Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



DANIEL BONNET
ou
Les aventures d'un colporteur

CHAPITRE PREMIER

Une rencontre

C'était une chaude journée d'été. Un soleil ardent revêtait d'un éclat tout spécial la verdure des haies bordant un chemin de campagne. L'églantine et le chèvrefeuille jetaient partout leur note claire, et l'air vibrait du bourdonnement intense de milliers d'insectes chantant les beaux jours.

Daniel Bonnet, qui avait récemment parcouru les rues encombrées de la grande ville, jouissait pleinement de cette nature paisible et ensoleillée. En dépit de la fatigue, de la chaleur et de la faim, il était très heureux ; et pourtant il avait rencontré ce jour-là plusieurs personnes désagréables.

Marchant péniblement sous le poids de la sacoche de colporteur qui contenait ses précieux livres, il trouva enfin ce qu'il désirait, une barrière donnant sur une prairie. Il posa alors son sac à terre et, s'appuyant un instant à la barrière, chercha du regard un coin ombragé. À quelques mètres de lui se dressait une haie au pied de laquelle il pourrait jouir de son modeste repas et se reposer un peu avant de poursuivre sa marche.

Tout en regardant le charmant paysage, il se mit à penser au travail de la matinée. Dans plusieurs maisons on avait brutalement refermé la porte sans rien lui dire ; ailleurs son message n'avait été écouté que d'une oreille distraite ou hostile, derrière une porte d'abord entrebâillée, puis finalement close. Et, chaque fois, il avait repris son fardeau avec un sourire patient, puis s'était dirigé vers d'autres maisons.

Mais il avait aussi rencontré quelques encouragements. En le voyant, plus d'un visage s'était éclairé, et il y avait eu des paroles de bienvenue : « Tiens ! c'est M. Bonnet qui revient dans nos parages. J'en suis bien aise. Entrez donc et montrez-nous ce que vous avez là ». Et ces bons accueils l'avaient amplement dédommagé des rebuffades subies ailleurs. Après tout, ces mépris étaient une bien petite épreuve à supporter pour le Sauveur qui l'avait racheté ; et puis, quel privilège d'être l'ambassadeur de Christ !

Ce fut donc en souriant qu'il enjamba la barrière rustique, après avoir déposé son sac dans le champ, et qu'il se dirigea rapidement vers le coin ombragé, car il venait d'apercevoir un homme ayant évidemment la même intention que lui.

« Peut-être, se disait Daniel Bonnet, ce jeune homme préfère-t-il être seul ». Mais il fut bien vite rassuré par l'accueil de l'étranger, tout heureux de se trouver en compagnie après plusieurs heures de solitude. Pour quelques instants au moins, il ne serait pas de trop.
Le colporteur serra donc la main qui lui était tendue et, avec un soupir de soulagement, les deux hommes s'assirent à l'ombre des églantiers, puis chacun tira quelque nourriture de son sac.
- Je viens de Réaubec, où j'habite, dit le jeune homme,. C'est une forte marche par cette chaleur. Allez-vous aussi à pied, Monsieur ?
- Oui, répondit Daniel, je suis colporteur. Je vais de porte en porte avec des Bibles et d'autres livres sérieux ; une fois par semaine je vends aussi ma littérature à Réaubec, où j'ai un banc au marché.
- Des Bibles!1 s'écria le jeune homme d'un air désappointé. J'en ai une à la maison, mais elle ne m'intéresse pas le moins du monde.
- Elle devrait vous intéresser, répondit Daniel Bonnet. Supposons qu'un homme reçoive une lettre lui faisant entrevoir la possibilité d'hériter de grandes richesses ; que penseriez-vous de lui s'il déclarait que cela ne l'intéresse en rien ?
- Je dirais qu'il est fou. Le cas ne s'est jamais présenté.
- Vraiment ! mais c'est précisément l'attitude du jeune homme qui est en train de manger à côté de moi.
- Est-ce de moi que vous parlez ?
- De vous-même.
- Mais je n'ai jamais reçu de lettre de ce genre. Autrement ma décision aurait été vite prise.
- Vous dites que vous possédez une Bible. Dois-je vous en lire quelques versets pour vous prouver la vérité de ce que j'avance ?
- Oui, s'il vous plaît, répondit le jeune homme, très intrigué.

Daniel sortit sa Bible du sac et y chercha quelques passages tout en glissant ses doigts entre les pages pour pouvoir lire de façon suivie.
- Voici la lettre, dit-il. Puis il lut ces paroles:

« Car vous êtes tous fils de Dieu par la foi en Jésus-Christ. Or, si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers : héritiers de Dieu et cohéritiers de Christ. Voyez quel amour le Père nous a témoigné pour que nous soyons appelés enfants de Dieu ! » Ces versets établissent vos droits d'héritier. Voici maintenant l'héritage, continua le colporteur. « Que votre coeur ne se trouble point. Croyez en Dieu, et croyez en moi. Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père. Si cela n'était pas, je vous l'aurais dit. Je vais vous préparer une place ». - « Un héritage qui ne se peut ni corrompre, ni souiller, ni flétrir, lequel vous est réservé dans les cieux ».

- Pas pour moi, dit le jeune homme ; si la Bible a raison, je suis sur une mauvaise route.
- Et pourquoi ne pas vous mettre en règle ? demanda tranquillement le colporteur.

Son compagnon détourna la tête d'un geste négatif son visage avait pris tout à coup une expression impénétrable, celle d'un homme poursuivi par quelque secrète angoisse.
- Ah ! me mettre en règle ! voilà la difficulté.
- Si nous confessons nos péchés, Il est fidèle et juste pour nous les pardonner, et pour nous purifier de toute iniquité, fit le colporteur.

Mais le jeune homme était maintenant silencieux. Évidemment, il ne voulait pas révéler la cause de sa détresse. Ayant terminé son repas sans mot dire, il examina le contenu de la sacoche du colporteur, où brochures et volumes s'empilaient en bon ordre.
- J'achèterai ceci, dit-il en prenant un petit livre.
- Vous ne le regretterez pas, répondit Daniel Bonnet, tout heureux de ce choix. C'est un Testament souligné qui vous sera utile.

Puis il se leva pour se mettre en route, car il avait encore bien des kilomètres à faire.
- Que Dieu bénisse Sa Parole pour votre âme, dit-il en serrant la main du jeune homme. Tâchez de vous mettre en règle. Quelle que soit votre difficulté ou votre épreuve, rappelez-vous que « rien n'est impossible à Dieu ».

Le jeune homme saisit la main du colporteur, mais son visage ému prit à nouveau une expression d'angoisse qui hanta Jean Bonnet tout le reste de la journée. Quel était donc le chagrin caché qui semblait ronger le coeur du jeune voyageur ?
Lorsque le colporteur eut disparu, Charles Vallier s'étendit sur l'herbe et regarda le ciel bleu à travers les églantiers qui l'ombrageaient. Ses pensées étaient amères.
« Tâchez de vous mettre en règle, répéta-t-il avec un rire sec. Comment donc ? Ces usuriers me serrent de près, et je ne puis demander à Dieu de m'aider quand je pense à... »

Et pourquoi ne pas vous mettre en règle ? demanda tranquillement le colporteur.

Et, sans terminer sa phrase, il enfouit son visage dans ses mains et se prit à pleurer.
Charles, qui n'avait que vingt-quatre ans, était caissier dans une banque. Il était marié et père d'une petite fille. Sa femme bien-aimée avait été gravement malade, et les dépenses encourues alors avaient lourdement grevé son salaire. Mais il y avait plus. Il avait spéculé et perdu toutes ses petites économies, confiées à un soi-disant « ami ». Durant la maladie de sa femme, il avait dû recourir à des usuriers.

Mais le jeune homme avait perdu des choses plus précieuses encore que l'argent. Depuis quelque temps, sa foi et son sens d'honneur et d'intégrité étaient en train de faire naufrage. Il n'avait pas su résister aux moqueries de l'ami déjà mentionné, qui professait ne croire à rien ; notre pauvre Charles était comme une barque désemparée, sans boussole ni rames, que la tempête aurait poussée au large et qui, d'un instant à l'autre, pouvait disparaître sous la vague cruelle.

Il regrettait amèrement d'avoir touché à la littérature athéiste que lui envoyait son tentateur. Il s'était cru fermement fondé dans ses croyances, hélas ! bien superficielles. « Ces livres ne sauraient me nuire », s'était-il dit. Mais, comme tous ceux qui se confient en eux-mêmes et non au Sauveur, il était devenu la proie de l'incrédulité. Et au moment où nous le voyons verser des larmes amères, il réalise combien grande, est la puissance de Satan. «Rien n'est impossible à Dieu», avait dit Daniel Bonnet. Mais, si Charles a eu le coeur touché pendant quelques instants, il n'a plus maintenant l'intention de chercher Dieu. Il continuera à agir par lui-même ; comme auparavant, il « empruntera » un peu d'argent à ses chefs. Il ne risque guère d'être découvert pour le moment ; et il pourra sans doute rembourser les fonds prélevés, avant que les banquiers constatent la disparition des coupons reçus. Alors tout ira bien, et jamais plus il ne recourra à des moyens semblables.

Ayant pris cette résolution, il se leva pour poursuivre sa route.

.

CHAPITRE Il
Daniel à la banque

Sous un soleil brûlant, notre colporteur chargé de ses livres traversa plusieurs champs, en suivant un sentier qui conduisait directement à une ferme bâtie dans un pli de terrain. Il y avait déjà été bien des fois et se demandait comment il allait être reçu ; jusqu'ici en effet, ses visites avaient toujours été très désagréables. Déjà il aperçoit les cheminées de la vieille demeure et il sait qu'on le voit descendre le sentier raide qui conduit au portail. Est-ce avec hostilité ou avec bienveillance ? Mais qu'importe après tout !
À peine a-t-il mis la main sur la sonnette que la porte s'ouvre violemment, comme poussée en dedans par un vent d'orage (et pourtant pas une feuille ne remue).
Il est face à face avec une maîtresse de maison irritée.
- Comment ! c'est encore vous ? s'écrie-t-elle.

Les poings sur les hanches, elle défend l'entrée de sa demeure, comme si le courtois Daniel Bonnet pensait à y pénétrer par force.
- Oui, c'est moi qui viens vous offrir une fois de plus la Parole de Dieu, la bonne nouvelle de l'amour du Sauveur, répond calmement le colporteur. J'ai peut-être des livres que les enfants aimeraient.
- Mes enfants ne toucheront pas vos livres, soyez-en sûr.

Et elle va refermer la porte lorsque Daniel lui tend un traité qu'elle accepte, tandis qu'elle écoute comme malgré elle ce solennel avertissement : « Vous êtes responsable envers Dieu des enfants qu'Il vous a confiés. Même si vous choisissez de vivre sans Christ, avez-vous le droit de les maintenir dans les ténèbres?»

Cette question paraît l'impressionner quelque peu, mais, l'instant d'après, on entend des pas sur les dalles du corridor, et, la poussant de côté, son mari, car c'est lui, dit au colporteur :
- Mêlez-vous de vos affaires et filez d'ici
- Je vais partir, Monsieur. Mais c'est bien de mes affaires que je me mêle, je fais le travail qui m'incombe. Le Seigneur m'a envoyé vers vous avec ce message avant qu'Il vienne Lui-même vous visiter : « Celui qui croit au Fils a la vie éternelle ; celui qui ne croit pas au Fils ne verra point la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui ». Ne pensez-vous pas, qu'il serait sage d'accepter Christ ?

Le fermier le regarda un instant, puis il poussa résolument la porte.
Daniel s'éloigna. Il était bien triste, non pas parce que la porte s'était fermée sur lui, mais parce que ces pauvres gens persistaient à fermer leur coeur au Sauveur.
Mais ni échec ni mépris ne pouvaient l'arrêter. Si ces personnes ne voulaient pas l'écouter, d'autres le feraient. En tout cas, il était pêcheur d'hommes et il continuerait son travail. Sa mission devait être accomplie fidèlement « au milieu de la mauvaise et de la bonne réputation ».
Il se rendit à un village voisin, où il passa la soirée et obtint de bons résultats.

Comme je l'ai dit, Daniel Bonnet avait parcouru assez récemment les rues de la grande ville avec ses livres. Peut-être devrais-je expliquer pourquoi il arpentait maintenant les villages et les fermes solitaires, si distants de la vaste métropole.

Plusieurs amis qui connaissaient la joie du salut avaient réuni les fonds nécessaires pour envoyer l'Évangile à ces localités, si plaisantes au regard, mais si négligées au point de vue spirituel. Et c'est notre ami qui avait été choisi pour aller de porte en porte proclamer la joyeuse nouvelle, soit de vive voix, soit par sa littérature. C'est ainsi qu'il fut appelé à vivre quelque temps au village de Belormeau.

Belormeau était un centre duquel il pouvait atteindre beaucoup de fermes isolées, soit à pied, soit à bicyclette, le premier mode de transport étant souvent plus indiqué à cause des nombreuses barrières à franchir et les raccourcis à travers champs. Mais ses amis ayant fait réparer sa bicyclette, il l'employait souvent pour les chemins raboteux.
Ce matin-ci, tout en remplissant sa sacoche, il pensait au jeune homme qu'il avait rencontré peu de jours auparavant et se demandait s'il aurait jamais l'occasion de le revoir.

Il avait dit habiter Réaubec, et comme le colporteur devait s'y rendre tout de suite pour affaires, il décida de faire de son mieux pour découvrir Charles Vallier. Mais il voulait d'abord visiter le village situé entre Belormeau et Réaubec ; il ne tarda donc pas à parcourir à bicyclette les chemins ensoleillés.
Près du village, il rencontra un vieillard. Sa marche incertaine et la bouteille qui sortait de sa poche proclamaient clairement le buveur.
Daniel descendit de sa bicyclette, pour lui parler. En entendant un bruit de pas, le malheureux leva ses yeux chassieux et sembla reconnaître le voyageur qu'il avait déjà rencontré plusieurs fois.
- Eh, bonjour, M'sieur; vous voilà encore par ici ? salua-t-il.
- Oui, et j'en suis heureux. Comment allez-vous, M. Brun ?
- Comme ça, comme ça, répondit-il en tremblotant.
- Vous êtes toujours esclave de ceci, dit Daniel en touchant la bouteille révélatrice.
- Oh ! pas toujours. Il y a trois semaines, je ne buvais pas une goutte d'alcool.
- Hélas ! vous essayez de lutter avec vos propres armes, M. Brun.
- Peut-être bien. Mais je dois partir ; j'ai un tas de pierres à casser ; vous comprendrez bien que je ne puis pas perdre mon temps.

Daniel plaça en souriant un traité à côté de la bouteille.
- Prenez ceci, cher ami. Et, tandis que vous casserez vos pierres, demandez au Sauveur de briser votre coeur endurci, afin qu'Il puisse ensuite vous bénir.

Ils se séparèrent, Daniel poussant sa bicyclette, et le vieux bonhomme s'acheminant tout chancelant vers son tas de pierres à une petite distance, tout en se félicitant d'avoir une fois de plus échappé aux sermons de l'ennuyeux colporteur. Mais, de toute la journée, il ne put oublier les paroles de Daniel ; oui, il avait vraiment le coeur dur.

Tandis qu'il dînait, il lut le traité. C'était clair et bref : d'abord le besoin du pécheur de se tourner vers Christ, puis une description du bonheur éternel pour toute âme sauvée.
« C'est quand même drôle de préférer cette bouteille et tout le reste, murmura-t-il. Un seul coup de mon marteau, et je n'en toucherais plus une goutte aujourd'hui ».
Il mit la main sur le long manche de l'outil et le souleva à moitié. Fallait-il ? Ne serait-il pas maître de sa passion ? Mais le marteau retomba sur l'herbe. Le mal l'avait de nouveau vaincu. Pourtant, les paroles de Daniel le hantèrent. Chaque fois qu'il maniait une pierre spécialement dure, il pensait à son mauvais coeur, et une faible prière silencieuse montait vers le Dieu que Daniel connaissait si bien.
Pendant ce temps, ce dernier parcourait le petit hameau.

C'était un coin si isolé que sa visite fit sensation. Daniel offrit un traité gaîment illustré à un tout petit enfant assis à la porte d'une maisonnette, le doigt dans, la bouche. Aussitôt, il se vit entouré d'une troupe de bambins criant : « Moi aussi ; moi aussi ». Après avoir été satisfaits, tous partirent en courant, pour « montrer à maman ».
Quelques logis restèrent clos, en dépit de certains bruits qui trahissaient la présence de leurs occupants. Mais Daniel ne quitta pas ces demeures sans laisser sous la porte ou dans la boîte aux lettres, quelque message écrit.

Il était en train de parler sérieusement à une femme lorsque sa fille parut tout à coup.
- Quelles bêtises racontez-vous là ? s'écria-t-elle. Il n'y a ni Dieu, ni résurrection. Pourquoi écoutes-tu cet homme, maman ?
- Allons, Suzanne, ne viens pas tout gâter. Ce que tu as appris en ville ne t'a guère fait de bien. Moi je veux entendre ce que ce Monsieur pense. S'il n'y a ni Dieu ni résurrection, à quoi bon la vie ? J'espère qu'il a mieux à m'offrir. Prenez place sur ce banc, Monsieur, voulez-vous ? Si ma fille ne veut pas entendre, elle n'a qu'à partir.

Mais Suzanne préféra rester, et ce fut à elle que Daniel s'adressa :
- Vous dites qu'il n'y a point de Dieu. Comment expliquez-vous donc la beauté du monde où nous vivons ? Voyez ces bois, ces collines et ces prairies ; levez les yeux vers le ciel bleu inondé de la lumière du soleil !
- Oh ! c'est venu comme ça, répondit-elle.
- Croyez-vous ? demanda Daniel. Moi, je lis dans ce livre - et il montra la Bible qu'il tenait ouverte : « Au commencement Dieu créa les cieux et la terre ». J'y lis encore que, lorsque la création fut terminée, « Dieu vit ce qu'Il avait fait ; et voici, cela était très bon. Ainsi furent achevés la terre et les cieux, et toute leur armée ». Il n'y a rien là qui suggère l'idée d'un monde venu simplement par hasard ; disons plutôt avec révérence que ce monde a été créé simplement par le commandement de Dieu.

Suzanne paraissait un peu mal à l'aise ; elle répéta cependant obstinément
- Mais après tout, ce n'est que la Bible qui dit cela.
- Que la Bible ! en effet. Que la Bible ! Ce n'est que la Parole de Dieu qui demeure éternellement. Voici ce que ce livre dit de vous, chère amie ; et Daniel indiqua du doigt le premier verset du Psaume LIII : « L'insensé dit en son coeur : Il n'y a point de Dieu ».

Puis le colporteur lut ces paroles dans la IIe Épître de Pierre : « Ils veulent ignorer, en effet, que des cieux existèrent autrefois par la Parole de Dieu, de même qu'une terre tirée de l'eau et formée au moyen de l'eau, et que par ces choses le monde d'alors périt, submergé par l'eau, tandis que, par la même Parole, les cieux et la terre d'à présent sont gardés et réservés pour le feu, pour le jour du jugement et de la ruine des hommes impies ».

Et il ajouta sérieusement
- Où serez-vous en ce jour, Suzanne ?

La jeune fille le fixa pendant un instant, puis se couvrant la figure de son tablier, elle s'écria
- Je ne veux plus vous écouter.

Se tournant vers la mère, il remarqua l'anxiété que trahissait son visage et pria intérieurement que « la connaissance de la gloire de Dieu sur la face de Christ » vînt illuminer ce coeur.
- Vous n'avez pas à craindre ce jour si vous croyez en Christ. Il a dit Lui-même : « En vérité, en vérité, je vous le dis : celui qui écoute ma parole et qui croit à Celui qui m'a envoyé, a la vie éternelle et ne vient point en jugement, mais il est passé de la mort à la vie ».
- Quelles bonnes paroles, s'écria-t-elle. Avez-vous ce texte à vendre ? J'aimerais le suspendre dans ma chambre.

Le colporteur ayant pu la satisfaire, la femme prit un petit livre rouge intitulé : « Testament souligné ».
- C'est juste ce qu'il vous faut, dit Daniel.
- Je le prendrai, dit-elle. Je payerais bien cent fois plus pour trouver la paix.
- Voyez ce qui est écrit sur la première page :
« Les deux cents passages soulignés dans ce Nouveau Testament serviront, avec l'aide du Saint-Esprit, à montrer le chemin du Salut, par notre Seigneur Jésus-Christ ».
- Recherchez l'aide du Saint-Esprit. Il vous conduira dans toute la Vérité.

Elle le remercia, tandis que le fidèle serviteur de Dieu s'apprêtait à poursuivre sa course avec le sentiment d'avoir fait son possible auprès de ces deux femmes.

Reprenant sa bicyclette, il ne tarda pas à arriver à Réaubec. Il se rendit tout d'abord au marché, pour s'y occuper de son banc, puis à la plus importante des deux banques de la ville, où la première personne qu'il aperçut fut Charles Vallier.
Ce dernier reconnut tout de suite le voyageur rencontré dans les champs et s'avança pour lui répondre. Lorsque la partie « affaire » fut conclue, Daniel dit tout doucement au caissier
- J'ai beaucoup pensé à vous, et je désirais vous revoir.
- C'est bien aimable à vous, Monsieur, dit Charles, touché de la sincérité évidente de son nouvel ami. Ma femme serait heureuse de votre visite.

Et, écrivant rapidement son adresse, il la remit à Daniel qui, le voyant très affairé, prit congé de lui. Mais il était amplement satisfait. Il ne fut pas long à découvrir la petite demeure. Mme Vallier vint ouvrir elle-même la porte, et dès qu'elle apprit que le visiteur était envoyé par son mari, elle le pria aimablement d'entrer.
- Il m'a raconté votre entretien avec lui, dit-elle. Il était ravi d'avoir eu de la compagnie pour son repas, et il a été très frappé de ce, que vous lui avez lu. A son retour, nous avons marqué les versets.

Daniel observa avec grand intérêt la petite femme délicate et se demanda si elle savait ce qui empêchait son mari de venir au Sauveur.
- Puis-je savoir si vous connaissez le Seigneur Jésus.? demanda-t-il avec douceur.

Ses yeux se mouillèrent de larmes, et elle répondit
- Oh ! oui, j'ai été sauvée, étant encore jeune fille. Mais j'étais une brebis faible et errante ; la maladie m'a ramenée à Christ. J'ai épousé Charles en sachant fort bien qu'il n'était pas chrétien, et j'ai eu à souffrir de ma désobéissance. Il ne veut pas que je lui parle de son état spirituel. D'après ce qu'il m'a rapporté, de votre entretien, il semble vous avoir écouté, chose extraordinaire de sa part. J'en remercie Dieu.
- C'est beaucoup qu'il m'ait invité à son foyer, dit Daniel, et si vous le voulez bien, je continuerai mes visites, car je viens toutes les semaines au marché de Réaubec.
- Quel bonheur ! Passez donc ici chaque fois que vous le pourrez. Peut-être nos efforts réunis amèneront-ils Charles au Sauveur.

Ce disant, elle appela sa petite bonne et se mit à préparer le goûter pour son visiteur qui avait encore une longue course en perspective. À son départ, il fut entendu qu'il reviendrait aussi souvent que possible.

Il se rendit à la plus importante des deux banques de la ville, où la première personne qu'il aperçut fut Charles Vallier.

Quand le mari rentra chez lui, Constance lui fit une description animée de l'entrevue, et Charles se félicita d'avoir vu le brave colporteur à la banque, puisqu'il avait ainsi procuré un si grand plaisir à sa petite femme. Quant a lui, pour le moment, il éviterait le plus possible toute rencontre avec Daniel. Il avait réussi une fois de plus à réduire les usuriers au silence en puisant dans la caisse (en « empruntant », comme il l'appelait) et cherchait à endormir sa conscience.

Son chef était absent, ce qui facilitait les opérations frauduleuses. Il pourrait probablement tout arranger avant son retour.
Entre temps, il était heureux que Constance ait fait la connaissance d'un homme comme Daniel. Elle serait sans doute réjouie par ses visites et remarquerait d'autant moins sa propre dépression et son agitation.

Mais, sur ce dernier point, il se trompait. Constance était observatrice, et elle s'aperçut que le regard de son mari, autrefois si franc et si prêt à répondre au sien, avait quelque chose de furtif ; il évitait de rencontrer ses yeux aimants. Elle devint de plus en plus triste et, n'eussent été les entretiens réconfortants avec Daniel, elle serait peut-être tombée malade. Mais elle fut encouragée à prier pour celui qui ne voulait pas regarder vers Dieu ; elle arriva même souvent à lui faire lire les brochures de Daniel, au lieu des journaux spirites qu'il aimait à étudier. Du reste, il fut impossible à Charles d'éviter tout contact avec Daniel (peut-être sa femme préparait-elle un peu ces rencontres). Or, plus il voyait et entendait son nouvel ami, plus il soupirait après le jour où tous ses détournements seraient remboursés et où il vivrait en honnête homme.


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