Vous serez mes
témoins
AVANT-PROPOS
À tous ceux qui
cherchent
à ceux qui
souffrent
à tous ceux
qui sont sincères et
droits de coeur
ce témoignage est
dédié.
|
Ces quelques pages, sans aucune
prétention littéraire, ne veulent
être qu'un témoignage à la
grandeur et à l'amour de notre Père
céleste. Écrites, pour la plupart, il
y a bien des années, par obéissance
à un ordre reçu, j'ai bien
hésité avant de livrer ces
expériences intimes au grand public. Elles
paraîtront peut-être, à
certains, comme enfantines et
élémentaires, mais toutes avaient
leur raison d'être.
C'est relativement facile
d'amener quelqu'un à la conversion, mais
ensuite que de difficultés de tous
genres ! Alors plusieurs perdent courage parce
que le vrai but de leurs épreuves leur est
caché.
Trop peu savent tout simplement
regarder à Jésus, le Chef et le
Consommateur de la foi, en toutes circonstances,
Hébr. 12. 2.
Trop peu savent que Dieu nous a
formés afin que ce qui est mortel en nous
soit englouti par Sa vie et qu'Il nous a
donné les arrhes de l'Esprit,
II Cor. 5. 5.
'Trop peu savent que :
« ... toutes choses sont à nous...
soit le monde, soit la vie, soit la mort, soit les
choses présentes, soit les choses à
venir, toutes choses sont à nous et nous
à Christ, et Christ à Dieu.
I Cor. 3. 22-23.
Trop peu connaissent la glorieuse
liberté des enfants de Dieu.
Rom. 8. 21.
Et parce que nous devons veiller
à ce que Personne ne se prive de la
grâce de Dieu,
Hébr. 12.15, j'ose aller de
l'avant, m'efforçant de m'effacer le plus
possible afin que le lecteur ne voie que Celui qui
nous aime tous tellement qu'Il a livré Son
Fils bien-aimé pour nous racheter à
grand prix : « Dieu veut que tous
les hommes soient sauvés et
parviennent à la connaissance de la
vérité. »
1 Tim. 2. 4. Il le veut non
seulement, mais tout a été accompli
Pour cela à la Croix et maintenant tous
pourraient être des bienheureux au lieu de
sombrer dans l'angoisse et la peur car nous n'avons
rien à craindre, Dieu Lui-même veut
prendre soin de
nous. I Pierre 5. 7.
Il y a trois cent soixante-cinq fois «
ne crains pas » dans la Parole de Dieu, une
fois pour chaque jour de l'année ; que nous
faut-il de plus pour nous encourager à
croire et à nous mettre à la totale
disposition d'un tel Seigneur ?
« J'ai cherché
l'Éternel et Il m'a répondu. Il m'a
délivré de toutes mes
frayeurs.
Quand on tourne vers Lui les
regards on est rayonnant de joie,
Et le visage ne se couvre pas de
honte.
Quand un malheureux crie,
l'Éternel entend, Et Il le sauve de toutes
ses détresses.
L'ange de l'Éternel campe
autour de ceux qui Le craignent Et Il les arrache
au danger.
Sentez et voyez comme
l'Éternel est bon,
Heureux l'homme qui cherche en
Lui le refuge Craignez l'Éternel, vous ses
saints,
Car rien ne manque à ceux
qui Le craignent.
Psaume 34.5-10.
.
Chapitre premier
MENSONGE
« Ah ! que tu es drôle ! » et
mes jolies tantes de rire de plus belle, pas de si
bon coeur que d'ordinaire, me semble-t-il
toutefois. Je me tiens devant elles,
hérissée comme un petit
coq.
Tout à l'heure, en me
promenant, nous avons rencontré une de leurs
anciennes connaissances qui leur demanda des
nouvelles de tante Éléonore; j'avais
été fort troublée d'entendre
tante Anny répondre : « Elle est en
voyage ! » Pourtant elle savait aussi bien que
moi, qu'elle se trouvait à la maison
!
- Pourquoi as-tu menti à ce
monsieur ? demandai-je.
- Mais voyons ! ne sois pas
ridicule, ne sais-tu pas qu'il y a des mensonges
permis ? Par exemple quand cela ne fait de mal
à personne, me fut-il
répondu.
Me voici fort perplexe. À la
maison, à l'école du dimanche, j'ai
toujours entendu dire que le mensonge était
un grand péché. Qui a raison
?
Mes tantes qui habitent une ville,
qui connaissent tant de choses, elles dont je suis
si fière en les accompagnant à la
promenade car tout le monde les admire, doivent
savoir...
De retour chez mes parents, dans un
petit village du Jura, cette question
étrange me poursuit. Un jour, pour voir, je
ne dis pas l'exacte vérité à
maman, celle-ci me regarda et me fit d'un air de
reproche : « Je n'aurais pas cru cela de toi !
»
J'essayai, pour me disculper, de lui
expliquer que sa soeur prétendait qu'il y
avait des mensonges permis. Incrédule, elle
me regardait et je vis qu'elle ne me croyait pas.
Cela me fit froid au coeur. Que
les grandes personnes sont donc
étranges ! Les unes disent comme ceci,
les autres comme cela !
- Comment Dieu doit-Il être
adoré ?
L'institutrice s'adresse à
moi. Trop occupée à m'amuser, je n'ai
pas écouté un mot de la leçon
d'histoire sainte et ne sais que
répondre.
« ... En esprit et en
vérité, et pour ta punition tu
écriras trois fois l'histoire de la
Samaritaine. »
Jean 4. 4-42.
Cela me prit toute une belle
après-midi, mais cette question resta
gravée en moi : qu'est-ce que cela veut-il
dire : adorer en esprit et en vérité
?
.
Chapitre II
COURSE AUX OEUFS ET PUNITIONS
Toute l'école est sens dessus dessous, on
ne parle que d'une course aux oeufs qui aura lieu
dimanche au village. C'est la première fois,
depuis bien longtemps, qu'il doit y avoir une
fête de ce genre.
Notre petite localité est
divisée en deux camps : les mômiers,
dont nous faisons partie, et ceux qui vont à
l'Eglise nationale. Les mômiers, ce sont ceux
qui fréquentent les cultes à la
chapelle; ils ont eu longtemps la haute main dans
les affaires communales, et semblables jouissances
étaient interdites. Maintenant la roue a
tourné. Nous autres enfants nous
écoutons, yeux et bouche ouverts, ce que,
les grands racontent et comme ce sera
beau.
Nous nous réjouissons tous de
voir quelque chose de nouveau. Quelle
déception quand papa nous défendit
d'aller à la fête ! je baissai la
tête, mais, dans mon for intérieur, je
décidai d'aller voir ! Aussi quand le
cortège, musique en tête, passa
derrière notre maison, j'emboîtai le
pas jusqu'à la place du village où
des oeufs étaient disposés en
cercles. Puis un jeune homme se mit à courir
en rond et à jeter les oeufs, les uns
après les autres, dans une corbeille. Je
regardais de tous mes yeux, ce n'était que
cela ! Les spectateurs parlaient avec animation
d'un autre homme, qui courait le long de la grande
route; lequel arriverait le premier au but ?
Vraiment ce n'était pas amusant du tout et
je commençais à regretter de ne pas
être avec mes petits cousins et cousines qui
jouaient sans doute, de tout leur coeur, dans la
forêt. Et puis que dira papa quand je
rentrerai ? Le coeur lourd, je revins à la
maison.
Voyant ma mine déconfite, mes
parents ne me punirent pas ; papa dit seulement :
« Tu nous as fait honte ! » Ce qui me fut
plus cruel que des taloches.
- Ah ! les coquins ! petits paresseux, va !
qu'avez-vous fait de tout l'après-midi
?
Effrayés, nous baissons la
tête et nous nous hâtons d'arracher les
légumes et de les nettoyer mais,
hélas, temps perdu ne se retrouve jamais !
Nous avions congé et maman nous avait
envoyés au plantage, assez
éloigné du village ; papa viendrait
le soir, avec un char, chercher ce que nous aurions
préparé. Nous avions commencé
par manger force raves et carottes crues, puis nous
nous étions amusés et maintenant papa
et oncle Arnold étaient près de nous
et voici, il y avait à peine de quoi remplir
la moitié du char. Comment les heures
avaient-elles pu s'écouler si rapidement
?
- Ah ! bien cette fois,
j'espère que tu leur administreras une
maîtresse fouettée à ces gamins
! ils ne l'auront pas volée ! dit oncle
Arnold.
Papa avait l'air si triste et son
calme nous épouvantait encore plus que des
paroles.
- C'est bon, fit-il, allez à
la maison, mais restez dans la chambre, je vous
défends d'aller au lit avant que je
revienne. Nous verrons alors ce qu'il y aura
à faire !
Tête basse nous
rentrâmes, angoissés de ce qui allait
arriver. Nous attendions, attendions, ah ! que la
soirée était longue !
- Maman, oh ! maman, permets-nous
d'aller au lit !
- Non ! puisque papa l'a
défendu !
Nous guettions les pas dans
l'escalier. Nous étions élevés
sévèrement, mais papa ne nous avait
encore jamais frappés. Depuis quelques jours
l'indiscipline s'était glissée dans
notre petite troupe ; oui, nous avions besoin d'une
correction, nous le sentions, mais oh ! que cela
nous semblait cruel de l'attendre si longtemps !
Enfin, enfin papa arriva et nous trouva tous en
larmes.
Tranquillement, sans mot dire, il
s'assit sur le canapé, prit un des petits
sur ses genoux, nous fit asseoir près de lui
et alors il commença à nous raconter
une histoire. Très étonnés,
nous écoutions en pleurant doucement,
c'était si différent de ce que nous
attendions ! Pour terminer il nous dit encore qu'un
soir, son frère et lui s'étant
cachés derrière un hangar pour
essayer de fumer la pipe, tout
à coup leur mère se trouva
près d'eux (leur père était
mort depuis longtemps).
- Vous n'irez pas vous coucher ce
soir avant que nous ayons causé ensemble,
leur dit-elle.
Tard dans la soirée, elle
s'était aussi assise près d'eux et
leur avait raconté la même
histoire.
Alors le frère de papa, qui
était beaucoup plus âgé que
lui, lui avait dit : « Si tu promets de ne
plus fumer, moi non plus je ne toucherai plus
jamais au tabac ! » Ainsi promis, ainsi
tenu.
Je sanglotais comme si mon coeur
allait se briser. L'amour de papa nous avait fait
plus d'effet que bien des coups. En nous
déshabillant, je dis à ma soeur :
« Nous voulons toujours obéir à
nos parents, n'est-ce pas ? et ne plus jamais leur
faire de la peine. » Étonnée,
elle me regarda et ses yeux semblaient dire :
« Eh ! bien, tu es l'aînée,
montre-nous l'exemple ! »
Cette soirée ne s'effacera
jamais de ma mémoire, ni la promesse que je
me suis faite alors.
.
Chapitre III
LA MORT
- Moi, quand je mourrai, personne ne pourra me
fermer les yeux, je les rouvrirai toujours
!
Nous sommes quelques enfants dans le
pâturage derrière la maison et nous
parlons de la mort, cette chose
mystérieuse.
Malgré la défense
expresse, un de nos petits camarades a voulu
goûter d'une fiole - de poison que son
père employait pour son métier,
encore quelques pas et il tombait foudroyé.
Comment cela était-il possible que celui que
nous aimions tous ait disparu si brusquement
?
Les grandes personnes nous disaient
de beaux mots que nous ne comprenions pas
bien.
C'est alors que Jean nous dit les
paroles citées plus haut et décida de
faire cette macabre expérience.
Quelques mois plus tard, une
méningite l'emportait à son tour.
J'allai avec une petite cousine, lui faire une
dernière visite. Il avait les yeux ouverts !
et nous qui nous souvenions, nous entendîmes
la mère dire à une voisine : «
C'est extraordinaire, ses yeux ne voulaient pas
rester fermés. »
Depuis j'ai peur, j'ai peur de la
mort. La nuit je me réveille en sursaut,
rêvant que j'assiste à un enterrement
ou qu'une pierre tombale, posée sur ma
poitrine, m'étouffe. J'aurais aimé
parler de cela à ma cousine
préférée, mais de suite elle
m'arrêta et me dit : « Oh ! je t'en
prie, ne me parle pas de cela, j'ai assez
d'obsessions pour mon compte. »
Un soir par semaine, nous allons mes
cousines et moi, à la veillée chez
les tantes, les soeurs de mon père. Pour
nous c'est une fête, il
fait si bon dans cette vieille cuisine avec son
plafond en ogive et sa grande cheminée. Un
cousin fait lecture tandis que nous tricotons.
Ensuite une tante lit dans la Bible et prie. Je me
sens heureuse alors.
Mais voici qu'on parle beaucoup d'un
grand désastre. Une ville où l'on se
moquait de Dieu ouvertement a été
détruite en quelques instants. Quelques-uns
disent que c'est bientôt la fin du monde. Mes
terreurs redoublent.
Je me mis alors à lire la
Bible, il me semblait que cela me rendait favorable
à Dieu. Chapitre après chapitre, en
commençant par la Genèse, et quand
j'ai fini je recommence. Je ne comprends pas
toujours, mais je lis quand même, je ne
voudrais jamais aller me coucher sans cela, de peur
de ne pas me réveiller. L'Apocalypse est mon
livre de prédilection car il soulève
un coin du voile qui cache l'avenir.
D'ailleurs la lecture est mon
délassement favori. L'imprimé a pour
moi un attrait irrésistible. Toutefois j'ai
un dégoût inné pour tout ce qui
n'est pas pur et je laisse inachevés les
romans à sensation, je ne les comprends pas,
cela est si différent du milieu puritain
où je vis.
Au cabinet de lecture, où je
me suis abonnée, je choisis de
préférence un Jules Verne. Puisque je
suis confinée dans cette étroite
vallée, je m'évade avec bonheur sur
la mer ou sous les mers, dans les pampas...
là il me semble que je respire plus
librement.
Le dimanche après-midi, quand
nous sommes las de courir et de jouer, nous nous
asseyons dans l'herbe ou sur les grosses racines
des sapins, et cousins et cousines de crier
à l'envi : « Une
histoire ! » Je n'en suis jamais
à court et je raconte jusqu'à en
être enrouée.
.
Chapitre IV
ÉCROULEMENT DE LA FOI ENFANTINE
ET NOUVELLE ORIENTATION
Un jour, lors de notre instruction religieuse,
le pasteur nous dit que l'Apocalypse n'était
pas pour nous, mais qu'elle avait été
écrite pour consoler les premiers
chrétiens et les encourager lors des
persécutions. L'Apocalypse pas pour
nous ? Et alors qu'est-ce qui prouve que les
autres livres de la Bible nous soient
destinés ?
Si notre pasteur, que chacun aime et
respecte dit cela, c'est qu'il doit le savoir, il a
étudié.
Il me semblait déjà
qu'il y avait quelque chose de louche, car je
voyais bien que peu de personnes vivaient
d'après les enseignements de la Bible. Mais
alors, pourquoi y a-t-il des pasteurs, des
églises, des chapelles si la Bible n'est pas
entièrement pour nous ? Si elle n'est
pas vraie ? Pourquoi continuer une instruction
religieuse ? Il me semble que tout croule
autour de moi, je ne sais plus que
croire.
Maman m'a dit que monsieur le
pasteur était très content de moi.
Certes, je sais toujours bien mes passages et mes
réponses, car j'apprends facilement, mais
s'il pouvait lire ce qui se passe en moi !
J'ai demandé à maman s'il n'y avait
pas moyen de ne pas faire ma première
communion. Très étonnée, elle
me regarda, puis : « Mais tu n'y
penses pas ? qu'est-ce qu'on dirait ! Ne
nous fais pas cette honte », me
dit-elle.
Nous avons dû choisir un
verset pour le réciter lors de notre
ratification ; ce devait être un passage
exprimant nos sentiments. Après avoir
longtemps cherché, je m'arrêtai au
Psaume 86, v. 11 : « Enseigne-moi
tes voies, ô Éternel, je marcherai
dans ta fidélité. Dispose mon coeur
à la crainte de ton Nom. »
Monsieur le pasteur ne parut pas
satisfait : « J'aurais
préféré quelque chose de plus
affirmatif », me dit-il.
Pour moi, il me semble que cela
exprime bien ce que je ressens. J'aimerais croire,
mais, mais... oh ! tous ces mystères
qui m'écrasent !
En sortant de table, un jour, papa me dit :
« Aimerais-tu devenir
institutrice ? »
Le coeur battant, je demandai :
« Serait-ce
possible ? »
- Peut-être, si tu le
désires.
Étudier, quel
rêve ! apprendre jusqu'à ce que
ma tête n'en puisse contenir davantage,
savoir, connaître ! Non, c'est trop
beau. Je regardai un instant mon pauvre papa qui
travaille déjà tant pour nous, et je
n'hésitai plus :
- Merci, papa, oui, je l'aimerais
beaucoup, mais je suis l'aînée et je
ne veux pas que tu aies de nouvelles charges
à cause de moi. Je me tirerai bien d'affaire
toute seule. Puisque je suis encore trop jeune pour
t'aider, j'aimerais du moins ne plus t'être
à charge... Pour commencer j'aimerais
apprendre la langue allemande, tu pourrais
peut-être me trouver une place de volontaire.
Quand je saurais bien la langue, je pourrais
peut-être suivre des cours et ensuite entrer
dans un bureau ou un magasin.
Ainsi dit, ainsi fait. J'irai donc
chez une demoiselle d'âge moyen qui vit avec
une pensionnaire dans une agréable petite
maison. Je commencerai à apprendre la vie
pratique d'abord, je verrai si c'est dans la vie de
tous les jours « comme dans les
livres ». Cela me fait plaisir d'aller
habiter une grande ville, il me semblait parfois
que j'allais étouffer dans notre vallon
entouré de toutes parts par de hautes
montagnes.
.
Chapitre V
PREMIER APPEL
Maintenant ce ne sont plus de hautes montagnes,
mais des maisons, qui me bouchent l'horizon,
qu'importe ! Depuis ma fenêtre, sous le toit,
je ne vois que d'autres toits ; mais
j'aperçois un grand morceau de ciel et la
rue est animée.
On voit beaucoup de monde, mais,
même avec les habitants des maisons qui
touchent la nôtre, nous restons
étrangers, chacun pour soi ! C'est presque
trop le contraire de ce qui se passe au village
où l'on s'occupe tant des affaires du
prochain.
Cette nouvelle vie me plaît
beaucoup quoique je sois bien souvent seule.
Mademoiselle N. et sa pensionnaire sont très
aimables, mais souvent absentes.
Régulièrement elles partent le
dimanche matin, pour passer la journée dans
leurs familles, et je suis libre, quoique je ne
sache pas bien que faire de ma
liberté.
Se promener seule dans une ville
étrangère, ce n'est pas bien amusant.
Visiter les musées, oui, cela va
déjà mieux, mais on me regarde
drôlement et, en sortant la dernière
fois, un petit jeune homme m'a demandé la
permission de m'accompagner. J'ai répondu
non ! assez sèchement, au fait, pourquoi
ai-je répondu si durement ? Personne ne
s'occupe de ce que je fais ici, donc je suis libre
de mes actes. Libre ? Non pas tout à fait,
en partant mes parents ne m'ont rien
défendu, ils m'ont dit tout simplement :
« Nous avons confiance en toi ! » je suis
sûre aussi que papa et ses soeurs prient pour
moi. Non, je ne puis les décevoir, je veux
pouvoir les regarder dans les yeux quand je
retournerai à la maison. C'est comme pour le
cinéma, j'aimerais tant y aller, mais
il y a quelque chose qui me
retient, je n'aimerais pas mourir là, je ne
puis m'expliquer pourquoi.
Un dimanche après-midi,
assise seulette dans ma chambre, toutes mes
pensées s'en retournent dans le passé
si proche pourtant.
Ah ! les beaux dimanches que
nous avons vécus ! Cousins et
cousines,une vingtaine, nous étions toujours
ensemble soit dans les pâturages ou à
la forêt, nous jouions à tous les jeux
connus sans compter ceux que nous inventions. Et
les joyeuses parties de croquet ! Et les
courses de montagne ! Tout cela est fini pour
moi. Il faut que je l'avoue ; mon coeur est un
peu lourd en y pensant. Mais j'ai choisi mon
chemin, je ne veux pas retourner en
arrière...
Tout à coup la sonnette
retentit et j'allai voir. C'était la
directrice de l'Union chrétienne de jeunes
filles françaises à laquelle j'ai
été recommandée, parait-il,
qui venait me chercher. Elle m'a emmenée
chez elle où des jeunes filles
arrivèrent peu à peu. Nous
prîmes le thé en faisant connaissance.
Que c'est gentil ! je me sentis toute
réconfortée. Toute trace de
« heimweh » avait disparu. Je
retrouvai d'autres jeunes filles venant de la
même vallée que moi, nous sommes
heureuses de parler de « chez
nous ».
Vraiment, je suis bien
reconnaissante envers mademoiselle K. pour toute sa
bonté et son dévouement.
Ensuite nous sommes allées au
local de l'Union chrétienne et nous avons eu
une petite réunion.
Désormais, presque tous les
dimanches se passeront ainsi ; parfois, quand
il fait beau temps, nous allons faire une promenade
dans un parc ou aux environs de la ville. Je me
suis liée avec plusieurs jeunes filles, mais
je ne leur livre rien de ce qui se passe en moi, je
leur laisse raconter leurs vies et je compatis
à leurs heurs et malheurs. Ainsi je
n'apprends pas beaucoup l'allemand, mais j'apprends
à connaître les divers
caractères et cela m'intéresse autant
d'étudier les gens, le coeur humain, que les
livres.
Un dimanche soir, je ne savais que
faire, j'allai voir dans la bibliothèque
s'il ne s'y trouvait pas quelques livres en
français. J'aperçus une collection
d'almanachs Hachette, je les feuilletai lisant ici
et là jusqu'à ce que je trouve un
article sur le spiritisme et des images
représentant des expériences
spirites.
La maison était silencieuse.
Les bruits même de la rue s'étaient
tus. Je réalisai tout à coup ma
complète solitude. Une terreur inexprimable
m'envahit, sans prendre le temps de mettre un
chapeau et un manteau, je me sauvai dehors. Que
faire en attendant que Mademoiselle revienne ?
je me souvins alors qu'une gentille compatriote
habitait non loin de là. J'y allai et je ne
revins que lorsque je pensai que
Mademoiselle serait de retour. Elle était
là, étonnée de ne pas me voir
et vaguement inquiète. Je fus
grondée, je n'osai pas avouer la cause de ma
peur ; mais on ne m' y reprendra plus à
toucher ou à lire de ces choses
occultes.
Quelque temps plus tard, j'allai
à l'Union chrétienne un dimanche
comme d'ordinaire. C'était une visiteuse,
Mlle M., qui tenait la réunion. Elle nous
parla du Réveil au Pays de Galles.
Elle-même avait aidé le promoteur de
ce Réveil, M. Evan Roberts. C'était
très intéressant. Puis Mlle M. nous
montra le plus petit Nouveau Testament existant, ce
que peut faire l'industrie et la patience d'un
homme ! ainsi qu'une pierre curieuse qu'elle a
trouvée au bord du lac Léman. Cette
pierre a la forme d'un coeur, non la forme
artistique conventionnelle, mais la forme
réelle. D'un côté, en teinte
plus claire, se trouvent les initiales grecques, je
crois, de Jésus-Christ, et de l'autre, il y
a une croix. Des géologues consultés
ont déclaré, paraît-il, que vu
la nature de la pierre ne se prêtant pas
à un travail, ce ne pouvait être le
résultat de l'industrie humaine, mais
plutôt une coïncidence naturelle. «
je vous dis que les pierres même crieront
», cita Mlle M.
En voyant et en entendant cela, je
fus bouleversée. À la fin de la
réunion, nous étions tous debout pour
la prière. Mlle M. invita celles qui
désiraient donner leur coeur à
Jésus à s'asseoir pendant que nous
chantions un dernier cantique. Je versais
d'abondantes larmes. Quel profond repos ce serait
de pouvoir, après tant de luttes, me reposer
dans les bras d'un Tout-Puissant Ami ! J'allais
m'asseoir quand tout à coup cette
pensée me vint : « Peut-être
qu'après tout il n'y a rien de vrai dans
tout cela, tu es seulement trop sensible, ces
demoiselles ont peut-être aussi
été trompées ! » je
restai debout et je partis avec le regret aigu de
ne pas avoir cédé. Alors je
décidai qu'en arrivant dans ma chambre je
m'agenouillerais et me donnerais à Dieu. Je
hâtai le pas, mais je fus rejointe par une
jeune fille qui se mit à parler de choses et
d'autres, si bien qu'en arrivant à la
maison, je n'avais plus aucune envie de me
convertir. Et pourtant je le regrette, j'essaie
parfois de prier, mais cela ne va pas... j'ai
laissé passer le temps favorable...
Au bout d'une année, je m'aperçois
que je sais trop peu d'allemand pour me tirer
d'affaire, je suis trop souvent seule. On m'offre
une place auprès d'enfants
chez un médecin. J'accepte, j'aurai
peut-être là l'occasion d'apprendre
plus rapidement.
Je m'y plais assez. Il me faut
recevoir les malades au commencement de
l'après-midi et le reste du temps m'occuper
d'une fillette de deux ans, très
gâtée. Personne n'en peut faire
façon, sauf moi. Quand elle a un de ses
terribles accès de méchanceté,
même son père ne peut la faire taire,
on me l'apporte alors. Je la regarde calmement et
d'un air étonné :
« Tiens, Ninette, quelles grimaces tu
fais ! » Honteuse, elle
s'arrête net. Je ne l'ai jamais
frappée, mais elle est bien gentille avec
moi.
Puis vint un petit
bébé, un garçon, dont je dois
aussi m'occuper. La charge est un peu lourde pour
mes dix-sept ans, et il arrive parfois, quand je
suis trop fatiguée, que je dorme à
poings fermés la nuit, cependant que mes
deux bébés hurlent à
côté de moi !
Ce qui est ennuyeux ici, c'est que
je suis obligée d'aller à
l'église le dimanche. J'ai essayé de
regimber, Monsieur et Madame n'y vont pas,
eux ! mais ils tiennent à ce que leurs
employés y aillent. Cela confirme un peu ce
que j'ai entendu dire : que la religion est
bonne pour le peuple, qu'elle procure de meilleurs
ouvriers, de meilleures servantes...
Le temple français est au
bout de notre rue, j'y vais donc par gain de paix.
Le pasteur est un orateur aimé,
paraît-il. En tout cas il fait une bonne
morale et d'enthousiastes descriptions de la
nature ; si c'est ça un culte, je me
demande à quoi cela rime ? Si Dieu
existe, que doit-Il penser de
cela ?
Pour moi, cela ne m'intéresse
pas du tout, et quand je m'assieds dans le banc,
assez confortable heureusement, je commence
à penser à autre chose ;
à un livre lu ou je bâtis des
châteaux en Espagne, de sorte que, de parti
pris, quand je sors je n'ai pas entendu un mot, je
me suis un peu reposée, c'est toujours
ça de gagné !
Les autres employées de la
maison sont des allemandes qui ne savent pas un mot
de français, ainsi j'apprends rapidement
leur langue, ce qui, pour moi, est l'essentiel.
Pourtant je me suis bien attachée aux
enfants qui sont vraiment mignons, c'est un plaisir
pour moi de m'occuper d'eux.
La distraction favorite de mes
maîtres paraît être le
théâtre, ils y vont très
souvent. Maintes fois ils nous ont donné des
billets pour assister à des
représentations. La première fois,
c'était une pièce qui tenait
l'affiche depuis longtemps. Je me
réjouissais de voir enfin ce que
c'était qu'un vrai théâtre. La
curiosité fut plus forte
que la crainte. Là aussi je fus
déçue. Comment peut-on aimer
tellement cela ? Ces décors que l'on
sait faux, ce maquillage habile des artistes mais
qui ne trompe sûrement personne, que cela est
loin de la vérité ! J'ai souvent
lu des polémiques dans les journaux
religieux à propos de théâtre.
Un chrétien peut-il aller au
théâtre ? je me souviens encore
d'avoir versé des larmes amères parce
que papa me défendait d'assister à
une représentation donnée par une
troupe de passage au village voisin. Maintenant je
le comprends. Je ne suis pas chrétienne,
mais certes, ce n'est pas le théâtre
qui me sera en tentation.
D'ailleurs, il y a toujours ce
quelque chose en moi qui m'empêché de
jouir du monde comme je l'aimerais.
|