Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Vous serez mes témoins

Chapitre VI
CHANGEMENT ET NOUVEL APPEL

Mes parents ont acheté un petit domaine dans une autre partie du pays. L'industrie traverse des temps difficiles et d'ailleurs la vie au grand air a toujours été le rêve de papa. Lui aussi se sentait à l'étroit dans notre vallon et il rêvait depuis longtemps d'espaces infinis.
Je vais donc passer mes vacances dans notre nouvelle patrie et tout de suite je fus conquise. Enfin je me sens « at home ». J'ai trouvé l'endroit de mes rêves ! Coin de pays encadré de deux côtés de forêts de hêtres et adossé à la sombre montagne couverte de sapins. De ce côté-ci, c'est comme au Jura, et quand maman a le « heimweh », c'est ici qu'elle regarde. Mais de l'autre ! Le lac miroitant baigne le bas de la pente, puis c'est la plaine barrée tout là-bas par la chaîne des Alpes. Ce qui m'enchante, c'est toute l'étendue du ciel. Ah ! comme on respire à l'aise ici ! De jour toutefois, car je ne puis supporter la vue du ciel étoilé, cela me donne le vertige... Je ne puis m'empêcher de penser que toutes ces merveilles ont un Créateur, qu'il y a un au-delà et à cela, non, je ne veux pas penser... peut-être plus tard...

De retour à la ville, un violent mal du pays m'étreint, ce que je n'avais jamais ressenti si fort auparavant. Les bords du lac bleu m'attirent comme un mirage... Mes parents m'écrivent de revenir à la maison. Je pourrais peut-être suivre quelques cours au chef-lieu et ensuite trouver une situation plus près des miens.

Un jour je reçus une lettre de mon amie me demandant si j'accepterais une situation dans un château non loin de chez mes parents. Tout de suite je fus séduite. Voir ce qui se passe dans un château, c'est bien tentant. Ce ne serait que côté service, il est vrai, mais je verrais si c'est comme dans les livres. Sans plus réfléchir, comme mue par un sentiment intérieur, J'écris que j'accepte. Suis-je capable de remplir cette place, je ne me le demande même pas. Je suis moi-même étonnée de ma hardiesse, mais je sens que je dois aller là-bas. Mes parents sont un peu déçus, car ils se réjouissaient de m'avoir, peut-être que cela ne sera que pour un temps, du moins je les verrai bien plus souvent qu'avant.
Partir c'est mourir un peu... c'est ce que j'expérimente en quittant ce qui a été ma vie pendant deux ans, ces enfants que peut-être je ne reverrai plus...

Un ancien petit château sur la pente couverte de vignoble. Tout simple mais arrangé avec infiniment de goût. Dans le jardin en terrasses, des roses et encore des roses. Bref, un séjour idyllique. Mes nouveaux maîtres sont des nobles, mais tellement aimables et bons. Ce sont des mondains, mais je n'ai jamais vu de chrétiens aussi gentils et faciles à vivre. D'humeur toujours égale et pas du tout hautains, c'est un plaisir de les servir et de vivre ici. Les enfants sont mignons tout plein. Je les aime beaucoup et je crois qu'ils me rendent mon affection.
Parmi le personnel, c'est la cuisinière que je préfère. Elle est dans la trentaine, c'est une personne distinguée et discrète. À la voire tranquillement évoluer dans sa cuisine, proprette et les mains aussi blanches que celles d'une dame, on se demande comment elle s'y prend pour apprêter de si délicieuses choses, car c'est un cordon-bleu ! Elle relève à mes yeux la condition de domestique, Madame la tient en grande estime.
Quels beaux dimanches nous avons ici ! Il n'y a jamais de visites, les enfants sont avec leurs parents, tout est simplifié à l'extrême, ce qui fait que tous les employés jouissent de beaucoup de liberté ce jour-là.

Quand il fait beau temps nous allons à l'église le matin, histoire de faire une petite promenade, car ni l'un ni l'autre nous ne nous soucions de ce que disent les pasteurs. L'après-midi est toujours agréable soit que nous fassions un tour en auto, en bateau ou que nous allions faire une promenade à pied dans les environs qui sont très pittoresques.
Puis voici la grande guerre, Monsieur part à l'armée. La moitié du château est fermée, la grande salle est transformée en ouvroir où quelques femmes du village fabriquent des objets pour soldats indigents. Les premières chemises sont un peu estropiées, mais espérons que nos braves militaires ne verront que la bonne volonté des ouvrières ! Tous nos moments de loisir sont occupés à tricoter des chaussettes.
On travaille fébrilement pour oublier l'angoisse qui nous étreint. On ne pense plus à s'amuser ! Les temples sont pleins de monde, il semble que ce n'est que là que nous trouverons la réponse aux « pourquoi ? » douloureux. Nous avons soif de protection contre le danger qui menace. Mais les pasteurs ne nous donnent que des pierres au lieu de pain ; de beaux discours à la place de certitudes et nous cessons peu à peu de fréquenter les lieux de culte.

Au château, du personnel il ne reste plus que la cuisinière et moi, la tourmente a tout dispersé. Nous nous lions davantage et nous ne sortons jamais l'une sans l'autre. Marie est croyante, mais jusqu'à quel point, je ne le sais, car nous ne parlons jamais religion, sur ce point nous restons étrangères.

Le temps passe, la guerre dure toujours, nous nous sommes adaptés aux nouvelles conditions d'existence. Mais penser, quand nous sommes bien tranquilles, que des pères, des époux, des frères souffrent et meurent, ah ! quelle chose atroce !

J'ai trouvé quelques livres parlant de théosophie, je les lis pendant mes heures de liberté, la vérité serait-elle là ? Ces théories brumeuses me plaisent assez. La réincarnation n'est peut-être pas un mythe, j'y pense beaucoup, car avec les journaux qui ne parlent que de massacres, impossible de continuer à éviter la pensée de la mort. Il y a pourtant aussi bien des choses qui choquent ma raison.

Un soir j'étais sur une galerie avec Marie, je commençai à lui raconter ce que je savais de la théosophie, elle m'écoutait attentivement. Devant nous se dressait un grand sapin, tout à coup il nous sembla voir un gros oeil lumineux à travers les branches, et tout était éclairé autour de nous. Une terreur folle nous saisit, puis nous comprîmes : c'était le réflecteur sur la montagne qui fonctionnait de nouveau après un long arrêt. Mais je me souvins aussi de la même peur ressentie en lisant des choses spirites et je pensai que pour être pareillement épouvantée, ce ne devait pas être une chose bonne que la théosophie. Désormais je ne m'en occupai plus.
Une année, j'allai passer mes vacances dans mon village natal. Ce fut avec un bien grand plaisir que je revis toutes les figures amies et tous les coins remplis de joyeux souvenirs.
Il y avait eu, les jours précédents, une mission des commissaires Peyron dans un village voisin, et tous chantaient les chants salutistes. Deux de mes petites cousines répétaient constamment : « Je vais au pays resplendissant de gloire... », et surtout ce cantique-ci était sur toutes les lèvres :

Le Fils de Dieu vint sur la terre,
Mourir pour moi, car Il m'aimait.
Est-il de plus profond mystère,
D'amour plus grand et plus parfait !
 
Jésus m'a tant aimé,
Jésus m'a tant aimé,
Il fut pour moi crucifié,
Jésus m'a tant aimé.

Cela me bouleversa, si cela était vrai ? Si cela est vrai, quelle responsabilité de refuser un si grand salut ! un si grand amour ! Un soir, tante Anna faisait le culte. Je fus secouée d'étrange façon et je pleurais comme si mon coeur allait se briser. Depuis ce moment je ne fus plus tranquille un seul instant, même la prière avant les repas faisait couler mes larmes. Les vacances finies, je retournai à mon poste dans un état indescriptible. Tantôt follement gaie, tantôt d'une humeur épouvantable. J'avais horreur de moi-même. J'étais si méchante qu'un jour Marie excédée me déclara qu'elle ne sortirait plus avec moi. Bon ! cela m'était égal ! Si je pouvais me fuir moi-même, je le ferais ! Il me semble que je serais si bien couchée dans les eaux bleues du lac... Mais non ! je ne veux pas faire ce chagrin à mes parents.

Un dimanche, comme j'attendais le tramway pour me rendre en ville à une exposition, j'entendis, tout proches, les accents d'une fanfare salutiste. L'envie me prit d'aller les écouter de près, puis je réfléchis que, si J'y allais, je ne pourrais faire autrement que de me convertir. Le tramway arriva et j'y montai.
À l'exposition, je fis la connaissance d'un jeune homme habitant non loin de chez mes parents. Il me demanda la permission de m'écrire et de revenir me voir. « Oui », lui répondis-je.
Peut-être que l'amour pourrait remplir ce vide immense que je sens en moi. Nous nous revîmes une fois, deux fois, il était bien gentil et je n'ai rien à lui reprocher. Mais mon malaise intérieur devenait de plus en plus insupportable et la troisième fois, sans motif, je le priai de ne plus revenir et de ne plus chercher à me voir, ni à m'écrire. Il a dû penser que j'avais un bien mauvais caractère. J'étais si malheureuse et travaillée que je ne pouvais presque plus supporter de nourriture. Allais-je perdre la raison ?

Depuis longtemps des connaissances nous avaient engagées à assister à des cultes allemands se tenant dans une modeste chapelle à trois quarts d'heure du château. Nous n'y avions pas fait grande attention, mais pendant notre brouille, Marie y était allée et elle ne pouvait assez dire ce que c'était bienfaisant. « Dimanche prochain j'irai avec vous », lui dis-je.

En entrant dans la simple petite chapelle, je fus saisie par un quelque chose, dans l'atmosphère, de jamais éprouvé. Un calme inconnu descendait en moi. Après un chant qui ne partait pas des lèvres seulement, mais que les assistants chantaient de tout leur coeur, le pasteur lut la parabole des dix vierges. Matthieu chapitre 25, versets 1-13.
« ... et la porte fut fermée... »

Non ! oh non ! je ne veux pas que la porte soit fermée devant moi, je veux croire ! Que Dieu me pardonne ma longue incrédulité ! Oui, je crois que toute la Bible est vraie et pour moi !
Le prédicateur s'exprime d'une manière toute familière, je bois ses paroles, les larmes ruissellent sur mes joues, larmes de joie ! que je ne songe même pas à essuyer !
Marie n'y comprend rien : « Qu'avez-vous ? » chuchote-t-elle. Ce que j'ai ? C'est que j'ai passé de la mort à la vie ! Mon fardeau n'est plus !

Le trajet du retour fut silencieux. Par des paroles je ne voulais pas laisser évaporer le bonheur qui m'inondait !
Arrivée dans ma chambre, je me jette à genoux. Je ne sais pas prier comme il le faudrait, mais cela ne fait rien. Je crois, je crois. Jésus, tu m'as aimée ! Tu fus pour moi crucifié, tu m'as aimée ! tu m'aimes ! Quelle lumière !

Un peu plus tard dans la soirée, je retrouve ma Bible. Je l'ai toujours eue avec moi, quoique au fond de ma malle. Il y a bien des années que je ne l'ai pas ouverte ! Que Dieu est bon de me pardonner encore, moi qui ai méprisé sa Parole.
Avec Matthieu, je commence à lire l'histoire de Jésus, mon Sauveur, j'y trouve une saveur toute nouvelle, je ne comprends pas encore tout, mais je saisis infiniment mieux qu'auparavant.

Tout est changé désormais, que je suis heureuse ! Aux enfants, je raconte des histoires de la Bible au lieu de contes de fées, pour le moment ils embrouillent un peu les fées et les anges ! C'est seulement maintenant que je comprends ma responsabilité dans la formation de leur esprit.


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Chapitre VII
RETOUR À LA MAISON

 Toutes les émotions passées et un surcroît de travail ont altéré ma santé. Je me vois forcée d'envisager un retour à la maison. Pour moi c'est presque un déchirement. Ne plus pouvoir assister à ces bons cultes et réunions ! Privée de cela, continuerai-je à avancer ? Six ans d'absence ont fait de moi presque une étrangère pour mes frères et soeur et tout mon coeur est ici.

J'ai de la peine à comprendre que Dieu me fasse quitter les lieux de ma nouvelle naissance, toutefois je veux croire que tout est bien.

Après deux mois de quasi invalidité, je ne veux pas rester plus longtemps à la charge de mes parents. Comme mes jambes sont restées faibles, la seule ressource que j'aie pour le moment, c'est de travailler dans une fabrique de fournitures d'horlogerie. Cela est presque un cauchemar pour moi, mais c'est la seule porte ouverte. Il me faut donc passer partout où je ne l'aurais pas voulu...

Cela va assez bien. Le travail manuel, pas très difficile, permet de penser, et là, parmi le bruit des machines, je passe de beaux moments avec Dieu.
Comme mes parents habitent assez loin du village, je ne pourrais faire les courses. Je reste avec ma soeur qui a loué une chambre et nous ne retournons à la maison que le samedi après-midi.

Un soir, nous sommes allées à l'Union chrétienne de jeunes filles. Une demoiselle évangéliste y tenait justement la réunion.
C'était vraiment bienfaisant et j'ai été heureuse de retrouver un milieu aussi vivant que celui que je venais de quitter.

La directrice de l'Union chrétienne est très aimable et s'intéresse à moi. Comme nous sommes presque voisines, elle m'invite souvent à venir chez elle le soir ou à l'accompagner à d'autres réunions. Ce qui m'étonne fort chez elle, c'est qu'elle parle des choses de Dieu à tout propos et aussi naturellement que d'autres choses. J'avais toujours pensé que l'on devait garder soigneusement sa religion en soi-même et en faire étalage seulement le dimanche à l'église ou aux réunions. Cette religion pratique me plaît infiniment. Que de choses j'apprends ! Il me semble que j'avais les yeux bouchés auparavant en lisant ma Bible. Ah ! je comprends maintenant pourquoi Dieu m'a envoyée ici. Cette maladie contre laquelle j'ai tant murmuré, était pour mon plus grand bien. Je ne suis plus qu'une ouvrière de fabrique, eh ! bien, cela m'est égal après tout pourvu que je puisse faire quelque chose pour Dieu là où il m'a placée.

Deux évangélistes sont venus planter une tente au bord du lac, nous y allons tous les soirs. Pour la première fois j'entends parler du retour de Jésus-Christ et de l'enlèvement de l'Eglise. Quelle merveilleuse espérance ! Cela change pour moi tout l'aspect de la vie ! Désormais je n'ai plus seulement la mort à envisager comme perspective finale, mais j'ai l'espoir d'être enlevée pour être toujours avec le Seigneur. Cela encourage aussi à travailler plus activement pour le Maître afin que tous ceux que nous connaissons puissent aussi être pris.

Le samedi soir nous nous retrouvons tous à la maison. Que de belles heures nous passons ensemble ! Nous chantons beaucoup et quelles fusées de rires quand nous sommes tous autour de la table pour les repas. Les anecdotes, les jeux de mots, les réparties s'entrecroisent.
« Allons, allons, crie papa, mangez donc ! tout se refroidit ! » Mais comment arrêter le fou-rire ? il y est gagné lui-même.
Le soir, avant de nous séparer, papa fait le culte, nous prions tous. Le dimanche matin, ceux 'qui ne vont pas au temple assez éloigné, chantent des cantiques, lisent la Bible ensemble, chacun fait ses réflexions sur le chapitre lu, nous passons ainsi des moments bénis.

Il y a bien des années, une soeur de papa m'avait donné un conseil : Agis envers ta soeur et tes frères comme tu voudrais qu'ils agissent envers toi. Dis-leur toujours s'il te plaît et merci quand tu leur demandes un service. Sois aussi polie avec eux que s'ils étaient des étrangers. Depuis j'ai toujours pratiqué cela et c'est extraordinaire comme cela facilite les rapports familiaux. Cela crée une atmosphère de courtoisie, de gentillesse et plus encore si nos paroles sont accompagnées d'un sourire affectueux. C'est une illustration de la poésie : L'enfant et le miroir...

Longtemps, j'ai regretté d'être une fille, mais maintenant que je vois l'immense influence qu'elles peuvent avoir, je suis heureuse d'être ce que je suis.
Les bouderies ne sont pas tolérées chez nous. S'il y a une ombre, il faut de suite avoir une franche explication, celui qui est fautif demande pardon et tout est dit.
Maman ne nous permet pas non plus de dire : « je suis énervée ! » Appelle les choses par leur nom, dit-elle, dis : « je suis fâchée ou grognon parce que cela ne va pas comme je le voudrais ou parce que mes plans sont renversés. »
Énervée ! cela sonne bien, cela a un petit air distingué, mais comment oserait-on avouer qu'on est de mauvaise humeur ? Il est vrai que parfois la faiblesse physique y joue un rôle, mais c'est plutôt rare.

Maman aimerait que je fasse de jolis ouvrages de broderie ou de dentelle. Des passe-temps comme on les appelle. Mais le mien me semble bien trop précieux pour le passer ainsi. « Ah ! non, lui dis-je, donne-moi tous les bas à raccommoder et tous les tricotages que tu voudras, mais pas cela ! »
- Pourtant, quand il y a des visites, cela aurait meilleure façon, objectait-elle.
- Non, justement je déteste avoir les yeux rivés sur mon ouvrage pendant une conversation intéressante. J'aime voir les jeux de physionomie de la personne qui parle. Enfin, si cela te fait plaisir, prépare-moi un ouvrage que je sortirai dans les grandes occasions, concédai-je.

Bon ! un après-midi, nous étions en joyeuse et aimable compagnie devant la maison. Je m'appliquais consciencieusement à une dentelle pour des rideaux. Tout à coup, maman passa derrière ma chaise, saisit mon ouvrage sans mot dire et disparut. Étonnée et amusée, je ne soufflai mot et personne ne parut s'apercevoir de la petite scène. Mais le soir, je demandai à maman la raison de cette manière de faire.
- Vois-tu, dit-elle, tu faisais une si vilaine grimace en travaillant que je ne pouvais plus supporter de te voir ainsi !

Nous en avons ri de bon coeur et désormais on me laisse tricoter des chaussettes ou autres objets utiles autant que je le désire. Je le préfère, car cela me laisse l'esprit plus libre, je lis même en tricotant. Ainsi j'ai beaucoup lu d'ouvrages anglais, allemands ou simplement instructifs, cela me fait d'une pierre deux coups et je n'ai pas le sentiment de perdre mon temps.
Une broderie, si jolie soit-elle, ne me ferait jamais plaisir car j'y verrais toujours les heures perdues que j'aurais pu occuper plus utilement, sans compter que je connais bien des jeunes filles dont la vue a baissé parce qu'elles s'étaient trop appliquées à des ouvrages de fantaisie.

Un jour, je reçus une lettre d'un jeune homme que je connaissais à peine ayant fait seulement une fois route avec lui. Il me demandait la permission de venir chez mes parents pour « fréquenter » comme on dit ici !
Je sens que c'est le moment pour moi de rendre témoignage. Je n'aimerais pas faire souffrir quelqu'un inutilement et je sais que je ne pourrais épouser qu'un vrai chrétien, n'est-il pas écrit d'ailleurs : « Ne vous mettez pas sous un joug mal assorti avec les incrédules. » Il Corinthiens 6, verset 14.
Immédiatement je répondis ce que je pensais et quel était mon idéal : un jeune homme converti réellement, qui ne fume pas (je savais que le jeune homme en question avait un faible pour la pipe), bref, un homme comme mon père.
Ce faisant j'en mesurai les conséquences, j'étais sûre que ma lettre ferait le tour de la contrée, mais un homme averti en vaut deux et quiconque ne voudrait pas remplir mes conditions me laisserait tranquille.
Quand maman a su cela elle m'a bien grondée : « Tu ne pourras pas te marier ! » répétait-elle.
- Cela m'est bien égal, je préfère rester fille plutôt que d'épouser quelqu'un qui n'a pas les mêmes aspirations que moi. D'ailleurs il me semble que quand j'aimerai, je voudrais pouvoir aimer pour l'éternité. La pensée que la mort pourrait nous séparer me gâterait toutes mes joies !

Les jeunes gens vraiment chrétiens sont presque introuvables ici. Il y en a de bien sérieux, mais cela ne me suffirait pas.
Et quant à les amener à Christ après le mariage, cela me laisse assez sceptique, j'ai trop vu que le contraire se produisait et que le croyant était entraîné par l'incroyant. Et d'ailleurs comment Dieu pourrait-Il bénir dans une pareille circonstance ?

Un soir, comme je rentrais seule, je rencontrai un jeune homme que j'avais déjà vu quelquefois. Sans mot dire, il rebroussa chemin et se mit à marcher avec moi. Un peu vexée de ce qu'il ne m'en demandait pas même la permission, je résolus de lui jouer un bon tour. Il ne savait pas encore où je logeais, la rue est un peu en pente avant d'arriver à la maison. On longe un haut mur puis un coude brusque, quelques pas en retrait et voilà la porte d'entrée. Donc je me mis à marcher rapidement, il pressa aussi le pas.
Au bout du mur, il ne s'aperçut pas que je lui faussais compagnie et continua son chemin. « Bonsoir ! » lui criai-je avant de fermer la porte. Le fou-rire m'empoigna en songeant à la tête que le pauvre devait faire là dehors.
Un ou deux tours de cette façon finirent par lasser les plus persévérants. Je sais bien qu'on m'accuse d'être hautaine, insensible, mais je préfère cela au titre de coquette, car je ne puis supporter l'idée de faire souffrir qui que ce soit.
D'ailleurs j'ai le sentiment très net que Dieu me prépare, me met à part dans un but qui m'échappe encore. Peut-être Dieu m'enverra-t-il comme missionnaire en pays païen ? Pourvu que ce ne soit pas dans un pays infesté de serpents, car j'en ai une vraie terreur. Pour faire de l'avance, je prends quelques leçons de prononciation anglaise et je m'exerce à lire dans une Bible en cette langue ! Apprendre que ce soit une chose ou une autre, cela est toujours un vrai plaisir pour moi.


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Chapitre VIII
AMOUR DIVIN ET NOUVELLE ACTIVITÉ

- Eh ! bien, je n'aurais jamais cru cela possible !

Cette réflexion était faite d'un air rêveur, par un de mes petits frères âgé de douze ans. Confortablement installés près du poêle par un jour gris de décembre, je leur ai raconté les exaucements de prières obtenus par une missionnaire au Congo.
- Tout est authentique, mon chéri, Miss Doering me les a racontés elle-même lors d'un récent séjour dans la contrée.
- Alors, crois-tu que je pourrais retrouver mon couteau en le demandant à Dieu ?
- Oui, certainement, répondis-je.
- Eh ! bien, je prierai pour cela, dit-il.

Quinze jours plus tard :
- Tu sais, j'ai prié pour mon couteau, mais je ne l'ai pas encore ! Ce sera peut-être difficile de le retrouver, je l'avais perdu en courant dans les champs !
- Rien n'est impossible à Dieu, répondis-je, continue à prier !

Une semaine plus tard, nous étions assis autour de la table dans la chambre de famille, Daniel faisait ses devoirs d'école. Son grand frère arrive et dépose un objet devant lui.
- Mon couteau !

Il n'ose saisir l'objet miraculeux et ses yeux expriment davantage la crainte que la joie.
- Où l'as-tu trouvé?
- Dans la crèche, fut la réponse.

Dieu avait pris soin de son couteau, rentré avec le foin, avant même qu'il le lui ait demandé. Daniel resta longtemps pensif devant cette révélation d'un grand Dieu Tout-Puissant.

Quelques mois plus tard notre joyeux boute-en-train n'était plus, enlevé en quelques heures par une paralysie foudroyante. Il nous manque terriblement, lui si affectueux.
Le dernier soir que je passai à la maison avec lui, nous descendîmes l'escalier ensemble pour aller souper.
- Tout à coup il me prit par les épaules :
- Ma chérie, ma chérie ! que je t'aime !

Il était ainsi fait tout d'explosions affectueuses !
Nous nous aimions tous certes, mais lui seul savait l'extérioriser, nous sommes plus froids et nous éprouvons comme une gêne à nous montrer notre affection réciproque.
Daniel surtout, nous sentons que nous ne l'avons pas assez aimé. Cela c'est l'aiguillon de la mort, car il est trop tard...
Mais en souvenir de lui, nous voulons avec le secours de Dieu, nous aimer davantage et surtout nous le prouver.

Oui, c'est facile à dire s'aimer, s'aimer davantage ! Le réaliser, c'est autre chose.
Il me semble que mon coeur est sec, dur, froid. J'en souffre surtout en ce qui concerne mes rapports avec Dieu. Depuis quelque temps, je Le supplie de me remplir d'amour.

Par une belle après-midi, comme je montais chez mes parents, tout en chemin, je recommençai à plaider auprès de Dieu.
« Demandez et vous recevrez... » Matthieu 7.7.
« Si vous demandez quelque chose en mon nom, moi je le ferai... » Jean 14.14.
« L'amour est de Dieu et quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n'aime pas n'a pas connu Dieu, car Dieu est amour... » 1 Jean 4. 7-8.

Oh ! il me faut cet amour... puisque Dieu est amour, je puis lui demander ce don d'amour après lequel je soupire...
Tout à coup je fus inondée d'un sentiment merveilleux de la présence de Dieu, mon coeur, mon être entier étaient saturés d'amour...
Arrêtée au milieu du chemin, j'aurais aimé me prosterner la face contre terre. Au bout d'un moment, je ne sus au juste combien cela dura, je fus obligée de dire - « Seigneur merci, merci, c'est assez, je ne puis en supporter davantage ! »
Maintenant je ne suis plus obligée de me forcer pour aimer mon prochain, car Dieu m'a donné un coeur de chair à la place de mon coeur de pierre. Loué soit Son nom

En sortant de l'Union chrétienne, un soir, grande discussion...
Pendant la réunion, Mlle R. nous avait dit que la question du mariage ne devait pas nous empêcher de nous donner entièrement à Dieu. « Si vous devez vous marier, nous avait-elle dit, Dieu peut vous envoyer un mari même du Kamtschatka ! »
Je fus prise à partie : « Croyez-vous cela, vous ? » me demanda-t-on.
- Mais oui, pourquoi pas ? tout est possible à Dieu, répondis-je. J'ai lu récemment des biographies d'hommes et de femmes de Dieu qui s'étaient confiés en Dieu pour cela et auxquels Dieu a envoyé juste la compagne ou l'époux qu'il leur fallait. Pourquoi n'en serait-il pas ainsi pour nous ? Pour moi j'ai remis tout mon avenir entre les mains de Dieu. N'est-il pas dit : « Remets à l'Éternel le soin de ton sort, confie-toi en Lui et Il agira » ? Psaume 37. 5. Cela est un de mes versets favoris et j'y crois de tout mon coeur.

On m'a prêté une biographie de George Müller de Bristol. Que c'est merveilleux ! Cela m'ouvre de nouveaux horizons de vie chrétienne. Désormais je veux aussi mettre chaque mois ma dîme de côté et je demanderai à Dieu à quoi je dois l'employer. Ce qui me paraît le secret de George Müller c'est sa vie avec Dieu ; de bonne heure le matin il passait des heures avec Lui ; je veux aussi me lever plus tôt, lire ma Bible et prier davantage. C'est extraordinaire ! je n'aurais jamais cru que cela faisait une telle différence de lire la Parole de Dieu le matin ou le soir. Le matin je comprends infiniment mieux ce que je lis. La présence de Dieu m'est aussi beaucoup plus sensible. Chaque soir, je me réjouis déjà du rendez-vous du lendemain.

L'Armistice est signé ! quel soulagement ! Allons-nous enfin entrer dans l'âge d'or qu'on nous promettait pour l'après-guerre ? En fait d'âge d'or, c'est la grippe espagnole qui règne. Dans chaque famille il y a des malades, est-ce la peste après l'épée ?

Me voici aussi atteinte à mon tour, après quelques jours d'intenses maux de tête cela va mieux et je recommence à travailler. Ce qui est extraordinaire, c'est que je ne puis plus supporter le bruit des machines et mes mains enflent et sont sans force.

Le travail de fabrique me plaisait assez pourtant, j'en avais pris mon parti. La soeur du patron, qui travaille avec nous, est une chrétienne et il règne une atmosphère spéciale dans ces ateliers ; je n'ai jamais entendu une parole ou une conversation immorale, au contraire, on nous permet même de chanter des cantiques !
Quel est le but de cet arrêt ? Dieu sait pourtant que j'aimerais gagner ma vie, je ne puis rester sans rien faire à la maison ! Les semaines s'écoulent... Je suis comme devant un mur, nulle issue ne se présente !

Un après-midi, Mlle R. vint me voir. Son aide de bureau va se marier et elle me demande si je veux la remplacer ! Il y aurait un apprentissage de deux ans pendant lequel je serais payée et ensuite je serais nommée ; c'est une place d'avenir et c'est grâce à ma connaissance de la langue allemande qu'on peut me l'offrir. Je n'aurais pourtant jamais oser y songer, que je suis contente ! Une parole chante en moi : « Fais de l'Éternel tes délices et Il t'accordera les désirs de ton coeur ! » Psaume 37. 4.
Oui, c'est vrai et au-delà !
Maintenant ma santé s'est fortifiée et je peux travailler encore quelques semaines à la fabrique avant de prendre mon nouvel emploi.

En lisant dans l'Apocalypse, je tombai sur ce verset : « Mais quant aux timides... leur part sera dans l'étang brûlant de feu et de soufre... » Apoc. 21. 8.

La timidité serait-elle donc un si terrible défaut, même un péché, aux yeux de Dieu ? Alors il faut que j'en sois délivrée ! J'ai peut-être confondu timidité et humilité ! Que Dieu me fasse la grâce de rester humble, n'ayant pas confiance en la chair... Phil. 3. 4, mais oh ! que je puisse le glorifier de toutes manières !
Je sens que je ne puis rester plus longtemps une auditrice à l'Union chrétienne. Dieu m'ordonne de rendre témoignage. J'hésite, cela me semble si terrible de parler seule devant d'autres personnes, c'est une rude épreuve. La première fois que j'ai prié à haute voix, je n'ai pu terminer, les larmes me coupant la parole. Parler c'est encore pire, mais puisque Dieu me l'ordonne, j'obéirai.
C'est très bien allé, beaucoup mieux que je ne l'espérais, j'ai raconté ma conversion, on aurait entendu voler une mouche.
Que Dieu est bon !
J'ai pris goût à parler à l'Union, ma langue s'est comme déliée, les jeunes filles m'écoutent si attentivement que cela m'encourage.

Un certain soir, par exemple, je ne fus pas contente de moi. Mon sujet était trop long, j'ai parlé plus longtemps qu'il n'aurait fallu. On dit que, quand Satan ne peut plus retenir le char, il le pousse pour qu'il verse... Je crois bien que c'est ce qui m'arrive ! Désormais je veux écrire le sujet chez moi et, naturellement, je ne le lirai ni ne le réciterai, mais cela m'aidera à donner à ma pensée un tour plus concis.

La directrice de l'Union chrétienne est une personne d'âge moyen, mais jeune de coeur et qui nous comprend très bien. Elle est d'une piété vraie et éprouvée. Mais je ne sais ce qui cloche, nous manquons d'unité, je crois. On prend une fois tel sujet et une autre fois un autre, c'est un peu décousu. J'ai proposé que nous étudions un livre de la Bible, un chapitre par soir, que chacune le lise pendant la semaine et dise à la réunion les pensées qui lui ont été suggérées et le bien qu'elles en ont retiré. À la fin la directrice traite le sujet à fond, grâce à sa riche expérience, et coordonne les pensées. Ainsi fut fait.
Nous avons commencé par étudier l'Évangile de Jean. Chaque jour, je lis le chapitre pour le mardi suivant. On voit bien que la Bible est un livre divin car elle ne lasse jamais, au contraire, chaque jour m'apporte une richesse nouvelle. Cette méthode d'étudier la Parole est vraiment bienfaisante et je suis parfois émerveillée d'entendre de toutes jeunettes ou de nouvelles converties, car il y a des conversions à l'Union, Dieu en soi loué ! citer tel ou tel verset et se l'appliquer.

Quelqu'un me disait un jour : « Pour moi, cela m'est indifférent que l'histoire de Jonas soit authentique ou non. »
- Et pourtant vous croyez en Dieu ! lui dis-je. Indifférent ah ! non, pour moi cela n'est pas indifférent ! Tout ou rien Toute écriture divinement inspirée est aussi utile... II Tim. 3. 16, et Jésus a dit pourtant : « Ta Parole est la vérité. » Jean 17. 17. D'ailleurs Jésus Lui-même a parlé de Jonas, Luc 11. 29-32. Cela est-il vrai oui ou non ? Pour moi, toute la Bible est vraie, et celui qui ne croit pas Dieu le fait menteur, 1 Jean 5. 10. C'est sérieux cela ! La Bible est un roc ferme et inébranlable sur lequel j'aime à m'appuyer de tout mon poids.

Ma nouvelle occupation me plaît beaucoup. J'ai quelques après-midi libres pendant lesquelles je puis faire des visites à des malades ou à des vieillards.
En montant, un jour, je me suis arrêtée près d'une gentille et sympathique jeune fille. Elle est travaillée dans son âme, ainsi que sa cousine avec laquelle elle est très liée. Interrogée sur ce qui l'empêchait de donner son coeur à Jésus, elle me répondit :
- Ah ! j'aimerais tant Lui appartenir, mais j'ai peur de ne pas pouvoir vivre une vie qui soit en bon témoignage !
- Mais, ma chère, cela est une ruse de Satan. Dieu connaît toutes vos difficultés, mais Il est tout-puissant pour vous garder. Le Seigneur est fidèle et Il le fera ! I Thessaloniciens 5. 24, donnez-vous sans arrière-pensée, et alors vous verrez.

Quelques jours plus tard, elles nous annoncèrent toutes deux, avec quelle joie ! qu'elles étaient des enfants de Dieu et qu'elles se confiaient en Lui pour l'avenir.
Et gloire à Dieu ! elles ont retenu ferme leur espérance et répandent autour d'elles la bonne odeur de Christ...

Dieu m'a montré que j'avais une terrible volonté. Je Le remercie de m'avoir ouvert les yeux à ce sujet.
Des amis étaient venus nous rendre visite ; comme ils étaient en séjour à plusieurs kilomètres de chez nous, je leur proposai de louer un bateau et de les reconduire par le lac. Je n'écoutai aucune objection et quand ils partirent, nous allâmes avec eux jusqu'au port où se trouvaient des petites barques à louer. Ma soeur, des cousins en vacances et mes petits frères s'étaient joints à nous, l'embarcation était pleine.

À l'aller tout alla bien, mais en revenant le vent se leva, le lac était de plus en plus agité. Inconscients du danger, les enfants chantaient de tout leur coeur : « Une nacelle en silence... » Si j'avais été seule, je ne me serais pas beaucoup inquiétée, mais je sentais ma responsabilité, je ne savais pas nager, et tous ces petits ! La barque dansait de plus en plus sur les vagues, je commençai à être fatiguée de ramer et nous n'avancions que lentement. Du fond de mon coeur je criai à Dieu, le vent se calma un peu et nous pûmes enfin aborder sans trop de peine. J'étais brisée. Arrivée dans ma chambre, je tombai à genoux et je suppliai Dieu de me faire la grâce de ne faire que Sa volonté désormais et non la mienne.

D'avoir pris une position bien nette pour Dieu, m'évite bien des ennuis et des tentations. Personne n'essaie de m'inviter pour assister à des fêtes mondaines ; on sait que ce serait peine perdue ! « À celui qui est ferme dans ses sentiments tu donnes la paix, car il se confie en toi. » Esaïe 26. 3, version Segond.

Quelques jeunes filles viennent parfois me demander des conseils, mais peu ont le courage de les suivre.
Le commandement du Maître n'est-il pas assez clair ? « Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon. » Vous ne Pouvez... et pourtant il y en a tant qui essaient de le faire.

Sauvée pour servir ! quelle vie glorieuse ! penser que le grand Dieu tout-puissant, le Créateur des cieux et de la terre daigne s'occuper de nous, chétifs vermisseaux que nous sommes, et qu'Il nous demande de faire quelque chose pour Lui et non seulement cela, mais Il demeure en nous afin que nous puissions le servir d'une manière qui Lui soit agréable !
Il me semble que je devrais être continuellement prosternée devant une si grande condescendance du Dieu-amour.
- Que la vie est grande et belle pour ceux qui veulent Te servir !
- Que tu es gaie ! me disait une fois un cousin.
- C'est que je suis heureuse, heureuse ! il me semble que je ne pourrais l'être davantage !
- Oui, tu en as l'air ! fit-il pensivement.
- Ah ! non seulement l'air, mais aussi la chanson, fis-je en riant.

En effet, que pourrais désirer de plus ? Tout est en ordre dans le passé, le sang de Christ a tout effacé, pour le présent et pour l'avenir j'ai un Père qui subviendra à tous mes besoins spirituels et temporels. Nous avons une vie de famille idéale, des amis j'en ai plus que je n'en mérite, je suis pleinement satisfaite de mon sort.

Peut-être que je resterai célibataire, mais si cela est la volonté de Dieu pour moi, je m'y soumettrai joyeusement. Le bonheur n'est pas exclusivement dans le mariage. Les ménages heureux, harmonieux sont si rares. Cela m'étonne toujours de voir comme les hommes et les femmes savent gâcher, parfois par simple entêtement, les occasions de bonheur qu'ils ont dans les mains. Il est vrai que j'aime tant les petits enfants que parfois j'ai un vague regret en voyant ceux de mes amies et en pensant que je n'aurai jamais de ces petits bras autour du cou et qu'aucune petite voix ne me dira « maman ». Après tout, pourquoi pas ? Un chat et un chien ne me suffiraient jamais, je pourrais adopter plus tard de pauvres petits sans parents. Le monde a tant besoin d'amour, je trouverai toujours assez de personnes, privées d'affection, à aimer...

Un jeune homme venait chez mes parents. Il me plaisait beaucoup et je crois que cela était réciproque. Nous avions les mêmes goûts et les mêmes idées en fait de religion. Avant de laisser courir mon coeur, un soir je me suis sérieusement examinée et j'ai demandé à Dieu ce que je devais faire. La réponse vint aussitôt : « Tu ne dois pas y penser ! » En effet, peu après, nos routes se séparèrent et je ne le revis jamais. Peut-être lui aussi avait-il demandé à Dieu d'être guidé.
Que de souffrances seraient épargnées si, avant que le coeur soit engagé, afin qu'il puisse être entièrement droit devant Dieu, nous demandions toujours quelle est la volonté de Celui qui connaît et qui sait ce qui nous convient le mieux !

Un jour, maman me grondait parce que je ne cherchais pas à me marier ; maman ne peut me comprendre, dans sa famille on s'est toujours marié très jeune et cela lui semble presque une disgrâce d'avoir une « vieille fille ». J'ai beau essayer de la persuader qu'elle sera toute heureuse de m'avoir pour la cocoler quand elle sera âgée ou malade.
- Oui, oui, dit-elle, mais presque toutes les vieilles demoiselles sont aigries et font souffrir leur entourage !
- Mais non ! tu verras quelle charmante petite vieille je serai, essayai-je de lui dire.

Notre voisin, un vieil original, vint à passer. Maman crut que c'était du renfort pour elle :
- N'est-ce pas, monsieur Renard, que ce n'est pas naturel de rester célibataire ?
- Madame, que dit saint Paul ? « Celui qui marie sa fille fait bien, mais celui qui ne la marie pas fait mieux » I Cor. 7. 38.

Et moi de jubiler !

Une fois, une dame de pasteur m'avait demandé de tenir un banc à une grande vente de charité qui avait lieu, dans un hôtel de la localité, un dimanche et un lundi. Toute la contrée semblait prise de folie : c'est pour l'hôpital ! Pour l'hôpital... et les personnes les plus sérieuses tournaient en carrousel et s'amusaient tant et plus. Tout était permis puisque le but était bon. À la consternation de maman, je refusai.
- Tu te crois donc meilleure que les pasteurs ? dit-elle. Monsieur Renard, que dites-vous de cela ? Grondez-la un peu !
- Madame, il est dit : « Tout ce qui n'est pas le produit d'une conviction est péché. » Romains 14. 23.

Cher vieux monsieur Renard ! que je lui suis reconnaissante de tenir pour moi !
Il a bien changé ces derniers temps, sa femme est morte et il dit qu'il doit maintenant penser à l'éternité.
Au commencement il ne m'aimait pas beaucoup. C'est un homme très instruit, qui a beaucoup voyagé. Plusieurs années, il a fait du commerce en Chine, il a aussi habité Paris, c'est là qu'il avait fait la connaissance de sa femme. Il croyait à l'évolution, ce qui donnait lieu à de nombreuses prises d'armes. Beau conteur, il était un Nemrod de première force et, comme tel, aimait à raconter des histoires souvent un peu épicées, lesquelles, cela va sans dire, n'étaient pas toujours de mon goût.
Si je ne pouvais sortir, quand il en commençait une, mon silence, ou mes yeux indignés devaient lui en dire plus long que des paroles ! Maintenant c'est tout autre chose. Il se lève à quatre heures chaque matin pour lire sa Bible et se plaît à la citer à tout propos. Son amour pour la Parole est vraiment sincère et nous nous comprenons tout à fait bien.


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