(4)
UNE PAROLE
OPPORTUNE.
Charles et Henri sont commis dans le
même magasin de gros. Un matin, ils font
ensemble la route pour s'y rendre. Après
avoir parlé quelques moments sur,
différents sujets, le dialogue suivant
s'engage entre eux:
- À propos, Charles, j'apprends
que tu étais hier soir à...
désignant un café-billard.
- Ce n'est pas le cas, Henri, je ne mets
jamais les pieds dans un
café-billard.
- C'est ce que je supposais; aussi cette
nouvelle m'étonnait-elle beaucoup.
- Et pourquoi donc?
- Pourquoi? dit Henri d'un ton qui
trahissait son étonnement. Parce que tu te
dis religieux et que tu es membre d'une
Église.
- N'entres-tu jamais dans de tels
établissements, Henri?
- Oh! que oui; mais c'est tout
différent. Tu sais que je ne fais pas
profession de religion.
- Penses-tu que ce serait mal à
moi d'y entrer?
- Naturellement.
- Et tu crois que c'est bien pour toi
?
- Pourquoi pas? Quel mal pourrait-il y
avoir ?
- Comment expliques-tu cette
différence?
- Par la simple raison que je ne suis
pas lié par les mêmes obligations que
toi.
- Et qui est-ce donc qui t'a
libéré de ces obligations qui
pèsent sur moi?
- À quoi bon perdre notre temps
à raisonner, Charles, tu sais fort bien que
les chrétiens ne doivent pas s'adonner
à des amusements qu'ils considèrent
comme pernicieux.
- Je sais fort bien qu'ils ne le
devraient pas; mais je me demande
pourquoi ce serait mal pour eux,
et bien pour d'autres.
- Tu sais parfaitement qu'il en est
ainsi.
- Non; je ne sache pas que ce soit le
cas; et je désire te faire observer que
l'obligation d'éviter le mal et de faire le
bien repose sur tous les êtres raisonnables
habitant un pays chrétien. Dieu commande
à fous les hommes de l'aimer; et la
différence existant entre le croyant et le
non-croyant est que l'un reconnaît ses
obligations tandis que l'autre les rejette; or un
refus de reconnaître ne dispense nullement de
l'obligation. Dieu ne nous dit pas de l'aimer, si
cela nous convient; mais il nous l'ordonne
impérieusement à toi et à moi.
Toi et moi avons la liberté de nous adonner
à tous les amusements et de suivre nos
inclinations en toutes choses; mais ton devoir
aussi bien que le mien est d'éviter tout mal
et d'honorer la loi de notre Maître en nous
détournant de la
méchanceté.
Réfléchis à ces
choses, mon ami, et reconnais les
responsabilités que tu ne saurais
éviter, et dont tu ne désireras plus
d'être débarrassé après
les avoir acceptées.
Ils arrivaient alors au magasin, et
chacun se rendit dans son département. Ces
deux jeunes hommes étaient entrés en
même temps au service de la maison A. B.
& Cie, environ deux ans avant que cette
conversation eût lieu. Charles avait
mérité la confiance de ses chefs, et
il avait eu de l'avancement. Le plus ancien
associé de cette maison de commerce se
proposant de se retirer des affaires, était
en quête. d'un jeune homme sûr et,
énergique pour l'adjoindre à son fils
comme associé. Or Charles lui avait paru
précisément la personne convenable.
Il l'avait observé attentivement, et avait
cru découvrir en lui toutes les aptitudes
désirables pour réussir dans les
affaires.
Il avait aussi surveillé la
conduite de Henri. Il avait appris qu'on le voyait
dans des lieux où un homme
qui aspire à une position honorable ne se
rendra jamais, et il était sur le point de
proposer à ses associés de lui donner
son congé. Il savait qu'un commis dont les
habitudes dispendieuses exigent plus d'argent qu'il
n'en peut gagner, aura presque infailliblement
recours à des moyens peu avouables pour
couvrir le déficit. Des cas de ce genre se
présentent presque chaque jour dans et aussi
longtemps qu'on rencontrera des
petits-maîtres portant des habits plus
coûteux que ceux de leurs patrons, de grandes
chaînes de montre d'or, de beaux
chronomètres, et des bagues ornées de
pierres précieuses, on pourra s'attendre
à entendre parler de beaucoup de
détournements.
La conversation que nous avons
rapportée produisit une profonde impression
sur l'esprit de Henri. Jamais ce sujet ne lui avait
encore été présenté
sous ce jour. Il avait supposé, comme
beaucoup d'autres, qu'il n'était sous le
poids d'aucune obligation aussi longtemps qu'il ne
les avait pas reconnues publiquement, et qu'il
n'était pas entré dans une
Église. Henri n'avait nullement l'intention
de mourir de la mort des pécheurs; cette
pensée ne lui était jamais venue. Sa
ferme intention était de se convertir,
après avoir joui de ce qu'il se plaisait
à appeler les plaisirs de la jeunesse.
Après cette conversation avec Charles, il ne
put oublier la pensée de sa
responsabilité devant Dieu. Ses amusements
dégradants et ses habitudes dispendieuses se
présentèrent à lui sous un
jour tout nouveau, et il commença à
en voir la véritable tendance. Il en
résulta un changement radical dans sa
conduite. Ce changement fut si marqué que
tous les employés ne tardèrent pas
à s'en apercevoir, et qu'il n'échappa
pas aux patrons non plus.
Henri demeura dans la maison,
avança progressivement, jusqu'aux plus hauts
emplois, et il devint enfin le plus jeune
associé de la maison dont Charles
était sociétaire
depuis quelque temps. Il a toujours attribué
son bonheur et sa prospérité aux
paroles opportunes de son camarade de magasin. Il a
réussi non seulement comme négociant,
mais aussi comme chrétien, exerçant
une influence puissante et bénie sur ceux
qui l'entouraient, mais particulièrement sur
les jeunes employés de sa maison.
(5)
UNE
MISSIONNAIRE.
Catherine Lecomte vient d'une réunion de
missions où elle a entendu une dame qui a
été elle-même quinze ans
missionnaire en Afrique. Elle n'a
présenté que les beaux
côtés de l'oeuvre; aussi Catherine
est-elle tout enthousiasmée.
- J'ai résolu de devenir
missionnaire quand j'aurai environ quarante ans,
dit-elle en rentrant.
- Mais pourquoi attendre d'avoir
quarante ans? lui dit sa mère en levant les
yeux de dessus sa couture.
- Eh bien, il faut d'abord que je gagne
beaucoup d'argent en enseignant; que
j'écrive peut-être quelques ouvrages;
puis, quand mes cheveux commenceront à
grisonner, et mes dents à tomber, j'aurai
toujours assez bonne façon pour aller
enseigner l'Évangile; cela
importe assez peu aux païens.
- Ton plan est très beau, si tu
peux le mettre à exécution, dit Mme
Lecomte. Mais souviens-toi que Mme X. qui est morte
la semaine dernière avait juste quarante
ans. Ne penses-tu pas que tu ferais bien de fixer
ton départ à un âge moins
avancé?
- Eh bien, peut-être que cela
pourrait aller à trente-cinq.
- Oui; ce ne serait que garder les sept
huitièmes de ta vie pour toi, et donner
l'autre huitième à Jésus. Cela
pourrait encore aller; mais tu te souviens que la
tante Catherine est morte à l'âge de
trente-cinq ans. Cette décision serait-elle
bien sûre ?
- Eh bien, je partirai à trente
ans, dit Catherine en se rendant, à la
fenêtre pour regarder dehors.
- Trente, cela va mieux; c'est
précisément l'âge qu'avait la
tante Marie quand elle fut précipitée
de voiture, en faisant une partie de plaisir ; et
tu sais qu'elle n'a pas été capable
de marcher depuis.
Catherine regardait par la fenêtre
et se trouvait fort mal à l'aise. Il lui
semblait qu'il n'avait jamais passé aussi
peu de personnes âgées dans la
rue.
- Je pourrais peut-être aller
à vingt-cinq ans, dit-elle enfin en poussant
un soupir.
- Tu serais assez jeune alors pour aller
en Afrique, dit Mme Lecomte; mais tu te souviens
que l'aimable Mlle Robin qu'on a ensevelie la
semaine dernière justement à cet
âge se proposait aussi de se rendre dans les
Indes.
- Je crois donc, dit Catherine en se
retournant vers sa mère, les larmes aux
yeux, et le sourire sur les lèvres, que je
devrais me décider à partir sans
délai.
- C'est là ce que tu feras, ma
chère, si tu veux être une
ouvrière chrétienne; mais commence
par travailler aujourd'hui, et ici-même pour
le Sauveur. Si tu vivais vingt-cinq ans pour toi,
il te serait fort difficile ensuite de changer
tout d'un coup le cours de ta vie
et de ne plus vivre que pour les autres.
Ne perds pas ton temps à penser
aux grandes choses que tu te proposes de faire par
la suite; mais acquitte-toi chaque jour avec
fidélité, de tous les petits devoirs
qui se présentent jusqu'à ce qu'enfin
le Seigneur voie que tu as acquis assez de force
pour pouvoir supporter de grandes choses.
- Je m'efforcerai de le faire, maman; je
puis prendre soin du bébé, et faire
avec joie tout ce que tu pourras me
commander.
Catherine tint parole; elle se mit
aussitôt à l'oeuvre, et elle
commença de la bonne façon. Les
missionnaires au foyer sont aussi indispensables,
et accomplissent une oeuvre tout aussi grande que
ceux qui se rendent dans les pays étrangers;
et de plus, tous ne peuvent pas être
envoyés chez les païens.
Catherine s'occupa de l'oeuvre de Dieu
de différentes façons, et ses efforts
furent bénis, aussi bien pour elle que pour
son entourage. Il y avait plusieurs choses qu'elle
pouvait faire pour soulager sa bonne maman. En
s'acquittant de ses devoirs, elle était
comme un ange de miséricorde. Elle allait
porter un panier de provisions à quelque
pauvre veuve et à des orphelins, même
par la pluie et la neige; elle adressait quelques
paroles de consolation aux affligés; elle
réunissait et enseignait à
l'école du Sabbat les petits enfants du
voisinage qui sans elle n'auraient peut-être
jamais été instruits dans les choses
de Dieu; elle amenait au bercail des brebis qui
n'auraient jamais connu la porte de la bergerie du
bon Berger.
C'est ainsi que Catherine se
prépare pour des travaux missionnaires plus
importants, si le Seigneur lui accorde la vie et la
santé pour les faire. Et si c'était
sa volonté de l'enlever à son champ
d'activité, elle n'en sera pas moins au
nombre de ceux auxquels le Maître dira:
« Cela va bien, bon et fidèle
serviteur.... entre dans la joie de ton Seigneur.
»
(6)
LÉON
LABARTHE.
Léon Labarthe était le pire
garçon du village; l'indulgence de son
père l'avait gâté. « Ne
reprends pas cet enfant, disait-il à sa
femme quand elle voulait le corriger : ce serait
anéantir entièrement sa
personnalité. » Et c'est ainsi qu'en
grandissant, il devint la terreur de tous les
voisins. Les, vieillards, les estropiés, les
infirmes étaient en butte à ses
vexations. Il se plaisait en particulier à
couvrir de mépris une pauvre vieille femme,
courbée par l'âge et les
infirmités, qui venait tous les jours avec
son seau pour puiser de Peau tout près de la
maison d'école.
- Regardez, disait-il à ses
camarades; n'est-elle pas une S avec un crochet en
plus? » Mais malgré toutes les
invectives dont elle était l'objet de la
part de ce méchant garnement, et toutes les
grimaces qu'il lui faisait en la suivant de
près, la pauvre vieille ne paraissait pas y
prendre garde. Un jour, toutefois, elle se
détourna, puis le regardant avec
indignation, elle lui dit:
- Va à la maison, mon enfant, et
tu y liras l'histoire d'Élisée et des
deux ours qui sortirent de la forêt.
- C'est une honte, lui dit Louis
Nicolier, que de se rire ainsi des infortunes des
autres! Ma grand'mère m'a dit que cette
pauvre femme était devenue infirme en
voulant soulever son fils qui était idiot,
et dont elle prenait soin jour et nuit.
- Il m'importe assez peu de savoir ce
qui l'a rendue ainsi, répliqua Léon;
mais ce que je sais, c'est que je ne resterais plus
parmi les gens si j'étais aussi horrible.
Mais regarde donc cela!
- Tu devrais rougir de parler ainsi, dit
Louis; c'est une honte! C'est une honte!
répétèrent en choeur tous les
garçons présents. Et pour lui
témoigner de leur sympathie, plusieurs
s'avancèrent et
aidèrent à la pauvre femme à
porter son eau; mais c'est Louis Nicolier, - qui
était le plus âgé, et toujours
le premier à donner l'exemple du bien, qui
s'avança le premier.
- Permettez que j'aille chercher votre
eau, Madame, lui dit-il en saisissant le seau
qu'elle tenait à la main.
La voix de la pauvre femme tremblait
d'émotion, et ses yeux étaient
remplis de larmes, quand elle lui dit: - Je te
remercie, mon cher enfant. Fasse le Ciel que tu ne
sois jamais affligé d'une telle
infirmité.
- Si c'était jamais le cas, ce
serait le devoir des jeunes gens de m'aider, et ils
devraient s'estimer heureux de pouvoir le faire.
L'un de nous vous apportera chaque jour votre eau,
de sorte qu'à l'avenir vous n'aurez plus
besoin de la venir chercher.
- Oui, répondirent plusieurs des
enfants.
- Que Dieu vous bénisse; que Dieu
vous bénisse tous, dit-elle en reprenant le
chemin de sa solitude demeure, et en essuyant une
larme du coin de son tablier.
Informé de la conduite de
Léon Labarthe, son instituteur le condamna
à étudier tout une semaine pendant
les heures de récréation. La punition
était sévère, car Léon
aimait beaucoup mieux le jeu que ses livres; mais
combien elle était légère en
comparaison de la rétribution qui
l'attendait!
Le deuxième jour de sa
réclusion, il était devant la
fenêtre, suivant des yeux les jeux de ses
camarades. Mais soudain, comme le maître
était absorbé par ses occupations,
Léon s'élança au milieu d'eux
en poussant un cri de joie à la
pensée de l'exploit qu'il venait de
faire.
- Qu'il me punisse de nouveau, s'il le
peut, s'écria-t-il; puis il se mit à
courir en arrière en élevant les
bras, et en poussant un cri de défi quand
....... sa voix cessa soudain de se faire entendre;
une lourde chute et un horrible gémissement
parvinrent jusqu'aux oreilles des
enfants consternés, puis tout rentra dans le
silence.
Il arriva qu'en ce moment le puits dont
nous avons précédemment parlé
était en réparation, et que les
ouvriers qui y travaillaient se trouvaient à
une certaine distance pour chercher des
matériaux. Ils avaient négligé
d'en recouvrir l'ouverture, en sorte qu'au moment
où il jouissait de son triomphe, Léon
s'y trouvait précipité à la
renverse. Un cri d'horreur échappa à
tous les garçons assemblés, qui se
précipitèrent autour de l'ouverture
du puits. Louis Nicolier, le plus courageux de
tous, fut le premier à saisir la corde, et
à s'attacher par le milieu du corps pour
descendre dans le puits et aller porter secours
à son malheureux camarade. Le puits
était fort profond. Fort heureusement, il se
trouvait en ce moment à peu près
vide; mais Léon était immobile et
inconscient au fond. Louis le souleva avec soin;
puis passant un bras autour du corps mutilé,
et apparemment sans vie, de son camarade, et se
tenant à la corde de l'autre, il donna le
signal pour qu'on le retirât. Le visage
livide du méchant garçon remplit tous
les jeunes écoliers d'une terreur
surnaturelle; et en silence, ils le
transportèrent dans la maison de la pauvre
infirme qui se trouvait tout près. De sa
fenêtre, elle avait été
témoin de l'accident; et, appuyée sur
sa béquille, elle s'était
empressée d'aller au-devant d'eux.
Léon fut déposé dans l'humble
maison, et sur le pauvre lit de celle pour laquelle
il avait eu un si profond mépris. Celle-ci
s'empressa d'obéir à cette parole:
« Faites du bien à ceux qui vous
haïssent.... et qui vous persécutent.
»
Ses prières montaient à
Dieu en silence en faveur du petit souffrant. Elle
vida son petit flacon de camphre et épuisa,
pour le soulager, les quelques autres
médicaments qui lui avaient
été donnés par des voisins
charitables. Elle prit les rares morceaux de toile
qu'elle possédait pour lui faire des
pansements à la tête
qui était toute meurtrie et
ensanglantée; puis, s'oubliant
entièrement, elle s'installa à son
chevet, lui appliquant des compresses sur le front,
tandis que quelques-uns des garçons allaient
chercher le docteur, et que les autres allaient
avertir l'instituteur. On supposait que la
tête seule avait souffert de cette chute; et
quand le docteur eut achevé sa besogne, le
pauvre garçon, toujours insensible, fut
transporté à la maison sur un
brancard, et entouré de ses camarades, muets
d'émotion. Ce jour devait produire une
profonde impression sur tous les
élèves de cette école,
l'instituteur, et tous ceux qui entendirent parler
de ce triste accident.
Quelques heures plus tard, quelques
garçons se réunissaient dans la cour
de l'école. Ils parlaient à voix
basse; l'émotion se lisait sur leur visage;
tous étaient pâles et abattus. Louis
Nicolier s'approchant d'eux, leur dit :
- Comment va le pauvre Léon,
quelqu'un de vous a-t-il de ses nouvelles?
- Ne sais-tu pas ? N'en as-tu pas encore
entendu parler? On, dit qu'il a ouvert les yeux, et
qu'il peut parler, mais qu'il a l'épine
dorsale fracassée.
Louis joignit les mains, les
éleva au ciel et ne prononça pas une
parole, mais il éclata en sanglots. Il se
laissa aller quelques instants à
l'émotion; puis, pâle encore et
abattu, mais d'une voix ferme, il dit à ses
camarades :
- Mes amis, oublierons-nous jamais la
leçon qui nous est enseignée
aujourd'hui?
Pauvre Léon! Les paroles sont
impuissantes à décrire les angoisses
physiques et mentales par lesquelles il passa
pendant les longs mois de sa séquestration
sur un lit de souffrances; mais quand il s'en
releva avec un corps faible et
déformé, et une large cicatrice au
front, son coeur était aussi
transformé; son esprit était abattu,
humble et contrit. La repentance avait accompli en
lui une oeuvre parfaite. Quand il entra en
convalescence, et que ses camarades vinrent pour le
féliciter de son
rétablissement, il passa ses bras autour du
cou de chacun d'eux, et ne put leur dire autre
chose que ces mots Pardonne-moi !
pardonne-moi.
À sa requête, la pauvre
vieille femme fut invitée à aller
habiter une jolie, petite maison de campagne
appartenant à son père, dont l'usage
lui fut gratuitement accordé, et sa
mère pourvoyait constamment à ses
besoins. Aussitôt que la chose lui fut
possible, il lui écrivit pour lui demander
humblement pardon; et elle lui donna en retour sa
bénédiction. À partir de ce
temps, la pauvre vieille recevait
régulièrement la moitié de
l'abondante provision d'argent de poche de
Léon; il la visitait dans sa solitude, et
à la fin il fit sa paix avec Dieu, et
reconnut la justice de son châtiment - il se
résigna de bon gré à
être pour la vie impotent et bossu.
Jeunes lecteurs, puisse l'histoire de
Léon Labarthe faire une profonde impression
sur vos coeurs. Respectez les personnes
âgées, qu'elles soient dans
l'abondance ou dans la pauvreté, et estimez
un privilège de pouvoir les soulager dans
leurs infirmités, comme elles l'ont fait
pour vous dans la faiblesse et l'impuissance de
l'enfance. C'est la seule récompense que les
jeunes personnes puissent rendre à celles
qui sont âgées. De plus, la
bénédiction de Dieu reposera sur le
jeune coeur qui s'inclinera avec respect devant les
cheveux blancs.
(7)
LA VOIX DE
MA MÈRE.
Un ami m'a raconté il n'y a pas longtemps
une très belle histoire à propos
d'une parole aimable. Une bonne dame passait devant
une auberge, précisément au moment
où le tenancier mettait brusquement à
la porte un jeune homme. Il était
très jeune et fort pâle; mais ses yeux
hagards et sa mine étrange montraient assez
qu'il était déjà bien
avancé dans le chemin de la perdition.
Brandissant son poing, il menaçait de se
venger de l'homme qui venait de lui infliger un
aussi indigne traitement. Ce jeune homme
était tellement excité et
aveuglé par la colère qu'il ne vit
pas une dame qui se trouvait tout près de
lui, jusqu'à ce que celle-ci lui eût
posé la main sur le bras, et qu'elle lui
eût demandé d'une voix douce ce qu'il
y avait.
Cette parole aimable fut pour le jeune
homme un coup de foudre ; il devint plus pâle
que la mort et se prit à trembler des pieds
à la tête. Regardant la dame quelques
instants, il lui dit en poussant un soupir de
soulagement:
- J'ai cru que c'était la voix de
ma mère : c'est tout à fait le
même timbre! mais il y a bien des
années que ses lèvres se sont
fermées pour toujours.
- Vous avez donc eu une mère qui
vous aimait, lui dit-elle.
- Oh oui! dit le jeune homme en fondant
en larmes, ma mère était un ange et
elle aimait son fils! mais depuis sa mort, tout le
monde s'est tourné contre moi, et j'ai perdu
tout sentiment d'honneur, toute pudeur; je suis
perdu, perdu, pour toujours!
- Non pas perdu pour toujours; car Dieu
est miséricordieux, et sa miséricorde
peut changer le pire des pécheurs, dit la
dame de sa voix douce et mélodieuse. Ces
paroles opportunes firent vibrer les cordes
cachées des sentiments du
jeune homme qui n'avaient pas été
touchées depuis longtemps, et produisirent
un effet magique. Elles éveillèrent
en lui une foule de douces émotions qui
avaient été longtemps ensevelies sous
les décombres du péché et du
crime.
La bonne dame lui adressa encore
quelques paroles d'encouragement, et quand elle
poursuivit sa route, le jeune homme la suivit et
remarqua la maison où elle entrait;. il
inscrivit sur son carnet le nom qu'il vit sur la
plaque d'or de la porte, puis s'en retourna
lentement. L'expression de son visage était
changée, et il était
profondément ému.
Des années se passèrent,
et la dame avait entièrement oublié
cet incident quand tout par un beau jour, un jeune
homme fit présenter sa carte en disant qu'il
désirait voir Madame.
Se demandant qui pouvait bien être
ce visiteur, elle descendit au salon où elle
trouva un jeune homme à l'air noble, qui se
leva à son arrivée et alla au-devant
d'elle, puis en lui tendant la main :
- Veuillez, Madame, pardonner mon
intrusion; mais j'ai franchi bien des
kilomètres pour venir vous remercier du
service inestimable que vous m'avez rendu il y a
plusieurs années, dit-il d'une voix
émue.
Fort embarrassée, la dame demanda
des éclaircissements, ne se souvenant pas
d'avoir jamais vu ce monsieur.
- J'ai tellement changé, lui
dit-il, que vous ne me reconnaissez plus; mais bien
que je n'aie vu votre visage qu'une fois, je suis
certain que je vous aurais reconnue où que
ce fût, aussi bien que le timbre de votre
voix qui ressemble tellement à celui de ma
mère.
Ces dernières paroles
rappelèrent à la dame le jeune homme
auquel elle avait adressé quelques mots
d'encouragement devant une auberge, et les larmes
commencèrent à couler avec abondance
- l'un et l'autre sanglotaient. Après les
premiers épanchements, le jeune homme
raconta à la dame comment
ses paroles aimables avaient été le
moyen de le tirer du bourbier dans lequel il avait
été plongé, et de faire de lui
ce qu'il était en ce moment.
- Ces paroles: « Non; vous
n'êtes pas perdu pour toujours, »
prononcées avec conviction me suivirent
partout, dit-il, et il me semblait toujours que
c'était la voix de ma mère sortant de
la tombe. Je me suis repenti, et j'ai pris la
détermination de vivre pour Jésus,
comme c'eût été la
volonté de ma mère que je
vécusse ; et avec la grâce de Dieu,
j'ai pu résister à la tentation et
tenir ma 'bonne résolution,
- Je n'aurais jamais supposé
qu'il y eût une telle puissance dans quelques
paroles aimables, s'écria la dame, et je
veux certainement ne pas m'épargner de la
peine pour en dire à l'avenir à
toutes les personnes souffrantes et
affligées que Dieu mettra sur mon chemin.
|