Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Bloqués par la neige


Épisode de la tourmente de neige de l'hiver de 1872 dans les prairies de l'Amérique du Nord

- Quand serez-vous de retour, père ?
- Après-demain. En partant tout de suite je puis arriver ce soir entre huit et neuf heures. La neige commence à tomber serré. Je vais atteler Bob et le Gris au traîneau. Je prendrai Jean avec moi.
- Je serai toute seule. J'aimerais tant que vous puissiez rester avec nous !

La jeune fille se baissa et ouvrit la porte du poêle pour cacher les larmes qu'elle essuyait avec son tablier.
- Et moi aussi, Rachel, mais il le faut. Tu sais que j'ai promis à Huston de l'aider dans son affaire et je ne puis manquer au rendez-vous.
- Je sais que vous devez aller, père, dit-elle : mais si Jean pouvait rester, ce serait moins triste.
- Je m'arrêterai chez le voisin Giles, et j'engagerai la tante Esther à venir ici. Elle m'a dit qu'elle le pourrait ; elle viendra avec Joseph qui traira les vaches et les soignera pendant mon absence.

Cette perspective consola Rachel et ses yeux brillèrent.
- Jean, prépare-toi pendant que je mettrai une petite pro-vision de bois et de houille là sous le hangar. Puis nous mangerons un morceau, et en route.

M. Wilson avait émigré dans l'Ouest et s'était établi dans les riches prairies de cette région. Il s'était marié à la fille d'un fermier voisin et possédait une grande ferme avec une bonne habitation et les dépendances nécessaires. Sa demeure était isolée ; aucune route ne passait près de là.

La femme de M. Wilson était morte depuis six mois en lui laissant cinq enfants : Jean, l'aîné, qui avait quatorze ans ; Rachel, treize ; Jacques, dix ; Guillaume, huit, et une petite fille de sept mois.
Depuis la mort de sa mère, Rachel avait cherché de tout son pouvoir à la remplacer dans la famille. Elle soignait le bébé si bien que son père l'appelait petite maman.

Comme nous l'avons dit, M. Wilson était obligé de se rendre à la ville voisine, malgré le froid et le mauvais temps qui s'annonçait. Avant de les quitter M. Wilson recommanda ses enfants au Seigneur, le priant de les protéger durant son absence. Puis il se mit à table pour un léger repas.
- Ne laisse pas éteindre le feu, Rachel, dit-il tout en mangeant, j'ai mis du bois et de la houille là, tout à portée, il y en aura jusqu'à mon retour. Soigne bien la petite.
- Oui, répliqua-t-elle, en les regardant partir de la porte. Regarde, Jacques, comme la neige redouble et quel froid il fait, comme j'aimerais voir arriver tante Esther et Joseph ; cela nous égayerait.

Une heure se passa, Guillaume assis à terre avec sa petite soeur, la faisait rire en se roulant avec elle.
Le jour baissait, la journée, si courte en hiver, allait finir et ni Joseph ni tante Esther n'étaient encore arrivés.
- Je viens de regarder la neige, Rachel, dit Jacques. Je ne vois plus la clôture du jardin, les flocons sont si serrés. J'espère qu'il n'arrivera rien au père, ni à Jean.

Rachel avait été prendre un balai sous le hangar et était étonnée de la masse de neige ; elle regarda à la fenêtre, on ne voyait ni oies, ni canards ; les poules avaient aussi disparu pour chercher un abri.
Oh ! qu'elle souhaitait voir arriver tante Esther et Joseph, car elle commençait à s'effrayer et la tempête redoublait de violence. Les objets extérieurs disparaissaient rapidement sous la neige ; tout devenait sombre. Elle ne distinguait presque plus rien. Rachel ouvrit la porte et alla vers le hangar. Elle entendit mugir une des vaches, c'était sa favorite Crumpie.
« Elle est à la porte de l'étable et veut y entrer, pensa-t-elle ; j'irai la traire ; Joseph ne viendra peut-être pas et Bébé doit souper. »

Elle prit un vieil habit de son père et le boutonna autour de son corps, puis enfila les grandes bottes de Jean et s'enveloppa la tête et le cou dans un cache-nez ; et après avoir dit à Jacques de veiller sur Guillaume et la petite, elle prit le seau à traire. En arrivant à la porte du hangar elle sentit que la neige s'y était amoncelée ; elle essaya d'y pénétrer mais ne put franchir l'obstacle. Rachel était courageuse et recherchait, plutôt que de les éviter, les occasions de le prouver. Elle ne crut pas au danger, il faut le dire. L'ouragan était affreux, mais elle le bravait ; il fallait du lait pour l'enfant, cette pensée la dominait. Après ce premier échec, elle se rappela une pelle à neige que son père lui avait faite, une sorte de planche large à un bout et pointue à l'autre, emmanchée d'un fort bâton. Elle coupa un bout de corde à lessive qui pendait là, s'attacha le seau autour de la taille, puis poussant la pelle appuyée contre sa poitrine et la dirigeant des mains, elle se fit un passage. En arrivant près du chenil, le chien Rover voulut s'élancer vers elle, elle s'arrêta et détacha sa chaîne.

Il faisait si obscur que Rachel put à peine distinguer les objets dans la cour de la ferme ; ayant atteint la barrière qui l'en séparait elle fut tentée de rentrer à la maison. Mais elle entendit de nouveau mugir la vache et avança dans son pénible labeur. Sans l'appui que lui donnait la pelle elle n'aurait pu lutter contre les rafales de vent chargées de neige.
Enfin, la voici à la porte de l'étable : Crumpie et une autre vache s'y tenaient blotties, heureusement que la neige l'avait laissée à peu près libre en s'accumulant quelques pieds plus loin.

Avec quelques coups de pelle, Rachel débarrassa l'entrée de façon que les bêtes purent passer, elle les suivit, mais dut s'asseoir un instant avant de pouvoir rien entreprendre, tant elle était hors d'haleine. Puis se relevant promptement, tourmentée à la pensée du retour, elle se mit à traire les deux vaches, leur donna du maïs et alla dans la grange chercher du foin; puis elle pensa aux chevaux dans leur écurie et mit aussi du foin dans leur mangeoire ; là elle vit les grands seaux à lait que son père y avait laissés. Elle y versa le lait, mit solidement les couvercles et les attacha autour de sa taille.

La jeune fille sortit rapidement fermant la porte de l'étable et se retrouva au milieu des éléments déchaînés. Elle ne savait pas de quel côté se tourner, le passage qu'elle avait creusé était bloqué de nouveau. Comment recommencer la lutte ? La tempête augmentait, elle se sentait glacée ; mais les enfants et le bébé ! Sans proférer de paroles, mais de même que Pierre marchant sur les vagues de la mer, Rachel murmura : « Seigneur, sauve-moi, car je péris ! » et elle avança résolument.
Il fallait marcher en tâtonnant, trébuchant sous la charge des seaux si nécessaires pour le repas du soir. Les flocons aigus de la neige lui ôtaient la faculté de respirer et le vent la faisait plier comme un roseau.
Elle craignait de tomber et de ne pouvoir se relever ; mais alors elle serait gelée à mort ; cette pensée lui donna des forces, d'ailleurs la porte devait être près de là ; elle la cherchait et ne trouvait rien. Enfermée comme par un mur de tous côtés, elle étendit la main et sentit un objet devant elle, qu'était-ce donc ? c'était le dessus de la cabane du chien : elle était dans la cour de la maison et près du hangar, elle recommença ses efforts pour avancer. Arriverait-elle ? elle ne se sentait presque plus de force. Enfin, ses mains étendues rencontrèrent un poteau, le hangar, elle trouva l'entrée et s'y arrêta un instant pour reprendre haleine. Même dans ce court répit Rachel craignait d'être engloutie. Le vent criait et mugissait comme une armée de démons.

Affaiblie comme elle l'était, elle ne put jamais se rendre compte comment elle avait atteint la porte de la cuisine, ni comment elle y était entrée. Tout ce qu'elle se rappelait, c'est qu'elle avait entendu les cris de Jacques, qu'un tas de neige était à côté d'elle, que son lait était en sûreté et que la nuit était profonde. Rachel ne se doutait pas qu'elle avait fait ce que beaucoup d'hommes n'avaient accompli dans cette nuit terrible qu'au prix de leur vie.

La pauvre enfant ne put même pas se traîner jusqu'au fourneau pour y ranimer le feu. Jacques y mit du bois pendant qu'elle frissonnait sans pouvoir bouger. Son sang semblait s'être glacé dans ses veines. Bébé se mit à pleurer, Rachel voulut aller vers elle, mais retomba en fondant en larmes.
Effrayé de l'état où il voyait sa soeur, Jacques cria et sanglota et cela la tira de sa torpeur.
- Jacques, prends la bouteille à lait et fais-en vite chauffer pour la petite, dit-elle.

Il essuya ses pleurs et lui obéit, puis il donna à boire à l'enfant. Rachel s'était assise près du poêle et s'appuyait dessus. Elle sentait qu'il fallait préparer le souper pour les enfants, mais ne pouvait agir.
La pensée lui vint d'un cordial fait par sa mère, en cas de maladie ; Jacques le trouva, lui en versa une tasse, cela la ranima, elle put se traîner vers sa couchette où elle s'étendit et s'endormit. Guillaume la réveilla peu après en la tirant par sa robe.
- Rachel, Rachel, je veux mon souper et tout est si noir.

Ce court sommeil l'avait un peu reposée, elle alluma tout de suite la lampe, mit chauffer de l'eau et arrangea la table du souper. Lorsque Rachel voulut fermer les volets extérieurs, elle ne put les mouvoir, la masse de neige gelée les avait fixés. Elle eut même grand-peine à refermer la fenêtre.
Rachel était si fatiguée qu'elle ne put manger. Guillaume, lui, sans souci, soupa de bon appétit ; mais Jacques se plaignit de mal de tête et ne voulut rien ; il consentit pourtant à avaler une tasse de thé chaud.
Elle donna aussi de la nourriture à Bébé et quand elle eut fini elle la mit tout endormie dans son berceau.

Rachel retourna sous le hangar prendre une provision de bois et de houille pour la nuit ; elle en trouva moins qu'elle ne croyait, ce qui l'inquiéta. Elle monta à la chambre du premier voir s'il y avait du feu, c'était là qu'elle couchait avec sa petite soeur, ses frères étaient avec leur père en bas. Le poêle brûlait et la chambre était chaude. Elle fit coucher les deux garçons dans un des lits d'en haut, pria avec eux demandant à être gardés et bénis, et se mit dans l'autre avec Bébé.

La grande fatigue et les efforts qu'elle avait faits lui procurèrent un profond et salutaire sommeil et Rachel se réveilla plus tard que de coutume le lendemain. Le premier regard jeté sur la fenêtre montra qu'ils étaient ensevelis sous la neige.

Aussi loin qu'on pouvait voir, la vaste nappe blanche n'était brisée par aucun objet saillant. La grange était cachée ainsi que le hangar ; l'ouragan cependant avait cessé. La première pensée de Rachel fut pour son père et pour Jean ; auraient-ils pu atteindre H... en sûreté ? En faisant le feu, elle se demandait ce qu'elle ferait pour le combustible, il y en avait si peu. Elle descendit à la cuisine, les fenêtres étaient pleines de neige jusqu'en haut. Après avoir fait du feu, elle ouvrit la porte et se trouva devant un mur blanc, elle la referma promptement, craignant que la neige n'envahît la cuisine, et toute désolée, se mit à pleurer. Que deviendraient-ils tous ? on ne pourrait pas les secourir, et ils n'avaient de combustible que pour la journée. Après avoir réfléchi un instant, Rachel ralluma sa lampe et prépara le déjeuner, mettant la table près du fourneau. Les enfants s'étaient réveillés ; Jacques grognait et se plaignait de mal à la tête et à la gorge, il toussait et avait de la fièvre. Elle le fit rester au lit, lui promit du café et alla déjeuner avec Guillaume.

Rachel avait décidé ce qu'il fallait faire. Après avoir consolé Jacques et l'avoir engagé à dormir, elle donna un livre d'images au cadet, et commença ses préparatifs, car il était nécessaire de s'établir en haut pour n'avoir qu'un feu. En outre il n'y avait que peu d'huile et tout était sombre en bas. Le vent devait les avoir enveloppés de neige comme d'un mur.

La jeune fille porta un banc dans le corridor du haut et y plaça les ustensiles et les provisions ; encore un grand pot de lait (quel bonheur de l'avoir !), puis ôta de la chambre les choses inutiles et y mit une table pour manger. Quel triste et longue journée ! Elle fut contente de se distraire en cuisant le dîner, chose peu commode sur le poêle. Guillaume était ravi de tous ces arrangements. Un bruit se fit entendre à la porte, c'était Rover qu'on avait laissé en bas ; Guillaume lui donna à manger et le chien s'étendit devant le poêle, branlant la queue quand on lui parlait ; c'était vraiment un ami qui leur tenait compagnie et les consolait.
Jacques ne voulait rien, il était réellement malade. Rachel le sentait, mais ne savait que lui faire. Elle fut très occupée toute l'après-midi à soigner son frère et sa petite soeur.

Rachel fit le souper de bonne heure et Guillaume se coucha. La pauvre enfant était tourmentée pour son malade et aussi pour le feu, il y avait si peu de bois ; assez seulement pour le matin, que ferait-elle ? on ne pouvait s'en passer. Elle alla à la cave et brisa deux tonneaux vides dont elle monta les douves. Jacques fut si agité pendant la nuit qu'il empêcha sa soeur de se reposer, il rejetait ses couvertures et demandait constamment de l'eau à boire. Il fallait entretenir le feu dans la crainte qu'il n'eût froid. Sur le matin elle eut un moment de sommeil angoissé ; en se réveillant elle vit qu'elle n'avait plus que deux douves à brûler.
« Je dois tenir les enfants au chaud, se dit-elle, je le ferai quand même je devrais brûler tous les meubles. »

Rachel retourna à la cave, elle y vit encore un vieux tonneau ; en le tournant, elle y trouva un peu de houille qu'elle porta dans la chambre avec le bois du tonneau ; elle eut un bon feu brillant et chaud et un bon déjeuner.
Jacques ne faisait plus attention à rien et le poupon, qui était heureusement d'un bon naturel, dormait.
De la fenêtre on voyait la même étendue de neige blanche, sans aucune trace qui vînt en rompre la monotonie.

Le lendemain toutes les énergies se concentraient sur le foyer. Rachel habilla Guillaume et la petite aussi chaudement que possible, puis rassembla tout ce qu'elle put trouver à brûler, le pilon, la planche à savonner, les seilles, les tablettes de la cave et de la cuisine, le chevalet à serviettes, la planche à pain, tout fut mis en pièces ; puis ils se couchèrent tous à la nuit, car il n'y avait de l'huile que pour peu d'heures. Jacques avait le délire, il ne reconnaissait plus sa soeur.

Le matin revint, rien n'avait changé. Toute la nuit, quoique abîmée de fatigue, la pauvre enfant avait veillé Jacques, rafraîchi sa tête brûlante et lui avait donné à boire. Que pouvait-elle faire ? Le secours viendrait, elle n'en doutait pas, elle l'avait demandé à Dieu, mais en attendant elle devait faire tout ce qui était en son pouvoir. Le reste du bois fut mis dans le poêle pour chauffer la bouilloire. Ayant bu du café avec Guillaume, elle le laissa s'amusant avec le chien et descendit, ne pouvant retenir ses larmes et son angoisse. Elle croyait Jacques mourant et ne savait que lui faire. Son père ne revenait pas, que lui était-il arrivé ? Serait-il mort ? Rachel frissonna à cette affreuse pensée.
Puis elle se disait : « S'il est vivant, il viendra. Il ne faut pas que les enfants me voient pleurer. » Et elle essuya ses yeux. Il faut que je fende cette table pour la brûler.

La hache fut levée et enleva un morceau de bois du bord, puis un autre. Rover aboya et encore, il aboyait très fort.
« Guillaume le taquine, pensa-t-elle, cela troublera Jacques » elle jeta la hache et monta.
Rachel, Rachel, criait l'enfant, Rover est si drôle, il saute vers la fenêtre, il branle la queue et il aboie, regarde donc.
Un coup d'oeil jeté à la fenêtre lui fit voir un objet qui s'avançait vers la maison, elle ne put le reconnaître, la neige soulevée formait un nuage de poussière tout alentour.
- Quelqu'un vient, on vient, ô mon Dieu, merci ! s'écria-t-elle en joignant les mains. Le chien sautait vers la fenêtre, s'accrochant de ses pattes au rebord, aboyant toujours plus fort ; Guillaume sautait aussi en criant : « C'est papa, Rachel, c'est papa ! »
- Nous verrons mieux dans l'autre chambre, mets ce châle et viens.

Elle s'élança et ouvrit la fenêtre de la pièce à côté. Rover y passa la tête et presque tout le corps dans son impatience, puis se retira en aboyant furieusement. La grange cacha le voyageur, mais le voilà dans la première cour. Il semblait avancer si lentement, le temps était si long pour ceux qui regardaient. Le chien aboya de nouveau et une voix fut entendue comme en réponse. « Rachel, Rachel ? »
- C'est le père, c'est le père, oh oui ! oui !

Elle se précipita dans l'escalier et ouvrit la porte de la cuisine, elle pouvait entendre mais non voir. Elle remonta et cria vers les arrivants, puis revint à la cuisine. La pauvre enfant, toute tremblante, entendait travailler au dehors.
Quelques instants passèrent, la neige fut jetée à droite et à gauche et son père se précipita dans la cuisine.
- Rachel, où êtes-vous tous ?
- Ici, père ; et elle se jeta à son cou.
- Tous, tous sauvés !
- Oui, mais Jacques est si malade.

Il voulut entrer dans la chambre du bas.
- Nous n'avons pas de feu ici, j'ai presque tout brûlé, dit-elle en montrant la table.

M. Wilson tenait Guillaume dans ses bras ; il se retourna vers la porte.
- Voyez, mes amis, ils n'ont plus de feu, elle mettait la table en pièces.

Il répéta ces mots à voix basse.
- Dis-moi, mon enfant, où sont Jacques et la petite ? Je craignais tout pour vous, je croyais vous trouver morts de froid !

M. Wilson monta rapidement l'escalier, prit le bébé qu'il embrassa et examina Jacques.
- Grâces soient rendues à Dieu, qu'il n'y ait rien de plus fâcheux ! dit-il.

Les hommes venus avec lui allumèrent un bon feu à la cuisine et bientôt aussi dans la chambre : le père s'occupa tout de suite de Jacques, il avait l'habitude des malades et avait une petite pharmacie à la maison.
Il s'assit à côté du lit, avec Guillaume sur ses genoux et Rachel appuyée sur son épaule. Le feu réjouissait leurs yeux et réchauffait la chambre pendant qu'elle racontait ce qu'elle avait fait.
M. Wilson la pressa sur son coeur, la baisa en lui passant la main sur ses cheveux, il l'appela une petite mère héroïque. Oh ! qu'elle était heureuse !
Il leur dit à son tour ce qui lui était arrivé.

Jean et lui s'étaient trouvés au milieu de la tourmente ; ils s'étaient perdus et ne savaient où ils étaient, mais allaient toujours. Enfin, de froid et d'épuisement, il ne put plus tenir les rênes et glissa au fond du traîneau. Alors Jean, qui était mieux garanti que son père et enveloppé dans une peau d'ours, saisit les rênes et avança sans savoir où il allait. La nuit venait ; enfin ils entendirent des voix, ils crièrent à leur tour et trouvèrent qu'ils étaient près d'une habitation dont le propriétaire, qui avait entendu les grelots, venait à leur rencontre avec son chien.
Ils furent reçus dans la maison et M. Wilson dut se mettre au lit tout épuisé ; ils étaient très éloignés de H..., ayant tourné en rond.

Le lendemain ils furent tous effrayés de la profondeur de la neige et de la violence de l'ouragan. M. Wilson était très angoissé à la pensée de ses enfants ; il avait cherché à aller à leur secours, mais en vain. Personne ne pouvait lui venir en aide, chacun était à ses affaires, à frayer les routes, à secourir les bestiaux et à se procurer du combustible. Le jour suivant on fabriqua une espèce de charrue à neige pour ouvrir les chemins, et avec le fermier chez qui ils s'étaient arrêtés, M. Wilson partit pour secourir ses enfants. Ils furent forcés de s'arrêter pour la nuit, mais repartirent de grand matin.
Chez le voisin Giles M. Wilson apprit que la tante Esther et Joseph s'étaient mis en route pour aller auprès des enfants, mais effrayés par la tourmente ils étaient revenus. L'anxiété du pauvre père était à son comble, car il sentait que sa demeure était si isolée qu'aucun secours n'y parviendrait.
- J'avais si peu d'espoir de vous retrouver en vie, ajouta-t-il, et sans toi, brave petite mère, vous auriez tous succombé. Dieu soit béni de t'avoir soutenue !

Jean revint quelques jours après et leur fit des récits des cruelles souffrances causées par ce temps désastreux ; des centaines de personnes avaient péri.

Pendant longtemps encore la tourmente de neige de 1872 fournira des histoires lugubres que l'on racontera au coin du feu. Une fois de plus reconnaissons que « ce que Dieu garde est bien gardé ».


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