Un
épisode de la guerre
d'Amérique
Depuis plusieurs années la question de
l'abolition de l'esclavage agitait violemment les
esprits aux États-Unis. Un des plus ardents
adversaires de l'esclavage était Abraham
Lincoln. Or, en 1860, Lincoln ayant
été élu président de
l'Union, il se fit une profonde scission entre les
États du sud, partisans de l'esclavage, et
les États du nord, opposés à
cette institution inhumaine, cruelle et abominable.
Dix états déclarèrent se
détacher successivement de l'Union et se
constituèrent en Confédération
indépendante. Ils élurent un
président, adoptèrent une nouvelle
capitale, Richmond, et opposèrent une
armée à celle de l'Union.
Pendant quatre ans, les
Confédérés livrèrent
aux Fédéraux une suite de batailles
où les succès et les revers se
balancèrent longtemps. Enfin les
Fédéraux l'emportèrent :
Richmond fut prise et incendiée en avril
1865, et cette terrible catastrophe amena la
capitulation des divers corps d'armée
confédérés.
Un riche propriétaire du Nord, M.
Owen, ardent patriote, crut de son devoir de
pousser son fils unique à prendre les armes
pour la défense de l'intégrité
de l'Union et contre l'esclavage. Ce sacrifice lui
coûta de grandes angoisses. Chaque jour il se
préparait à la douloureuse nouvelle
que son fils eût reçu quelque
blessure, ou fût compté au nombre des
morts. Mais quelque chose de bien autrement
terrible vint le frapper : il reçut la
nouvelle que le jeune homme avait été
surpris endormi à son poste de sentinelle et
qu'il avait été condamné, vu
la gravité du cas, à être
fusillé dans les vingt-quatre
heures...
Consterné, le père
était en proie à la plus douloureuse
agitation, lorsque sa fille Blanche entra et lui
tendit une lettre, disant d'une voix
étranglée : « C'est de
lui ! »
C'était, semblait-il, un message
venu d'outre-tombe. Le père prit la lettre
d'une main tremblante, mais n'ayant pas la force de
la lire, la porta à un ami. Celui-ci
l'ouvrit et lut à haute voix ce qui
suit :
« Cher père,
Quand ma lettre vous atteindra,
je ne serai plus. Cette pensée me parut
terrible, mais maintenant toute terreur est
passée. On m'a assuré que je ne serai
ni lié, ni bandé ; je pourrai
mourir en homme. J'avais espéré, cher
père, que si je devais mourir, ce serait sur
le champ de bataille, en combattant pour ma
patrie ; mais être fusillé comme
un malfaiteur, mourir pour avoir manqué
à mon devoir, et presque trahi la patrie,
ah ! mon père, cette pensée me
fait horreur ! Mais il est nécessaire
que tu saches tout, afin que tu ne te sentes pas
humilié dans ton coeur ; plus tard tu
pourras le faire savoir à nos amis et
à mes camarades ; maintenant je ne puis
ni ne dois en parler à aucun
autre.
Tu sais que j'avais promis
à la mère de Jacques Carr de prendre
soin de son fils ; ainsi quand il tomba
malade, je fis pour lui tout ce que je pus. Il
n'avait pas encore repris ses forces quand il
reçut l'ordre de reprendre le service.
Presque aussitôt nous dûmes marcher
rapidement, et durant toute la journée qui
précéda la nuit fatale, je cherchai
à le soulager, en portant outre mon bagage
tout le sien. Vers le soir on nous fit marcher si
rapidement que même les plus forts
étaient abattus par la fatigue ;
Jacques certainement serait tombé le long de
la route s'il ne se fût appuyé sur mon
bras. Nous arrivâmes au camp ; là
je fus atterré d'entendre que Jacques devait
monter la garde ; je lui dis aussitôt
que je pouvais très bien prendre sa
place ; mais j'étais, paraît-il,
moi aussi trop fatigué ! Je m'endormis,
et je crois que je ne me serais pas
réveillé même à un coup
de canon. On m'a dit que, vu les circonstances
atténuantes, il m'est accordé un
délai pour que j'aie le temps de vous
écrire. Ne gardez aucun ressentiment
à mon colonel, cher père ; il
est si bon, il eût voulu me sauver, mais la
loi militaire me condamne. Et moins encore vous
devez accuser Jacques de ma mort : ce cher
Jacques est désespéré et ne
cesse de me supplier de le laisser mourir à
ma place.
Je puis à peine penser
à ma mère et à Blanche. Vous
les consolerez, mon père, oh ! vous les
consolerez ! Dites-leur que je meurs
honnête, et qu'elles n'ont aucun motif
d'avoir honte de moi. C'est une dure
épreuve. Que Dieu nous aide ! Il est
près de moi, et sa présence m'est
bien précieuse. Je sais qu'Il ne veut pas
que je périsse ; Il regarde avec
compassion le pauvre pécheur humilié,
repentant, qui ne cesse de crier à
Lui ; oui, Il m'a donné l'assurance
qu'Il me prendra auprès de Lui pour vivre
avec Lui, mon Sauveur, dans une vie
meilleure.
Ce soir, au crépuscule, je
vous verrai par la pensée pour la
dernière fois, à l'heure où,
selon votre habitude, vous rentrez des champs; je
vous vois tous m'attendant, comme il vous arrivait
si souvent de le faire, mais je ne reviendrai
plus... Que Dieu vous bénisse tous, mes
bien-aimés père et mère et
soeur, et pardonnez à votre
Benjamin. »
Le même soir, la porte de la
maison s'ouvrait tout doucement, sans bruit, et une
enfant assez jeune sortait courant en hâte
dans le sentier qui conduit à la ville. Il
semblait qu'elle volât plutôt que de
courir !
Deux heures après elle
était à la station du chemin de fer,
juste à point pour prendre un train de nuit.
Pauvre Blanche ! elle allait à
Washington implorer pour son frère la
grâce du président de la
république, Abraham Lincoln. Elle
était partie sans que personne s'en
doutât, laissant seulement un billet pour
expliquer son départ à ses parents.
Elle portait avec elle la lettre de Benjamin ;
il lui paraissait impossible qu'un coeur tel que
celui du président pût demeurer
insensible s'il en entendait la lecture. À
peine arrivée à New York, le
compatissant conducteur du train se chargea de la
faire entrer aussitôt dans un express qui
partait pour Washington, vu que la vie du
frère pouvait dépendre de quelques
minutes de retard. Aussi, dans un temps
incroyablement bref, Blanche arriva au terme de son
voyage, et se trouvait à l'entrée de
la maison du président.
Lincoln était occupé
à examiner des papiers importants qu'il
avait à signer, lorsque la porte s'ouvrit
doucement et Blanche se trouva devant lui, les yeux
baissés et les mains jointes.
- Eh bien ! ma fillette, que
désires-tu de si bon matin ? dit-il
d'un air bienveillant.
- La vie de Benjamin, monsieur,
balbutia l'enfant.
- Benjamin ! Qui est
Benjamin ?
- Mon frère, monsieur ;
ils doivent le fusiller parce qu'il s'est endormi
à son poste.
- Ah ! je m'en souviens, dit
Lincoln, parcourant du regard quelques-uns des
papiers qui étaient sur la table. Ce fut un
sommeil fatal, mon enfant ; c'était un
moment de grave péril, et des milliers de
vies auraient pu périr par cette coupable
négligence.
- Mon père le dit aussi,
suggéra timidement Blanche, mais Benjamin
était si fatigué, et Jacques si
faible ! Il a fait la part de deux. Il
incombait à Jacques et non à lui,
mais Jacques était épuisé, et
Benjamin n'a pas pensé que lui aussi
l'était...
- Que dis-tu, ma petite ? je ne
te comprends pas, voyons approche-toi, dit l'homme
généreux, toujours content lorsqu'il
pouvait trouver une excuse valable à une
faute commise.
Blanche s'approcha. Lincoln lui prit
la main, releva son visage pâle et
angoissé, et l'encouragea à parler
tranquillement. Alors elle lui raconta la triste
histoire, et lui montra la lettre de son
frère.
Le président la lut avec
soin, puis sonna, écrivit quelques lignes en
hâte et dit à un
fonctionnaire :
- Expédiez cette
dépêche
immédiatement !
Se retournant vers Blanche, il
ajouta :
- Retourne à la maison, ma
chère enfant, et à ton père,
qui eut le courage d'approuver la justice de son
pays, alors que cette justice frappait son fils
unique, tu diras qu'Abraham Lincoln estime une
telle vie trop précieuse pour la laisser
perdre. Retourne donc, ou, si tu veux, attends
jusqu'à demain : Benjamin aura besoin
de quelques jours de congé, et pourra
retourner à la maison avec toi.
- Ah ! que Dieu vous
bénisse ! dit l'enfant toute tremblante
d'émotion.
Deux jours plus tard, le
frère et la soeur rentraient, comblés
de joie, sous le toit paternel. Le père les
étreignant sur son coeur
s'écria :
- Seigneur ! tu es bon et
miséricordieux !
Lecteur, comme cette simple histoire
est belle et émouvante ! Certainement
ton coeur fut ému en la lisant ; tes
larmes ont coulé sans doute en voyant ce
jeune homme gracié. Il eût paru bien
dur, n'est-il pas vrai, qu'il dût payer de sa
vie un tel acte de dévouement envers un
compagnon faible, maladif, ayant besoin de son
aide. Je pense que Jacques Carr n'aura plus jamais
oublié que son ami fut sur le point de
perdre la vie par amour pour lui et que, par un
effet de la grâce de Dieu, il aura senti
croître et se multiplier son amour à
son égard.
S'il n'eût pas
été reconnaissant pour les bienfaits
reçus, il aurait été ingrat et
méchant. Et toi, lecteur, n'as-tu jamais
pensé que tu as un Ami, qui t'a aimé
d'un amour infini, et a fait pour toi infiniment
plus que Benjamin pour Jacques ?
Peut-être me demanderas-tu
surpris : « Qui est cet ami
dévoué ? Je ne le connais pas et
ne sais de quoi je dois lui être
reconnaissant ! »
Je te dirai qui il est et ce qu'il a
fait pour toi. C'est Jésus Christ, le Fils
de Dieu, qui est venu dans ce monde pour souffrir
et mourir pour toi : Il est mort sur la croix
pour toi, pour moi, pour tous. « Il a
été blessé pour nos
transgressions, meurtri pour nos
iniquités », peuvent dire tous les
pécheurs qui sont venus à Lui et ont
accepté son sacrifice : par l'efficace
du sang du Fils de Dieu qui a coulé sur la
croix, ils sont purifiés de tous leurs
péchés.
Hélas ! tous peuvent
dire : « Nous avons tous
été errants comme des brebis ;
nous nous sommes tournés chacun vers son
propre chemin ; et l'Éternel a fait
tomber sur lui l'iniquité de nous tous. II a
été opprimé et affligé,
et il n'a pas ouvert sa bouche, il a
été amené comme un agneau
à la boucherie, et a été comme
une brebis muette devant ceux qui la tondent ;
et il n'a pas ouvert sa bouche. »
(Esaïe 53, 5-7.)
Lecteur, as-tu accepté
Jésus comme ton Sauveur ? as-tu
été lavé dans son sang ?
L'aimes-tu parce qu'Il t'a aimé le
premier ? Si tu n'as pas encore reçu le
don de Dieu, Jésus, le tendre Ami du
pécheur, cherche-le tandis qu'on le
trouve ; invoque-le tandis qu'Il est
près. Serait-ce en vain que Jésus
serait mort pour toi? Pourquoi ne serais-tu pas un
de ces bienheureux dont la transgression est
pardonnée et dont le péché est
couvert ? un de ceux auxquels il a
donné le droit d'être enfants de Dieu,
qui de leur coeur peuvent chanter :
- « Je la connais cette joie
excellente
- Que ton esprit, Jésus, met dans un
coeur ;
- Je suis heureux, oui, mon âme est
contente
- Puisque je sais qu'en toi j'ai mon
Sauveur. »
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