DANIEL BONNET
ou
Les
aventures d'un colporteur
CHAPITRE III
Une âme gagnée au Sauveur
Peu après son retour à Belormeau,
Daniel fit une visite à une brave femme qui
était chrétienne depuis bien des
années et qui lui achetait souvent quelque
chose. Elle était cuisinière et femme
de charge dans un château, situé sur
une colline près du village. Son nom
était Mme Armand.
Ce fut elle qui vint lui ouvrir la porte
lors de sa visite, et son sourire exprimait une
cordiale bienvenue.
- Entrez, M. Bonnet, dit-elle. J'ai
appris que vous étiez dans ces parages et je
vous attendais. Je suis justement en train de
goûter. Ma maîtresse sera heureuse que
je vous aie offert une tasse de thé.
Elle conduisit Daniel dans sa
confortable petite salle à manger et le
déchargea elle-même de son fardeau,
puis, ayant placé devant lui une tasse de
thé, elle ouvrit la sacoche.
- Comment va votre femme ?
demanda-t-elle tout en examinant les livres. Elle
n'était pas très bien lors de votre
dernière tournée.
- Merci, Madame, elle, va mieux, mais
cela laisse encore bien à désirer.
Elle me dit parfois en riant : « Nous devenons
vieux, et chaque soir un nouveau pas me rapproche
du Père », à quoi j'ajoute,
quand j'ai appris quelques conversions : «
Plusieurs âmes sauvées - Son retour
approche ».
- C'est une pensée inspiratrice,
répondit Madame Armand. « Toute
âme convertie nous rapproche du jour
où nous serons enlevés auprès
du Seigneur ».
- Cette pensée m'a souvent
aidé à franchir bien des
kilomètres, à supporter nombre de
rebuffades et de découragements, dit Daniel.
Le jour du couronnement approche.
- Alors nous devons gagner des
âmes aussi vite que possible, fut la
réponse. J'aimerais avoir ce livre,
poursuivit Madame Armand, et elle mit sur la table
un volume joliment relié en rouge,
intitulé : « Voyez quel amour...
»
- Oui, c'est attrayant. Mettez-le en vue
quelque part ; il se trouvera sûrement
quelqu'un pour le lire.
Madame Armand sourit. Elle avait une
vieille habitude de laisser les livres
achetés un peu de droite et de gauche, dans
l'espoir que d'autres domestiques les
remarqueraient et seraient bénis par leur
lecture.
- Vous souvenez-vous d'Amélie ?
demanda-t-elle. La dernière fois que vous
êtes venu, vous lui avez dit nettement votre
pensée sur les insipides petites nouvelles
qu'elle aimait à lire.
- Oui ; je crois même l'avoir
fâchée.
- C'est vrai, mais elle se calma peu
après ; elle se mit à lire mes
livres, et, un beau jour, jeta tous ses romans dans
le feu de la cuisine.
- Est-elle ici aujourd'hui ?
- Non, elle est partie il y a deux mois
pour épouser un brave jeune homme qui
travaille dans une fabrique d'automobiles. Elle m'a
dit combien elle regrettait d'avoir
été si impolie envers vous.
- Oh ! cela ne fait rien : « Si
vous êtes outragés pour le nom de
Christ, vous êtes heureux ». Quand vous
la verrez, dites-lui quelle joie m'a causé
ce changement.
- Et pourquoi ne pas lui écrire
vous-même ? Cela lui ferait si plaisir. Je
vais vous donner son adresse.
Ayant soigneusement placé
l'adresse dans son portefeuille, Daniel prit
congé de Madame Armand et retourna à
son travail, rafraîchi de corps et
d'esprit.
La cuisinière examina alors ses
emplettes, surtout le volume intitulé:
« Voyez quel amour... » Au bout de
quelques instants, elle le posa bien en vue sur sa
petite table, et, bien qu'elle attendît sa
maîtresse d'un moment à l'autre pour
parler avec elle de provisions de ménage,
elle se rendit au jardin pour y couper un
chou.
Ou le chou était bien dur, ou le
couteau était émoussé ;
toujours est-il que l'opération fut assez
longue.
Madame Néville vint à
l'heure habituelle et, ne trouvant personne
là, elle s'approcha de la fenêtre, car
elle savait que la cuisinière ne tarderait
pas à paraître.
De fait, au delà du parterre
fleuri et du verger, elle pouvait distinguer Madame
Armand coupant son chou.
Puis elle se dirigea vers la table, et
ses yeux tombèrent sur le petit livre
joliment relié ; elle le prit et se mit
à le feuilleter.
Quand Madame Armand rentra un peu
à la hâte, sa maîtresse lui
demanda en souriant d'où venait ce
livre.
- Je l'ai acheté à M.
Bonnet, le colporteur. Je lui ai aussi offert une
tasse de thé, car j'étais en train de
goûter ; et j'étais sûre que
vous approuveriez la chose.
- Certainement, Madame Armand. Il doit
toujours être reçu ici avec
hospitalité. Me prêtez-vous ce livre
?
- Bien sûr, Madame, avec grand
plaisir, fut la joyeuse réponse.
Et tandis que les deux femmes parlaient
ménage, l'une d'elles remerciait Dieu en son
coeur d'avoir si vite exaucé la
prière formulée dans le jardin
potager.
Le jour suivant, elle examina plus d'une
fois sa maîtresse avec
curiosité.
Il y avait un changement dans ce beau
visage. Un nuage était venu voiler ces
traits d'habitude si impassibles, et la
cuisinière s'en réjouit, surtout
lorsqu'elle vit dans la chambre de Madame
Néville une vieille Bible posée
à côté du nouveau
livre.
Madame Néville passait en effet
par une crise morale. Pour la première fois,
elle comprenait qu'elle était une pauvre
pécheresse perdue, car, jusqu'alors, elle
s'était bercée d'une fausse
sécurité.
N'était-elle pas membre de
l'Eglise, communiant régulièrement ?
Et pourtant elle ne savait rien de la foi qui
sauve. Sa présence au culte et à la
sainte Cène, ses dons
généreux, tout cela ne pouvait
racheter son âme. C'était une
pensée bouleversante. Depuis tant
d'années, elle s'était
contentée de sa tranquille vie religieuse,
ne doutant pas un instant que le ciel ne soit
ouvert à tous les honnêtes gens. Mais
voilà que sa Bible, lue
sous l'influence du Saint-Esprit, lui
démontrait qu'il n'entrerait au ciel que des
pécheurs sauvés par
grâce.
Quelle grâce ! Quel amour ! «
Et cet amour consiste non point en ce que nous
avons aimé Dieu, mais en ce qu'Il nous a
aimés et a envoyé Son Fils comme
victime expiatoire pour nos péchés
».
Pas à pas, Madame Néville
descendit du piédestal de sa propre justice
et humblement, sincèrement, s'approcha du
Sauveur comme une pécheresse ; et elle
trouva la paix de Dieu qu'aucune de ses formes de
religion n'avait jamais pu lui procurer.
Alors Madame Armand aperçut sur
le visage de sa maîtresse le reflet de cette
joie intérieure et céleste qui vient
remplir l'âme réconciliée avec
Dieu.
- Prêtez ce livre à
d'autres, dit-elle en le rendant à la
cuisinière. Il est excellent et m'a
été en bénédiction.
Maintenant je connais l'amour de Dieu ; je sais
qu'Il a donné Son Fils qui est mort pour
moi. J'aimerais voir le colporteur lorsqu'il
passera.
Nul besoin de dire que Madame Armand
vaqua à ses occupations avec un sourire sur
les lèvres et un coeur rempli de gratitude.
.
CHAPITRE IV
Daniel visite un café
Daniel continue son oeuvre
d'évangéliste à travers la
campagne. De temps à autre il apprend avec
joie que la semence jetée au cours des deux
dernières années a porté des
fruits. Et cette nouvelle agit sur lui comme un
cordial, le fortifiant contre les rebuffades, la
profonde indifférence, ou encore
l'hostilité amère qu'il rencontre
continuellement.
Passant un soir près d'un
café, après une pénible
journée, il aperçut une douzaine
d'hommes buvant autour du comptoir.
« Voici une porte ouverte, se
dit-il. Profitons de l'occasion ! »
- Eh ! l'ami, cria l'un des hommes
à son entrée. On n'a pas besoin de
Bibles ici.
- Vraiment ? À mon avis, c'est
ici qu'elles font grand besoin, répliqua
Daniel en souriant à la compagnie.
Quelques hommes rirent, mais d'autres
s'irritèrent de cette intrusion et
cherchèrent à le pousser
dehors.
Mais il résista, et l'un des
buveurs s'écria :
- Laissez-le faire. Nous lui poserons
quelques questions. Venez par ici, s'il vous
plaît.
Et Daniel se trouva adossé
à la plaque de marbre où s'alignaient
verres et bouteilles et en face de ses bruyants
auditeurs. Ils n'avaient pas l'air commode, mais le
colporteur se sentait dans la main du Dieu qui sait
tout ; il resta donc calme et les regarda tous sans
sourciller.
- Et maintenant vos questions ?
commença-t-il.
Un étrange silence fut la seule
réponse.
Les hommes se regardèrent
quelques instants avec embarras, puis l'un d'eux
parla :
- Dis, Magnin ; c'est toi qui as
proposé les questions ; donc à toi de
commencer.
Le camarade interpellé ne
semblait pas ravi de l'honneur qui lui était
fait ; s'étant gratté la tête,
puis essuyé le front avec un mouchoir rouge,
il demanda d'un ton de défiance:
- Dites-moi donc tout d'abord à
quoi sert la Bible?
- Ah, dit Daniel, il faut du temps pour
répondre à cette question-là,
provoquant ainsi un murmure moqueur, car les
buveurs croyaient déjà lui avoir
fermé la bouche.
Puis, saisi d'une sainte ferveur, il
s'écria :
- À quoi sert la Bible ? Elle me
dit que je suis un pécheur perdu qui
mérite la mort éternelle, et que je
suis déjà condamné. Elle me
dit comment être délivré,
pardonné, sauvé, comment devenir un
enfant de Dieu. Oh! mes amis, elle parle du
Seigneur Jésus mourant pour vous - pour moi.
- Oui, pour vous!
Et dans son ardeur, il se tournait
rapidement vers chacun de ses auditeurs ; pendant
dix minutes au moins, il parla avec une ardente
émotion, et les paroles sortaient de ses
lèvres avec une force
irrésistible.
Sur un signe du cabaretier, le
garçon souleva tout doucement la planche
mobile du comptoir contre laquelle était
adossé le colporteur. Entièrement
absorbé par ses pressants appels, il tomba
facilement dans la trappe qui lui était
tendue. De grossiers éclats de rire secouant
tous les hommes lui révélèrent
tout à coup qu'il était
enfermé derrière le comptoir.
- Eh bien, puisque vous êtes pris,
dit Magnin, vous allez nous payer une
tournée.
Et il fit signe au cabaretier de
servir.
Mais ce dernier fut arrêté
par la main de Daniel.
- Un instant, dit-il, et sa voix ferme
fit impression sur l'homme. Puis il s'adressa de
nouveau aux buveurs : Vous dites que je dois vous
payer une tournée. Mais je n'ai pas tout
à fait terminé. Avant que vous
touchiez une autre goutte de cet alcool (dont vous
n'avez déjà pris que trop), je veux
vous dire deux ou trois choses sur le Livre des
livres. Écoutez : Il y a un ciel et il y a
aussi un enfer. Mais c'est du ciel que je
désire parler. C'est un lieu béni
où Dieu essuiera toutes larmes, où il
n'y aura plus ni mort, ni chagrin, ni douleur.
« Ce sont des choses que l'oeil n'a
point vues, que l'oreille n'a point entendues, et
qui ne sont point montées au coeur de
l'homme, des choses que Dieu a
préparées pour ceux qui l'aiment
».
Ne désirez-vous pas partager ces
joies ? N'avez-vous pas soif de ce bonheur ?
Le Seigneur Jésus a dit : «
Si quelqu'un a soif, qu'il vienne
à moi, et qu'il boive ». Il dit encore
« À celui qui a soif, je donnerai de la
source de l'eau de la vie, gratuitement ».
Vous vous attendez à ce que je vous offre de
l'alcool ; non, mes amis, je ne vous offrirai que
de l'eau de la vie : « Que celui qui veut
prenne de l'eau de la vie. Crois au Seigneur
Jésus et tu seras sauvé. Celui qui
croit au Fils a la vie éternelle ; celui qui
ne croit pas au Fils ne verra point la vie, mais la
colère de Dieu demeure sur lui ».
Voulez-vous croire en Lui ? Le voulez-vous
?
- Levez la planche ! qu'il sorte ! Assez
de serinons comme ça !
Telles furent les exclamations qui
suivirent les paroles vibrantes de Daniel. Puis
Magnin lui-même souleva la planche, et poussa
doucement mais fermement le colporteur et ses
livres dans la rue.
Épuisé de fatigue, Daniel
s'appuya un instant contre un vieux mur en face du
bar, et il pria silencieusement.
Comme il s'éloignait, il entendit
un bruit de pas. Le nouveau venu était un
vieillard qui avait entendu au bar les appels de
Daniel. Les yeux pleins de larmes, il s'approcha
timidement de ce dernier et lui dit tout bas
:
- Merci pour vos paroles de ce soir.
Autrefois, j'avais fait profession de
christianisme, mais cette maudite boisson m'a
ruiné.
- Rappelez-vous que rien n'est
impossible à Dieu. Il peut et veut briser
vos chaînes. Que votre christianisme ne soit
plus une simple étiquette, mais une
réalité ! Croyez au Seigneur
Jésus. Il vous sauvera et vous gardera :
« Il peut sauver parfaitement ceux qui
s'approchent de Dieu par lui, étant toujours
vivant pour intercéder en leur faveur
».
Ils se séparèrent, mais
Daniel apprit plus tard que cette soirée
avait marqué une heure décisive dans
la vie du vieillard.
Qui pourrait dire le résultat de
cette visite au café ? Peut-être
l'éternité réserve-t-elle une
joyeuse surprise à celui qui sema si
fidèlement la Parole de vie. Elle ne
retourne jamais à Lui sans effet.
Et ainsi l'été
s'écoula.
Nous ne pouvons raconter ici tous les
travaux de Daniel, ses succès et ses
insuccès ; du matin au soir, tantôt
ici, tantôt là, il semait la semence
incorruptible sans s'épargner la fatigue. Il
lui arrivait rarement de récolter les fruits
de ses efforts, mais il persévérait
dans sa tâche, s'en remettant à son
Maître pour les résultats.
Il provoquait souvent une vive
colère chez ceux auxquels il parlait du
salut de leur âme, il essuyait bien des
insultes pour son « impertinence » ou
pour son « outrecuidance », comme on
appelait cela.
Les sarcasmes et les quolibets lui
étaient prodigués chaque jour, et si
la grâce de Dieu ne l'avait soutenu, il
aurait souvent été tenté
d'abandonner une tâche si ingrate. Mais le
Seigneur l'assistait et le fortifiait ; Il fermait
la gueule des lions comme Il l'avait fait pour
Daniel.
La lutte contre le mal était
dure, mais il n'était pas seul. Il
réalisait que son Maître était
avec lui et s'occupait de lui.
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