Vous serez mes
témoins
Chapitre VI
CHANGEMENT ET NOUVEL APPEL
Mes parents ont acheté un petit domaine
dans une autre partie du pays. L'industrie traverse
des temps difficiles et d'ailleurs la vie au grand
air a toujours été le rêve de
papa. Lui aussi se sentait à l'étroit
dans notre vallon et il rêvait depuis
longtemps d'espaces infinis.
Je vais donc passer mes vacances
dans notre nouvelle patrie et tout de suite je fus
conquise. Enfin je me sens « at
home ». J'ai trouvé l'endroit de
mes rêves ! Coin de pays encadré
de deux côtés de forêts de
hêtres et adossé à la sombre
montagne couverte de sapins. De ce
côté-ci, c'est comme au Jura, et quand
maman a le « heimweh », c'est
ici qu'elle regarde. Mais de l'autre ! Le lac
miroitant baigne le bas de la pente, puis c'est la
plaine barrée tout là-bas par la
chaîne des Alpes. Ce qui m'enchante, c'est
toute l'étendue du ciel. Ah ! comme on
respire à l'aise ici ! De jour
toutefois, car je ne puis supporter la vue du ciel
étoilé, cela me donne le vertige...
Je ne puis m'empêcher de penser que toutes
ces merveilles ont un Créateur, qu'il y a un
au-delà et à cela, non, je ne veux
pas penser... peut-être plus
tard...
De retour à la ville, un
violent mal du pays m'étreint, ce que je
n'avais jamais ressenti si fort auparavant. Les
bords du lac bleu m'attirent comme un mirage... Mes
parents m'écrivent de revenir à la
maison. Je pourrais peut-être suivre quelques
cours au chef-lieu et ensuite trouver une situation
plus près des miens.
Un jour je reçus une lettre
de mon amie me demandant si j'accepterais une
situation dans un château non loin de chez
mes parents. Tout de suite je fus
séduite. Voir ce qui se passe dans un
château, c'est bien tentant. Ce ne serait que
côté service, il est vrai, mais je
verrais si c'est comme dans les livres. Sans plus
réfléchir, comme mue par un sentiment
intérieur, J'écris que j'accepte.
Suis-je capable de remplir cette place, je ne me le
demande même pas. Je suis moi-même
étonnée de ma hardiesse, mais je sens
que je dois aller là-bas. Mes parents sont
un peu déçus, car ils se
réjouissaient de m'avoir, peut-être
que cela ne sera que pour un temps, du moins je les
verrai bien plus souvent qu'avant.
Partir c'est mourir un peu... c'est
ce que j'expérimente en quittant ce qui a
été ma vie pendant deux ans, ces
enfants que peut-être je ne reverrai
plus...
Un ancien petit château sur la
pente couverte de vignoble. Tout simple mais
arrangé avec infiniment de goût. Dans
le jardin en terrasses, des roses et encore des
roses. Bref, un séjour idyllique. Mes
nouveaux maîtres sont des nobles, mais
tellement aimables et bons. Ce sont des mondains,
mais je n'ai jamais vu de chrétiens aussi
gentils et faciles à vivre. D'humeur
toujours égale et pas du tout hautains,
c'est un plaisir de les servir et de vivre ici. Les
enfants sont mignons tout plein. Je les aime
beaucoup et je crois qu'ils me rendent mon
affection.
Parmi le personnel, c'est la
cuisinière que je préfère.
Elle est dans la trentaine, c'est une personne
distinguée et discrète. À la
voire tranquillement évoluer dans sa
cuisine, proprette et les mains aussi blanches que
celles d'une dame, on se demande comment elle s'y
prend pour apprêter de si délicieuses
choses, car c'est un cordon-bleu ! Elle
relève à mes yeux la condition de
domestique, Madame la tient en grande
estime.
Quels beaux dimanches nous avons
ici ! Il n'y a jamais de visites, les enfants
sont avec leurs parents, tout est simplifié
à l'extrême, ce qui fait que tous les
employés jouissent de beaucoup de
liberté ce jour-là.
Quand il fait beau temps nous allons
à l'église le matin, histoire de
faire une petite promenade, car ni l'un ni l'autre
nous ne nous soucions de ce que disent les
pasteurs. L'après-midi est toujours
agréable soit que nous fassions un tour en
auto, en bateau ou que nous allions faire une
promenade à pied dans les environs qui sont
très pittoresques.
Puis voici la grande guerre,
Monsieur part à l'armée. La
moitié du château est fermée,
la grande salle est transformée en ouvroir
où quelques femmes du village fabriquent des
objets pour soldats indigents. Les premières
chemises sont un peu estropiées, mais
espérons que nos braves militaires ne
verront que la bonne volonté des
ouvrières ! Tous nos moments de loisir
sont occupés à tricoter des
chaussettes.
On travaille fébrilement pour
oublier l'angoisse qui nous étreint. On ne
pense plus à s'amuser ! Les temples
sont pleins de monde, il semble que ce n'est que
là que nous trouverons la réponse aux
« pourquoi ? » douloureux.
Nous avons soif de protection contre le danger qui
menace. Mais les pasteurs ne nous donnent que des
pierres au lieu de pain ; de beaux discours
à la place de certitudes et nous cessons peu
à peu de fréquenter les lieux de
culte.
Au château, du personnel il ne
reste plus que la cuisinière et moi, la
tourmente a tout dispersé. Nous nous lions
davantage et nous ne sortons jamais l'une sans
l'autre. Marie est croyante, mais jusqu'à
quel point, je ne le sais, car nous ne parlons
jamais religion, sur ce point nous restons
étrangères.
Le temps passe, la guerre dure
toujours, nous nous sommes adaptés aux
nouvelles conditions d'existence. Mais penser,
quand nous sommes bien tranquilles, que des
pères, des époux, des frères
souffrent et meurent, ah ! quelle chose
atroce !
J'ai trouvé quelques livres
parlant de théosophie, je les lis pendant
mes heures de liberté, la
vérité serait-elle là ?
Ces théories brumeuses me plaisent assez. La
réincarnation n'est peut-être pas un
mythe, j'y pense beaucoup, car avec les journaux
qui ne parlent que de massacres, impossible de
continuer à éviter la pensée
de la mort. Il y a pourtant aussi bien des choses
qui choquent ma raison.
Un soir j'étais sur une
galerie avec Marie, je commençai à
lui raconter ce que je savais de la
théosophie, elle m'écoutait
attentivement. Devant nous se dressait un grand
sapin, tout à coup il nous sembla voir un
gros oeil lumineux à travers les branches,
et tout était éclairé autour
de nous. Une terreur folle nous saisit, puis nous
comprîmes : c'était le
réflecteur sur la montagne qui fonctionnait
de nouveau après un long arrêt. Mais
je me souvins aussi de la même peur ressentie
en lisant des choses spirites et je pensai que pour
être pareillement épouvantée,
ce ne devait pas être une chose bonne que la
théosophie. Désormais je ne m'en
occupai plus.
Une année, j'allai passer mes
vacances dans mon village natal. Ce fut avec un
bien grand plaisir que je revis toutes les figures
amies et tous les coins remplis de joyeux
souvenirs.
Il y avait eu, les jours
précédents, une mission des
commissaires Peyron dans un village voisin, et tous
chantaient les chants salutistes. Deux de mes
petites cousines répétaient
constamment : « Je vais au pays
resplendissant de gloire... », et surtout
ce cantique-ci était sur toutes les
lèvres :
- Le Fils de Dieu vint sur la terre,
- Mourir pour moi, car Il m'aimait.
- Est-il de plus profond mystère,
- D'amour plus grand et plus
parfait !
-
- Jésus m'a tant aimé,
- Jésus m'a tant aimé,
- Il fut pour moi crucifié,
- Jésus m'a tant aimé.
Cela me bouleversa, si cela était
vrai ? Si cela est vrai, quelle
responsabilité de refuser un si grand
salut ! un si grand amour ! Un soir,
tante Anna faisait le culte. Je fus secouée
d'étrange façon et je pleurais comme
si mon coeur allait se briser. Depuis ce moment je
ne fus plus tranquille un seul instant, même
la prière avant les repas faisait couler mes
larmes. Les vacances finies, je retournai à
mon poste dans un état indescriptible.
Tantôt follement gaie, tantôt d'une
humeur épouvantable. J'avais horreur de
moi-même. J'étais si méchante
qu'un jour Marie excédée me
déclara qu'elle ne sortirait plus avec moi.
Bon ! cela m'était égal !
Si je pouvais me fuir moi-même, je le
ferais ! Il me semble que je serais si bien
couchée dans les eaux bleues du lac... Mais
non ! je ne veux pas faire ce chagrin à
mes parents.
Un dimanche, comme j'attendais le
tramway pour me rendre en ville à une
exposition, j'entendis, tout proches, les accents
d'une fanfare salutiste. L'envie me prit d'aller
les écouter de près, puis je
réfléchis que, si J'y allais, je ne
pourrais faire autrement que de me convertir. Le
tramway arriva et j'y montai.
À l'exposition, je fis la
connaissance d'un jeune homme habitant non loin de
chez mes parents. Il me demanda la permission de
m'écrire et de revenir me voir.
« Oui », lui
répondis-je.
Peut-être que l'amour pourrait
remplir ce vide immense que je sens en moi. Nous
nous revîmes une fois, deux fois, il
était bien gentil et je n'ai rien à
lui reprocher. Mais mon malaise intérieur
devenait de plus en plus insupportable et la
troisième fois, sans motif, je le priai de
ne plus revenir et de ne plus chercher à me
voir, ni à m'écrire. Il a dû
penser que j'avais un bien mauvais
caractère. J'étais si malheureuse et
travaillée que je ne pouvais presque plus
supporter de nourriture. Allais-je perdre la
raison ?
Depuis longtemps des connaissances
nous avaient engagées à assister
à des cultes allemands se tenant dans une
modeste chapelle à trois quarts d'heure du
château. Nous n'y avions pas fait grande
attention, mais pendant notre brouille, Marie y
était allée et elle ne pouvait assez
dire ce que c'était bienfaisant.
« Dimanche prochain j'irai avec
vous », lui dis-je.
En entrant dans la simple petite
chapelle, je fus saisie par un quelque chose, dans
l'atmosphère, de jamais
éprouvé. Un calme inconnu descendait
en moi. Après un chant qui ne partait pas
des lèvres seulement, mais que les
assistants chantaient de tout leur coeur, le
pasteur lut la parabole des dix vierges.
Matthieu chapitre 25, versets
1-13.
« ... et la porte fut
fermée... »
Non ! oh non ! je ne veux
pas que la porte soit fermée devant moi, je
veux croire ! Que Dieu me pardonne ma longue
incrédulité ! Oui, je crois que
toute la Bible est vraie et pour
moi !
Le prédicateur s'exprime
d'une manière toute familière, je
bois ses paroles, les larmes ruissellent sur mes
joues, larmes de joie ! que je ne songe
même pas à essuyer !
Marie n'y comprend rien :
« Qu'avez-vous ? »
chuchote-t-elle. Ce que j'ai ? C'est que j'ai
passé de la mort à la vie ! Mon
fardeau n'est plus !
Le trajet du retour fut silencieux.
Par des paroles je ne voulais pas laisser
évaporer le bonheur qui
m'inondait !
Arrivée dans ma chambre, je
me jette à genoux. Je ne sais pas prier
comme il le faudrait, mais cela ne fait rien. Je
crois, je crois. Jésus, tu m'as
aimée ! Tu fus pour moi
crucifié, tu m'as aimée ! tu
m'aimes ! Quelle
lumière !
Un peu plus tard dans la
soirée, je retrouve ma Bible. Je l'ai
toujours eue avec moi, quoique au fond de ma malle.
Il y a bien des années que je ne l'ai pas
ouverte ! Que Dieu est bon de me pardonner
encore, moi qui ai méprisé sa Parole.
Avec Matthieu, je commence à
lire l'histoire de Jésus, mon Sauveur, j'y
trouve une saveur toute nouvelle, je ne comprends
pas encore tout, mais je saisis infiniment mieux
qu'auparavant.
Tout est changé
désormais, que je suis heureuse ! Aux
enfants, je raconte des histoires de la Bible au
lieu de contes de fées, pour le moment ils
embrouillent un peu les fées et les
anges ! C'est seulement maintenant que je
comprends ma responsabilité dans la
formation de leur esprit.
.
Chapitre VII
RETOUR À LA MAISON
Toutes les émotions passées
et un surcroît de travail ont
altéré ma santé. Je me vois
forcée d'envisager un retour à la
maison. Pour moi c'est presque un
déchirement. Ne plus pouvoir assister
à ces bons cultes et réunions !
Privée de cela, continuerai-je à
avancer ? Six ans d'absence ont fait de moi
presque une étrangère pour mes
frères et soeur et tout mon coeur est
ici.
J'ai de la peine à comprendre
que Dieu me fasse quitter les lieux de ma nouvelle
naissance, toutefois je veux croire que tout est
bien.
Après deux mois de quasi
invalidité, je ne veux pas rester plus
longtemps à la charge de mes parents. Comme
mes jambes sont restées faibles, la seule
ressource que j'aie pour le moment, c'est de
travailler dans une fabrique de fournitures
d'horlogerie. Cela est presque un cauchemar pour
moi, mais c'est la seule porte ouverte. Il me faut
donc passer partout où je ne l'aurais pas
voulu...
Cela va assez bien. Le travail
manuel, pas très difficile, permet de
penser, et là, parmi le bruit des machines,
je passe de beaux moments avec Dieu.
Comme mes parents habitent assez
loin du village, je ne pourrais faire les courses.
Je reste avec ma soeur qui a loué une
chambre et nous ne retournons à la maison
que le samedi après-midi.
Un soir, nous sommes allées
à l'Union chrétienne de jeunes
filles. Une demoiselle évangéliste y
tenait justement la réunion.
C'était vraiment bienfaisant
et j'ai été heureuse de retrouver un
milieu aussi vivant que celui que je venais de
quitter.
La directrice de l'Union
chrétienne est très aimable et
s'intéresse à moi. Comme nous sommes
presque voisines, elle m'invite souvent à
venir chez elle le soir ou à l'accompagner
à d'autres réunions. Ce qui
m'étonne fort chez elle, c'est qu'elle parle
des choses de Dieu à tout propos et aussi
naturellement que d'autres choses. J'avais toujours
pensé que l'on devait garder soigneusement
sa religion en soi-même et en faire
étalage seulement le dimanche à
l'église ou aux réunions. Cette
religion pratique me plaît infiniment. Que de
choses j'apprends ! Il me semble que j'avais
les yeux bouchés auparavant en lisant ma
Bible. Ah ! je comprends maintenant pourquoi
Dieu m'a envoyée ici. Cette maladie contre
laquelle j'ai tant murmuré, était
pour mon plus grand bien. Je ne suis plus qu'une
ouvrière de fabrique, eh ! bien, cela
m'est égal après tout pourvu que je
puisse faire quelque chose pour Dieu là
où il m'a placée.
Deux évangélistes sont
venus planter une tente au bord du lac, nous y
allons tous les soirs. Pour la première fois
j'entends parler du retour de Jésus-Christ
et de l'enlèvement de l'Eglise. Quelle
merveilleuse espérance ! Cela change pour
moi tout l'aspect de la vie ! Désormais
je n'ai plus seulement la mort à envisager
comme perspective finale, mais j'ai l'espoir
d'être enlevée pour être
toujours avec le Seigneur. Cela encourage aussi
à travailler plus activement pour le
Maître afin que tous ceux que nous
connaissons puissent aussi être
pris.
Le samedi soir nous nous retrouvons
tous à la maison. Que de belles heures nous
passons ensemble ! Nous chantons beaucoup et
quelles fusées de rires quand nous sommes
tous autour de la table pour les repas. Les
anecdotes, les jeux de mots, les réparties
s'entrecroisent.
« Allons, allons, crie
papa, mangez donc ! tout se
refroidit ! » Mais comment
arrêter le fou-rire ? il y est
gagné lui-même.
Le soir, avant de nous
séparer, papa fait le culte, nous prions
tous. Le dimanche matin, ceux 'qui ne vont pas au
temple assez éloigné, chantent des
cantiques, lisent la Bible ensemble, chacun fait
ses réflexions sur le chapitre lu, nous
passons ainsi des moments bénis.
Il y a bien des années, une
soeur de papa m'avait donné un
conseil : Agis envers ta soeur et tes
frères comme tu voudrais qu'ils agissent
envers toi. Dis-leur toujours s'il te plaît
et merci quand tu leur demandes un service. Sois
aussi polie avec eux que s'ils
étaient des étrangers. Depuis j'ai
toujours pratiqué cela et c'est
extraordinaire comme cela facilite les rapports
familiaux. Cela crée une atmosphère
de courtoisie, de gentillesse et plus encore si nos
paroles sont accompagnées d'un sourire
affectueux. C'est une illustration de la
poésie : L'enfant et le
miroir...
Longtemps, j'ai regretté
d'être une fille, mais maintenant que je vois
l'immense influence qu'elles peuvent avoir, je suis
heureuse d'être ce que je suis.
Les bouderies ne sont pas
tolérées chez nous. S'il y a une
ombre, il faut de suite avoir une franche
explication, celui qui est fautif demande pardon et
tout est dit.
Maman ne nous permet pas non plus de
dire : « je suis
énervée ! » Appelle
les choses par leur nom, dit-elle, dis :
« je suis fâchée ou grognon
parce que cela ne va pas comme je le voudrais ou
parce que mes plans sont
renversés. »
Énervée ! cela
sonne bien, cela a un petit air distingué,
mais comment oserait-on avouer qu'on est de
mauvaise humeur ? Il est vrai que parfois la
faiblesse physique y joue un rôle, mais c'est
plutôt rare.
Maman aimerait que je fasse de jolis
ouvrages de broderie ou de dentelle. Des
passe-temps comme on les appelle. Mais le mien me
semble bien trop précieux pour le passer
ainsi. « Ah ! non, lui dis-je,
donne-moi tous les bas à raccommoder et tous
les tricotages que tu voudras, mais pas
cela ! »
- Pourtant, quand il y a des
visites, cela aurait meilleure façon,
objectait-elle.
- Non, justement je déteste
avoir les yeux rivés sur mon ouvrage pendant
une conversation intéressante. J'aime voir
les jeux de physionomie de la personne qui parle.
Enfin, si cela te fait plaisir, prépare-moi
un ouvrage que je sortirai dans les grandes
occasions, concédai-je.
Bon ! un après-midi,
nous étions en joyeuse et aimable compagnie
devant la maison. Je m'appliquais
consciencieusement à une dentelle pour des
rideaux. Tout à coup, maman passa
derrière ma chaise, saisit mon ouvrage sans
mot dire et disparut. Étonnée et
amusée, je ne soufflai mot et personne ne
parut s'apercevoir de la petite scène. Mais
le soir, je demandai à maman la raison de
cette manière de faire.
- Vois-tu, dit-elle, tu faisais une
si vilaine grimace en travaillant que je ne pouvais
plus supporter de te voir ainsi !
Nous en avons ri de bon coeur et
désormais on me laisse tricoter des
chaussettes ou autres objets utiles autant que je
le désire. Je le préfère, car
cela me laisse l'esprit plus libre, je lis
même en tricotant. Ainsi j'ai beaucoup lu
d'ouvrages anglais, allemands ou simplement
instructifs, cela me fait d'une pierre deux coups
et je n'ai pas le sentiment de perdre mon
temps.
Une broderie, si jolie soit-elle, ne
me ferait jamais plaisir car j'y verrais toujours
les heures perdues que j'aurais pu occuper plus
utilement, sans compter que je connais bien des
jeunes filles dont la vue a baissé parce
qu'elles s'étaient trop appliquées
à des ouvrages de fantaisie.
Un jour, je reçus une lettre
d'un jeune homme que je connaissais à peine
ayant fait seulement une fois route avec lui. Il me
demandait la permission de venir chez mes parents
pour « fréquenter »
comme on dit ici !
Je sens que c'est le moment pour moi
de rendre témoignage. Je n'aimerais pas
faire souffrir quelqu'un inutilement et je sais que
je ne pourrais épouser qu'un vrai
chrétien, n'est-il pas écrit
d'ailleurs : « Ne vous mettez pas
sous un joug mal assorti avec les
incrédules. »
Il Corinthiens 6, verset
14.
Immédiatement je
répondis ce que je pensais et quel
était mon idéal : un jeune homme
converti réellement, qui ne fume pas (je
savais que le jeune homme en question avait un
faible pour la pipe), bref, un homme comme mon
père.
Ce faisant j'en mesurai les
conséquences, j'étais sûre que
ma lettre ferait le tour de la contrée, mais
un homme averti en vaut deux et quiconque ne
voudrait pas remplir mes conditions me laisserait
tranquille.
Quand maman a su cela elle m'a bien
grondée : « Tu ne pourras pas
te marier ! »
répétait-elle.
- Cela m'est bien égal, je
préfère rester fille plutôt que
d'épouser quelqu'un qui n'a pas les
mêmes aspirations que moi. D'ailleurs il me
semble que quand j'aimerai, je voudrais pouvoir
aimer pour l'éternité. La
pensée que la mort pourrait nous
séparer me gâterait toutes mes
joies !
Les jeunes gens vraiment
chrétiens sont presque introuvables ici. Il
y en a de bien sérieux, mais cela ne me
suffirait pas.
Et quant à les amener
à Christ après le mariage, cela me
laisse assez sceptique, j'ai trop vu que le
contraire se produisait et que le croyant
était entraîné par l'incroyant.
Et d'ailleurs comment Dieu pourrait-Il bénir
dans une pareille circonstance ?
Un soir, comme je rentrais seule, je
rencontrai un jeune homme que j'avais
déjà vu quelquefois. Sans mot dire,
il rebroussa chemin et se mit à marcher avec
moi. Un peu vexée de ce qu'il ne m'en
demandait pas même la permission, je
résolus de lui jouer un bon tour. Il ne
savait pas encore où je logeais, la rue est
un peu en pente avant d'arriver à la maison.
On longe un haut mur puis un coude brusque,
quelques pas en retrait et voilà la porte
d'entrée. Donc je me mis à marcher
rapidement, il pressa aussi le pas.
Au bout du mur, il ne
s'aperçut pas que je lui faussais compagnie
et continua son chemin.
« Bonsoir ! » lui criai-je
avant de fermer la porte. Le fou-rire m'empoigna en
songeant à la tête que le pauvre
devait faire là dehors.
Un ou deux tours de cette
façon finirent par lasser les plus
persévérants. Je sais bien qu'on
m'accuse d'être hautaine, insensible, mais je
préfère cela au titre de coquette,
car je ne puis supporter l'idée de faire
souffrir qui que ce soit.
D'ailleurs j'ai le sentiment
très net que Dieu me prépare, me met
à part dans un but qui m'échappe
encore. Peut-être Dieu m'enverra-t-il comme
missionnaire en pays païen ? Pourvu que
ce ne soit pas dans un pays infesté de
serpents, car j'en ai une vraie terreur. Pour faire
de l'avance, je prends quelques leçons de
prononciation anglaise et je m'exerce à lire
dans une Bible en cette langue ! Apprendre que
ce soit une chose ou une autre, cela est toujours
un vrai plaisir pour moi.
.
Chapitre VIII
AMOUR DIVIN ET NOUVELLE
ACTIVITÉ
- Eh ! bien, je n'aurais jamais cru cela
possible !
Cette réflexion était
faite d'un air rêveur, par un de mes petits
frères âgé de douze ans.
Confortablement installés près du
poêle par un jour gris de décembre, je
leur ai raconté les exaucements de
prières obtenus par une missionnaire au
Congo.
- Tout est authentique, mon
chéri, Miss Doering me les a racontés
elle-même lors d'un récent
séjour dans la contrée.
- Alors, crois-tu que je pourrais
retrouver mon couteau en le demandant à Dieu
?
- Oui, certainement,
répondis-je.
- Eh ! bien, je prierai pour cela,
dit-il.
Quinze jours plus tard :
- Tu sais, j'ai prié pour mon
couteau, mais je ne l'ai pas encore ! Ce sera
peut-être difficile de le retrouver, je
l'avais perdu en courant dans les champs
!
- Rien n'est impossible à
Dieu, répondis-je, continue à prier
!
Une semaine plus tard, nous
étions assis autour de la table dans la
chambre de famille, Daniel faisait ses devoirs
d'école. Son grand frère arrive et
dépose un objet devant lui.
- Mon couteau !
Il n'ose saisir l'objet miraculeux
et ses yeux expriment davantage la crainte que la
joie.
- Où l'as-tu
trouvé?
- Dans la crèche, fut la
réponse.
Dieu avait pris soin de son couteau,
rentré avec le foin, avant même qu'il
le lui ait demandé. Daniel resta longtemps
pensif devant cette révélation d'un
grand Dieu Tout-Puissant.
Quelques mois plus tard notre joyeux
boute-en-train n'était plus, enlevé
en quelques heures par une paralysie foudroyante.
Il nous manque terriblement, lui si
affectueux.
Le dernier soir que je passai
à la maison avec lui, nous descendîmes
l'escalier ensemble pour aller souper.
- Tout à coup il me prit par
les épaules :
- Ma chérie, ma
chérie ! que je
t'aime !
Il était ainsi fait tout
d'explosions affectueuses !
Nous nous aimions tous certes, mais
lui seul savait l'extérioriser, nous sommes
plus froids et nous éprouvons comme une
gêne à nous montrer notre affection
réciproque.
Daniel surtout, nous sentons que
nous ne l'avons pas assez aimé. Cela c'est
l'aiguillon de la mort, car il est trop
tard...
Mais en souvenir de lui, nous
voulons avec le secours de Dieu, nous aimer
davantage et surtout nous le prouver.
Oui, c'est facile à dire s'aimer,
s'aimer davantage ! Le réaliser, c'est
autre chose.
Il me semble que mon coeur est sec,
dur, froid. J'en souffre surtout en ce qui concerne
mes rapports avec Dieu. Depuis quelque temps, je Le
supplie de me remplir d'amour.
Par une belle après-midi,
comme je montais chez mes parents, tout en chemin,
je recommençai à plaider
auprès de Dieu.
« Demandez et vous
recevrez... »
Matthieu 7.7.
« Si vous demandez quelque
chose en mon nom, moi je le ferai... »
Jean 14.14.
« L'amour est de Dieu et
quiconque aime est né de Dieu et
connaît Dieu. Celui qui n'aime pas n'a pas
connu Dieu, car Dieu est amour... »
1 Jean 4. 7-8.
Oh ! il me faut cet amour...
puisque Dieu est amour, je puis lui demander ce don
d'amour après lequel je
soupire...
Tout à coup je fus
inondée d'un sentiment merveilleux de la
présence de Dieu, mon coeur, mon être
entier étaient saturés d'amour...
Arrêtée au milieu du
chemin, j'aurais aimé me prosterner la face
contre terre. Au bout d'un moment, je ne sus au
juste combien cela dura, je fus obligée de
dire - « Seigneur merci, merci, c'est
assez, je ne puis en supporter
davantage ! »
Maintenant je ne suis plus
obligée de me forcer pour aimer mon
prochain, car Dieu m'a donné un coeur de
chair à la place de mon coeur de pierre.
Loué soit Son nom
En sortant de l'Union chrétienne, un
soir, grande discussion...
Pendant la réunion, Mlle R.
nous avait dit que la question du mariage ne devait
pas nous empêcher de nous donner
entièrement à Dieu. « Si
vous devez vous marier, nous avait-elle dit, Dieu
peut vous envoyer un mari même du
Kamtschatka ! »
Je fus prise à partie :
« Croyez-vous cela,
vous ? » me demanda-t-on.
- Mais oui, pourquoi pas ? tout
est possible à Dieu, répondis-je.
J'ai lu récemment des biographies d'hommes
et de femmes de Dieu qui s'étaient
confiés en Dieu pour cela et auxquels Dieu a
envoyé juste la compagne ou l'époux
qu'il leur fallait. Pourquoi n'en serait-il pas
ainsi pour nous ? Pour moi j'ai remis tout mon
avenir entre les mains de Dieu. N'est-il pas
dit : « Remets à
l'Éternel le soin de ton sort, confie-toi en
Lui et Il agira » ? Psaume 37. 5.
Cela est un de mes versets favoris et j'y crois de
tout mon coeur.
On m'a prêté une biographie de
George Müller de Bristol. Que c'est
merveilleux ! Cela m'ouvre de nouveaux
horizons de vie chrétienne. Désormais
je veux aussi mettre chaque mois ma dîme de
côté et je demanderai à Dieu
à quoi je dois l'employer. Ce qui me
paraît le secret de George Müller c'est
sa vie avec Dieu ; de bonne heure le matin il
passait des heures avec Lui ; je veux aussi me
lever plus tôt, lire ma Bible et prier
davantage. C'est extraordinaire ! je n'aurais
jamais cru que cela faisait une telle
différence de lire la Parole de Dieu le
matin ou le soir. Le matin je comprends infiniment
mieux ce que je lis. La présence de Dieu
m'est aussi beaucoup plus sensible. Chaque soir, je
me réjouis déjà du rendez-vous
du lendemain.
L'Armistice est signé !
quel soulagement ! Allons-nous enfin entrer
dans l'âge d'or qu'on nous promettait pour
l'après-guerre ? En fait d'âge
d'or, c'est la grippe espagnole qui règne.
Dans chaque famille il y a des malades, est-ce la
peste après
l'épée ?
Me voici aussi atteinte à mon
tour, après quelques jours d'intenses maux
de tête cela va mieux et je recommence
à travailler. Ce qui est extraordinaire,
c'est que je ne puis plus supporter le bruit des
machines et mes mains enflent et sont sans
force.
Le travail de fabrique me plaisait
assez pourtant, j'en avais pris mon parti. La soeur
du patron, qui travaille avec nous, est une
chrétienne et il règne une
atmosphère spéciale dans ces
ateliers ; je n'ai jamais entendu une parole
ou une conversation immorale, au contraire, on nous
permet même de chanter des
cantiques !
Quel est le but de cet
arrêt ? Dieu sait pourtant que
j'aimerais gagner ma vie, je ne puis rester sans
rien faire à la maison ! Les semaines
s'écoulent... Je suis comme devant un mur,
nulle issue ne se présente !
Un après-midi, Mlle R. vint
me voir. Son aide de bureau va se marier et elle me
demande si je veux la remplacer ! Il y aurait
un apprentissage de deux ans pendant lequel je
serais payée et ensuite je serais
nommée ; c'est une place d'avenir et
c'est grâce à ma connaissance de la
langue allemande qu'on peut me l'offrir. Je
n'aurais pourtant jamais oser y songer, que je suis
contente ! Une parole chante en moi :
« Fais de l'Éternel tes
délices et Il t'accordera les désirs
de ton coeur ! »
Psaume 37. 4.
Oui, c'est vrai et
au-delà !
Maintenant ma santé s'est
fortifiée et je peux travailler encore
quelques semaines à la fabrique avant de
prendre mon nouvel emploi.
En lisant dans l'Apocalypse, je tombai sur ce
verset : « Mais quant aux timides...
leur part sera dans l'étang brûlant de
feu et de soufre... »
Apoc. 21. 8.
La timidité serait-elle donc
un si terrible défaut, même un
péché, aux yeux de Dieu ? Alors
il faut que j'en sois délivrée !
J'ai peut-être confondu timidité et
humilité ! Que Dieu me fasse la
grâce de rester humble, n'ayant pas confiance
en la chair...
Phil. 3. 4, mais oh ! que je
puisse le glorifier de toutes
manières !
Je sens que je ne puis rester plus
longtemps une auditrice à l'Union
chrétienne. Dieu m'ordonne de rendre
témoignage. J'hésite, cela me semble
si terrible de parler seule devant d'autres
personnes, c'est une rude épreuve. La
première fois que j'ai prié à
haute voix, je n'ai pu terminer, les larmes me
coupant la parole. Parler c'est encore pire, mais
puisque Dieu me l'ordonne,
j'obéirai.
C'est très bien allé,
beaucoup mieux que je ne l'espérais, j'ai
raconté ma conversion, on aurait entendu
voler une mouche.
Que Dieu est bon !
J'ai pris goût à parler
à l'Union, ma langue s'est comme
déliée, les jeunes filles
m'écoutent si attentivement que cela
m'encourage.
Un certain soir, par exemple, je ne
fus pas contente de moi. Mon sujet était
trop long, j'ai parlé plus longtemps qu'il
n'aurait fallu. On dit que, quand Satan ne peut
plus retenir le char, il le pousse pour qu'il
verse... Je crois bien que c'est ce qui
m'arrive ! Désormais je veux
écrire le sujet chez moi et, naturellement,
je ne le lirai ni ne le réciterai, mais cela
m'aidera à donner à ma pensée
un tour plus concis.
La directrice de l'Union
chrétienne est une personne d'âge
moyen, mais jeune de coeur et qui nous comprend
très bien. Elle est d'une
piété vraie et
éprouvée. Mais je ne sais ce qui
cloche, nous manquons d'unité, je crois. On
prend une fois tel sujet et une autre fois un
autre, c'est un peu décousu. J'ai
proposé que nous étudions un livre de
la Bible, un chapitre par soir, que chacune le lise
pendant la semaine et dise à la
réunion les pensées qui lui ont
été suggérées et le
bien qu'elles en ont retiré. À la fin
la directrice traite le sujet à fond,
grâce à sa riche expérience, et
coordonne les pensées. Ainsi fut
fait.
Nous avons commencé par
étudier l'Évangile de Jean. Chaque
jour, je lis le chapitre pour le mardi suivant. On
voit bien que la Bible est un livre divin car elle
ne lasse jamais, au contraire, chaque jour
m'apporte une richesse nouvelle. Cette
méthode d'étudier la Parole est
vraiment bienfaisante et je suis parfois
émerveillée d'entendre de toutes
jeunettes ou de nouvelles converties, car il y a
des conversions à l'Union, Dieu en soi
loué ! citer tel ou tel verset et se
l'appliquer.
Quelqu'un me disait un jour :
« Pour moi, cela m'est indifférent
que l'histoire de Jonas soit authentique ou
non. »
- Et pourtant vous croyez en
Dieu ! lui dis-je. Indifférent
ah ! non, pour moi cela n'est pas
indifférent ! Tout ou rien Toute
écriture divinement inspirée est
aussi utile...
II Tim. 3. 16, et Jésus a dit
pourtant : « Ta Parole est la
vérité. »
Jean 17. 17. D'ailleurs Jésus
Lui-même a parlé de Jonas,
Luc 11. 29-32. Cela est-il vrai oui
ou non ? Pour moi, toute la Bible est vraie,
et celui qui ne croit pas Dieu le fait menteur,
1 Jean 5. 10. C'est sérieux
cela ! La Bible est un roc ferme et
inébranlable sur lequel j'aime à
m'appuyer de tout mon poids.
Ma nouvelle occupation me
plaît beaucoup. J'ai quelques
après-midi libres pendant lesquelles je puis
faire des visites à des malades ou à
des vieillards.
En montant, un jour, je me suis
arrêtée près d'une gentille et
sympathique jeune fille. Elle est travaillée
dans son âme, ainsi que sa cousine avec
laquelle elle est très liée.
Interrogée sur ce qui l'empêchait de
donner son coeur à Jésus, elle me
répondit :
- Ah ! j'aimerais tant Lui
appartenir, mais j'ai peur de ne pas pouvoir vivre
une vie qui soit en bon
témoignage !
- Mais, ma chère, cela est
une ruse de Satan. Dieu connaît toutes vos
difficultés, mais Il est tout-puissant pour
vous garder. Le Seigneur est fidèle et Il le
fera !
I Thessaloniciens 5. 24, donnez-vous
sans arrière-pensée, et alors vous
verrez.
Quelques jours plus tard, elles nous
annoncèrent toutes deux, avec quelle
joie ! qu'elles étaient des enfants de
Dieu et qu'elles se confiaient en Lui pour
l'avenir.
Et gloire à Dieu ! elles
ont retenu ferme leur espérance et
répandent autour d'elles la bonne odeur de
Christ...
Dieu m'a montré que j'avais une terrible
volonté. Je Le remercie de m'avoir ouvert
les yeux à ce sujet.
Des amis étaient venus nous
rendre visite ; comme ils étaient en
séjour à plusieurs kilomètres
de chez nous, je leur proposai de louer un bateau
et de les reconduire par le lac. Je
n'écoutai aucune objection et quand ils
partirent, nous allâmes avec eux jusqu'au
port où se trouvaient des petites barques
à louer. Ma soeur, des cousins en vacances
et mes petits frères s'étaient joints
à nous, l'embarcation était
pleine.
À l'aller tout alla bien,
mais en revenant le vent se leva, le lac
était de plus en plus agité.
Inconscients du danger, les enfants chantaient de
tout leur coeur : « Une nacelle en
silence... » Si j'avais
été seule, je ne me serais pas
beaucoup inquiétée, mais je sentais
ma responsabilité, je ne savais pas nager,
et tous ces petits ! La barque dansait de plus en
plus sur les vagues, je commençai à
être fatiguée de ramer et nous
n'avancions que lentement. Du fond de mon coeur je
criai à Dieu, le vent se calma un peu et
nous pûmes enfin aborder sans trop de peine.
J'étais brisée. Arrivée dans
ma chambre, je tombai à genoux et je
suppliai Dieu de me faire la grâce de ne
faire que Sa volonté désormais et non
la mienne.
D'avoir pris une position bien nette
pour Dieu, m'évite bien des ennuis et des
tentations. Personne n'essaie de m'inviter pour
assister à des fêtes mondaines ;
on sait que ce serait peine perdue ! «
À celui qui est ferme dans ses sentiments tu
donnes la paix, car il se confie en toi. »
Esaïe 26. 3, version
Segond.
Quelques jeunes filles viennent
parfois me demander des conseils, mais peu ont le
courage de les suivre.
Le commandement du Maître
n'est-il pas assez clair ? « Vous ne pouvez
servir Dieu et Mamon. » Vous ne Pouvez... et
pourtant il y en a tant qui essaient de le
faire.
Sauvée pour servir ! quelle
vie glorieuse ! penser que le grand Dieu
tout-puissant, le Créateur des cieux et de
la terre daigne s'occuper de nous, chétifs
vermisseaux que nous sommes, et qu'Il nous demande
de faire quelque chose pour Lui et non seulement
cela, mais Il demeure en nous afin que nous
puissions le servir d'une manière qui Lui
soit agréable !
Il me semble que je devrais
être continuellement prosternée devant
une si grande condescendance du
Dieu-amour.
- Que la vie est grande et belle
pour ceux qui veulent Te servir !
- Que tu es gaie ! me disait une
fois un cousin.
- C'est que je suis heureuse,
heureuse ! il me semble que je ne pourrais
l'être davantage !
- Oui, tu en as l'air ! fit-il
pensivement.
- Ah ! non seulement l'air, mais
aussi la chanson, fis-je en riant.
En effet, que pourrais
désirer de plus ? Tout est en ordre dans le
passé, le sang de Christ a tout
effacé, pour le présent et pour
l'avenir j'ai un Père qui subviendra
à tous mes besoins spirituels et temporels.
Nous avons une vie de famille idéale,
des amis j'en ai plus que je n'en
mérite, je suis pleinement satisfaite de mon
sort.
Peut-être que je resterai
célibataire, mais si cela est la
volonté de Dieu pour moi, je m'y soumettrai
joyeusement. Le bonheur n'est pas exclusivement
dans le mariage. Les ménages heureux,
harmonieux sont si rares. Cela m'étonne
toujours de voir comme les hommes et les femmes
savent gâcher, parfois par simple
entêtement, les occasions de bonheur qu'ils
ont dans les mains. Il est vrai que j'aime tant les
petits enfants que parfois j'ai un vague regret en
voyant ceux de mes amies et en pensant que je
n'aurai jamais de ces petits bras autour du cou et
qu'aucune petite voix ne me dira
« maman ». Après tout,
pourquoi pas ? Un chat et un chien ne me
suffiraient jamais, je pourrais adopter plus tard
de pauvres petits sans parents. Le monde a tant
besoin d'amour, je trouverai toujours assez de
personnes, privées d'affection, à
aimer...
Un jeune homme venait chez mes
parents. Il me plaisait beaucoup et je crois que
cela était réciproque. Nous avions
les mêmes goûts et les mêmes
idées en fait de religion. Avant de laisser
courir mon coeur, un soir je me suis
sérieusement examinée et j'ai
demandé à Dieu ce que je devais
faire. La réponse vint aussitôt :
« Tu ne dois pas y
penser ! » En effet, peu
après, nos routes se
séparèrent et je ne le revis jamais.
Peut-être lui aussi avait-il demandé
à Dieu d'être guidé.
Que de souffrances seraient
épargnées si, avant que le coeur soit
engagé, afin qu'il puisse être
entièrement droit devant Dieu, nous
demandions toujours quelle est la volonté de
Celui qui connaît et qui sait ce qui nous
convient le mieux !
Un jour, maman me grondait parce que
je ne cherchais pas à me marier ; maman
ne peut me comprendre, dans sa famille on s'est
toujours marié très jeune et cela lui
semble presque une disgrâce d'avoir une
« vieille fille ». J'ai beau
essayer de la persuader qu'elle sera toute heureuse
de m'avoir pour la cocoler quand elle sera
âgée ou malade.
- Oui, oui, dit-elle, mais presque
toutes les vieilles demoiselles sont aigries et
font souffrir leur entourage !
- Mais non ! tu verras quelle
charmante petite vieille je serai, essayai-je de
lui dire.
Notre voisin, un vieil original,
vint à passer. Maman crut que c'était
du renfort pour elle :
- N'est-ce pas, monsieur Renard, que
ce n'est pas naturel de rester
célibataire ?
- Madame, que dit saint Paul ?
« Celui qui marie sa fille fait bien,
mais celui qui ne la marie pas fait
mieux »
I Cor. 7. 38.
Et moi de jubiler !
Une fois, une dame de pasteur
m'avait demandé de tenir un banc à
une grande vente de charité qui avait lieu,
dans un hôtel de la localité, un
dimanche et un lundi. Toute la contrée
semblait prise de folie : c'est pour
l'hôpital ! Pour l'hôpital... et
les personnes les plus sérieuses tournaient
en carrousel et s'amusaient tant et plus. Tout
était permis puisque le but était
bon. À la consternation de maman, je
refusai.
- Tu te crois donc meilleure que les
pasteurs ? dit-elle. Monsieur Renard, que
dites-vous de cela ? Grondez-la un peu
!
- Madame, il est dit :
« Tout ce qui n'est pas le produit d'une
conviction est péché. »
Romains 14. 23.
Cher vieux monsieur Renard !
que je lui suis reconnaissante de tenir pour
moi !
Il a bien changé ces derniers
temps, sa femme est morte et il dit qu'il doit
maintenant penser à
l'éternité.
Au commencement il ne m'aimait pas
beaucoup. C'est un homme très instruit, qui
a beaucoup voyagé. Plusieurs années,
il a fait du commerce en Chine, il a aussi
habité Paris, c'est là qu'il avait
fait la connaissance de sa femme. Il croyait
à l'évolution, ce qui donnait lieu
à de nombreuses prises d'armes. Beau
conteur, il était un Nemrod de
première force et, comme tel, aimait
à raconter des histoires souvent un peu
épicées, lesquelles, cela va sans
dire, n'étaient pas toujours de mon
goût.
Si je ne pouvais sortir, quand il en
commençait une, mon silence, ou mes yeux
indignés devaient lui en dire plus long que
des paroles ! Maintenant c'est tout autre
chose. Il se lève à quatre heures
chaque matin pour lire sa Bible et se plaît
à la citer à tout propos. Son amour
pour la Parole est vraiment sincère et nous
nous comprenons tout à fait bien.
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