Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
REGARD
Bibliothèque chrétienne online
EXAMINEZ toutes choses... RETENEZ CE QUI EST BON
- 1Thess. 5: 21 -
(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Qui est mon prochain ?


I

 C'était l'heure de l'école du dimanche. La classe de Mlle Keller écoutait attentivement l'histoire du Bon Samaritain. Puis le moment des questions arriva, car Mlle Keller désirait que tous comprissent bien.
- Peux-tu me dire, Claire, qui est ton prochain ? Claire était la plus jeune élève du groupe.
- Oui, mademoiselle, dit-elle sans réfléchir longtemps, c'est Mme Simon.

Un éclat de rire de tous les enfants accueillit cette réponse, et Hélène, la soeur aînée de Claire, la poussa du coude en murmurant : « Que c'est bête ! »
- Claire n'a pas si mal répondu, remarqua Mlle Keller. Sa réponse est très juste d'un côté, car nous avons l'habitude de nommer voisins, les personnes qui demeurent le plus près de nous. Mais la Parole que nous avons lue nous apprend que d'autres personnes encore sont nos voisins ou nos prochains. Lorsque le Seigneur Jésus eut terminé sa parabole, Il demanda au docteur de la loi : Lequel te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé entre les mains des voleurs ? (Luc 10, 36). Eh bien, Claire, peux-tu maintenant me dire qui est ton prochain ?
- Je le sais, cria Hélène.
- Moi aussi, moi aussi, crièrent deux ou trois autres voix.
- Non, enfants ; je désire que Claire cherche à me donner une bonne réponse.
- Quelqu'un qui nous aide lorsque nous sommes dans le malheur, répondit lentement l'enfant.
- Vois-tu, je savais que tu me le dirais en réfléchissant un peu.

Puis Mlle Keller montra aux enfants que tous les hommes sont nos prochains et que de toutes nos forces nous devons chercher à leur faire du bien et à leur aider dans leurs difficultés. Les enfants écoutaient de toutes leurs oreilles et quand Mlle Keller leur posait des questions, ils étaient tout heureux d'y répondre correctement. Hélène, la soeur de Claire, surtout se distinguait par ses bonnes réponses, tandis que Claire ne répondait jamais, ou si elle était interrogée paraissait toute interdite et répondait mal.
« Que ces deux soeurs sont donc différentes », pensait Mlle Keller, lorsque les enfants l'eurent quittée ; Hélène n'a que deux ans de plus que sa petite soeur, mais elle est doublement intelligente. Que je voudrais que tous ces enfants soient comme elle !
Qu'il est vrai que Dieu voit autrement que les hommes ! Nous, nous jugeons d'après l'apparence, d'après ce que nous voyons ou entendons, Dieu -regarde au coeur. Nous nous trompons souvent dans notre jugement sur les autres. Dieu jamais.

Comme Hélène et Claire rentraient à la maison, elles rencontrèrent à un coin de rue une petite fille qui s'approcha d'elles toute effrayée, avec de grands yeux tristes. Elle devait être très pauvre à en juger d'après ses habits. Les souliers étaient tout déchirés et son bonnet si petit qu'il ne protégeait qu'à moitié une petite figure pâle, mais très propre. Des larmes coulaient le long de ses joues, quoiqu'elle cherchât à les cacher, et elle regardait anxieusement autour d'elle comme si elle ne savait où elle se trouvait. De plus, la pauvre petite était à demi paralysée, et son dos était si voûté qu'elle faisait peine à voir.
- Qu'as-tu donc ? demanda Claire en s'arrêtant sans en avoir demandé la permission à sa soeur.
- Je me suis perdue ; je ne peux plus retrouver la cour où nous habitons, et je suis si fatiguée !
- Où demeures-tu ? demanda Hélène, qui s'était aussi arrêtée.
-
Dans la cour du Moulin, à droite de la rue Thomas.
- Rue Thomas, répéta Hélène ; tu es loin d'y être. Descends cette rue jusqu'au réverbère, là tu prendras le chemin à gauche, puis tu demanderas à quelqu'un de te montrer la rue Thomas. C'est très facile à trouver, si tu regardes attentivement. Au reste, tu aurais dû savoir où tu allais, tu ne te serais pas perdue ; et tu n'as pas besoin de pleurer, ne te conduis donc pas en bébé !

Quelques larmes qu'elle cherchait en vain à retenir coulèrent le long des joues de l'enfant. Était-ce le long chemin qu'elle devait faire encore, ou la manière brusque d'Hélène qui la rendirent plus triste ? Elle ne répondit rien, mais son air était si désolé que Claire en eut pitié.
- Attends, je t'accompagnerai, si tu veux. Je te montrerai où tu dois tourner à gauche pour arriver dans la bonne rue, et de là tu te retrouveras facilement.
- Quelle bêtise ! s'écria Hélène. Pourquoi tant de compliments ? Tu arriveras trop tard à la maison !

Mais Claire voulait faire à sa tête. Elle répondit :
- Je ne resterai pas longtemps ; je me dépêcherai et maman ne sera pas fâchée pourvu que je sois à la maison à cinq heures. Tu lui expliqueras mon retard ; mais ce serait plus gentil si tu venais avec nous jusqu'au coin de la rue.
- Qu'est-ce que tu penses ! répartit Hélène en détournant la tête. Je n'aime pas faire des détours inutiles, et toi tu devrais aussi venir ; cette enfant trouvera son chemin sans toi.

Mais Claire persista dans son idée, et les soeurs se séparèrent, l'une se dirigeant vers la maison paternelle, l'autre accompagnant une enfant estropiée. Cette dernière se montrait très reconnaissante pour la peine que se donnait Claire. Elle lui raconta que jusqu'à peu de temps auparavant elle avait vécu à la campagne avec ses parents, et c'était pour cela que le bruit de la ville l'effrayait et qu'elle craignait de sortir seule, se sentant étrangère encore. Cette après-midi elle avait enfilé une fausse rue et n'avait absolument plus retrouvé son chemin.

- Et parce que je suis boiteuse, estropiée, continua-t-elle, je n'aime pas m'arrêter, car les enfants courent après moi et se moquent de moi.
- As-tu toujours été estropiée ? demanda Claire.
- Non, pas toujours, lorsque j'étais toute petite je suis tombée et me suis blessée l'épine dorsale et mon dos n'est plus jamais redevenu droit. Le docteur a dit que cela resterait toujours ainsi.
- Que ce doit être terrible, soupira Claire.
- Non, ce n'est pas terrible, répondit la fillette un peu rassérénée par le ton sympathique de sa compagne, et je n'en ferais aucun cas si je pouvais travailler comme les autres, mais ma mère dit que je ne pourrai même jamais devenir une servante.
- Mais tu pourrais devenir couturière, suggéra Claire ; ma mère en est une et je le deviendrai aussi quand je serai grande. Est-ce que ta mère sait faire des habits ?
- Je ne crois pas, dit l'enfant ; mais elle travaille beaucoup elle part de bon matin pour laver et nettoyer, et le soir lorsqu'elle rentre, elle est toujours très fatiguée. Mais nous n'aurions rien pour vivre, si elle ne gagnait pas un peu d'argent.
- Est-ce que ton père est mort ?
- Non, mais il ne peut pas travailler. Il a eu un accident et a été malade très longtemps. Nous étions beaucoup mieux lorsqu'il était en santé. Nous avions une petite maison et un jardin pour nous, mais maintenant nous n'avons que deux chambres très petites et très sombres.
- As-tu des frères et des soeurs ? questionna Claire.
- J'ai deux soeurs, mais elles sont plus petites que moi et je dois les surveiller lorsque ma mère n'est pas là.
- Où as-tu été cet après-midi ?

Claire croyait probablement avoir le droit de tout savoir de l'enfant qu'elle avait prise sous sa protection.
- J'ai fait une promenade ; ma mère pensait que cela me ferait du bien parce que j'avais si mal à la tête.
- Ne vas-tu pas dans une école du dimanche ?
- Non.
- Où va ta mère le dimanche ?
- Nulle part ; elle reste à la maison ; quelquefois elle repasse notre linge, d'autres fois elle récure les chambres, et quand elle a assez d'argent elle nous cuit un peu de viande pour le dîner.
- Mais ne lisez-vous pas la Bible, surtout le dimanche qui est le jour du Seigneur ? demanda Claire étonnée et très sérieusement.
- Je pense que les gens riches seulement peuvent faire cela, ceux qui n'ont rien à faire le dimanche, mais nous, nous sommes de pauvres gens, répondit l'enfant avec hésitation.
- Pourquoi les pauvres gens ne pourraient-ils pas le faire aussi ? demanda Claire. Est-ce que les pauvres gens n'ont pas d'âme ?
- Je crois que oui, répondit la petite d'un ton qui prouvait qu'elle n'y avait jamais pensé.
- Oui, certainement, continua Claire, les pauvres gens ont aussi des âmes, des âmes immortelles. Notre monitrice nous a dit que l'âme était la chose la plus précieuse que nous possédions, et que nous devions nous en occuper davantage que de notre corps.
- Mais personne ne fait cela, tenta de répliquer la pauvre petite.
- Si ; beaucoup de personnes le font, assura Claire, et qui ne le fait pas a grand tort. Comment pouvons-nous aller au ciel sans lire la Bible qui nous indique comment nous pouvons y arriver ? Et du reste, continua Claire avec sérieux, notre monitrice nous a dit que seul le Seigneur Jésus pouvait nous y faire entrer. Il est mort pour les pécheurs, et qui croit en Lui a la vie éternelle. Est-ce que tu aimes le Seigneur Jésus ?
- Non, répondit l'enfant ; je ne sais pas encore beaucoup de Jésus.
- Pourquoi ne viens-tu donc pas à l'école du dimanche ? Là tu entendrais de belles histoires de Jésus. Tu entendrais ce qu'Il fit lorsqu'Il était sur la terre, comme Il rendit la vue aux aveugles, aux sourds l'ouïe et guérit des paralytiques et des infirmes comme toi.
- Oh ! que je voudrais qu'Il me guérisse, s'écria la petite fille avec des yeux brillants.
- Il l'aurait certainement fait si tu avais vécu dans ce temps, et Il le ferait assurément maintenant, si c'était bon pour toi ; c'est ainsi que notre monitrice l'a dit. Mais elle a aussi dit qu'Il a fait bien davantage pour nous : Il est mort sur la croix. Et si nous croyons en Lui, Il veut nous aimer, avoir soin de nous et devenir notre meilleur ami. N'aimerais-tu pas venir une fois à l'école du dimanche ?
- Oh oui, j'aimerais beaucoup, si...
- Si quoi ?
- Si j'avais de meilleurs habits et si je n'étais pas boiteuse, car les autres enfants se moqueraient de moi, dit la petite en hésitant.
- Non, ils ne se moqueront certainement pas de toi ; si seulement tes habits sont propres, cela ne fait rien qu'ils soient vieux. Si tu veux, je viendrai te chercher dimanche prochain.
- Est-ce que ce n'est pas très loin ? demanda la petite.
- Non, ce ne sera pas loin depuis chez vous ; nous prendrons un chemin plus court que celui d'aujourd'hui.
- Alors, je demanderai à ma mère, dit la petite fille, et si elle le permet, je viendrai volontiers. Voici la rue Thomas. Je te remercie beaucoup de m'avoir accompagnée. Là-bas je vois ma mère qui a l'air de me chercher ; elle se sera inquiétée de ma longue absence. Ne veux-tu pas lui dire bonjour ?
- Non, je dois vite rentrer à la maison, et Claire se sauva en saluant aimablement la petite fille.

Claire était une brave et modeste enfant, et elle ne voulait pas qu'on la remerciât. C'est pour cela qu'elle quitta si brusquement sa compagne, sans même lui avoir demandé son nom. Si Louise Pauli, tel était le nom de la fillette, eut été à l'école du dimanche ce jour-là, et qu'on lui eût demandé qui était son prochain, que pensez-vous qu'aurait été sa réponse ?
 

II

En arrivant à la maison, Hélène eut la surprise d'y trouver son grand-père. Il demeurait à quelques heures de la ville, et était venu voir sa fille, Mme Schneider, qui était veuve. Hélène l'embrassa joyeusement. Lorsque les premières salutations eurent été échangées, Mme Schneider demanda où était Claire.
- Elle va arriver, maman. Elle a accompagné une pauvre enfant que nous avons rencontrée et qui avait perdu son chemin. Je suis sûre qu'elle l'aurait retrouvé elle-même, mais Claire est si naïve qu'elle croit devoir répondre à la prière de chacun.
- Ne trouves-tu pas que c'était gentil à Claire de l'avoir accompagnée ? demanda le grand-père, auquel le ton et les manières d'Hélène déplaisaient.
- Oui, bien sûr, répondit Hélène d'un ton léger. Mais la petite fille avait l'air si misérable que je n'aurais pas voulu qu'on me voie marcher avec elle. Mais Claire ne s'inquiète pas de cela, elle peut se lier avec les gens les plus vulgaires.
- Hélène, Hélène, ta langue va trop vite. Pose ton chapeau et ton manteau, et prépare la table du goûter. Hélène est grande pour son âge, n'est-ce pas ? ajouta Mme Schneider quand la fillette eut quitté la chambre.
- Oui, elle est grande, répondit le grand-père ; mais je crains qu'elle n'ait une fort bonne opinion d'elle-même, et cela n'est pas bon.
- Certainement, dit la mère, elle met un peu trop d'importance à ses vêtements, mais c'est une enfant bien douée, très intelligente. Apprendre ne lui donne aucune peine, et avant que Claire commence seulement à réfléchir à ce qu'elle vient d'entendre, Hélène peut déjà vous en expliquer le sens.
- Oui, mais précisément cette facilité la rend orgueilleuse, et l'intelligence n'est pas la chose essentielle chez une fillette, remarqua le vieillard.
- En effet ; Claire n'est pas la moitié aussi intelligente qu'Hélène, mais elle est très aimable et très bonne, et toujours prête à aider chacun qui est dans la peine. C'est seulement dommage qu'elle aie tant de peine à apprendre.

En disant cela, Mme Schneider se rendit à la cuisine pour chercher le café, et Hélène revint auprès de son grand-père. Il lui demanda ce qu'elle avait entendu à l'école du dimanche, et sa réponse prouva qu'elle avait été très attentive. Elle ne se contenta pas de raconter la parabole, mais y ajouta les explications, et même le fit si bien que son grand-père ne put que se réjouir de la bonne mémoire et de l'esprit réfléchi de sa petite-fille. Mais lorsqu'il lui demanda si elle cherchait à faire comme le bon Samaritain, cela mit l'enfant mal à l'aise, car sa conscience lui disait qu'elle s'inquiétait fort peu du bien des autres, et qu'elle ressemblait plutôt au lévite et au sacrificateur qui passèrent auprès du malheureux avec un coeur froid. Mais au lieu d'écouter sa conscience, elle répondit rapidement :
- Je ne crois pas, grand-père, qu'il y ait quelque chose à faire pour moi ; si j'étais plus âgée et plus riche, je tâcherais de me rendre utile.
- Mais une enfant peut être utile à d'autres enfants, répliqua le grand-père. Elle peut être en bon exemple à ses camarades, ou rendre un service à un enfant pauvre. Je pense que tu connais le verset : « Celui qui est fidèle dans ce qui est très petit, est aussi fidèle dans ce qui est très grand » (Luc 16, 10). Ce que tu es maintenant, chère enfant, tu le seras aussi quand tu seras grande, et c'est pour cela qu'il est nécessaire que tu demandes au Seigneur non seulement d'écouter sa Parole, mais aussi de la mettre en pratique. Je suis très heureux que tu saches tant de choses, mais je me réjouirais encore plus, si tu étais prête à mettre en pratique ce que tu apprends à l'école du dimanche.

Ce fut un soulagement pour Hélène lorsque sa petite soeur entra dans la chambre. Claire avait très chaud, car elle s'était fort dépêchée sur le chemin du retour. Son grand-père la prit dans ses bras et lui dit avec bonté :
- Qu'est-ce que j'entends ! Tu es allée accompagner une petite fille étrangère au lieu de rentrer à la maison pour m'embrasser ?

Claire rougit, mais tout de suite elle répondit en souriant :
- Comment pouvais-je savoir que tu étais ici, grand-papa ? Du reste, la petite fille était tellement en peine que je ne pouvais faire autrement que d'aller avec elle. Elle est plus petite que moi, et pourtant aussi âgée ; elle était si craintive qu'elle n'aurait sûrement pas retrouvé son chemin ; vraiment, je n'aurais pu faire autrement.
- Tu as très bien agi, dit le grand-père ; nous devons être utiles partout où nous pouvons, et cela aussi dans les petites choses. L'enfant était-elle très pauvre ?
- Oh ! oui, répondit Claire. La petite fille portait une toute vieille robe et des souliers déchirés ; mais elle était très propre et elle me dit qu'autrefois tout allait mieux pour eux. Et Claire raconta tout ce qu'elle savait de la petite Louise et de ses parents.
- Elle m'a promis de venir avec nous à l'école du dimanche la semaine prochaine, ajouta Claire avec un heureux sourire.

« Avec nous ! » murmura Hélène, mais si bas que personne ne l'entendit. « Je n'irai pas avec cette enfant aux habits rapiécés. Fanny Martin et Sophie Duvoisin pourraient encore croire qu'elle est notre cousine ! »
- Eh bien ! Claire, dit le grand-père, Hélène m'a raconté la parabole que vous avez entendue à l'école du dimanche. L'as-tu comprise ?
- Oui, Mlle Keller nous l'a si bien expliquée que j'ai tout compris, répondit joyeusement la petite.
- N'as-tu pas pensé que tu pourrais être le prochain de la petite fille ?

Mais à ce moment Mme Schneider entra, apportant le goûter, et la fillette ne put répondre, mais un sourire heureux illuminait son visage et le vieillard en conclut que sa supposition était juste.
 

III

Durant toute la semaine, Claire pensa à la petite Louise, - se demandant si elle viendrait à l'école du dimanche. Et lorsque le matin tant désiré arriva enfin, elle se prépara plus tôt que de coutume, car elle devait faire un grand détour pour arriver jusqu'à la cour du Moulin où demeurait Louise. Hélène n'accompagna pas sa soeur ; elle ne voulait pas marcher à côté d'une pauvresse. Qu'aurait donc pensé son amie Sophie ? Claire se dirigea rapidement vers la rue Thomas et arriva bientôt à la cour du Moulin. Les maisons y étaient hautes et sombres, et Claire poussa un soupir de soulagement en pensant qu'elle ne devait pas vivre dans ce quartier. Elle frappa à une porte du N° 3. On ouvrit immédiatement. Louise attendait Claire et l'avait vue venir ; elle était toute prête pour sortir ; elle portait le même petit bonnet, la même robe grossière, mais ses souliers étaient raccommodés. Elle avait jeté sur ses épaules un vieux châle de sa mère qui était beaucoup trop grand pour elle, mais qui cachait d'autant mieux son pauvre petit dos estropié. Les deux enfants se regardèrent joyeusement.
- Alors tu viens ! dit Claire. Ah ! comme je suis contente !

La mère de Louise vint remercier notre petite amie d'avoir invité son enfant et de lui être venue en aide la semaine précédente et elle raconta que toute la semaine Louise avait parlé de son aventure, et qu'elle avait craint qu'il ne plût dimanche et qu'elle ne dût rester à la maison. La femme avait une figure sympathique, mais son expression était triste et soucieuse. Deux enfants, plus petits, très pauvrement vêtus, se cachaient derrière elle, et regardaient curieusement Claire.

Claire ne s'attarda pas longtemps à causer, car elle ne voulait pas arriver trop tard à l'école. Mais comme Louise boitait, elles n'avançaient que lentement, et la leçon avait déjà commencé, quand les petites filles arrivèrent à destination. Claire ne put donc présenter la nouvelle petite élève à Mlle Keller et elle dit à Louise de rester à côté d'elle. La pauvre petite rougit en voyant tous les regards fixés sur elle : l'expression des uns était aimable, celle des autres curieuse seulement. On n'osait pas babiller pendant le chant des cantiques, mais Sophie, l'amie d'Hélène, ne put s'empêcher de demander à celle-ci si la fillette qui accompagnait Claire était une de ses parentes. Hélène fit signe que non, et se redressa un peu, indignée qu'on pût supposer une chose pareille ; elle oubliait que la pauvreté n'est pas une honte.

« Que c'est stupide à Claire d'avoir amené cette enfant, se dit-elle. Pourquoi n'est-elle pas arrivée à temps pour que la maîtresse la mette à une autre place ? J'espère que quand la lecture commencera cela changera, et qu'on la mettra avec les petits. J'aurais cent pieds de honte si elle restait dans notre groupe. »

Il fut néanmoins décidé que Louise resterait auprès de Claire, et les enfants suivirent ensemble sur le même Nouveau Testament. La fillette ne savait pas très bien lire, mais elle put tout de même apprendre avec les autres le verset qui clôturait l'enseignement. Il était clair que Louise ne savait pas grand'chose de la Bible, mais il était évident aussi qu'elle désirait en apprendre davantage. Son pâle visage s'éclaira plus d'une fois en écoutant l'histoire que racontait Mlle Keller. La pauvre enfant n'était pas habituée à entendre de telles choses, ses parents n'avaient jamais rassemblé leurs enfants autour d'eux pour leur parler de Jésus.

La petite Louise n'était pas heureuse chez elle. Ses parents étaient bons pour elle, mais ils étaient écrasés par le souci, et leurs pensées ne s'élevaient pas au-dessus des préoccupations et des besoins de la vie journalière. Maintes fois les petites filles étaient allées au lit affamées, et que de fois leur seul dîner n'avait-il pas consisté en quelques pommes de terre et du pain sec. Lorsqu'ils habitaient encore la campagne, le père passait la plus grande partie de son temps au cabaret, entraîné par de mauvais compagnons. Il se proposait toujours de changer de vie, mais les résolutions prises par ses propres forces ne tenaient pas longtemps, et il vit bientôt que ce genre de vie ne pouvait plus continuer. Il se décida alors à élire domicile en ville avec sa petite famille. Sa femme fut heureuse de cette idée, espérant qu'en abandonnant ses camarades, son mari abandonnerait aussi son ancienne vie. En effet, Pauli rapportait maintenant à la maison tout ce qu'il gagnait. Sans doute c'était peu de chose, juste de quoi le préserver de la faim, lui et sa famille. Les choses en étaient là, lorsqu'un grand malheur frappa ces pauvres gens. Un matin, l'ouvrier tomba si malheureusement d'une échelle qu'on le transporta gravement blessé à l'hôpital. Il y resta pendant des semaines entre la vie et la mort, et lorsqu'il put enfin rentrer à la maison, il était devenu si faible qu'il ne pouvait songer à travailler. Au lieu de se fortifier, le pauvre homme déclinait chaque jour, et bientôt il fut trop faible pour quitter la chambre. S'il avait pu respirer le bon air de la campagne et avoir une nourriture fortifiante, il se serait certainement remis, mais sa pauvreté le retenait dans son logis sombre et malsain.

Par bonheur, la mère de Louise trouva du travail chez des voisins. Comme elle était consciencieuse et active, Madame Pauli fut bientôt occupée toute la semaine. Mais son gain était bien maigre pour entretenir toute la famille, et il n'était pas étonnant, certes, que Louise portât de vieilles robes et des souliers déchirés.

À la sortie de la classe, Claire accompagna sa petite amie une partie du chemin, et Louise mit toute son attention à observer le parcours qu'elles faisaient, afin de pouvoir venir seule le dimanche suivant. La pauvre petite boiteuse rentra chez elle avec un gai sourire. Les soins affectueux de Claire l'avaient rendue heureuse, et le local clair et gai de l'école, la douce voix de la monitrice contrastaient étrangement avec la cour sombre et la voix irritée de Pauli, que la maladie avait rendu mécontent et irritable : la pensée qu'il ne pouvait rien faire pour sa femme et ses enfants l'aigrissait de plus en plus. Il n'avait pas encore appris à prendre son épreuve de la main de Dieu, et il murmurait contre son destin. Louise raconta à sa mère et à ses petites soeurs ce qu'elle avait entendu.
- Et tu sais, mère, dit-elle, j'ai appris un verset toute seule ! Il est si court et si facile que j'ai pu le retenir tout entier : « La bénédiction de l'Éternel est ce qui enrichit. » N'est-il pas beau, mère ?
- Très beau, Louise, répondit la mère avec un soupir.

Pourquoi soupirait-elle ? Ah, elle se rappelait des jours depuis longtemps écoulés, où elle aussi allait à l'école du dimanche, où elle aussi apprenait des versets. Mais avec le temps elle avait négligé la Parole de Dieu et le jour du Seigneur, et maintenant qu'elle était dans l'épreuve elle ne connaissait pas le Seigneur qui seul peut consoler et soulager.

IV

Madame Schneider avait fait cadeau à Claire d'un nouveau livre de cantiques, et la fillette eut aussitôt l'idée de donner son ancien recueil à sa petite amie. Comme elle avait congé le mercredi après-midi, elle demanda à sa mère la permission d'aller chez Louise.

Cela lui fût accordé de grand coeur, et pour comble de bonheur, Madame Schneider remplit le tablier de la petite fille de magnifiques pommes rouges. L'enfant sautait de joie à la pensée d'apporter ces beaux fruits aux petites soeurs de Louise. Claire trouva ses petites amies seules. La mère était en journée comme d'habitude, et leur père était allé chercher des médicaments à l'hôpital.

Louise était assise sur une vieille chaise cassée, et par terre, la figure et les mains sales, les petites soeurs s'amusaient toutes contentes. Elle sentit que Claire, avec ses habits si propres, ne pouvait être à l'aise dans ce milieu. Notre petite amie avait le coeur serré en voyant la misère de cette pièce, et Louise s'excusa un peu en disant :
- Maman a dû partir de si bonne heure ce matin qu'elle n'a pas eu le temps d'arranger la chambre, et le soir en rentrant elle est si fatiguée, qu'elle n'a plus le courage de rien y faire.

Malgré cette excuse, Claire trouva que Mme Pauli aurait pu mieux entretenir son ménage. Mais elle eut tout à coup une bonne idée. Franche, comme le sont les enfants entre eux, elle dit à Louise :
- Mais, dis-moi, ne pourrais-tu pas aider à ta mère, et mettre un peu d'ordre dans cette chambre, à sa place ?
- Je ne sais pas, dit Louise avec hésitation, je n'ai jamais essayé.
- Je suis sûre que tu le pourrais, dit Claire, car je le peux aussi. Je sais nettoyer le plancher et sortir les cendres du fourneau presqu'aussi bien que maman. Avec le temps tu y arriverais aussi.
- Oui, mais votre chambre est meilleure que la nôtre, objecta Louise en regardant d'un air maussade autour d'elle.
- C'est vrai, répondit Claire, mais elle ne reste pas non plus propre toute seule. Maman dit qu'on peut toujours rendre une chambre agréable, lorsqu'on s'en donne la peine. Je sais ce que je ferais, si j'étais à ta place, Louise.

Et alors elle se mit à développer son idée. Claire était une petite femme de ménage très experte pour son âge, et sa mère répétait souvent qu'elle ne saurait que devenir sans son aide. Et maintenant elle aurait aimé se mettre elle-même à l'ouvrage, nettoyer le fourneau, la table, le plancher, épousseter la commode, mais elle eut peur que Mme Pauli ne soit mécontente, qu'elle, une petite fille étrangère, se mêle de ses affaires. C'est pourquoi elle y renonça, mais elle encouragea beaucoup Louise à agir elle-même. Pourquoi ne serait-elle pas une aide pour sa pauvre mère surchargée de travail ?
Mais Claire avait encore autre chose à coeur : elle voulait parler à Louise de ce qu'elles avaient entendu ensemble à l'école du dimanche, lui donner le petit recueil de cantiques et partager les pommes entre les fillettes. Une heure se passa ainsi joyeusement. Pour finir, Claire lut encore les versets du cantique qu'elles devaient apprendre pour le dimanche suivant, puis chanta la mélodie que Louise accompagna bientôt de sa voix faible, mais limpide. Comme elles chantaient les dernières paroles, Pauli entra. Il n'aperçut pas les enfants ; il avait l'air harassé. Claire prit rapidement congé des petites, elle craignait que sa présence ne fut désagréable à cet homme malade.

La mère de Claire écouta avec grand intérêt tout ce que l'enfant lui raconta de sa visite et le lendemain elle dit à la fillette :
- Tu inviteras Louise à goûter avec nous demain. Puis nous verrons si ta robe bleue ne lui irait pas ; tu as tellement grandi que tu ne peux plus la porter, et comme elle est à peine usée, elle fera une bonne robe des dimanches pour Louise, puisqu'elle est plus petite que toi.

Quel plaisir pour Claire de penser que Louise ne devrait plus porter sa vieille robe rapiécée, et quelle joie pour Louise elle-même, le lendemain après-midi ! La robe lui allait à ravir ; Mme Schneider lui donna encore un manteau noir d'Hélène et un chapeau de paille grise de Claire. Comme ses yeux brillaient en déballant ses trésors à la maison. Elle était certainement, à ce moment, la plus heureuse enfant du monde !

Hélène ne s'occupait pas de Louise, car celle-ci avait le grand tort d'être pauvre et de demeurer dans une maison misérable. Hélène en avait honte, et ses visites lui étaient insupportables. Mais pour la pauvre enfant, elles étaient une joie inestimable. La chambre si confortable dont les fenêtres s'ouvraient sur un ravissant jardin, l'affection dont l'entouraient Claire et sa mère, effacèrent peu à peu sur son petit visage l'expression de tristesse et de fatigue, et lui aidèrent à mieux supporter sa vie pénible. Il semblait qu'un clair rayon de soleil avait dissipé un nuage.
Elle se donnait maintenant toutes les peines du monde pour tenir les pauvres petites chambres qu'elle habitait propres et en ordre. Au commencement cela lui avait coûté bien de la fatigue, mais elle s'y était habituée peu à peu, et était elle-même étonnée du changement.

Depuis quelque temps déjà Claire n'était plus retournée chez sa petite amie. Un mercredi après-midi, jour de congé, sa mère lui donna un beau morceau de mousseline pour faire une robe à sa poupée, mais, au moment de la couper, il lui vint une excellente idée. Elle se souvint de la fenêtre des Pauli, et elle se représenta combien il serait agréable d'y voir un rideau qui cacherait la sombre façade d'une maison vis-à-vis. Elle courut à sa mère pour lui faire part de son idée, et celle-ci lui aida à coudre le rideau, qui fut ensuite soigneusement enveloppé dans du beau papier blanc, et Claire y ajouta sa propre poupée pour les petites soeurs.

Quelle surprise lorsqu'elle entra dans la pauvre demeure ! les bancs, la table, le plancher reluisaient de propreté, le poêle brillait. Les murs aussi étaient un peu plus propres, et à certains endroits on avait cherché à remédier aux crevasses en collant du papier. Même quelques petites images encadrées de carton égayaient un peu la chambre. C'était presque du luxe. Ceci était la contribution du père de Louise, heureux des efforts qu'avait faits sa fillette.

Lorsque Claire entra, Pauli était assis sur une chaise, la tête appuyée sur un coussin. Il se leva en voyant la fillette, et parut même heureux en entendant l'exclamation de joie de Claire à la vue de tous ces changements. Comme les yeux de Louise brillaient de plaisir ! Le rideau fut déballé et admiré par chacun et tout de suite mis à la fenêtre. Pauli enfonça lui-même les clous, mais Claire eut le coeur serré en voyant combien ce petit travail avait épuisé le pauvre homme, qu'un terrible accès de toux força à se rasseoir bien vite.

V

Plusieurs semaines s'écoulèrent et l'état du malade empirait journellement. Un dimanche Louise vint tout en pleurs à l'école du dimanche.
- Qu'as-tu ? demanda Claire toute étonnée.
- Père est si malade. Le docteur a dit hier qu'il ne vivrait plus longtemps !
- Doit-il rester maintenant toute la journée au lit ? demanda Claire avec sympathie.
- Non, il est assis dans le vieux fauteuil ; mais il maigrit tellement, ne mange presque plus rien et tousse terriblement.
- Mais souvent les malades vont mieux, fit Claire, et peut-être qu'il guérira quand même.

Louise secoua tristement la tête et toutes deux entrèrent dans la salle.
Mme Schneider était une femme de coeur, et lorsqu'elle entendit ce que Claire lui raconta de Pauli elle répondit :
- Tu iras demain, Claire, et tu lui apporteras quelque chose de léger à manger, car sa femme qui est au travail toute la journée ne peut guère lui préparer de petits plats.

C'est avec joie que Claire prit le lendemain le chemin de la pauvre demeure. Elle trouva le malade seul. Louise avait été à la pharmacie avec ses petites soeurs. Claire surmonta sa timidité et montra au pauvre homme la soupe appétissante qu'elle avait apportée, et pendant que le malade regardait presqu'avec plaisir ce mets savoureux, Claire alla chercher une cuiller et une assiette, et le supplia d'en manger un peu. Mais comme il allait commencer, un terrible accès de toux l'en empêcha.
- Ah ! cette toux, cette toux, si seulement je pouvais m'en débarrasser, gémit-il.

Claire le regardait avec sympathie et lui dit affectueusement
- Vous ne l'aurez plus quand vous serez au ciel.

Il parut étonné de cette réflexion et resta silencieux un long moment, puis il murmura :
- Au ciel ? Ah, mon enfant, tout le monde ne peut pas aller au ciel.
- Oh ! oui, chacun qui veut peut y aller, assura la fillette.
- D'où sais-tu cela ? demanda le malade.
- C'est écrit dans la Bible : « Que celui qui a soif vienne », s'écria la petite. Et j'ai appris encore un autre passage : « Venez à moi, vous tous qui vous fatiguez et qui êtes chargés, et moi, je vous donnerai du repos » (Matt. 11, 28). Notre monitrice nous a dit que le Seigneur Jésus demande aux hommes de venir à Lui, et qu'Il a dit aussi qu'il ne repousse jamais celui qui vient à Lui ; oh ! vous ne savez pas combien le Seigneur Jésus est bon ! Quiconque veut aller près de Lui au ciel, le peut. C'est la Bible qui le dit, et la Bible est la Parole de Dieu.
- Mais Claire, je suis un grand pécheur, soupira le malade. Je ne me suis jamais occupé ni de Jésus, ni de la Bible, et maintenant...
- Il en est encore temps, interrompit Claire avec vivacité. Le plus grand des pécheurs peut encore venir à la dernière heure avec tous ses péchés, et le Seigneur Jésus le purifiera dans son sang et lui donnera une place dans le ciel. Il est venu sur la terre pour chercher ceux qui étaient perdus et pour rendre les pécheurs heureux. N'avez-vous jamais lu la belle histoire du brigand sur la croix ? J'ai dû pleurer en pensant que le Seigneur Jésus était si bon !

C'est ainsi que la fillette causa longtemps encore. Quelle surprise cela aurait été pour Mlle Keller, d'entendre sa modeste petite élève répéter si bien les paroles qu'elle avait entendues d'elle ! Et quelle bénédiction ces paroles n'étaient-elles pas pour le pauvre malade ! Depuis quelques jours, en voyant ses forces décliner, il était devenu inquiet. La pensée de la mort et de l'éternité lui était terrible ! Il se rendait compte maintenant qu'il ne s'était jamais réellement occupé de l'état de son âme, et maintenant il se sentait si pécheur, si ignorant, si incapable de faire quoi que ce soit, qu'à certains moments il était presqu'au désespoir. Il n'avait jamais appris à lire dans sa jeunesse, et dans cette grande ville il ne connaissait personne qui aurait pu lui dire un mot à propos. C'est alors que Dieu lui envoya la petite Claire pour lui apporter la parole de vie. Ses remarques enfantines étaient juste ce qui répondait à son état ; il lui fallait un Sauveur, et elle lui avait montré Celui qui est le chemin, la vérité et la vie. Il est vrai qu'au commencement, plus l'Esprit de Dieu agissait dans son coeur, plus il était tourmenté. Mais cependant les paroles de l'enfant lui donnaient quelque consolation ; s'il était vrai que Jésus était venu sur la terre pour sauver les pécheurs, il y avait encore un peu d'espoir pour lui.

Claire était loin depuis longtemps que ses paroles retentissaient encore dans le coeur du pauvre homme. Elle revint le lendemain avec sa mère. Celle-ci était une femme sensée, et ayant eu son mari malade pendant longtemps, avait fait ample provision d'expériences. Elle recommanda au malade un excellent docteur qui soignait gratuitement les pauvres, et lui laissa de l'argent pour louer une voiture qui le mènerait chez lui. Lorsque Mme Schneider voulut partir, Pauli la pria de lui laisser Claire encore un peu, afin qu'elle pût lui lire quelques passages de la Parole de Dieu, qu'elle avait apportée avec elle. Claire le fit avec grande joie : elle éprouvait combien il est doux de parler de Jésus à une âme qui Le cherche ; et il devenait de plus en plus évident que la semence qu'elle semait tombait dans de la bonne terre, et commençait à porter des fruits.

Le lendemain Pauli alla trouver le docteur que Mme Schneider lui avait recommandé. Il le fit surtout pour ne pas la blesser, car pour lui-même il n'avait plus d'espoir. Mais comme il fut heureux d'avoir suivi ses bons conseils, car peu de temps après déjà les remèdes lui apportèrent beaucoup de soulagement ; sa toux disparut peu à peu et ses forces revinrent lentement.
- Mère, s'écria Claire un jour qu'elle revenait d'une visite à la cour du Moulin, le père de Louise va réellement mieux. Le docteur dit que s'il fait très attention, il pourra se remettre entièrement, oh, comme j'en suis heureuse !

Mme Schneider partageait aussi la joie de son enfant.
- Écoute encore une chose, maman, continua la petite avec vivacité, le père de Louise apprend à lire. Il n'a été dans aucune école quand il était jeune, et plus tard il avait trop à faire pour s'instruire. Mais tu devrais voir comme il se donne de la peine maintenant pour pouvoir lire quelque chose dans la Bible. La petite Louise lui aide, et M. Brun qui demeure dans la même maison, vient de temps en temps voir les progrès qu'il fait. C'est si drôle de voir un homme épeler. Mais il est très heureux, car il croit maintenant au Seigneur Jésus et sait que tous ses péchés lui sont pardonnés' ; et Louise m'a dit qu'il est beaucoup plus aimable et plus doux qu'autrefois, et qu'aucune méchante parole ne sort plus de sa bouche.
- Tu n'as que de bonnes nouvelles à m'apprendre aujourd'hui, ma chérie, dit Mme Schneider en essuyant une larme. Je pensais justement combien de bonnes choses peuvent sortir d'une petite circonstance. Si tu n'avais pas ce certain dimanche montré le chemin à Louise, il est plus que probable que tu ne. l'eusses jamais connue.
- Oui, continua Claire, elle ne serait jamais venue à l'école du dimanche, nous n'aurions pas pu lui donner de nos habits, tu n'aurais pas pu envoyer son père chez le docteur, et il ne se serait jamais guéri, et n'aurait jamais lu la Bible. Maman, comme tout est beau lorsqu'on y pense !

La mère de Claire fut appelée à cet instant et la fillette continua ses réflexions pour elle-même : « et le commencement de tout cela c'est que j'avais entendu ce certain dimanche la parabole du bon samaritain et la question : « Qui est mon prochain ? », et que j'avais découvert que Louise Pauli était mon prochain ».

Elle pensait avec bonheur au dimanche suivant et à sa chère école. Mais que de changements peuvent apporter un jour, une semaine !

Le dimanche arriva, mais ni Claire ni sa soeur Hélène ne purent aller à la classe. Elles étaient toutes deux malades de la scarlatine. L'épidémie régnait depuis quelque temps dans la ville et avait déjà fait de nombreuses victimes. Claire était gravement malade, et sa mère était très inquiète à son sujet. La pauvre femme était à bout de forces ; les soins qu'elle devait donner jour et nuit et l'angoisse l'avaient tellement fatiguée qu'elle se demandait comment elle tiendrait jusqu'au bout. Elle ne pouvait demander de l'aide à ses voisines, car ou bien elles avaient elles-mêmes des enfants malades, ou bien elles craignaient la contagion. Mais il lui vint du secours d'un côté tout à fait inattendu, cela lui rappela ces paroles : « Celui qui donne au pauvre, prête à l'Éternel ».

La petite Louise était allée pleine de joie à l'école du dimanche, se réjouissant de raconter à Claire combien son père allait mieux. Là elle apprit par Sophie Duvoisin que les deux soeurs étaient malades.
Ce fut un coup pour l'enfant et elle n'eut point de repos que sa mère ne l'accompagnât chez Mme Schneider. Comme elle pleura à la pensée qu'elle pourrait perdre sa chère petite amie !

Mme Pauli, qui se réjouissait à la pensée de pouvoir rendre quelques services à cette famille qui lui avait fait tant de bien, s'offrit pour veiller la nuit, pendant que Louise serait là de jour pour donner les médicaments et aider au ménage, et comme elle avait déjà eu la fièvre, il n'y avait pas à craindre la contagion pour elle.

Mme Schneider accepta aussitôt. Louise remplit si bien son rôle de petite garde-malade, elle était si douce et si gentille qu'elle amassa des charbons ardents sur la tête d'Hélène qui était souvent très impatiente. Sa bonté fit désirer à Hélène de connaître le Sauveur et son amour, car elle avait vu aussi combien Claire était heureuse, même en face de la mort.

Il plut au Seigneur de rétablir les deux fillettes. Elles eurent une longue convalescence, mais la maladie avait porté des fruits chez Hélène, l'Esprit de Dieu avait commencé son oeuvre dans ce jeune coeur, et elle confessa à sa petite soeur que ce n'était que maintenant qu'elle comprenait cette question : Qui est mon prochain ?


Table des matières

 

- haut de page -