Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...




PRÉFACE.

Le compilateur de ce volume a recueilli une grande quantité d'histoires morales et religieuses pendant les vingt dernières années, entre lesquelles il a fait le choix qu'il présente aujourd'hui au public.
Chacun de ces récits renferme une leçon pratique. L'obéissance aux parents, la bonté et l'affection entre frères et soeurs et entre camarades, la libéralité envers les pauvres; en un mot, les principes de l'Évangile, se trouvent illustrés par des exemples qui apprennent à les aimer, et inspirent le désir de les pratiquer. Les funestes conséquences de l'abandon de la vertu dont on y trouve quelques exemples, servent à inspirer une horreur salutaire du vice.

Dans la compilation de cet ouvrage, on a évité avec le plus grand soin tout ce qui pouvait avoir un caractère sectaire ou qui aurait été de nature à empêcher qu'il ne fût lu sans prévention par tous les chrétiens, et les personnes de toutes les classes de la société qui sentent le besoin de. lectures morales et religieuses.

Impossible de trouver un moyen plus agréable d'instruire les enfants et de leur inculquer des sentiments nobles et religieux. Sa lecture à haute voix dans le cercle de la famille sera profitable à tous, jeunes et vieux. Puisse la bénédiction d'en-haut accompagner ce modeste volume dans toutes les familles qui voudront bien lui réserver un bienveillant accueil, telle est la prière du

COMPILATEUR

 



UNE (1) LA FILLE D'UN ROI.

- Que ne suis-je une princesse! s'écriait Emma, en s'appuyant sur son balai, au milieu des escaliers qui conduisaient à sa jolie petite chambre qu'elle devait faire elle-même tous les jours.
- Pourquoi donc, ma chère enfant? lui demanda sa mère.
- Parce que je ne serais jamais appelée à balayer, à épousseter et à faire les lits ; j'aurais assez de serviteurs pour faire tout cela.
- Ton désir n'est pas bien sage; car alors même que tu serais princesse, je crois que tu ferais bien d'apprendre à faire tous ces petits ouvrages, afin de pouvoir les faire au besoin.
- Les princesses se trouvent-elles jamais dans la nécessité de travailler?
- Ta question témoigne de ton ignorance, ma chère enfant; quand tu auras achevé ton travail, si tu veux venir vers moi, je te montrerai un tableau.

La petite chambre fut enfin mise en ordre, et Emma accourant à sa mère se hâta de lui rappeler sa promesse.
- Que vois-tu, mon enfant, lui demanda la mère en lui présentant un tableau.
- Je vois une jeune fille, la robe retroussée, ayant un tablier, et un balai à la main.
- Pourrais-tu me dire dans quel lieu elle se trouve?
- Je n'en sais rien. On voit de froids murs de pierre et un plancher de dalles. Je ne pense pas que ce soit un lieu bien agréable.
- Tu dis vrai; c'est une prison, et cette jeune fille est une princesse.
- Quoi, la fille d'un roi ?
- Oui, la fille d'un roi, et son histoire est des plus tristes.
- Je t'en prie, raconte-la-moi donc.
- Il y a plus d'un siècle, lors de la grande Révolution, régnait en France un prince du nom de Louis XVI. C'était un homme bon, honnête, qui voulait le bien du peuple, mais d'un caractère faible et indécis. Sa femme, Marie-Antoinette, était bonne et affable, mais elle affectait dans sa conduite une légèreté et une insouciance qui provoquèrent bien des médisances. Des hommes s'étant emparés de l'esprit du peuple, lui inspirèrent une haine profonde contre leur souverain et leur souveraine. Ils furent arrêtés avec leurs deux enfants, et enfermés dans une prison appelée le Temple.

La France passait alors par une crise terrible. Tous ceux qui étaient suspectés d'être partisans de la famille royale étaient traînés en prison, puis à la guillotine. Les prisonniers du Temple remplissaient leur temps aussi bien que possible. Le roi donnait chaque jour des leçons à son fils et à sa fille, et leur faisait lecture à haute voix, tandis que Marie-Antoinette, Madame Elisabeth et la jeune Marie-Thérèse cousaient.

Après un certain temps, la populace furieuse traîna le roi à l'échafaud, et peu de temps plus tard, le petit prince était séparé de sa mère, de sa tante et de sa soeur, et remis entre les mains d'un cruel geôlier. Le tour de Marie-Antoinette vint ensuite de monter sur l'échafaud. Elle fut exécutée le 16 octobre 1793. Sa fille, Marie-Thérèse, fut laissée seule avec sa tante, Mme Elisabeth.

Mais elle ne put pas conserver bien longtemps cette compagnie. Madame Elisabeth fut aussi appelée à subir le même sort que le roi et la reine, et la jeune princesse se trouva seule, à l'âge de seize ans, dans une triste prison, et gardée par de durs soldats. Dix-huit mois se passèrent ainsi pour la jeune fille; son existence était d'autant plus misérable qu'elle ignorait si sa mère et sa tante étaient mortes ou en vie.

Bien des années après sa sortie de prison, elle écrivit un livre sur sa captivité. On y trouve entre autres le passage suivant : « Je ne demandais que le strict nécessaire; et encore me le refusait-on souvent avec dureté. Je pus néanmoins me tenir propre. J'avais de l'eau et du savon, et je faisais soigneusement ma chambre tous les jours. »

Le tableau que tu as sous les yeux représente donc une princesse, et la petite-fille d'une impératrice - Marie-Thérèse d'Autriche, l'une des femmes les plus remarquables dont nous parle l'histoire - qui, après avoir fait soigneusement sa toilette, balaie les dalles de sa prison.

Que penses-tu qui lui causait le plus de satisfaction en ces jours pénibles, la pensée qu'elle était la fille d'un roi, ou sa connaissance des travaux domestiques, connaissance qu'elle avait sans doute acquise alors qu'elle était encore une princesse heureuse et enviée, vivant dans un palais, et entourée d'un grand nombre de serviteurs?
- Cette histoire est-elle bien vraie ?
- Oui, mon enfant, dans tous les détails; et on pourrait y en ajouter beaucoup d'autres qui ne me viennent pas à la mémoire en ce moment.
- Qu'advint-il enfin d'elle?
- Elle fut élargie, et envoyée en Autriche, auprès des amis de sa mère; mais il s'écoula tout une année après son arrivée en Autriche, avant qu'on la vit sourire; et quoiqu'elle atteignît le bel âge de soixante-dix ans, elle ne put jamais oublier les terribles souffrances de sa vie de captivité.
Mais, mon enfant, ce que je désire t'enseigner, c'est que quoiqu'il soit parfois fort agréable d'être princesse, il est d'autres circonstances où cela peut devenir fort malheureux. Il n'est pas de rang dans la société, soit haut, soit bas, où la connaissance des devoirs domestiques soit superflue à une femme, pas de situation dans laquelle la possession de cette connaissance ne la rende pas beaucoup plus heureuse et plus utile.

Les enfants ne comprennent souvent pas dès l'abord ce qui est pour leur bien; en sorte que je ne puis dire qu'en ce moment Emma prit plaisir à balayer et à épousseter. Mais souvenez-vous, chères petites lectrices, que la femme la plus noble est celle qui sait employer son temps et ses forces à faire du bien à ceux qui l'entourent, qui ne recule devant aucun devoir qu'elle peut être appelée à remplir, et qui s'acquitte toujours joyeusement de sa tâche.

 



(2) LE PETIT JEAN ET SA MONITRICE.

Au nombre des élèves d'une école du dimanche d'un de nos grands villages agricoles, était un petit garçon irlandais dont l'air intelligent, l'application et l'assiduité aux leçons avaient attiré l'attention de sa monitrice. Après quelques dimanches, toutefois, le petit garçon ne reparut plus, et les personnes qui désiraient aller s'informer de la cause de son absence ne purent savoir où il demeurait. Quelque temps plus tard, il paraissait regarder avec intérêt l'un ou l'autre des moniteurs ou le directeur de l'école quand ils passaient; mais aussitôt que ceux-ci faisaient mine de vouloir s'approcher de lui, notre gamin partait à toutes jambes, franchissant haies et barrières avec une célérité remarquable, en sorte qu'il n'était pas possible de l'aborder.

Sa monitrice était une jeune fille appartenant à l'une des familles les plus aisées du village. Par une froide après-midi de décembre, un mois après que le petit Jean eut discontinué d'assister à l'école du dimanche, il se présenta à la porte de derrière de la maison qu'habitait sa monitrice, demandant s'il ne lui serait pas possible de voir Mlle L.

- Non, non! lui dit brusquement la cuisinière; penses-tu que Mademoiselle veuille se déranger pour venir vers toi sous ce hangar. Si tu as réellement quelque chose à lui dire, entre dans la maison.
- Je ne suis pas assez propre pour entrer, dit timidement Jean, rougissant légèrement en jetant un coup d'oeil sur, ses habits râpés et ses gros souliers crottés.

Il arriva qu'en ce moment Mlle L. passant dans le corridor, entendit et comprit la voix du petit garçon. Aussitôt, elle s'empressa d'aller voir ce qu'il désirait. Quelque peu confus, Jean baissa la tête pendant quelques instants, tandis que la jeune fille lui prenait les mains et lui demandait s'il avait été malade, ou quelle était la raison pour laquelle il avait discontinué d'assister à l'école du dimanche.

- Mon papa ne voulait pas me permettre de venir, dit-il enfin en sanglotant; il m'a battu parce que j'avais assisté à une école protestante, puis il m'a conduit chez le curé où il m'a de nouveau battu plus fort que jamais.
- Pauvre enfant! dit Mlle L. Mais ton papa sait-il que tu es venu ici cet après-midi?
- Non, Mademoiselle; mais il m'a dit que je pourrais avoir chaque semaine une demi-journée de congé pour aller patiner, si je lui promettais de ne pas retourner à l'école du dimanche. J'ai donc apporté mon Testament, pensant que vous seriez peut-être assez bonne pour m'enseigner ici.

Cette démarche n'était-elle pas hardie? Jean ne savait-il pas bien que le temps de Mlle L. était bien rempli par ses devoirs domestiques? Et cette dernière n'aurait-elle pas pu penser que tout ce qu'elle pouvait faire, c'était d'enseigner sa classe le dimanche? Ah, non ! Qu'étaient le temps, la force et les plaisirs, en comparaison de la valeur d'une âme ? Mlle L. n'eut d'autre pensée que celle de remercier le Seigneur pour cette occasion exceptionnelle qu'il lui accordait de faire du bien.

Chaque semaine, Jean passait donc sa demi-journée de congé assis à ses côtés, dans sa riche bibliothèque, lisant et étudiant avec ardeur la Parole du Maître qui a dit: « Laissez venir à moi les petits enfants. »

Le temps du patinage était passé; la dernière glace avait disparu de dessus l'étang, et jamais Jean n'avait passé une seule de ses demi-journées de congé à cet amusement favori. Il avait trouvé une source de jouissances plus pures et plus profondes que celles que les jeux d'enfants pouvaient lui procurer.
Mais son nouveau moyen d'instruction ne pouvait pas demeurer caché à toujours. Il arriva une fois à Jean de laisser tomber de sa poche en présence de ses parents un Testament passablement défraîchi.

- Qu'est-ce que cela? demanda le père.
- C'est mon Testament, papa, répliqua Jean de sa voix la plus douce.
- D'où le tiens-tu ? Es-tu retourné à l'école protestante depuis que je t'ai défendu d'y remettre les pieds ?
- Non, papa; mais c'est ma monitrice qui me l'a donné, il y a longtemps.
- Et qui est-ce qui était ta monitrice?
- Mlle L.
- Quelle demoiselle L. ? celle qui habite cette belle maison, au haut de la colline ?
- Oui, papa.
- Tiens, tiens! que peut-il bien y avoir dans ce livre? Lis-nous-en donc quelques passages.

Par une dispensation toute particulière de la Providence, c'était alors l'une des rares exceptions où M. Ryan était de sang-froid; et comme l'enfant lisait passage après passage dans son cher livre, le père était saisi par les vérités de la sainte Parole. À partir de ce jour, il commença à s'enquérir diligemment et avec sincérité de coeur de la vérité qui est en Jésus. Il parvint, avec l'aide de Dieu, à surmonter sa passion pour les boissons fortes, qui avait été la cause de sa dégradation, parce qu'une soif plus ardente s'était emparée de lui : il buvait à longs traits à la source où ceux qui boivent n'ont plus jamais soif.

Revenu à la sobriété, M. Ryan était un homme actif et intelligent, et grâce au renouvellement de son énergie, sa famille se trouva bientôt dans une situation aisée et respectable. Mais là ne se borna pas le bien dont l'amour de Jean pour la vérité avait été l'occasion.

Quelques mois plus tard, son père et sa mère avaient l'un et l'autre brisé les chaînes de la restreinte des prêtres, et recevaient en toute humilité la bonne Parole qui pouvait les sauver.

Jean n'avait-il pas fait le meilleur usage possible de ses vacances d'hiver ? et sa monitrice ne se trouvait-elle pas richement récompensée pour toute la peine qu'elle s'était donnée?

Combien y en a-t-il parmi nos jeunes lecteurs qui veulent étudier avec une égale ardeur la parole de vérité à laquelle ils peuvent toujours avoir accès, Pour y apprendre le chemin de la vie? Combien de moniteurs et de monitrices veulent prendre leur tache au sérieux, comme Mlle L., dans l'espoir d'arracher une âme précieuse à la mort?



(3) UNE ÉPISODE DE VIE D'ÉCOLE.

- Oh si vous saviez! cela me fait mourir de rire, s'écriait Léonie Belle, partant d'un nouvel éclat qu'elle s'efforçait en vain de réprimer derrière son élégant mouchoir de soie.
- Qu'est-ce, qu'il y a donc? Tu es vraiment insupportable! Pourquoi ne nous le racontes-tu pas que nous puissions rire aussi ?
- Eh bien voyez-vous dit-elle enfin, nous avons une nouvelle compagne, mais c'est la plus curieuse créature que j'aie jamais vue. J'étais dans la chambre de la directrice quand elle est arrivée. Elle se présentait avec une vieille petite malle, guère plus grande qu'un carton à rubans; elle est entrée dans la chambre de la directrice, et s'est assise comme si elle venait pour rester indéfiniment. « Est-ce à Mme Gazin que j'ai l'honneur de parler, » dit-elle en arrivant. - Oui, répondit la directrice, précisément. - Je suis venue pour passer une année dans votre institution.
Puis elle tira de son panier un mouchoir de poche, le déroula jusqu'à ce qu'elle arriva enfin à une vieille bourse de cuir de laquelle elle tira quinze cents francs, et les déposa dans la main de madame, lui disant : « Je crois que c'est juste la somme. Auriez-vous la bonté de m'en faire un reçu ? » Grand fut l'étonnement de la directrice. Elle ne sut que dire pendant une minute; mais elle lui donna enfin le reçu demandé, lui posa quelques questions et lui assigna la chambre N° 10. C'est là qu'elle se trouve en ce moment.
- Et puis, qu'y a-t-il là de tellement risible ?
- Eh bien le voici : c'est qu'elle a des cheveux roux, enfermés dans une résille noire, et qu'elle ressemble plus à un épouvantail qu'à rien d'autre. Elle portait une robe brune qui n'avait ni volant, ni garniture d'aucun genre, et le châle et le chapeau les plus piteux que j'aie jamais vus. Vous rirez aussi quand vous la verrez.

Mlle Belle était la fille unique d'un riche citoyen qui se plaisait à lui accorder tout ce qu'elle pouvait désirer. C'est ainsi qu'il l'habillait beaucoup trop bien pour une fille d'école, et qu'il lui donnait de l'argent de poche à discrétion. Or comme elle était généreuse, remplie de vie et de gaieté, elle était le chef reconnu des élèves de Mme Gazin.

L'heure du repas arrivée, la nouvelle venue fut escortée dans la salle à manger, et présentée à ses compagnes d'études comme Mlle Anne Comte. Elle avait échangé sa robe brune contre une autre de calicot, avec un étroit liséré blanc autour du cou. Elle avait véritablement un aspect étrange, avec son visage amaigri, couvert de lentilles, ses cheveux rejetés directement en arrière, et cachés, autant que possible, sous sa grande résille noire. Si ce n'eût été à cause de la présence de la directrice, son introduction aurait été rien moins qu'agréable. Anne paraissait fort timide et gauche; elle se trouvait évidemment mal à l'aise parmi tant d'étrangères. Elle regagna sa chambre aussitôt que possible.
Le jour suivant, elle subit son examen, et ses places lui furent assignées dans les différentes classes. À la grande stupéfaction de toutes, elle se trouvait de beaucoup en avant des jeunes filles de son âge. Mais cela ne suffit pas pour lui concilier le respect de ses compagnes, comme ç'aurait dû être le cas. Au contraire. Mlle Belle et ses amies s'en sentirent grandement offusquées, et elles se mirent aussitôt en devoir de lui faire subir toutes sortes de tracasseries, chaque fois qu'elles purent le faire sans s'exposer à. encourir le blâme de leurs institutrices.

Tout cela oppressait grandement Anne, quoiqu'elle fit comme si elle n'y prenait pas garde. Quelques semaines se passèrent ainsi. Elle récitait toujours ses leçons à souhait. Elle ne fit aucune plainte au sujet des tracasseries et des quolibets qu'elle avait à essuyer de la part de ses compagnes; mais elle se tenait à l'écart autant que possible. Des cercles noirs commencèrent bientôt à se former autour de ses yeux. La sollicitude d'une amie eût découvert que toutes ces choses étaient plus qu'elle ne pouvait supporter; mais des amies, elle n'en avait point. Un samedi, la méchanceté de ses jeunes compagnes ne sembla plus connaître de bornes. La directrice était absente, et les autres institutrices étaient occupées dans leurs chambres. Anne rentrait d'une petite promenade, et comme elle approchait de la porte de sa chambre, elle se vit entourée d'une douzaine de jeunes filles qui se donnèrent la main, de sorte qu'elle se trouvait leur prisonnière. Elle les supplia un moment du ton le plus lamentable de la laisser tranquille; mais elles ne riaient que plus haut et se mirent à chanter un chant que Mlle Belle avait composé pour la circonstance; c'étaient des paroles cruelles et des plus insultantes à l'adresse de la pauvre fille, Pendant quelques instants, elle demeura au milieu de ses compagnes pâle et immobile; puis poussant un cri perçant, elle se jeta sur la chaîne, parvint à se dégager et entra dans sa chambre dont elle ferma la porte à double tour. Au milieu de leurs sots éclats de rire, les jeunes étourdies entendirent un étrange gémissement, puis une lourde chute.

- Je crois qu'elle s'est évanouie, dit Mlle Belle.
- Que faire ? ajoute une autre.

Elles restèrent quelques instants stupéfaites et plongées dans un morne silence. L'une d'elles courut enfin chez une institutrice, pour lui annoncer qu'Anne s'était enfermés dans sa chambre, et qu'elle s'y était évanouie.
Celle-ci pria aussitôt le concierge de prendre une échelle, et d'essayer d'entrer par la fenêtre dans la chambre de la jeune fille, pour s'assurer de ce qui en était. La fenêtre ne se trouvait heureusement pas fermée, et quelques instants après, la porte était ouverte. Les jeunes filles effrayées se groupaient à la porte, tandis que l'institutrice relevait le corps inanimé de la jeune fille pour le mettre sur son lit. En recouvrant ses sens, Anne fut d'abord en proie à de violentes convulsions. On se hâta de faire appeler le docteur. Les convulsions passées, celui-ci observa des symptômes alarmants, et il déclara que c'était un cas fort grave de fièvre cérébrale. Il serait impossible de décrire la honte des jeunes filles et les remords dont leur conscience était bourrelée. Elles n'étaient pas assez courageuses pour confesser leur tort, mais elles s'empressaient autour de la chambre de la malade pour offrir leurs services, cherchant en vain l'occasion de réparer le mal qu'elles avaient fait. Mais leur présence ne faisait qu'aggraver la condition de la pauvre souffrante, de sorte qu'elles ne purent plus aller en sa présence. Jour après jour se passait, et toujours elle était en proie à un délire violent. On ouvrit la petite malle pour y chercher un peu de fil, mais on n'y trouva que les habits les plus simples et les plus indispensables. Le docteur paraissait toujours fort grave et fort inquiet. La crise arriva enfin. Pendant plusieurs heures, Anne demeura inconsciente, et on ne permit pas de faire le moindre bruit autour d'elle en attendant, que l'on sût si elle vivrait ou si elle mourrait. Elle ouvrit enfin les yeux; et l'angoisse des jeunes filles fut un peu soulagée par une parole rassurante du docteur. Avec des soins intelligents, dit-il, elle recouvrera rapidement la santé. Mais sa convalescence fut lente et pénible.

Celles qui l'avaient précédemment persécutée n'osaient pas parler de ce qu'elles lui avaient fait, mais elles lui envoyaient chaque jour de petits bouquets embaumés, et quelques friandises pour exciter son appétit. Les yeux de la malade étincelaient de surprise et de plaisir à la réception de ces marques d'attention. Durant tout le cours de son long délire, pas une parole de plainte à propos de tous les mauvais traitements qu'elle avait endurés ne s'échappa de ses lèvres.

Un jour que la directrice la trouvait beaucoup plus forte que d'ordinaire, elle, se hasarda à lui demander des nouvelles de ses amis.

- Je n'ai point d'amis, Madame, dit la jeune fille; je n'ai que mon cousin Jean qui a une grande famille et qui ne s'est jamais occupé de moi. Ma mère est morte en me donnant le jour. J'ai eu une belle-mère; mais mon père étant mort cinq ans après ma mère, j'ai dû me suffire depuis.
- Et vous n'avez maintenant que quinze ans ?
- Oui, madame.
- Comment avez-vous pu vous procurer la somme nécessaire pour payer votre pension et toutes vos dépenses ici, pendant une année ?
- J'ai gagné tout cet argent moi-même. Aussitôt que je fus assez grande, j'entrai clans une fabrique, où je gagnai d'abord dix francs par semaine, et ensuite dix-sept cinquante, et je travaillais le matin et le soir pour gagner ma pension.
- Pauvre enfant !
- Oh non, Madame, je le faisais joyeusement.
- Mais comment se fait-il que vous soyez aussi avancée dans vos études ?
- J'avais coutume de placer un livre ouvert sur mon métier, où je pouvais lire de temps à autre une phrase; le contremaître me le permettait, parce que je faisais néanmoins toujours bien mon travail. Vous comprenez, Madame, que je désirerais devenir institutrice. Pensant que je pourrais mieux m'instruire ici qu'ailleurs, j'ai pris la résolution de venir.
- Que vous proposez-vous de faire pendant les grandes vacances?
- Il faut que je rentre à la fabrique pour gagner quelque argent afin de pouvoir acheter des habits plus chauds. Vous comprenez, maintenant, Madame, pourquoi je ne puis pas mieux m'habiller.

La directrice avait le coeur gros. Se penchant sur le visage amaigri de sa jeune élève, elle le baisa avec respect.
Le soir, lorsque les élèves se réunirent à la chapelle pour le culte, elle leur raconta l'histoire d'Anne. À ce récit, toutes les paupières s'humectèrent. Au moment où madame achevait son histoire, Mlle, Belle se levant tout en larmes, s'écria :

- Oh, madame, j'ai été terriblement méchante et cruelle envers cette pauvre fille. Nous en avons fait notre risée dès son arrivée, et elle ne serait certainement pas tombée malade, si nous ne l'avions pas tellement tourmentée. C'est moi qui étais le plus coupable. C'est moi qui donnais l'exemple aux autres, et je ne saurais dire combien j'ai souffert pendant ces dernières semaines, dans la crainte qu'elle mourût. Vous pouvez me renvoyer ou me punir comme vous le jugerez à propos : je le mérite, et j'irai lui demander pardon à genoux aussitôt que vous me permettrez d'aller la voir.
- Mon enfant, je suis fort peinée d'entendre ce que vous venez de me dire. J'ai peine à croire que mes élèves se soient jamais permises de mépriser une de leurs compagnes parce qu'elle avait le malheur de n'être pas très bien vêtue et d'être pauvre. Mais vous avez fait une noble confession, et je vous pardonne d'aussi bon coeur que j'espère qu'elle vous pardonnera elle-même, quand elle aura appris combien vous regrettez d'avoir aussi mal agi à son égard.

À mesure qu'elle pouvait le supporter, ses compagnes venaient à tour de rôle vers Anne pour lui demander un pardon qu'elle leur accordait de grand coeur.

- Je ne m'étonne nullement que vous vous soyez moquées de moi, disait-elle; je sais que j'étais mal vêtue, et terriblement laide. Il y a fort longtemps que je me serais déjà arraché tous les cheveux, mais je sais que cela ne servirait de rien : ils repousseraient tout aussi roux que jamais. Oh! si seulement j'avais eu ne fût-ce qu'une amie parmi vous ! J'aurais pu tout supporter; mais mon coeur était brisé de voir que vous vous tourniez toutes contre moi. »

Après cela, elle entra rapidement en convalescence, et tout par un beau jour, le docteur déclara qu'elle pouvait rejoindre ses compagnes pour une heure avant le goûter. Il y avait eu beaucoup de chuchotements et de va-et-vient parmi les jeunes filles ces derniers temps, mais Anne, confinée dans sa chambre, ne s'était aperçue de rien.

Au temps marqué, la directrice elle-même vint pour la conduire. Appuyée sur son bras vigoureux la jeune fille marcha avec peine le long du long corridor, et descendit les escaliers.

- Ma chérie, lui dit-elle, vos compagnes vous ont ménagé une petite surprise, pour vous rendre cette heure aussi agréable que possible.

Elle ouvrit la porte, installa Anne sur un bon fauteuil, et les jeunes filles entrèrent toutes souriantes, en chantant un beau chant de bienvenue. À la fin, Léonie Belle s'approchant, lui posa sur la tête une magnifique couronne de fleurs, en lui disant : Chère Anne, nous te couronnons aujourd'hui comme notre reine, sachant que tu nous es fort supérieure aux yeux de Celui qui regarde au coeur, et non pas à l'extérieur. Tu nous as enseigné une leçon que nous n'oublierons jamais, et nous te prions de recevoir un témoignage de notre affection sincère, ainsi que de notre repentir pour notre conduite passée à ton égard. Ce témoignage, tu le trouveras dans ta chambre à ton retour.

Les yeux d'Anne étaient remplis de larmes; elle voulut articuler quelques paroles en réponse, mais la directrice parla pour elle, et après un autre chant, les jeunes filles suivirent la reine qu'elles venaient de couronner dans la salle à manger, où un repas des plus appétissants les attendait en l'honneur de la circonstance. Anne pleurait de joie en silence pendant toute la durée du repas. Toutefois, elle paraissait tellement fatiguée par suite des émotions extraordinaires de ce jour que la directrice ne jugea pas à propos de lui faire voir ce même soir « l'offrande de paix » de ses compagnes. Le matin suivant, la première chose qu'elle vit à son réveil, ce fut une belle grande malle sur laquelle se trouvait une carte avec ces mots : À Mademoiselle Anne Comte, de la part de ses compagnes et de ses institutrices. En l'ouvrant, elle la vit remplie de vêtements neufs; mais elle n'eut le temps d'en examiner le contenu qu'après le déjeuner, quand elle eut été laissée seule avec ses magnifiques cadeaux. Il s'y trouvait de belles robes neuves, des jaquettes, un beau parasol, des gants et des rubans, des ruches et des cols en abondance; en un mot, tout ce dont une jeune fille pouvait avoir besoin. Chacune des deux cents et dix élèves de Mme Gazin avait voulu contribuer pour sa part de ce qu'elle avait de meilleur pour faire à leur compagne moins favorisée un trousseau complet. Au fond de la malle se trouvait un pupitre bien rempli, ainsi qu'un magnifique album contenant les photographies de toutes ses compagnes, une jolie bourse renfermant 25 francs, et le billet suivant écrit de la main de la directrice

MA CHÈRE ENFANT, - Le présent vous servira de reçu pour toutes vos dépenses, pour aussi longtemps qu'il vous semblera bon de demeurer avec nous. Je vous l'offre comme témoignage sincère de mon amour et de mon respect.

« JEANNE GAZIN. »

 

À l'heure du dîner, on la trouva par terre, entourée de ses nouveaux trésors, et pleurant comme une enfant; mais cela lui fit du bien. Elle fut bientôt assez forte pour reprendre ses études; et depuis, elle fut toujours traitée avec amabilité et respect, alors même que tous ses cheveux fussent tombés, que sa tête fût aussi chauve que son visage, et qu'elle dût porter pendant plusieurs semaines une espèce de bonnet étrange, lui enveloppant toute la tète.

Le temps des grandes vacances arrivé, Léonie l'invita à aller les passer dans leur riche habitation où, pour la première fois eu sa vie, elle se trouva entourée de tous côtés de beauté et de luxe, et où elle fut traitée somme une hôte aimée et respectée. Il ne se passa pas longtemps avant qu'Anne pût mettre de côté son étrange coiffure. Une pousse abondante de cheveux bruns bouclés encadraient son visage comme d'une couronne de gloire, ce qui la rendait presque belle.

Douce, aimable, et chérie de toutes, elle demeura au collège, fut graduée avec distinction, après quoi la directrice lui offrit sa situation avec des appointements fort élevés, offre qu'elle accepta avec empressement et reconnaissance.



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