Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
REGARD
Bibliothèque chrétienne online
EXAMINEZ toutes choses... RETENEZ CE QUI EST BON
- 1Thess. 5: 21 -
(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



LE PHARE SUR LE ROC

CHAPITRE PREMIER
Mon étrange demeure

C'est dans un phare que je suis né, par une nuit très orageuse. Les vagues se jetaient avec fureur contre notre habitation, et le vent soufflait en tempête. Si le phare n'avait pas été bâti bien fermement sur le roc, il aurait certainement été balayé dans l'océan avec tout ce qu'il contenait.
Mon grand-père m'a souvent répété qu'il n'avait jamais vu jusqu'alors un pareil ouragan, quoiqu'il vécût sur cette île depuis plus de quarante ans. Un grand nombre de bateaux furent perdus corps et biens cette nuit-là. C'est au moment où le vent était le plus impétueux, et les vagues si fortes que leur écume montait plus haut que les fenêtres, c'est alors que moi, Alain Fergusson, je vins au monde.

Je naquis dans une étrange demeure. Le phare était bâti sur une petite île, à six kilomètres de la terre ferme. La mer qui nous entourait de tous côtés était quelquefois si bleue et si paisible qu'on ne pouvait rien voir de plus beau, tandis que d'autres fois elle était noire comme de l'encre et se jetait en rugissant contre les rochers qui entouraient notre Île.
On avait construit le phare sur un immense rocher qui descendait à pic dans l'océan du côté de la pleine mer, et, chaque soir, dès qu'il commençait à faire nuit, on allumait ses grandes lampes qui jetaient au loin leur brillante lumière.

Je me souviens combien, dès ma tendre enfance, ces lampes faisaient mon admiration. Je ne me lassais jamais de rester à les regarder tandis qu'elles tournaient en changeant de couleur. Il y avait d'abord la lumière blanche, puis la bleue, puis la rouge, puis la verte, et ensuite revenait la blanche. Les vaisseaux connaissaient bien notre phare et, par son moyen, ils pouvaient éviter les rochers si dangereux de ces parages.

Mon grand-père, Samuel Fergusson, était le gardien du phare. C'est lui qui avait la responsabilité de veiller à ce que les lampes fussent toujours en bon état et allumées en temps voulu. C'était un homme actif qui faisait bien son ouvrage, et sa grande ambition était de pouvoir rester à son poste jusqu'au moment où je serais capable de le remplacer.

À l'époque où commence mon histoire j'avais douze ans et j'étais grand et fort pour mon âge. Mon grand-père était très fier de moi et disait que je serais bientôt un homme, et qu'alors il se hâterait de me faire nommer à sa place. J'aimais extrêmement mon étrange demeure et n'aurais voulu l'échanger pour aucune autre. Des gens qui n'y auraient pas été habitués auraient sans doute pensé que c'était un peu triste, car nous ne voyions personne et ne pouvions nous rendre à la côte qu'une fois tous les deux mois ; mais j'étais très heureux et persuadé qu'il n'y avait aucun lieu au monde comparable à notre petite île.

La maison dans laquelle j'habitais avec mon grand-père attenait à la tour du phare. Elle était petite, mais très agréable. Toutes les fenêtres avaient vue sur la mer, et lorsque nous les ouvrions, nous recevions en abondance l'air pur et vivifiant du large. Outre la nôtre, il n'y avait qu'une seule maison sur l'île, celle de M. Miller, le second gardien du phare. Elle était séparée de la nôtre par une cour que l'on avait entourée de hautes murailles pour la protéger du vent. Derrière cette cour se trouvaient deux petits jardins. Celui des Miller était abandonné et rempli de mauvaises herbes, car M. Miller n'aimait pas jardiner et sa femme avait bien assez à faire ; ne devait-elle pas s'occuper de ses six enfants ?
Notre jardin, au contraire, faisait l'admiration de tous ceux qui visitaient l'île. Mon grand-père y travaillait dans tous ses moments de loisir et il m'avait enseigné de bonne heure à lui aider. Nous en étions tous deux très fiers et le tenions toujours en parfait état ; aussi, quoiqu'il fût si près de la mer, il produisait les plus beaux légumes, les fruits les plus savoureux et toutes les variétés de fleurs assez robustes pour supporter l'air de mer.

Au centre de l'île s'étendait une prairie, dans laquelle nous menions paître la vache et les deux chèvres qui fournissaient le lait et le beurre nécessaires à nos deux familles. De l'autre côté on retrouvait le rivage rocheux qui entourait l'île, mais il y avait aussi une petite jetée qui s'avançait dans la mer. C'est là que je ne manquais pas de me rendre tous les lundis matins, pour y attendre le bateau à vapeur qui venait chaque semaine nous apporter des provisions et le courrier. C'était un grand événement pour nous ; aussi mon grand-père, M. et Mme Miller et leurs enfants, tous venaient me rejoindre au moment où le bateau abordait. Mon grand-père ne recevait pas souvent des lettres, car il ne connaissait pas beaucoup de gens. Il avait vécu sur cette île isolée la plus grande partie de sa vie, et tous ses parents étaient morts ; excepté peut-être mon père, et nous ne savions pas ce qu'il était devenu. Je ne l'avais jamais connu, car il était parti quelque temps avant ma naissance. Mon grand-père me parlait souvent de lui en me disant que c'était un robuste et courageux marin. Il lui avait amené ma mère et l'avait laissée à ses soins, tandis qu'il allait faire un voyage de long cours. Il avait ensuite quitté l'île sur ce même petit bateau à vapeur qui faisait notre service tous les lundis. Mon grand-père était resté sur la jetée aussi longtemps qu'on avait pu le voir, et ma mère avait agité son mouchoir dans sa direction tant qu'on avait vu une fumée à l'horizon. Mon grand-père m'a souvent raconté combien elle était jeune et charmante à la lumière de ce matin d'été. Mon père avait promis d'écrire bientôt, mais on ne reçut jamais de ses nouvelles. Tous les lundis matins, ma mère était la première sur la jetée pour attendre le bateau, et pendant trois ans elle fut chaque fois désappointée !
Peu à peu son pas devint plus lent, sa figure plus pâle et maigre, et à la fin elle n'eut plus la force de se rendre sur la jetée. Bientôt après je fus laissé orphelin.
Dès lors, mon cher grand-père devint père et mère pour moi. Rien n'était difficile pour lui quand il s'agissait de mon bien, et où qu'il allât, quoi qu'il fit, j'étais toujours à ses côtés.

Ce fut lui qui m'enseigna à lire et à écrire, car je ne pouvais naturellement pas aller à l'école. Il me montra aussi comment il fallait nettoyer les lampes et me faisait travailler au jardin. Notre vie s'écoula ainsi d'une manière très uniforme jusqu'à ce que j'eusse atteint l'âge de douze ans. Parfois je me surprenais à désirer qu'il survînt quelque événement inattendu, pour rompre la monotonie de notre vie sur l'île.
Et enfin un changement se produisit !


.
CHAPITRE Il
La lumière au large

Par une sombre soirée de novembre, nous prenions tranquillement notre souper, mon grand-père et moi. Nous avions bêché le jardin toute la matinée, mais l'après-midi le temps était devenu très pluvieux et nous avions dû rester en chambre.
Nous causions tranquillement, faisant des plans pour nos occupations du lendemain, lorsque la porte s'ouvrit brusquement et M. Miller avança sa tête à l'intérieur.
- Samuel, vite ! cria-t-il. Venez voir !

Nous nous élançâmes vers la porte et regardâmes dans la direction qu'il indiquait. Là, vers le nord, nous vîmes une lueur brillante qui éclaira un moment le ciel orageux, puis s'éteignit complètement.
- Qu'est-ce, grand-père ?

Mais il ne me répondit pas.
- Il n'y a pas une minute à perdre, Jem, dit-il à Miller ; vite, le canot à l'eau !
- La mer est démontée, dit celui-ci, en regardant les énormes vagues qui se brisaient contre les rochers.
- N'importe, Jem. Nous devons faire notre possible pour les sauver.

Les deux hommes descendirent en hâte sur le rivage, et je les suivis.
- Qu'est-ce, grand-père ? répétai-je.
- Un navire en détresse, me dit-il. On fait toujours ainsi des signaux quand on est en danger ; c'est pour appeler au secours.
- Vas-tu y aller, grand-père ?
- Certainement ! Nous irons, si nous parvenons à lancer le canot. Es-tu prêt, Jem ?
- Laisse-moi aller avec vous, grand-père, suppliai-je ; je pourrai peut-être vous aider.
- Bien, mon garçon. Nous allons essayer de lancer le canot.

Il me semble encore voir cette scène comme si c'était hier. Mon grand-père et Miller faisant tous leurs efforts pour ramer contre les vagues, tandis que, cramponné au siège pour ne pas être lancé à la mer, je faisais mon possible pour tenir le gouvernail. Je vois encore la pauvre Mme Miller nous surveillant de la jetée, avec deux de ses fillettes cramponnées à sa jupe. Je crois entendre le fracas des vagues s'élevant de plus en plus et menaçant à chaque instant de nous engloutir. Je vois surtout l'expression profondément désappointée de mon grand-père lorsque, après maints efforts infructueux, il dut renoncer à son entreprise.
- C'est inutile, Jem, dit-il enfin avec un soupir de découragement ; nous ne pouvons, à nous seuls, lutter contre une pareille mer !

Nous abordâmes donc, non sans difficulté, et nous restâmes sur la jetée, regardant constamment du côté où la lueur nous était apparue ; mais rien ne vint percer les profondes ténèbres.
Les lampes du phare, qui avaient été allumées deux heures auparavant, brillaient de tout leur éclat. C'était au tour de Miller de veiller ; il monta donc dans la tour, tandis que mon grand-père et moi restions sur la jetée.
- Ne pouvons-nous rien faire, grand-père ? demandai-je.
- Je crains que non, me répondit-il tristement. Impossible d'avancer contre une telle mer ! Si elle se calme un peu, nous essayerons de nouveau.

Mais la mer ne se calmait pas et, pendant de longues heures, nous continuâmes à faire les cent pas sur la jetée.
Tout à coup une fusée, partant évidemment de l'endroit où nous avions précédemment vu la lueur, parut dans les airs.
- Voilà de nouveau un signal ! dit mon grand-père. Pauvres gens ! Je me demande combien ils sont.
- Ne pouvons-nous donc rien faire ? soupirai-je.
- Non, mon garçon. La mer est trop forte pour nous. Quelle terrible tempête ! Cela me rappelle le jour de ta naissance.

Ainsi se passa la nuit. Nous n'eûmes pas même l'idée d'aller nous reposer, mais restâmes tout le temps à nous promener, les yeux fixés sur l'endroit où la lumière nous était apparue. De temps en temps une fusée partait ; puis nous ne vîmes plus rien.
- Pauvres gens ! Ils ont épuisé leurs fusées, dit mon grand-père. Quelle terrible affaire !
- Que leur est-il arrivé ? demandai-je. Y a-t-il des rochers de ce côté ?
-Oui, il y a les écueils d'Ainslie ; c'est un coin dangereux, où s'est produit déjà plus d'un naufrage.

Lorsque le jour commença à poindre, nos yeux exercés distinguèrent les mats d'un vaisseau dans le lointain.
- Le voilà ! dit mon grand-père. C'est comme je le pensais, il s'est jeté sur les rochers d'Ainslie.
- Le vent n'est plus aussi fort, n'est-ce pas ? demandai-je.
- Tu as raison, et la mer aussi est un peu moins mauvaise. Appelle vite Jem.

Celui-ci se hâta de venir, portant dans ses bras de gros rouleaux de cordes.
-C'est bien, Jem, lui dit mon grand-père. Partons vite, je crois que cette fois nous pourrons réussir.

Nous sautâmes dans le bateau et tâchâmes de nous éloigner de la jetée. Mais quelle lutte nous eûmes à soutenir contre le vent et les vagues !
- Courage, Jem ! criait mon grand-père. Pense à tous ces pauvres gens là-bas! Essayons encore !

Ils firent donc un nouvel effort et parvinrent à s'éloigner un peu plus de la jetée ; petit à petit, mais très lentement, cette distance augmenta. Les vagues étaient monstrueuses et paraissaient à tous moments prêtes à nous engloutir. Les deux hommes auraient-ils la force de lutter assez longtemps pour arriver jusqu'au bateau ?
- Qu'est-ce que cela ? m'écriai-je tout à coup, en voyant un objet noirâtre qui montait et descendait avec les vagues.
- C'est un bateau, sûrement ! dit mon grand-père. Regarde, Jem !


.
CHAPITRE IIl
Un sauvetage

Oui, c'était bien un bateau que j'avais aperçu, mais il était sens dessus dessous. Un moment après il passa si près de nous que nous aurions presque pu le toucher.
- Ils ont perdu leur bateau, dit mon grand-père. Courage, Jem !
- Oh ! grand-père ! criai-je - car le vent était si fort qu'il fallait crier pour se faire entendre - crois-tu que ce bateau était plein de monde ?
- Non, répondit-il, je pense qu'il a été emporté au moment où ils ont cherché à le mettre à flot. Courage, Jem !

Car Miller, qui n'était pas très fort, semblait épuisé.
En nous approchant nous vîmes que le vaisseau était très grand et que beaucoup de gens allaient et venaient sur le pont, d'un air agité.
Mon grand-père et Miller redoublèrent d'efforts et, enfin, nous arrivâmes tout près du navire, tellement près que, si le bruit de la tourmente n'avait pas été si fort, nous aurions pu parler avec les naufragés. Nous essayâmes à plusieurs reprises de nous placer le long du vaisseau, mais, chaque fois, les vagues nous emportaient bien loin. Enfin les matelots nous jetèrent un câble et, après plusieurs essais infructueux, je réussis à le saisir et à le passer à mon grand-père qui l'attacha solidement à notre bateau.
- Courage ! cria-t-il, courage, Jem ! Nous pourrons maintenant en sauver quelques-uns !

Oh ! comme mon coeur battait, en voyant cette foule d'hommes et de femmes qui se pressaient avec anxiété à l'endroit où la corde était fixée !
- Nous ne pouvons malheureusement pas les prendre tous, dit mon grand-père en soupirant ; il nous faudra. couper la corde, dès que nous en aurons autant que le bateau peut en porter.

Je frissonnai en pensant à ceux que nous devrions laisser en arrière.
Nous nous étions mis aussi près que possible du navire, afin que les naufragés pussent saisir un instant d'accalmie, entre deux grosses vagues, pour sauter dans notre bateau.

- Attention, Jem ! cria mon grand-père, voici le premier !

Un homme se tenait près de la corde, tenant dans les bras ce qui semblait être un gros paquet. Il saisit un bon moment pour le jeter. Mon grand-père le reçut :
- C'est un enfant, Alain, me dit-il. Mets-le près de toi et prends-en soin.

Je le plaçai à mes pieds, et mon grand-père cria :
- Maintenant ; à un autre ! Dépêchez-vous !

Mais à ce moment Miller saisit mon grand-père par le bras en criant :
- Attention !

Une formidable vague, plus haute que toutes celles que j'avais vues jusqu'alors, s'avançait vers nous. Un instant de plus, et elle nous aurait jetés avec violence contre le navire et aurait brisé notre bateau. Sans perdre une seconde, mon grand-père coupa le câble d'un coup de hache, et nous n'eûmes que le temps de nous laisser aller au courant avant que la vague fondît sur nous.
Nous entendîmes un fracas épouvantable, comme un coup de tonnerre, lorsque l'énorme vague se jeta contre le rocher d'Ainslie. Je pouvais à peine respirer, tant mon effroi était grand.
- Retournons vite en chercher d'autres ! cria mon grand-père quand le danger fut passé.

Nous regardâmes autour de nous, mais le vaisseau n'était plus là ! Il avait disparu, comme un rêve quand on s'éveille. Cette énorme vague avait achevé de le briser et l'avait éparpillé en milliers de fragments. On n'apercevait aucun être vivant, mais l'océan était couvert d'épaves.
Nous avions été entraînés à plus d'un kilomètre de distance, de sorte qu'il nous fallut un bon moment, en ramant contre le vent et les vagues, pour revenir sur le lieu du sinistre. Quand, enfin, nous y arrivâmes, nous étions trop tard pour sauver personne. Sans doute la plupart avaient été entraînés dans le tourbillon que le navire avait fait en sombrant, et ceux qui étaient montés à la surface avaient disparu de nouveau avant que nous ayons pu arriver.

Longtemps nous luttâmes contre les vagues dans l'espoir de sauver encore quelqu'un, mais trouvant enfin que c'était en pure perte, nous fûmes obligés de retourner vers notre île.
Tous avaient péri, excepté l'enfant couché à mes pieds. Je l'entendais pleurer, mais il était attaché si fermement dans une couverture que je ne pouvais ni le voir ni le consoler.
Il fallut encore beaucoup de peine et de courage pour retourner chez nous. C'était moins dur que pour aller, car le vent était pour nous, mais le danger était encore bien grand. Je tenais les yeux fixés sur le phare, dirigeant le bateau autant que possible en droite ligne, et quel bonheur de voir la distance diminuer ! Enfin j'aperçus la jetée et Mme Miller qui nous guettait.
- N'avez-vous sauvé personne ? demanda-t-elle pendant que nous sortions du bateau.
- Rien qu'un enfant, répondit tristement mon grand-père. Rien qu'un petit enfant ! Mais, enfin, nous avons fait tout ce que nous avons pu...

Jem suivait mon grand-père, en portant les rames sur son épaule. Je venais le dernier, avec mon précieux fardeau dans les bras. L'enfant ne pleurait plus, il s'était sans doute endormi. Mme Miller voulut me le prendre et défaire la couverture, mais mon grand-père dit :
- Pas encore, Marie, il faut d'abord entrer ; il fait trop froid ici.

Nous traversâmes donc le champ, le jardin et la cour. La couverture était solidement attachée autour de l'enfant, excepté dans le haut où l'on avait laissé une ouverture pour lui permettre de respirer, et je pouvais tout juste apercevoir un petit nez et deux yeux fermés. Une fois entrés dans notre cuisine, Mme Miller, s'asseyant, prit l'enfant sur ses genoux et enleva la couverture.
- Que Dieu la bénisse ! dit-elle d'une voix émue, c'est une petite fille !
- Eh oui ! dit mon grand-père ; et c'est une charmante petite fille !


.
CHAPITRE IV
La petite Lily

Je n'ai jamais vu, j'en suis sûr, une plus jolie petite fille. Ses cheveux étaient d'un brun clair, ses joues roses et potelées, et ses yeux du plus beau bleu.
Elle se réveilla, tandis que nous étions tous à la regarder, et, ne voyant autour d'elle que des figures étrangères, elle se mit à pleurer en appelant :
- Maman ! Maman !
- Pauvre chérie ! dit Mme Miller, elle voudrait sa mère.

Et la brave femme se mit à pleurer autant que l'enfant.
Mon grand-père lui prit alors l'enfant et la posa sur mes genoux ; puis il dit :
- Écoutez, Marie, ayez la bonté de nous préparer à tous quelque chose de chaud ; nous en avons bien besoin ! La petite est glacée et affamée, et nous ne sommes pas beaucoup mieux !

Mme Miller s'essuya les yeux et eut bientôt allumé un feu brillant. Puis elle courut dans la maison voisine voir si ses enfants étaient bien, et nous rapporta de la viande froide.
Je m'assis devant le feu, avec la fillette sur mes genoux. C'était une saine et robuste enfant qui paraissait avoir de deux à trois ans. Elle avait cessé de pleurer et me regardait sans la moindre frayeur, mais dès que quelqu'un d'autre approchait, elle cachait sa figure contre mon épaule.
Mme Miller apporta une tasse de lait et du pain et me laissa la nourrir moi-même.
La fillette avait l'air très fatiguée et pouvait à peine tenir ses yeux ouverts.
- Pauvre chérie ! dit mon grand-père, je pense qu'on l'a réveillée pour la porter sur le pont. Voulez-vous la coucher, Marie ?
-Oui, je vais la mettre dans le lit de notre Jenny ; elle y dormira très bien.

Mais l'enfant se cramponna à moi et cria si fort quand Mme Miller voulut l'emporter, que mon grand-père dit :
- Non, laissez-la, puisqu'elle aime mieux rester avec Alain.

Nous lui fîmes donc un petit lit sur le canapé, et Mme Miller l'y coucha après lui avoir fait sa toilette.
L'enfant paraissait avoir une préférence pour moi ; lorsqu'elle fut couchée elle me tendit sa petite main en disant :
- Tenir la main de Lily.

Peu après elle s'endormit paisiblement. Je restai encore longtemps assis auprès d'elle en lui tenant la main, car je craignais de la réveiller en faisant un mouvement.
- Je me demande qui elle est, chuchota Mme Miller en pliant les petits vêtements. Ce sont de beaux habits ! C'est une enfant qui a été bien soignée, cela se voit. Tiens 1 voilà quelque chose écrit à l'intérieur de son petit manteau. Regarde si tu peux lire, Alain.

Je déposai avec précaution la petite main sur la couverture et, prenant le vêtement, je m'approchai de la fenêtre pour mieux voir.
- Oui, dis-je, c'est probablement son nom. Il y a Villiers.
- Pauvre petite ! dit Mme Miller. Penser que son père et sa mère sont au fond de la mer ! Si c'était notre Jenny !

Et elle se remit à pleurer, si bien que, pour ne pas risquer de réveiller l'enfant, elle prit le parti de retourner chez elle et de se consoler en serrant sa petite Jenny dans ses bras.
Mon grand-père, brisé de fatigue par les efforts qu'il avait fournis, monta s'étendre sur son lit ; mais moi je restai auprès de la fillette, sentant que je n'aurais pas le courage de la laisser seule un instant.
« Comme elle dort paisiblement ! » me disais-je, « pauvre petite ! Elle ne se doute pas du malheur qui est arrivé ! »

J'étais à bout de forces, n'ayant pas fermé l'oeil la nuit précédente ; aussi quelques minutes s'étaient à peine écoulées que j'appuyais ma tête contre le canapé et m'endormais profondément.
Je fus réveillé quelques heures plus tard parce qu'on tirait mes cheveux tandis qu'une petite voix me criait dans les oreilles :
- Lever Lily ! lever !

J'ouvris les yeux et vis la plus charmante figure du monde qui me regardait en souriant. Je courus chercher Mme Miller qui vint habiller la petite fille.
C'était une belle après-midi ; la tempête s'était apaisée pendant notre sommeil et le soleil brillait dans tout son éclat. Je me hâtai de préparer le dîner, tandis que Lily me regardait, courant autour de moi, et ayant l'air tout à fait heureuse et contente.
Mon grand-père dormait encore et je ne voulus pas le réveiller. Mme Miller apporta une bonne soupe qu'elle avait faite pour la petite, et nous prîmes notre repas ensemble. Je voulais la faire manger, comme je l'avais fait le matin, mais elle dit :
- Lily toute seule !

Et, s'emparant de la cuiller, elle mangea si proprement que je ne pouvais me lasser de la regarder, en oubliant presque mon propre repas.
- Que Dieu la bénisse ! dit Mme Miller.
- Dieu te bénisse, dit l'enfant.
- Elle a certainement entendu sa mère dire ces paroles, dit Mme Miller.

Quand elle eut fini son dîner, la fillette se laissa glisser en bas de sa chaise, alla prendre son manteau qui était resté sur le canapé, et se dirigea vers la porte en disant :
- Promener, Lily veut promener.
- Conduis-la un peu dehors, Alain, me dit Mme Miller.

Alors, au grand bonheur de la petite, nous lui mîmes son manteau et son capuchon, et je sortis avec elle.
Oh ! comme elle sauta et s'amusa dans le jardin ! Je n'avais jamais vu une enfant si gaie.


Table des matières

Page suivante:
 

- haut de page -