Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Vous serez mes témoins

AVANT-PROPOS

À tous ceux qui cherchent
à ceux qui souffrent
à tous ceux
qui sont sincères et droits de coeur
ce témoignage est dédié.

Ces quelques pages, sans aucune prétention littéraire, ne veulent être qu'un témoignage à la grandeur et à l'amour de notre Père céleste. Écrites, pour la plupart, il y a bien des années, par obéissance à un ordre reçu, j'ai bien hésité avant de livrer ces expériences intimes au grand public. Elles paraîtront peut-être, à certains, comme enfantines et élémentaires, mais toutes avaient leur raison d'être.
C'est relativement facile d'amener quelqu'un à la conversion, mais ensuite que de difficultés de tous genres ! Alors plusieurs perdent courage parce que le vrai but de leurs épreuves leur est caché.

Trop peu savent tout simplement regarder à Jésus, le Chef et le Consommateur de la foi, en toutes circonstances, Hébr. 12. 2.

Trop peu savent que Dieu nous a formés afin que ce qui est mortel en nous soit englouti par Sa vie et qu'Il nous a donné les arrhes de l'Esprit, II Cor. 5. 5.

'Trop peu savent que : « ... toutes choses sont à nous... soit le monde, soit la vie, soit la mort, soit les choses présentes, soit les choses à venir, toutes choses sont à nous et nous à Christ, et Christ à Dieu. I Cor. 3. 22-23.

Trop peu connaissent la glorieuse liberté des enfants de Dieu. Rom. 8. 21.

Et parce que nous devons veiller à ce que Personne ne se prive de la grâce de Dieu, Hébr. 12.15, j'ose aller de l'avant, m'efforçant de m'effacer le plus possible afin que le lecteur ne voie que Celui qui nous aime tous tellement qu'Il a livré Son Fils bien-aimé pour nous racheter à grand prix : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. » 1 Tim. 2. 4. Il le veut non seulement, mais tout a été accompli Pour cela à la Croix et maintenant tous pourraient être des bienheureux au lieu de sombrer dans l'angoisse et la peur car nous n'avons rien à craindre, Dieu Lui-même veut prendre soin de nous. I Pierre 5. 7.

Il y a trois cent soixante-cinq fois « ne crains pas » dans la Parole de Dieu, une fois pour chaque jour de l'année ; que nous faut-il de plus pour nous encourager à croire et à nous mettre à la totale disposition d'un tel Seigneur ?

« J'ai cherché l'Éternel et Il m'a répondu. Il m'a délivré de toutes mes frayeurs.
Quand on tourne vers Lui les regards on est rayonnant de joie,
Et le visage ne se couvre pas de honte.
Quand un malheureux crie, l'Éternel entend, Et Il le sauve de toutes ses détresses.
L'ange de l'Éternel campe autour de ceux qui Le craignent Et Il les arrache au danger.
Sentez et voyez comme l'Éternel est bon,
Heureux l'homme qui cherche en Lui le refuge Craignez l'Éternel, vous ses saints,
Car rien ne manque à ceux qui Le craignent.

Psaume 34.5-10.


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Chapitre premier
MENSONGE

« Ah ! que tu es drôle ! » et mes jolies tantes de rire de plus belle, pas de si bon coeur que d'ordinaire, me semble-t-il toutefois. Je me tiens devant elles, hérissée comme un petit coq.
Tout à l'heure, en me promenant, nous avons rencontré une de leurs anciennes connaissances qui leur demanda des nouvelles de tante Éléonore; j'avais été fort troublée d'entendre tante Anny répondre : « Elle est en voyage ! » Pourtant elle savait aussi bien que moi, qu'elle se trouvait à la maison !
- Pourquoi as-tu menti à ce monsieur ? demandai-je.
- Mais voyons ! ne sois pas ridicule, ne sais-tu pas qu'il y a des mensonges permis ? Par exemple quand cela ne fait de mal à personne, me fut-il répondu.

Me voici fort perplexe. À la maison, à l'école du dimanche, j'ai toujours entendu dire que le mensonge était un grand péché. Qui a raison ?
Mes tantes qui habitent une ville, qui connaissent tant de choses, elles dont je suis si fière en les accompagnant à la promenade car tout le monde les admire, doivent savoir...

De retour chez mes parents, dans un petit village du Jura, cette question étrange me poursuit. Un jour, pour voir, je ne dis pas l'exacte vérité à maman, celle-ci me regarda et me fit d'un air de reproche : « Je n'aurais pas cru cela de toi ! »
J'essayai, pour me disculper, de lui expliquer que sa soeur prétendait qu'il y avait des mensonges permis. Incrédule, elle me regardait et je vis qu'elle ne me croyait pas. Cela me fit froid au coeur. Que les grandes personnes sont donc étranges ! Les unes disent comme ceci, les autres comme cela !
- Comment Dieu doit-Il être adoré ?

L'institutrice s'adresse à moi. Trop occupée à m'amuser, je n'ai pas écouté un mot de la leçon d'histoire sainte et ne sais que répondre.
« ... En esprit et en vérité, et pour ta punition tu écriras trois fois l'histoire de la Samaritaine. » Jean 4. 4-42.

Cela me prit toute une belle après-midi, mais cette question resta gravée en moi : qu'est-ce que cela veut-il dire : adorer en esprit et en vérité ?


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Chapitre II
COURSE AUX OEUFS ET PUNITIONS

Toute l'école est sens dessus dessous, on ne parle que d'une course aux oeufs qui aura lieu dimanche au village. C'est la première fois, depuis bien longtemps, qu'il doit y avoir une fête de ce genre.

Notre petite localité est divisée en deux camps : les mômiers, dont nous faisons partie, et ceux qui vont à l'Eglise nationale. Les mômiers, ce sont ceux qui fréquentent les cultes à la chapelle; ils ont eu longtemps la haute main dans les affaires communales, et semblables jouissances étaient interdites. Maintenant la roue a tourné. Nous autres enfants nous écoutons, yeux et bouche ouverts, ce que, les grands racontent et comme ce sera beau.
Nous nous réjouissons tous de voir quelque chose de nouveau. Quelle déception quand papa nous défendit d'aller à la fête ! je baissai la tête, mais, dans mon for intérieur, je décidai d'aller voir ! Aussi quand le cortège, musique en tête, passa derrière notre maison, j'emboîtai le pas jusqu'à la place du village où des oeufs étaient disposés en cercles. Puis un jeune homme se mit à courir en rond et à jeter les oeufs, les uns après les autres, dans une corbeille. Je regardais de tous mes yeux, ce n'était que cela ! Les spectateurs parlaient avec animation d'un autre homme, qui courait le long de la grande route; lequel arriverait le premier au but ? Vraiment ce n'était pas amusant du tout et je commençais à regretter de ne pas être avec mes petits cousins et cousines qui jouaient sans doute, de tout leur coeur, dans la forêt. Et puis que dira papa quand je rentrerai ? Le coeur lourd, je revins à la maison.
Voyant ma mine déconfite, mes parents ne me punirent pas ; papa dit seulement : « Tu nous as fait honte ! » Ce qui me fut plus cruel que des taloches.

- Ah ! les coquins ! petits paresseux, va ! qu'avez-vous fait de tout l'après-midi ?
Effrayés, nous baissons la tête et nous nous hâtons d'arracher les légumes et de les nettoyer mais, hélas, temps perdu ne se retrouve jamais ! Nous avions congé et maman nous avait envoyés au plantage, assez éloigné du village ; papa viendrait le soir, avec un char, chercher ce que nous aurions préparé. Nous avions commencé par manger force raves et carottes crues, puis nous nous étions amusés et maintenant papa et oncle Arnold étaient près de nous et voici, il y avait à peine de quoi remplir la moitié du char. Comment les heures avaient-elles pu s'écouler si rapidement ?
- Ah ! bien cette fois, j'espère que tu leur administreras une maîtresse fouettée à ces gamins ! ils ne l'auront pas volée ! dit oncle Arnold.

Papa avait l'air si triste et son calme nous épouvantait encore plus que des paroles.
- C'est bon, fit-il, allez à la maison, mais restez dans la chambre, je vous défends d'aller au lit avant que je revienne. Nous verrons alors ce qu'il y aura à faire !

Tête basse nous rentrâmes, angoissés de ce qui allait arriver. Nous attendions, attendions, ah ! que la soirée était longue !
- Maman, oh ! maman, permets-nous d'aller au lit !
- Non ! puisque papa l'a défendu !

Nous guettions les pas dans l'escalier. Nous étions élevés sévèrement, mais papa ne nous avait encore jamais frappés. Depuis quelques jours l'indiscipline s'était glissée dans notre petite troupe ; oui, nous avions besoin d'une correction, nous le sentions, mais oh ! que cela nous semblait cruel de l'attendre si longtemps ! Enfin, enfin papa arriva et nous trouva tous en larmes.
Tranquillement, sans mot dire, il s'assit sur le canapé, prit un des petits sur ses genoux, nous fit asseoir près de lui et alors il commença à nous raconter une histoire. Très étonnés, nous écoutions en pleurant doucement, c'était si différent de ce que nous attendions ! Pour terminer il nous dit encore qu'un soir, son frère et lui s'étant cachés derrière un hangar pour essayer de fumer la pipe, tout à coup leur mère se trouva près d'eux (leur père était mort depuis longtemps).
- Vous n'irez pas vous coucher ce soir avant que nous ayons causé ensemble, leur dit-elle.

Tard dans la soirée, elle s'était aussi assise près d'eux et leur avait raconté la même histoire.
Alors le frère de papa, qui était beaucoup plus âgé que lui, lui avait dit : « Si tu promets de ne plus fumer, moi non plus je ne toucherai plus jamais au tabac ! » Ainsi promis, ainsi tenu.
Je sanglotais comme si mon coeur allait se briser. L'amour de papa nous avait fait plus d'effet que bien des coups. En nous déshabillant, je dis à ma soeur : « Nous voulons toujours obéir à nos parents, n'est-ce pas ? et ne plus jamais leur faire de la peine. » Étonnée, elle me regarda et ses yeux semblaient dire : « Eh ! bien, tu es l'aînée, montre-nous l'exemple ! »

Cette soirée ne s'effacera jamais de ma mémoire, ni la promesse que je me suis faite alors.


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Chapitre III
LA MORT

- Moi, quand je mourrai, personne ne pourra me fermer les yeux, je les rouvrirai toujours !
Nous sommes quelques enfants dans le pâturage derrière la maison et nous parlons de la mort, cette chose mystérieuse.

Malgré la défense expresse, un de nos petits camarades a voulu goûter d'une fiole - de poison que son père employait pour son métier, encore quelques pas et il tombait foudroyé. Comment cela était-il possible que celui que nous aimions tous ait disparu si brusquement ?
Les grandes personnes nous disaient de beaux mots que nous ne comprenions pas bien.
C'est alors que Jean nous dit les paroles citées plus haut et décida de faire cette macabre expérience.

Quelques mois plus tard, une méningite l'emportait à son tour. J'allai avec une petite cousine, lui faire une dernière visite. Il avait les yeux ouverts ! et nous qui nous souvenions, nous entendîmes la mère dire à une voisine : « C'est extraordinaire, ses yeux ne voulaient pas rester fermés. »
Depuis j'ai peur, j'ai peur de la mort. La nuit je me réveille en sursaut, rêvant que j'assiste à un enterrement ou qu'une pierre tombale, posée sur ma poitrine, m'étouffe. J'aurais aimé parler de cela à ma cousine préférée, mais de suite elle m'arrêta et me dit : « Oh ! je t'en prie, ne me parle pas de cela, j'ai assez d'obsessions pour mon compte. »

Un soir par semaine, nous allons mes cousines et moi, à la veillée chez les tantes, les soeurs de mon père. Pour nous c'est une fête, il fait si bon dans cette vieille cuisine avec son plafond en ogive et sa grande cheminée. Un cousin fait lecture tandis que nous tricotons. Ensuite une tante lit dans la Bible et prie. Je me sens heureuse alors.
Mais voici qu'on parle beaucoup d'un grand désastre. Une ville où l'on se moquait de Dieu ouvertement a été détruite en quelques instants. Quelques-uns disent que c'est bientôt la fin du monde. Mes terreurs redoublent.
Je me mis alors à lire la Bible, il me semblait que cela me rendait favorable à Dieu. Chapitre après chapitre, en commençant par la Genèse, et quand j'ai fini je recommence. Je ne comprends pas toujours, mais je lis quand même, je ne voudrais jamais aller me coucher sans cela, de peur de ne pas me réveiller. L'Apocalypse est mon livre de prédilection car il soulève un coin du voile qui cache l'avenir.
D'ailleurs la lecture est mon délassement favori. L'imprimé a pour moi un attrait irrésistible. Toutefois j'ai un dégoût inné pour tout ce qui n'est pas pur et je laisse inachevés les romans à sensation, je ne les comprends pas, cela est si différent du milieu puritain où je vis.
Au cabinet de lecture, où je me suis abonnée, je choisis de préférence un Jules Verne. Puisque je suis confinée dans cette étroite vallée, je m'évade avec bonheur sur la mer ou sous les mers, dans les pampas... là il me semble que je respire plus librement.

Le dimanche après-midi, quand nous sommes las de courir et de jouer, nous nous asseyons dans l'herbe ou sur les grosses racines des sapins, et cousins et cousines de crier à l'envi : « Une histoire ! » Je n'en suis jamais à court et je raconte jusqu'à en être enrouée.


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Chapitre IV
ÉCROULEMENT DE LA FOI ENFANTINE ET NOUVELLE ORIENTATION

Un jour, lors de notre instruction religieuse, le pasteur nous dit que l'Apocalypse n'était pas pour nous, mais qu'elle avait été écrite pour consoler les premiers chrétiens et les encourager lors des persécutions. L'Apocalypse pas pour nous ? Et alors qu'est-ce qui prouve que les autres livres de la Bible nous soient destinés ?
Si notre pasteur, que chacun aime et respecte dit cela, c'est qu'il doit le savoir, il a étudié.
Il me semblait déjà qu'il y avait quelque chose de louche, car je voyais bien que peu de personnes vivaient d'après les enseignements de la Bible. Mais alors, pourquoi y a-t-il des pasteurs, des églises, des chapelles si la Bible n'est pas entièrement pour nous ? Si elle n'est pas vraie ? Pourquoi continuer une instruction religieuse ? Il me semble que tout croule autour de moi, je ne sais plus que croire.

Maman m'a dit que monsieur le pasteur était très content de moi. Certes, je sais toujours bien mes passages et mes réponses, car j'apprends facilement, mais s'il pouvait lire ce qui se passe en moi ! J'ai demandé à maman s'il n'y avait pas moyen de ne pas faire ma première communion. Très étonnée, elle me regarda, puis : « Mais tu n'y penses pas ? qu'est-ce qu'on dirait ! Ne nous fais pas cette honte », me dit-elle.
Nous avons dû choisir un verset pour le réciter lors de notre ratification ; ce devait être un passage exprimant nos sentiments. Après avoir longtemps cherché, je m'arrêtai au Psaume 86, v. 11 : « Enseigne-moi tes voies, ô Éternel, je marcherai dans ta fidélité. Dispose mon coeur à la crainte de ton Nom. »
Monsieur le pasteur ne parut pas satisfait : « J'aurais préféré quelque chose de plus affirmatif », me dit-il.
Pour moi, il me semble que cela exprime bien ce que je ressens. J'aimerais croire, mais, mais... oh ! tous ces mystères qui m'écrasent !

En sortant de table, un jour, papa me dit : « Aimerais-tu devenir institutrice ? »
Le coeur battant, je demandai : « Serait-ce possible ? »
- Peut-être, si tu le désires.

Étudier, quel rêve ! apprendre jusqu'à ce que ma tête n'en puisse contenir davantage, savoir, connaître ! Non, c'est trop beau. Je regardai un instant mon pauvre papa qui travaille déjà tant pour nous, et je n'hésitai plus :
- Merci, papa, oui, je l'aimerais beaucoup, mais je suis l'aînée et je ne veux pas que tu aies de nouvelles charges à cause de moi. Je me tirerai bien d'affaire toute seule. Puisque je suis encore trop jeune pour t'aider, j'aimerais du moins ne plus t'être à charge... Pour commencer j'aimerais apprendre la langue allemande, tu pourrais peut-être me trouver une place de volontaire. Quand je saurais bien la langue, je pourrais peut-être suivre des cours et ensuite entrer dans un bureau ou un magasin.

Ainsi dit, ainsi fait. J'irai donc chez une demoiselle d'âge moyen qui vit avec une pensionnaire dans une agréable petite maison. Je commencerai à apprendre la vie pratique d'abord, je verrai si c'est dans la vie de tous les jours « comme dans les livres ». Cela me fait plaisir d'aller habiter une grande ville, il me semblait parfois que j'allais étouffer dans notre vallon entouré de toutes parts par de hautes montagnes.


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Chapitre V
PREMIER APPEL

Maintenant ce ne sont plus de hautes montagnes, mais des maisons, qui me bouchent l'horizon, qu'importe ! Depuis ma fenêtre, sous le toit, je ne vois que d'autres toits ; mais j'aperçois un grand morceau de ciel et la rue est animée.
On voit beaucoup de monde, mais, même avec les habitants des maisons qui touchent la nôtre, nous restons étrangers, chacun pour soi ! C'est presque trop le contraire de ce qui se passe au village où l'on s'occupe tant des affaires du prochain.

Cette nouvelle vie me plaît beaucoup quoique je sois bien souvent seule. Mademoiselle N. et sa pensionnaire sont très aimables, mais souvent absentes. Régulièrement elles partent le dimanche matin, pour passer la journée dans leurs familles, et je suis libre, quoique je ne sache pas bien que faire de ma liberté.

Se promener seule dans une ville étrangère, ce n'est pas bien amusant. Visiter les musées, oui, cela va déjà mieux, mais on me regarde drôlement et, en sortant la dernière fois, un petit jeune homme m'a demandé la permission de m'accompagner. J'ai répondu non ! assez sèchement, au fait, pourquoi ai-je répondu si durement ? Personne ne s'occupe de ce que je fais ici, donc je suis libre de mes actes. Libre ? Non pas tout à fait, en partant mes parents ne m'ont rien défendu, ils m'ont dit tout simplement : « Nous avons confiance en toi ! » je suis sûre aussi que papa et ses soeurs prient pour moi. Non, je ne puis les décevoir, je veux pouvoir les regarder dans les yeux quand je retournerai à la maison. C'est comme pour le cinéma, j'aimerais tant y aller, mais il y a quelque chose qui me retient, je n'aimerais pas mourir là, je ne puis m'expliquer pourquoi.

Un dimanche après-midi, assise seulette dans ma chambre, toutes mes pensées s'en retournent dans le passé si proche pourtant.
Ah ! les beaux dimanches que nous avons vécus ! Cousins et cousines,une vingtaine, nous étions toujours ensemble soit dans les pâturages ou à la forêt, nous jouions à tous les jeux connus sans compter ceux que nous inventions. Et les joyeuses parties de croquet ! Et les courses de montagne ! Tout cela est fini pour moi. Il faut que je l'avoue ; mon coeur est un peu lourd en y pensant. Mais j'ai choisi mon chemin, je ne veux pas retourner en arrière...
Tout à coup la sonnette retentit et j'allai voir. C'était la directrice de l'Union chrétienne de jeunes filles françaises à laquelle j'ai été recommandée, parait-il, qui venait me chercher. Elle m'a emmenée chez elle où des jeunes filles arrivèrent peu à peu. Nous prîmes le thé en faisant connaissance. Que c'est gentil ! je me sentis toute réconfortée. Toute trace de « heimweh » avait disparu. Je retrouvai d'autres jeunes filles venant de la même vallée que moi, nous sommes heureuses de parler de « chez nous ».
Vraiment, je suis bien reconnaissante envers mademoiselle K. pour toute sa bonté et son dévouement.
Ensuite nous sommes allées au local de l'Union chrétienne et nous avons eu une petite réunion.

Désormais, presque tous les dimanches se passeront ainsi ; parfois, quand il fait beau temps, nous allons faire une promenade dans un parc ou aux environs de la ville. Je me suis liée avec plusieurs jeunes filles, mais je ne leur livre rien de ce qui se passe en moi, je leur laisse raconter leurs vies et je compatis à leurs heurs et malheurs. Ainsi je n'apprends pas beaucoup l'allemand, mais j'apprends à connaître les divers caractères et cela m'intéresse autant d'étudier les gens, le coeur humain, que les livres.

Un dimanche soir, je ne savais que faire, j'allai voir dans la bibliothèque s'il ne s'y trouvait pas quelques livres en français. J'aperçus une collection d'almanachs Hachette, je les feuilletai lisant ici et là jusqu'à ce que je trouve un article sur le spiritisme et des images représentant des expériences spirites.

La maison était silencieuse. Les bruits même de la rue s'étaient tus. Je réalisai tout à coup ma complète solitude. Une terreur inexprimable m'envahit, sans prendre le temps de mettre un chapeau et un manteau, je me sauvai dehors. Que faire en attendant que Mademoiselle revienne ? je me souvins alors qu'une gentille compatriote habitait non loin de là. J'y allai et je ne revins que lorsque je pensai que Mademoiselle serait de retour. Elle était là, étonnée de ne pas me voir et vaguement inquiète. Je fus grondée, je n'osai pas avouer la cause de ma peur ; mais on ne m' y reprendra plus à toucher ou à lire de ces choses occultes.

Quelque temps plus tard, j'allai à l'Union chrétienne un dimanche comme d'ordinaire. C'était une visiteuse, Mlle M., qui tenait la réunion. Elle nous parla du Réveil au Pays de Galles. Elle-même avait aidé le promoteur de ce Réveil, M. Evan Roberts. C'était très intéressant. Puis Mlle M. nous montra le plus petit Nouveau Testament existant, ce que peut faire l'industrie et la patience d'un homme ! ainsi qu'une pierre curieuse qu'elle a trouvée au bord du lac Léman. Cette pierre a la forme d'un coeur, non la forme artistique conventionnelle, mais la forme réelle. D'un côté, en teinte plus claire, se trouvent les initiales grecques, je crois, de Jésus-Christ, et de l'autre, il y a une croix. Des géologues consultés ont déclaré, paraît-il, que vu la nature de la pierre ne se prêtant pas à un travail, ce ne pouvait être le résultat de l'industrie humaine, mais plutôt une coïncidence naturelle. « je vous dis que les pierres même crieront », cita Mlle M.

En voyant et en entendant cela, je fus bouleversée. À la fin de la réunion, nous étions tous debout pour la prière. Mlle M. invita celles qui désiraient donner leur coeur à Jésus à s'asseoir pendant que nous chantions un dernier cantique. Je versais d'abondantes larmes. Quel profond repos ce serait de pouvoir, après tant de luttes, me reposer dans les bras d'un Tout-Puissant Ami ! J'allais m'asseoir quand tout à coup cette pensée me vint : « Peut-être qu'après tout il n'y a rien de vrai dans tout cela, tu es seulement trop sensible, ces demoiselles ont peut-être aussi été trompées ! » je restai debout et je partis avec le regret aigu de ne pas avoir cédé. Alors je décidai qu'en arrivant dans ma chambre je m'agenouillerais et me donnerais à Dieu. Je hâtai le pas, mais je fus rejointe par une jeune fille qui se mit à parler de choses et d'autres, si bien qu'en arrivant à la maison, je n'avais plus aucune envie de me convertir. Et pourtant je le regrette, j'essaie parfois de prier, mais cela ne va pas... j'ai laissé passer le temps favorable...

Au bout d'une année, je m'aperçois que je sais trop peu d'allemand pour me tirer d'affaire, je suis trop souvent seule. On m'offre une place auprès d'enfants chez un médecin. J'accepte, j'aurai peut-être là l'occasion d'apprendre plus rapidement.
Je m'y plais assez. Il me faut recevoir les malades au commencement de l'après-midi et le reste du temps m'occuper d'une fillette de deux ans, très gâtée. Personne n'en peut faire façon, sauf moi. Quand elle a un de ses terribles accès de méchanceté, même son père ne peut la faire taire, on me l'apporte alors. Je la regarde calmement et d'un air étonné : « Tiens, Ninette, quelles grimaces tu fais ! » Honteuse, elle s'arrête net. Je ne l'ai jamais frappée, mais elle est bien gentille avec moi.
Puis vint un petit bébé, un garçon, dont je dois aussi m'occuper. La charge est un peu lourde pour mes dix-sept ans, et il arrive parfois, quand je suis trop fatiguée, que je dorme à poings fermés la nuit, cependant que mes deux bébés hurlent à côté de moi !

Ce qui est ennuyeux ici, c'est que je suis obligée d'aller à l'église le dimanche. J'ai essayé de regimber, Monsieur et Madame n'y vont pas, eux ! mais ils tiennent à ce que leurs employés y aillent. Cela confirme un peu ce que j'ai entendu dire : que la religion est bonne pour le peuple, qu'elle procure de meilleurs ouvriers, de meilleures servantes...

Le temple français est au bout de notre rue, j'y vais donc par gain de paix. Le pasteur est un orateur aimé, paraît-il. En tout cas il fait une bonne morale et d'enthousiastes descriptions de la nature ; si c'est ça un culte, je me demande à quoi cela rime ? Si Dieu existe, que doit-Il penser de cela ?

Pour moi, cela ne m'intéresse pas du tout, et quand je m'assieds dans le banc, assez confortable heureusement, je commence à penser à autre chose ; à un livre lu ou je bâtis des châteaux en Espagne, de sorte que, de parti pris, quand je sors je n'ai pas entendu un mot, je me suis un peu reposée, c'est toujours ça de gagné !
Les autres employées de la maison sont des allemandes qui ne savent pas un mot de français, ainsi j'apprends rapidement leur langue, ce qui, pour moi, est l'essentiel. Pourtant je me suis bien attachée aux enfants qui sont vraiment mignons, c'est un plaisir pour moi de m'occuper d'eux.

La distraction favorite de mes maîtres paraît être le théâtre, ils y vont très souvent. Maintes fois ils nous ont donné des billets pour assister à des représentations. La première fois, c'était une pièce qui tenait l'affiche depuis longtemps. Je me réjouissais de voir enfin ce que c'était qu'un vrai théâtre. La curiosité fut plus forte que la crainte. Là aussi je fus déçue. Comment peut-on aimer tellement cela ? Ces décors que l'on sait faux, ce maquillage habile des artistes mais qui ne trompe sûrement personne, que cela est loin de la vérité ! J'ai souvent lu des polémiques dans les journaux religieux à propos de théâtre. Un chrétien peut-il aller au théâtre ? je me souviens encore d'avoir versé des larmes amères parce que papa me défendait d'assister à une représentation donnée par une troupe de passage au village voisin. Maintenant je le comprends. Je ne suis pas chrétienne, mais certes, ce n'est pas le théâtre qui me sera en tentation.
D'ailleurs, il y a toujours ce quelque chose en moi qui m'empêché de jouir du monde comme je l'aimerais.


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