Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



SPLENDEUR DE DIEU

NOTE DE L'ÉDITEUR

Ce récit n'est pas un roman, ni même une vie romancée. L'auteur a consciencieusement dépouillé tous les documents relatifs à la vie d'Adoniram Judson en Birmanie. Elle s'est appliquée à demeurer rigoureusement fidèle à ces données. C'est ce qui fait l'intérêt de ces pages et leur confère l'émouvante signification d'un grand témoignage humain et chrétien.
Les nombreuses éditions américaines et anglaises de Splendeur de Dieu attestent non seulement l'accueil chaleureux fait à ce livre mais aussi sa valeur historique.

On trouvera à la fin du volume une bibliographie sommaire des ouvrages et pièces d'archives consultés par Mme Honoré Wilsie Morrow.


I
LA VILLE TRISTE ET CHAUDE

Le Georgiana, vieux bateau de cabotage, jeta l'ancre devant Rangoon, le 13 juillet 1813, à la fin de l'après-midi.
Anne et Adoniram. Judson étaient arrivés en Birmanie.

Durant les trois dernières semaines du voyage, dès Madras, Anne avait été très malade. Elle avait perdu un enfant avant terme, et avait failli perdre, aussi la vie pendant cette affreuse traversée. Seul, Adoniram avait pu l'aider dans ces heures d'angoisse. Adoniram, presque un enfant. Les Judson étaient les uniques passagers. L'équipage se composait d'un, ramassis d'Orientaux. Le capitaine, seul, parlait anglais. Point de cabines : un vague abri de toile pour Anne, cette fille de la Nouvelle-Angleterre, élevée dans la chaste rigueur d'une maison puritaine. Elle avait vingt et un ans, Adoniram, vingt-cinq.
Dès que le bateau pénétra dans la Rivière de Rangoon, Adoniram resta hors de l'abri, les yeux ardemment fixés sur le rivage.

Il paraissait bien moins que son âge, car il avait gardé le teint coloré, les joues pleines qui avaient fait sa beauté d'enfant. De taille moyenne, il avait de beaux cheveux foncés et des yeux couleur de noisette qui s'assombrissaient dans la pénombre. Par ses traits, son allure, il incarnait le type de, l'étudiant de Nouvelle-Angleterre. Il ressemblait Emerson. à Whittier, à Hawthorne : le front large et haut, les oreilles parfaitement collées. Le nez plutôt long et droit, la bouche grande, avec une lèvre inférieure pleine, la' mâchoire énergique et le menton rond, à fossettes. Les fossettes tempéraient l'expression de résolution presque trop forte du visage. Les yeux étaient magnifiques, ardents et interrogateurs.
Il était habillé de noir, comme il convient à un missionnaire : costume de drap à culotte courte, bas de coton blanc, foulard de percale blanche. Il ne connaissait pas encore les vêtements qui permettent d'affronter le climat birman.

C'était la saison des pluies. Toute la journée, de lourdes nuées chassées par le vent du sud-ouest avaient trempé les palétuviers du rivage et les plaines déjà inondées.

Depuis des heures, Adoniram guettait les premiers signes de civilisation. Mais ce fut seulement après midi qu'apparût, fugitivement, dans les nuages, une aiguille d'or. Elle disparut presqu'aussitôt dans les brumes bleues et, bien qu'on l'aperçût de temps en temps, elle ne devint entièrement visible qu'au moment où le Georgiana jeta l'ancre. Les nuages s'étaient alors élevés, et, dans les rayons du soleil couchant, l'apparition saisit Adoniram.

Une flèche d'or, de proportions parfaites, jailli de la verdure d'une colline jusqu'à toucher de sa pointe le ciel cramoisi de l'occident. Cette première vision du plus grand sanctuaire de Bouddha étreignit le coeur du jeune homme. Son amour pour la beauté devait beaucoup compliquer plus tard sa grande mission en Birmanie. Ce monument n'avait rien de barbare. Il ne pouvait avoir été conçu que par des gens intelligents et spirituellement nobles. Il se raidit et son coeur battit plus vite. Si vraiment cette splendeur représentait les plus profondes aspirations des Birmans, quelle belle bataille le Christ ne pourrait-il pas livrer dans ce pays ! Quelle lutte magnifique pour un homme convaincu!
Il souriait, heureux. Ses yeux se portèrent sur la ville, étendue entre la pagode dorée et le rivage. Selon toute vraisemblance, ils étaient, lui et sa femme, destinés à passer le reste de leurs jours dans cet endroit qu'il examinait avec une impatiente curiosité. À un jet de pierre du Georgiana, une plage de sable, parsemée de petits bateaux, était bordée par une rangée de huttes aux toits de chaume, sur pilotis. À l'arrière des huttes, une palissade de hauts pieux s'étendait sur près d'un mille. Au delà de cette barrière, les arbres montaient jusqu'à la pagode. De place en place, un groupe de palmiers s'élevait au-dessus des feuillages.
Il savait que derrière la palissade, quelque part, il devait y avoir un abri pour Anne et lui. Il jeta un coup d'oeil sous la toile ou elle dormait encore. Elle avait reposé, la pauvre chère chose, depuis qu'ils avaient quitté les grosses eaux de la baie du Bengale. Adoniram ferma le rideau et pria le capitaine de le mener à terre. Dix minutes plus tard, il traversait la plage et gagnait la porte sud de la barrière.

Devant lui s'ouvrait une route ombragée, grossièrement pavée de briques, avec des rigoles rapides pleines d'eau sale. De chaque côté, sous la double rangée de huttes surélevées, pataugeaient des cochons et des poules, dans une boue infecte. Des hommes et des femmes demi-nus vaquaient à leurs occupations, ou restaient accroupis dans les galeries. De petits enfants bruns s'amusaient dans la boue avec les poules et les cochons. Accourus de tous côtés, des chiens se précipitaient sur Adoniram, aboyant et reniflant. On le fixait avec étonnement, et plusieurs personnes se mirent à le suivre avec les chiens. Mais il savait bien qu'il n'était pas le premier Européen qui eût pénétré dans Rangoon. ne demi-douzaine de blancs devaient se trouver dans la ville. Le capitaine du Georgiana lui avait indiqué la maison du collecteur des douanes, un Espagnol à la solde du roi de Birmanie. Il suivit donc la rue qui s'élargissait en un bazar aux échoppes closes durant le jour, le traversa et s'arrêta devant une petite maison de brique, peinte en rouge. S'éclaboussant, il sautait de pierre en pierre, de la porte de bambou aux marches de la véranda. Un homme d'une cinquantaine d'années, à la barbe noire, y était assis, vêtu d'un costume de toile défraîchie. C'était le collecteur d'impôts. Il ôta de ses lèvres un énorme cigare et, très aimablement, en français, pria Adoniram de venir le rejoindre dans la véranda.
Adoniram répondit dans la même langue :
- M. Lanciego, je m'appelle Adoniram Judson. je viens d'arriver à bord du Georgiana et je désire m'installer à terre dès demain.
- Ah, encore un ! dit l'autre ironiquement; asseyez-vous M. Judson, sur ce que je crois être l'une des trois chaises de Rangoon. Que puis-je faire pour vous en dehors de mes attributions officielles ?
- Beaucoup de choses, je pense ; tellement que je suis trop ignorant pour vous les demander, Monsieur, répondit Adoniram avec un sourire ingénu. Mon premier souci est de découvrir un abri. Mais je le crois résolu. je dois habiter la maison de la Mission Baptiste.

Lanciego secoua la tête négativement. Adoniram, troublé, continua avec ardeur :
- Mais elle existe, vous le savez bien. Elle a été construite il y a quelques années, par un Anglais nommé Chaytor. je crois qu'il a quitté la Birmanie, mais un certain M. Félix Carey est là, n'est-ce pas ?

L'homme examina longuement Adoniram avant de répondre.
- Officiellement, Monsieur, je ne connais pas de maison missionnaire ; car je suis un employé du roi bouddhiste. Je connais la maison de M. Carey. Mais il n'est plus ici. Il est à Amarapura, la capitale, et fonctionnaire du roi. Êtes-vous encore l'un de ces missionnaires anglais?
- Je suis un missionnaire américain. J'apporte une lettre du père de M. Carey, le fameux missionnaire de Serampore, pour son fils qui est à Rangoon. Je dois travailler avec M. Félix.

Les yeux de l'Espagnol ne reflétaient aucune malveillance lorsqu'il se pencha confidentiellement vers Adoniram. La rude odeur du cigare tranchait sainement sur les miasmes écoeurants de Rangoon inondé.
- Mon cher, laissez à un homme d'âge mûr le droit de conseiller votre jeunesse. Un homme qui connaît la Birmanie. Ma femme est la soeur d'une des reines, et Sa Majesté m'honore de sa confiance depuis de nombreuses années. je sais de quoi je parle, quand je vous dis : retournez en Amérique ! Partez ce soir ! Il n'y aura que des malheurs pour vous ici. Ces gens ont une religion magnifique et forte. je vous l'affirme bien que, moi, je sois catholique. Ils vous en voudront. Et quoi qu'ils soient les hommes les plus doux et les mieux disposés du monde, ils sont aussi les plus passionnés et les plus cruels. Partez tant que vous êtes encore dévoré par le feu de votre jeune foi !

Adoniram écoutait, le regard errant du sombre bazar au visage sincère de Lanciego.
Depuis son départ de Salem, il ne s'était pas senti aussi découragé ; même quand, trois mois plus tôt, il avait acquis la certitude que les autorités britanniques lui interdiraient absolument le séjour des Indes. Il y avait quelque chose de funèbre et d'effrayant dans ce Rangoon sale, enfoui sous les feuillages. La peur le gagnait. Mais aucun doute sur sa mission ne l'effleurait.
- C'est pour rester que ma femme et moi sommes venus ici, dit-il simplement.
- Une femme ! s'écria Lanciego. Une femme ? Un autre enfant comme vous, je suppose! Vous voulez donc ajouter le meurtre au suicide ?

Il se renversa dans sa chaise avec un grognement réprobateur.
- Ma femme est aussi impatiente que moi de travailler ici. Quand vous la connaîtrez, vous comprendrez qu'elle est quelqu'un. Monsieur Lanciego, depuis le mois de février de l'année dernière, nous avons tendu de toutes nos forces vers Rangoon, par les chemins détournés de Dieu. Satan a tout mis en oeuvre pour nous décourager. Quand nous avons quitté l'Amérique, nous pensions travailler aux Indes. La Compagnie des Indes Orientales n'a pas voulu nous admettre. À Madras comme à l'Île de France le séjour nous a été interdit. Le Georgiana, alors, a consenti à nous mener à Rangoon. Nous y sommes maintenant. Dieu nous a envoyés pour sauver les Birmans de l'enfer et rien ne pourra nous détourner du but.

L'Espagnol soupira et resta silencieux quelques instants. Il examinait Adoniram. Son front haut, sa forte lèvre inférieure pouvaient laisser supposer un caractère emporté. Mais Lanciego fut bientôt convaincu que toute violence serait vaine et que ses efforts se briseraient contre une force qu'il ne comprenait pas. Ce n'était qu'un tout jeune homme... Et pourtant... Il haussa les épaules.
- La maison de Carey est au nord de la ville, en dehors des barrières, près de la colline de la pagode de Shwé-Dagôn. Vous y trouverez Mme Carey et leurs enfants. Vous savez. n'est-ce pas, que c'est une indigène ?

Adoniram l'ignorait. Ce fut pour lui un coup qui s'ajoutait à la déception d'apprendre que Carey avait quitté la mission. Il avait horreur des mariages mixtes. Et puis, Anne avait fermement compté que la femme de Félix Carey serait une amie. Il resta muet un instant, envahi par le mal du pays. Puis il sourit, d'un sourire difficile.
- Nous avons bien des, choses à apprendre, dit-il doucement.

Puis, d'un air décidé
- Si vous avez l'amabilité de m'indiquer le chemin à suivre, j'irai voir Miné Carey.
- Elle ne parle que le birman, avertit le collecteur, avec une pointe de malice. Et je ne puis malheureusement vous accompagner, à cause de ma situation officielle.

Adoniram se reprenait. Il se leva.
- Je vous remercie de, votre patience, Monsieur. Veuillez encore me dire les mots birmans qui signifient « missionnaire » et « femme ». Et je vous laisserai...
- Il n'y a pas de mot en Birmanie pour missionnaire, grogna Lanciego. Vous lui direz Ma Carey; votre femme sera Ma Judson et vous Maung Judson.

Adoniram se mit à rire.
- Ma Judson ! Comme ma femme s'en amusera ! Et maintenant, par quel chemin, Monsieur ?

Il fallait simplement suivre la route au-delà du bazar, jusqu'à une porte pratiquée dans la barrière. Plus loin, traverser la jungle de la pagode de Shwé-Dagôn. En continuant pendant un demi-mille, il arriverait au lieu des exécutions, facilement reconnaissable à l'odeur et ... à autre chose. La maison des Carey était juste au-delà ...

Adoniram remercia vivement et se mit à descendre lentement l'escalier. Au portail, Lanciego le rappela.
- Enlevez vos souliers avant de pénétrer dans leurs maisons. Ce serait un grave affront si vous négligiez de le faire. N'essayez pas, non plus, de tendre la main à une femme. Aucun homme ne doit toucher une femme, s'il. ne lui est apparenté.

Adoniram lui fit un signe de la main et partit vers l'inconnu.
L'ombre était épaisse, à peine traversée par quelques rayons du soleil couchant. Il ne reconnaissait que de rares essences : les palmiers, les bananiers et les figuiers. De même, les chants admirables des oiseaux n'éveillaient en lui aucune note familière. Le chemin était constamment coupé par des marécages sur lesquels on avait jeté de petits ponts de bambou. Des canards bruyants barbotaient dans la boue. On le dévisageait, mais sans le suivre. C'était l'heure du dîner. Des feux s'allumaient sur les galeries.
Il traversa un large portail, puis un fossé et continua vers le nord-est, le long d'une large route pavée, sur, élevée pour faciliter l'écoulement des eaux de pluie. Sous les arbres immenses, le chemin était bordé de pagodes de toutes dimensions et d'innombrables autels, couverts de fleurs et de victuailles déposés en offrande. Les notes basses des gongs résonnaient dans l'air, accompagnées par le tintement clair de centaines de clochettes.

C'était très beau. Adoniram, dont les nerfs étaient à vif, se sentit soudain calmé, presque heureux. Il avançait avec une assurance grandissante, découvrant à chaque pas, de nouvelles beautés, des fleurs qui s'ouvraient sur son passage. Il avait oublié le lieu des exécutions. Après un demi-mille parmi les splendeurs de la nature, il rencontra avec une horreur indicible, sur le bord de la route, étiré sur des bambous verticaux, le cadavre d'un homme nu et éventré, Il bondit en arrière, le coeur soulevé, et se mit à courir en se bouchant le nez pour ne pas sentir l'effroyable puanteur. Presqu'immédiatement, il parvint à une porte de bambou, ouverte sur la cour d'une maison plus grande que toutes celles qu'il avait vues jusqu'alors. Elle était sur pilotis, bien couverte de bambous fendus. Il gravit en hâte les marches de pierre jusqu'à la véranda. La porte était ouverte. Adoniram ôta ses souliers.

À l'intérieur, un petit feu luisait dans une boîte basse, en ciment. Un pot de terre reposait sur les charbons, Une femme, nue jusqu'à la ceinture, était accroupie devant le feu et fumait un gros cigare. Un second cigare était passé dans le lobe troué de son oreille. hésitant, Adoniram demanda
- Ma Carey?

Avec un cri de surprise, la femme se dressa. Elle portait une belle jupe rose, rayée, qui traînait sur le sol. Adoniram la trouva fort laide avec son nez aplati et ses dents noircies. Tirant de sa poche la lettre d'introduction du père de Carey, il s'étonnait plus que jamais de la vie de Félix Carey. Il lui donna la lettre tout en se désignant du doigt.
- Maung Judson, dit-il.

Elle le regardait d'un air effarouché. Il ajouta en indiquant la ville d'un geste.
- Ma Judson.

Elle comprit fort bien, sourit et prit la lettre. Adoniram mit son doigt sur l'adresse.
- Maung Carey, dit-il encore.
- Amarapura, répondit Ma Carey, sans hésiter.

Adoniram se mit à rire et appela joyeusement deux bébés bruns qui se cachaient dans l'ombre ; mais ils lui tournèrent leurs petits dos nus. Il fit un signe de tête à leur mère, toucha sa poitrine, montra les enfants du doigt et indiqua d'un geste la longueur du tout petit garçon qu'il avait livré aux vagues, quinze jours auparavant. Puis, il essuya ses yeux.

Ma Carey avait compris. Elle poussa un petit cri « Amé ! » Le langage des gestes leur devenait facile. Adoniram lui dit qu'Anne était malade et qu'il désirait l'amener à la mission. Ma Carey, avec un doux tapotement de ses pieds bruns sous la jupe rose, traversa la chambre ; par la porte ouverte, elle entra dans une chambre obscure, dont les fenêtres ouvraient sur la véranda. Un lit s'y trouvait et de belles nattes noires de roseau.
- Ma Judson, dit-elle.
- Oui, oui, ô merveille! Merci. Merci! s'écria Adoniram: Il oubliait les recommandations de l'Espagnol et lui aurait pris la main si elle ne s'était retirée, avec un froncement de sourcils expressif. Mais elle accepta avec bonne grâce une révérence fort courtoise.

Adoniram s'en alla dans l'obscurité. Il gagna rapidement la barrière. La' pluie tombait de nouveau. Il faisait si sombre quand il passa devant le lieu des exécutions qu'il ne le reconnut qu'à l'horrible odeur. Une chose était certaine : il ne laisserait pas Anne voir cela le lendemain. Il parvint au rivage, essoufflé et découragé. Rangoon était plus sinistre que jamais dans la nuit pluvieuse..
Quand il grimpa à bord du Georgiana, il y avait de la lumière sous leur abri. Son coeur battait. Anne devait être éveillée et l'attendre. Elle l'attendait.

Leur refuge paraissait maintenant si accueillant, si familier, quoiqu'il fût installé sur le pont sordide, que la pluie le transperçât et qu'il fût meublé seulement d'un grabat et de leurs coffres! Bien qu'il l'eût détesté pendant les trois semaines du voyage, où Anne avait tant souffert, il y rentra avec un tressaillement d'aise. L'abri précaire contenait Anne!

Elle était ravissante dans sa chemise de nuit à longues manches et à col montant. Malgré sa maladie, la douleur et l'affreux voyage, sa beauté demeurait intacte. Son visage ovale aux pommettes saillantes, son front haut autour duquel bouclaient les cheveux bruns, sa bouche si sensible étaient dominés par des grands yeux bruns foncés qui donnaient à l'expression tant d'intelligence et de maturité, déjà.
Elle se redressa et tendit les bras.
- Adoniram, mon amour!

Il s'élança vers elle et l'embrassa longuement.
- Chérie, j'ai exploré la métropole de Rangoon. Et pour une métropole, c'est l'endroit le plus lamentable de la terre.
- Assieds-toi et raconte-moi tout, jusqu'aux détails les plus inutiles. 0 Adoniram, tu es trempé!
- Ne t'en inquiète pas, chérie, puisque nous sommes désormais Birmans, il nous faut être amphibies. De toutes façons, nos vêtements ne sont pas faits pour ce climat. La ville patauge dans l'eau sale, là-bas.

Il lui raconta tout ce qu'il avait fait et vu ; il omit seulement la description de la forme crucifiée, près de la maison missionnaire. Anne demandait avidement des détails.
- Je me sens déjà plus forte en pensant à cette maison et à cette femme, bien que nous ne puissions causer. As-tu vu ses enfants, Don ?
- Très vaguement; de petites ombres brunes dans les coins, dit-il posément. Mais il se sentait profondément troublé et ne trouvait' plus en lui de forces pour soutenir Anne dans son malheur. Avoir des enfants, quelle gageure dans cet affreux pays!
- Cette ville triste et chaude t'a déprimé, se récria-t-elle.
- Un peu, admit-il - La regardant avec toute sa vivante tendresse, mesurait plus que jamais leur perte, sa perte.
- Ma bien-aimée, que t'ai-je fait? De quel droit ai-je amené dans cette jungle croupissante ta jeune beauté ?
- Tu n'y es pas pour grand'chose, mon Don chéri; tu as fait le voyage avec moi. Mais Dieu l'a préparé pour nous. Elle ferma les yeux pour cacher les larmes qui y perlaient. Ils restèrent silencieux un grand moment.

Un peu plus tard, il alla préparer leur dîner dans la cantine du cuisinier.
Harcelé par les moustiques, Adoniram rejoignit Anne presque immédiatement après le dîner. Ils étouffaient sous la moustiquaire et se sentaient profondément abattus. Anne pleurait, mais pas seulement à cause du mal du pays. Il la caressa, la calma. Enfin dans la lourde nuit traversée d'orages, ils s'endormirent.


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