'il rentrait le soir, il trouvait Justine à l'ouvrage. Parfois elle lisait dans sa Bible, et elle lui demandait alors s'il voulait écouter quelques lignes. Lorsqu'il répondait un « non » brusque, elle se taisait. S'il consentait, elle commençait avec un sourire de bonheur et choisissait des passages tantôt si tendres, tantôt si énergiques, que le lendemain et les jours d'après, ces paroles poursuivaient Bernard, le reprenaient, le séparaient de ses compagnons de débauche, le ramenaient à la maison, le dominaient avec plus d'autorité qu'un roi.

Les enfants de Justine auparavant désobéissants, batailleurs, ignorants, malpropres, avaient eux aussi subi un commencement de transformation. Ils revenaient de l'école l'air heureux, sachant par coeur quelques beaux cantiques, lisant avec facilité de petites histoires touchantes et instructives que leur prêtait Anne-Laure. Leur père trouvait chez eux plus de respect, et quand une impertinence leur échappait, quand le péché reprenait le dessus, la douceur ferme de leur mère en triomphait presque toujours.

Les dettes étaient encore présentes dans le ménage. Cependant, au moyen de beaucoup de privations et de beaucoup de travail, Justine était parvenue à rembourser un peu de ce que son mari devait, et grâce à son activité, à son économie, aux bontés d'Anne-Laure, la nourriture n'avait jamais manqué, et le solde des factures d'électricité et de gaz était apuré.

Il ne faut pas s'imaginer, pourtant, que Justine devint tout d'un coup parfaite. Non, si au lieu d'éclater en reproches contre Bernard, elle parvenait maintenant le plupart du temps à lui présenter un visage calme, il y avait des moments où la tentation, revenant plus forte, trouvait son coeur bien faible. Lorsqu'après avoir touché son salaire, son mari rentrait la bourse vide, exigeant, colérique, le premier mouvement de Justine la portait à le recevoir avec des paroles piquantes, et ce premier mouvement n'était pas toujours réprimé.

Justine avait rompu avec ses anciennes habitudes de frivolité, demandant l'énergie à Dieu. Elle avait renoncé à ses mauvaises amitiés qu'elle entretenait. Elle passait moins de temps devant la télévision. Elle se levait plus tôt pour préparer le déjeuner et les cartables des enfants. En soirée, quand les enfants étaient couchés, elle lisait sa Bible dans le calme. Là-dessus, Bernard la laissait libre, bien que tous ces changements lui pesaient un peu. Il se sentait d'autant plus coupable !

Désirant se faire un peu pardonner, Bernard invita un soir Justine à sortir tous les deux en amoureux. Une séance de cinéma à deux, il savait bien que son épouse ne refuserait pas cela ! Et pourtant, elle déclina gentiment l'invitation, car elle comprenait le danger de ce plaisir qui lui avait déjà tant fait tourner la tête.

Cela ne fut pas facile pour Justine ! Elle avait déjà eu de grandes luttes à soutenir, d'abord contre elle-même. Mais devant cette offre, toutes ses passions s'étaient réveillées ! C'était comme une armée de bonnes raisons qui la poussait à accepter. Après tout, il ne fallait pas être austère à l'excès, il ne fallait pas froisser inutilement son mari, il valait mieux partager avec lui le danger que de l'y exposer.

Et puis Bernard s'était indigné, il était blessé de ce refus qu'il ne comprenait pas. Elle aussi s'était irritée et froissée. Elle avait défendu la vérité par l'orgueil. Elle avait triomphé par de mauvaises armes, et Bernard était parti exaspéré.

On comprend quels remords assiégeaient Justine après de telles chutes, non pas que son choix fût mauvais, mais elle l'avait défendu avec tant de maladresse, et surtout à contrecoeur. Elle s'agenouilla devant le Seigneur. Elle demanda pardon à Bernard, à son retour, et il ne put se défendre d'un certain attendrissement. Son énervement disparut devant cette nouvelle Justine qu'il reconnaissait à peine.

Les rapports de ses enfants avec leur papa étaient aussi un sujet de souci pour Justine. Longtemps elle s'était demandée si le silence absolu qu'elle gardait sur les écarts de Bernard, si la solidarité dont elle faisait preuve envers lui ne fausseraient pas les idées qu'ils se faisaient du bien et du mal. Lorsqu'il les caressait au moment où elle venait de les châtier, lorsque devant eux il tenait des propos légers, lorsqu'il leur permettait un plaisir défendu, elle se devait de réagir, de blâmer avec tact, de contredire avec douceur, de faire comprendre à ses enfants la juste voie.

La lecture de la Bible et la prière lui avaient appris que bien qu'elle ne doive pas faire la guerre à son mari, elle ne pouvait pas cautionner le mal, surtout quand il s'agissait de l'éducation de leurs enfants. C'était un équilibre difficile ! Il fallait d'un côté montrer l'exemple d'une bonne épouse, et de l'autre l'exemple d'une bonne mère. Chaque jour, Justine dut apprendre, non sans mal, à marcher dans cet équilibre.

Bientôt l'expérience lui montra que son exemple était la plus éloquente des leçons, que son silence et son regard suffisaient pour mettre les enfants en garde contre certaines séductions, et que sa soumission envers leur papa, loin d'affaiblir son autorité maternelle, la relevait au contraire.

Nous le répétons, ces progrès s'accomplissaient à travers beaucoup de faiblesses, et, s'ils étaient frappants pour Anne-Laure, qui ne voyait que de loin en loin le pauvre ménage, ils étaient presque insensibles pour Justine, qui cheminait péniblement au milieu des difficultés que lui amenait chaque journée.


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La plaie sondée (Concerne Justine Jaquemin )
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La maison construite sur le sable (Concerne Patricia Maillard)
 

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