Fictions ou
réalités?
CHAPITRE VII
Christ est-il Dieu ?
Qu'il me soit permis en commençant
ce chapitre sur la divinité de Christ de
rappeler la parole d'un homme
célèbre : « Si la vie
et la mort de Socrate sont d'un sage, a dit J.-J.
Rousseau, la vie et la mort de Jésus-Christ
sont d'un Dieu. »
Il est à peine
nécessaire de dire que dans l'étude
que nous commençons, je ne prétends
nullement élucider le difficile
problème de la nature divine ; je ne
veux pas parler de ce que l'Eglise a appelé
la Trinité, un Dieu unique en trois
personnes. Ce sont là des problèmes
insolubles pour notre raison bornée, et les
formules théologiques les rendent souvent
plus insolubles encore. Il me suffira de constater
les faits et d'en tirer la conclusion logique, en
laissant à d'autres le soin d'expliquer, au
point de vue philosophique, ce que ces faits
peuvent avoir d'étrange au premier abord. En
tout cas, je ne vois pas de quel droit, lorsqu'on
se trouve en face d'un problème
compliqué, on essaie de le résoudre
en supprimant l'un des
termes : couper les noeuds est une
manière de les dénouer, mais non pas
la meilleure. Quand un savant ne réussit pas
à concilier certaines expériences
contradictoires, il attend patiemment que la
lumière se fasse, il continuera ses
recherches, en se gardant bien de nier le
résultat possible de ces expériences,
sous prétexte qu'il ne s'accorde pas avec ce
qu'il connaît.
Or il est aujourd'hui une
théorie à la mode qui s'efforce de
résoudre le problème de la
divinité de Christ, et à laquelle
pourrait s'appliquer, me semble-t-il, la remarque
que je viens de faire. D'après cette
théorie, Christ ne serait pas divin par
droit de naissance, mais bien par droit de
conquête, il ne serait pas né Fils
unique de Dieu, il le serait devenu par sa
sainteté, c'est-à-dire sa victoire
complète sur le péché ;
en d'autres termes, sa divinité ne serait
pas essentielle, mais morale.
L'idée est
intéressante et certes elle vaut la peine
d'être examinée de très
près, car, nous l'avons vu, la
sainteté de Christ constitue le premier et
le plus grand des miracles, c'est le miracle par
excellence, celui dont découlent tous les
autres, et je suis persuadé, pour mon
compte, que l'on n'insistera jamais trop sur ce
fait extraordinaire. Mais de là à en
déduire la divinité du Sauveur, je ne
le puis pas, il me semble que c'est dépasser
les droits de la logique, car si réellement
tout être saint devenait par cela même
un être divin, le ciel serait peuplé
de dieux, puisque, d'après la Bible, il est
rempli de créatures
appelées anges, qui n'ont
jamais péché. Bien plus,
nous-mêmes nous serions destinés
à devenir des dieux, puisque nous sommes
tous appelés à être saints et
que tous les rachetés de Christ le seront
sûrement un jour. Mais alors le
problème ne se complique-t-il pas bien
davantage au moment même où l'on
voulait le simplifier ? Non, non, sous son
apparence spécieuse, la théorie que
nous signalons ne résout pas la
question ; il doit y avoir, il y a
certainement derrière la divinité de
Christ, autre chose que sa parfaite sainteté
et c'est cette autre chose que nous allons
rechercher ici.
Cela dit, faisons appel à
quatre témoignages successifs, dont
l'importance va croissant et qui forment autant de
cercles concentriques. Ces quatre
témoignages entendus, nous en examinerons
les conclusions, d'abord à la lumière
de la conscience, puis à celle de
l'expérience, enfin à celle de la
raison, pour chercher s'il n'y aurait pas une
explication aux faits constatés. Avant de
conclure, nous répondrons à deux ou
trois objections qui risquent de s'élever
dans l'esprit du lecteur en parcourant ces
pages.
Voici les quatre témoignages
sur la divinité de Christ.
Le premier, le plus
éloigné du centre, c'est celui de
l'histoire. À mesure que celle-ci se
déroule, à mesure que les
générations se succèdent sur
notre terre, la figure de Christ grandit et
s'impose de plus en plus. Et pourtant quelle
obscure origine ! Il appartenait au plus
méprisé des peuples, il vécut
dans une province d'Asie sans importance, il naquit
dans une bourgade de
Judée, passa son enfance dans un village
inconnu de Galilée ; il grandit au sein
de la plus modeste société, gagna sa
vie comme ouvrier pendant trente ans, puis
parcourut sa petite patrie en accomplissant
quelques guérisons, en prononçant
quelques discours, il réunit autour de lui
douze disciples sans culture, pour finir par une
mort ignominieuse, vraie catastrophe aux yeux de la
chair, déroute certaine au dire du monde. Il
est vrai que cet ouvrier charpentier
prononça quelques paroles extraordinaires
qui durent le faire considérer comme fou, il
s'écria un jour : « Je suis
la lumière du monde. Je suis la
vérité et la vie. Je suis la
résurrection. J'attirerai tous les hommes
à moi. » Mais ces paroles
semblaient d'autant plus étranges et
incompréhensibles que les apparences
étaient plus chétives.
Et voici que, en dépit des
moqueries et des haines, malgré la
formidable opposition qu'il souleva contre lui, ce
qu'il a dit est en voie de réalisation. Sa
figure grandit chaque jour et attire insensiblement
les regards de tous : les uns viennent
à lui pour le combattre avec une haine aussi
violente qu'aux premiers jours, les autres au
contraire pour l'adorer et le servir. Nul ne peut
rester indifférent en face de cette
personnalité unique dans l'histoire, elle
s'impose à tous, et tous doivent se
décider pour ou contre elle. Le
problème de la personne de Christ qui dans
le passé a déjà agité
tant d'esprits, devient, quoi qu'on dise et quoi
qu'on fasse, le problème central, que les
autres peuvent voiler mais dont
tous dépendent. Les hommes les plus
intelligents, les chrétiens les plus
ignorants et les moins doués, les riches
comme les pauvres sont les uns après les
autres obligés de se poser la grande
question vis-à-vis de Christ. Une
armée de missionnaires tous les jours
grandissante travaille avec ardeur à faire
connaître le charpentier de Nazareth et le
moment approche où nous verrons la
réalisation des paroles de
Jésus : « Il faut que la
bonne nouvelle soit prêchée à
toutes les nations
(Marc XIII, v. 10). Je le dis en
vérité, partout où cette bonne
nouvelle sera prêchée, dans le monde
entier, on racontera aussi en mémoire de
cette femme ce qu'elle a fait
(XIV. 3-9). Vous me servirez de
témoins à Jérusalem, dans
toute la Judée, dans la Samarie et jusqu'aux
extrémités de la terre
(Actes 1. v.
8). »
Comment s'expliquer des paroles
comme celles-là et surtout leur
réalisation à travers les
siècles, si l'humble fils de Marie n'est
qu'un fils d'homme comme tous les
autres ?
Quand un voyageur contemple pour la
première fois du fond de la vallée le
Mont-Blanc, ce géant de nos Alpes, il ne lui
semble pas extraordinairement
élevé : lunette en mains, il
suit sans peine du regard les caravanes qui en font
l'ascension. Aussi le sommet lui apparaît-il
très rapproché, c'est presque un jeu
d'enfant que de l'atteindre. Mais comme les
idées changent, quand ce même
voyageur, quittant la
vallée,se met à
son tour à gravir l'une ou l'autre des
montagnes avoisinantes ! Plus il monte, plus
le géant monte avec lui, et quand il a
atteint deux ou trois mille mètres, confondu
et comme écrasé par
l'immensité et par la hauteur vraiment
vertigineuse du Mont-Blanc, il le proclame roi des
Alpes.
De même lorsque le Christ
apparut sur la scène de l'histoire, les
contemporains, la plupart tout au moins,
s'imaginèrent être à sa
hauteur ; que dis-je ? un grand nombre se
crurent supérieurs, très
supérieurs à lui, c'étaient
les moins dignes et les moins capables de le
comprendre. Mais à mesure que les
générations se succèdent et
que l'homme s'efforce d'arriver à la hauteur
du Maître, à mesure aussi ce but
paraît plus inaccessible. Et ceux qui sont
montés le plus haut, ceux qui ont
réalisé ici-bas les plus grands
progrès dans la vie morale crient à
ceux qui les suivent que le sommet est infiniment
plus élevé qu'ils ne le
pensaient : ce sommet semble les fuir comme
l'infini devant le fini qui cherche à
l'embrasser.
Comment, je le demande aux lecteurs
sincères, s'expliquer un
phénomène pareil que tous peuvent
constater : Christ est un homme comme
nous ? En face d'un effet semblable. il doit y
avoir, il y a certainement une cause cachée,
proportionnée. C'est
précisément cette cause que nous
sommes en train de rechercher en étudiant
cette question : Christ est-il
Dieu ?
Je passe au second
témoignage, celui de l'Eglise. De tout
temps et dans tous les pays. l'Eglise, du
moins la grande majorité
de ses membres, a cru et croit encore que son Chef
est divin ; elle lui voue un culte, elle lui
offre une science qui n'est due qu'à Dieu.
Sur ce point, il y a un magnifique accord entre les
trois grandes fractions de l'Eglise
chrétienne. Bien plus la multitude des vrais
croyants à quelque milieu social qu'ils
appartiennent et quel que soit leur degré de
culture, prétend être actuellement et
partout en relations personnelles et intimes avec
le Christ ; tous les vrais croyants
reconnaissent la vérité de cette
parole de Jésus : « Je suis
le cep, vous êtes les sarments
(Jean XV, 5). » Tous
trouvent en lui force, joie, espérance, vie
en un mot ; et ce Christ leur est devenu
tellement nécessaire, que, si on le leur
enlevait, ils tomberaient dans le
désespoir ; ce serait leur enlever le
soleil qui les éclaire et les
réchauffe. C'est lui qui est l'inspirateur
de leurs actes comme de leurs paroles on de leurs
pensées. Il est tellement vivant en eux que
l'on a pu dire que si les Évangiles
disparaissaient par un cataclysme impossible
à prévoir ou par le fait de la
critique moderne, Jésus n'en resterait pas
moins la source jaillissante de la vie des
croyants.
Le Christ est si bien devenu tout
pour eux qu'un grand nombre ont accepté de
tout souffrir pour lui ; non seulement ils ont
joyeusement quitté patrie, amis, famille,
position pour le suivre, mais des milliers ont
donné sans hésiter leur vie quand le
Maître l'a demandée et, pour le faire,
ils ont dû traverser les
souffrances les plus terribles,
les supplices les plus cruels. Et cela non
seulement au début de l'ère
chrétienne, mais à toutes les
époques, mais aujourd'hui encore, comme le
prouvent les événements
récents de l'Extrême-Orient dans
lesquels, paraît-il, 22 à 25.000
chrétiens chinois ont accepté
joyeusement de donner leur vie pour rester
fidèles à celui qu'ils
considéraient comme leur Roi.
Je le demande de nouveau à
mes lecteurs : Est-il concevable que
Jésus-Christ inspire de tels enthousiasmes,
qu'aujourd'hui encore, après dix-neuf
siècles, il soit aussi vivant dans le coeur
de ses disciples, s'il n'est qu'un homme ? N'y
a-t-il pas dans ce phénomène un fait
qui dépasse infiniment la nature
humaine ?
Troisième
témoignage : celui des premiers
disciples, des apôtres surtout.
Voilà des hommes qui, derrière
l'apparence chétive de l'homme de douleur,
ont su pourtant si bien découvrir
l'Homme-Dieu, qu'ils se sont livrés à
lui corps et âme, acceptant de sa bouche un
enseignement qui bouleversait toutes leurs
idées. Monothéistes convaincus, eux
pour qui l'unité de Dieu était le
plus sacré des dogmes, ils n'ont pas craint
de proclamer en Christ l'égal du Dieu
d'Israël. Sans hésiter le juif Matthieu
applique à Jésus la prophétie
antique sur le nom du Messie : « Il
sera appelé Emmanuel, ce qui signifie Dieu
avec nous
(Matth. I, v. 23). »
Pierre dit à
Jésus : « Tu es le Christ, le
Fils du Dieu vivant
(XVI, v. 16) » ; et il
termine son discours le jour de Pentecôte en
s'écriant : « David a
écrit de Christ : Le Seigneur a dit
à mon Seigneur : Assieds-toi à
ma droite, jusqu'à ce que je fasse de tes
ennemis ton marchepied. Que toute la maison
d'Israël sache donc avec certitude que Dieu a
fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous
avez crucifié
(Actes II, 34 à
36). »
Quant à Jean, celui qui est
entré le plus avant dans l'intimité
du Maître, il commence ainsi son
Évangile : « Au commencement
était la Parole et la Parole était
avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle
était au commencement avec Dieu. Toutes
choses ont été faites par elle, et
rien de ce qui a été fait n'a
été fait sans elle. En elle
était la vie et la vie était la
lumière du monde... La Parole a
été faite chair, et elle a
habité parmi nous, pleine de grâce et
de vérité ; et nous avons
contemplé sa gloire, une gloire comme la
gloire du Fils unique venu du Père
(Jean I, v. 1 à 4,
14). »
L'apôtre Thomas reconnaissant
Jésus ressuscité n'hésite pas
un instant à s'écrier :
« Mon Seigneur et mon Dieu
(XX. v.
28) ! »
Paul, aux yeux de qui Jésus
n'avait d'abord été qu'un
infâme imposteur, après avoir
été vaincu par le Christ sur le
chemin de Damas, est tellement persuadé de
son caractère divin qu'il ose écrire
ce qui suit : « Je regarde toutes
choses comme une perte à
cause de l'excellence de la
connaissance de Jésus-Christ mon Seigneur,
pour lequel j'ai renoncé à tout, et
je les regarde comme de la boue, afin de gagner
Christ (Phil. III, 8). Christ existant en forme de
Dieu. n'a point regardé comme une proie
l'égalité avec Dieu, mais il s'est
dépouillé lui-même... C'est
pourquoi Dieu l'a souverainement
élevé, et lui a donné le nom
qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de
Jésus tout genou fléchisse dans les
cieux, sur la terre et sous la terre, et que toute
langue confesse que Jésus-Christ est
Seigneur à la gloire de Dieu le Père
(Phil, II, v. 6 à
11).
« Christ est l'image du
Dieu invisible, le principe de toute
créature. Car en lui ont été
créées toutes les choses qui sont
dans les cieux et sur la terre, les visibles et les
invisibles, trônes, dignités,
dominations, autorités. Tout a
été créé par lui et
pour lui. Il est avant toutes choses et toutes
choses subsistent en lui. Dieu a voulu que toute
plénitude habitât en lui
(Col. I, v. 14 à
19)
« En lui habite
corporellement toute la plénitude de la
divinité. Vous avez tout pleinement en lui,
qui est le chef de toute domination et de toute
autorité
(Col. Il v. 9 et 10).
« Que la grâce du
Seigneur Jésus-Christ, l'amour de Dieu, et
la communication du Saint-Esprit, soient avec vous
tous
(2 Cor. XIII,
13) ! »
Et l'auteur de l'épître
aux Hébreux, sans doute
Juif converti, comme le prouve
sa connaissance de l'Ancien Testament, écrit
au début de sa lettre :
« Christ est le reflet de la gloire de
Dieu et l'empreinte de sa personne ; il
soutient toutes choses par sa parole
puissante ; aussi est-il devenu d'autant
supérieur aux anges qu'il a
hérité d'un nom plus excellent que le
leur. Car auquel des anges Dieu a-t-il jamais
dit : Tu es mon Fils, je t'ai engendré
aujourd'hui ? et encore : Je serai pour
lui un père et il sera pour moi un fils. Et
lorsqu'Il introduit de nouveau dans le monde le
premier-né, il dit : Que les anges de
Dieu l'adorent !... Il dit au Fils : Ton
trône, ô Dieu, est
éternel ; ... ton Dieu, ô Dieu,
t'a oint d'une huile de joie, par privilège
sur tes collègues. Et encore : Toi,
Seigneur, tu as au commencement fondé la
terre, et les cieux sont l'ouvrage de tes
mains ; ils périront, mais tu
subsistes... tu restes le même, et tes
années ne finiront point
(Hébr. I, v. 1 à
14). »
Étienne, le premier martyr,
au moment où ses bourreaux le lapidaient,
prie ainsi : « Seigneur
Jésus, reçois Mon esprit ! Puis,
s'étant mis à genoux, il
s'écria d'une voix forte : Seigneur, ne
leur impute pas ce péché
(Actes VII, v. 59 et
60) ! » Il demande donc à
Christ, ce que Christ lui-même avait
demandé au Père et ce que Dieu seul
peut donner.
Il n'est pas jusqu'aux ennemis qui
rendent eux aussi leur témoignage à
Jésus-Christ : le centenier romain, qui
avait assisté à la mort du Sauveur,
s'écrie en se frappant la
poitrine : « Certainement cet homme
était Fils de Dieu
(Matth. XXVII, v. 54). »
Enfin, à plusieurs reprises, les
démoniaques proclament la divinité de
Christ : il semble qu'il y ait en eux une
puissance qui les pousse, comme malgré eux,
à avouer quel est ce personnage
mystérieux : « Qu'y a-t-il
entre nous et toi, Fils de Dieu ?
s'écrient-ils. Es-tu venu ici pour nous
tourmenter avant le temps
(Matth. VIII, v.
29) ? »
Que le lecteur impartial juge
lui-même : est-il possible d'expliquer
un pareil témoignage et une unanimité
aussi complète à le proclamer Fils de
Dieu, chez ceux qui le connurent intimement, s'il
n'y a pas autre chose en Christ que son
caractère humain ? Un homme
mérite-t-il de tels
honneurs ?
J'en viens au quatrième
témoignage, celui de Jésus-Christ
lui-même ; si je l'ai gardé
pour la fin, c'est que c'est de beaucoup le plus
important et l'argument décisif. S'il est
quelqu'un qu'il s'agit d'interroger dans un
semblable débat, c'est bien le Christ, car,
mieux que personne, il doit savoir ce qu'il est. Or
les déclarations du Sauveur sont
innombrables et décisives selon nous. Il est
vrai que, de préférence, il se
désigne comme le Fils de l'homme, car il ne
voulait pas imposer aux autres la conviction qu'il
avait de son caractère divin ; il
voulait les y laisser arriver par eux-mêmes,
par le témoignage intérieur,
persuadé que leur foi serait alors autrement
plus solide et plus efficace. Mais chaque fois
qu'il rencontrait chez ses
disciples la conviction de son caractère
divin, il en tressaillait de joie, preuve en soit
ce qu'il dit à Pierre ou à Thomas
après leurs exclamations pleines de
foi : « Tu es heureux, Simon, fils
de Jonas ; car ce ne sont pas la chair et le
sang qui t'ont révélé cela,
mais c'est mon Père qui est dans les cieux
(Matth. XVI, v. 17).
« Parce que tu m'as vu, Thomas, tu as
cru. Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru
(Jean XX, v.
29). »
Rappelons encore quelques-unes des
déclarations les plus importantes du
Sauveur, je ne cite que les plus
catégoriques :
« Tout ce que le
Père fait, le Fils aussi le fait
pareillement
(Jean V, 19). Toute puissance m'a
été donnée dans le ciel et sur
la terre
(Matth. XXVIII,
18). »
S'il a la toute-puissance qui
n'appartient qu'à Dieu, il a aussi la
toute-présence que Dieu seul
possède : « Je suis avec vous
tous les jours jusqu'à la fin du monde
(Matth. XXVIII, 20). Là
où deux ou trois sont assemblés en
mon Nom, je suis au milieu d'eux
(Matth. XVIII,
20). »
Il est éternel comme
Dieu : « Maintenant donne-moi,
Père, la gloire que j'avais auprès de
toi avant que le monde fût fait
(Jean XVII, 5). En
vérité je vous le dis : Avant
qu'Abraham fût, je suis
(Jean VIII,
58). »
En conséquence, il
réclame pour lui les honneurs mêmes
qui sont dûs à Dieu, et l'on sait
pourtant s'il était humble et
dépréoccupé de
lui-même : « Que
tous honorent le Fils comme ils
honorent le Père. Celui qui n'honore pas le
Fils, n'honore pas le Père qui l'a
envoyé
(Jean V, 23).
« Celui qui aime son
père ou sa mère plus que moi n'est
pas digne de moi. Celui qui aime son fils ou sa
fille plus que moi n'est pas digne de moi. Celui
qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera
(Matth. X,
37-39). »
Il éclaire le monde :
« Je suis la lumière du
monde ; celui qui me suit ne marchera pas dans
les ténèbres, mais il aura la
lumière de la vie
(Jean VIII,
12). »
Il est comme Dieu la source de la
vie, tandis que nous, nous ne sommes que des canaux
de cette vie : « Comme le
Père a la vie en lui-même, ainsi Il a
donné au Fils d'avoir la vie en
lui-même
(Jean V, 26).
« Je suis la
résurrection et la vie. Celui qui croit en
moi vivra quand même il serait mort. Et
quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais
(Jean XI, 25 et 26).
« La volonté de mon
Père, c'est que quiconque voit le Fils et
croit en lui ait la vie éternelle ; et
je le ressusciterai au dernier jour
(Jean VI, 40). »
Aussi le Fils possède tout ce
que le Père possède « Tout
ce que le Père a est à moi
(Jean XVI, 15).
« Le royaume de Dieu c'est
son royaume ; il est le Roi
(Jean XVIII, 36-37) ; il sera
bientôt le Juge
(Matth. XXV,
31). »
L'Eglise chrétienne a
maintenu fidèlement les deux sacrements du
baptême et de la Sainte-Cène
institués par le
Maître ; or le premier est
accompagné de cette formule, que tous
répètent sans toujours admettre la
divinité qu'elle implique cependant :
« Je te baptise au nom du Père, du
Fils et du Saint-Esprit. » Christ ose
donc se placer ici entre le Père et le
Saint-Esprit, et il veut que de siècles en
siècles l'Eglise proclame qu'il occupe cette
position absolument unique. Or on sait combien il
avait blâmé Jacques et Jean qui
avaient demandé d'être assis à
sa droite et à sa gauche dans le ciel. Il
faut donc bien que le Christ soit infiniment
au-dessus de nous, car nous serions
scandalisés si une créature,
même supérieure, eût
prétendu à cette place. Qu'on se
représente saint Paul ou saint Jean nous
disant de baptiser au nom du Père, de Paul
ou de Jean et du Saint-Esprit ! Et quant
à l'institution de la Cène, que
signifie-t-elle, sinon que Christ se communique de
siècles en siècles, de
générations en
générations, à tous ceux qui
veulent bien entrer en rapport avec lui ?
À dix-neuf siècles de distance, nous
pouvons donc recevoir Christ en notre âme, au
même titre que notre corps s'assimile un
morceau de pain ou une goutte de vin ! Quelle
prétention !
Je termine cette
énumération déjà bien
longue par la déclaration formelle de
Jésus au moment de sa condamnation. En face
de la mort, toute créature humaine s'efforce
de dire la vérité et de la dire
seule, surtout quand ce qu'elle va dire peut avoir
une influence décisive sur son sort. Or
tandis que Jésus comparaissait devant le
sanhédrin, accusé par de
faux témoins qui ne
parvenaient pas à se mettre d'accord, le
souverain sacrificateur, prenant la parole, lui
dit : « Je t'adjure par le Dieu
vivant de nous dire si tu es le Christ, le Fils de
Dieu. » Jésus lui
répondit : « Tu l'as dit. De
plus, je vous le déclare, vous verrez
désormais le Fils de l'homme assis à
la droite de la puissance de Dieu, et venant sur
les nuées du ciel. Alors le grand
prêtre déchira ses vêtements,
disant : Il a blasphémé !
Qu'avons-nous encore besoin de
témoins ? Voici, vous venez d'entendre
son blasphème. Que vous en semble ? Ils
répondirent : Il mérite la mort
(
Matth. XXVI, 63 à
66). »
La cause légale de la mort du
Christ a donc été uniquement le fait
qu'il s'est déclaré Fils de Dieu, non
pas comme nous le sommes tous, mais d'une
manière absolument unique. Or d'après
la loi « quiconque blasphémait
contre le nom de Dieu méritait la mort
(Lév. XXIV, 16) » et
c'était un blasphème de se dire
l'égal de Dieu, son Fils unique partageant
son pouvoir et sa gloire. De sorte que, en face de
cette déclaration du Christ, nous nous
trouvons devant ce dilemme
solennel :
Ou bien il a dit vrai, il est bien
réellement le Fils unique de Dieu, il
mérite l'adoration comme Dieu, et alors les
Juifs ont eu tort de le mettre à mort ;
ses bourreaux sont d'odieux meurtriers qui ont
commis le pire des crimes, le crime de
lèse-divinité. Le devoir des
disciples de Christ est donc de le justifier
à la face du monde en lui
disant comme Thomas : Mon Seigneur et mon
Dieu ! et en lui consacrant toute leur
vie.
Oui bien, au contraire, le Christ a
dit faux, il n'est pas le Fils unique de Dieu, il
ne mérite pas l'adoration comme Dieu :
que mérite-t-il donc ? Les Juifs nous
le disent : La mort par la croix. Car c'est un
illuminé, un fou, le plus dangereux de tous,
puisqu'il se proclame Dieu, ignorant tant sa propre
nature que celle de Dieu, et il risque
d'entraîner et de fanatiser les foules.
À moins que ce ne soit l'être le plus
ambitieux de l'histoire, qui tente de
détrôner Dieu et de renverser avec
Dieu toute autre autorité que la sienne
propre. Il faut donc approuver ses bourreaux, du
moins dans leur acte de condamnation, car ils nous
ont débarrassé d'un extrême
péril. Comment, quand on croit cela,
s'appeler encore disciple du Christ, et surtout
comment monter en chaire pour proclamer devant le
monde un ambitieux qui a mérité la
mort, ou un fou qu'il faudrait
enfermer ?
Voilà pourquoi l'étude
approfondie de la vie et du caractère de
Jésus-Christ oblige la conscience morale
à s'incliner et à dire :
Certainement cet homme était plus qu'un
homme ; cet homme était, cet homme fait
chair, ne pouvait être qu'un Dieu.
Et la conscience parlera ainsi
d'autant plus haut qu'elle sera plus pure et plus
morale ; elle s'est toujours en effet
révoltée devant la conduite d'un
Hérode, se laissant adorer par la foule en
délire :
« Voix d'un Dieu et non
d'un homme
(Actes XII, 22) ! »
tandis qu'elle applaudit à la protestation
indignée d'un saint Paul déchirant
ses vêtements, parce que la population de
Lystre le prenait pour une divinité et
s'apprêtait à lui offrir des
sacrifices
(Act. XIV, 14) ; elle approuve
l'ange de l'Apocalypse, qui, surprenant à
son égard un mouvement d'adoration chez
l'apôtre Jean, lui dit :
« Garde-toi de le faire ! Je suis
ton compagnon de service, celui de tes
frères les prophètes, et de ceux qui
gardent les paroles de ce livre. Adore Dieu
(Apoc. XXII,
9). »
La conscience, en d'autres termes,
considère comme un péché de
toute gravité le fait de dérober
à Dieu une gloire qui ne revient qu'à
Lui. Or, comme elle n'a découvert en Christ
aucune faiblesse, elle ne peut lui attribuer le
crime de lèse-divinité, elle accepte
donc avec respect le mystère de
l'incarnation et proclame Dieu celui qui s'est
laissé appeler de ce nom.
Et voici que bientôt, au
verdict de la conscience, vient s'ajouter celui de
l'expérience intime qui est à la
portée de chacun. Comment se fait-il donc
que tant de millions d'hommes de toutes
catégories se déclarent prêts
à saluer Jésus pour leur Seigneur et
leur Maître ? C'est qu'ils ont
constaté son autorité divine en face
de trois faits de première importance :
le péché, la vie, la mort.
Pendant de longues années
peut-être, ils ont souffert
profondément de se sentir
coupables devant Dieu et devant leur conscience.
Tandis qu'ils progressaient dans la connaissance
d'eux-mêmes, le poids de leurs
péchés leur a paru de plus en plus
écrasant. Ils ont souvent essayé de
le secouer ou d'expier leurs fautes. Tout a
été vain ; le poids a
augmenté en raison même de leurs
efforts. Enfin ils ont rencontré sur leur
chemin la figure douce et sympathique du Christ,
ils l'ont entendu leur dire :
« Venez à moi vous tous qui
êtes travaillés et chargés et
je donnerai le repos à vos âmes.
Va-t'en en paix, tes péchés te sont
pardonnés. » Et comme ils
n'osaient croire à ce qu'ils entendaient,
comme ils n'osaient croire à leur bonheur,
le Seigneur leur a montré ses mains, ses
pieds, son côté percés pour eux
et leur a dit que dans ses meurtrissures se
trouvaient le pardon et la guérison. Alors,
comme des enfants, ils ont cru tout simplement, et
leur vie a été
transformée : ils ont commencé
à respirer, car le poids énorme qui
opprimait leur coeur avait entièrement
disparu.
Or quand un homme vous offre le
pardon de Dieu, c'est qu'il est plus qu'un homme,
car Dieu seul a le droit de pardonner les
péchés, et quiconque, après
avoir confessé ses fautes, a connu par
expérience le pardon que donne le Christ, ne
peut plus voir en lui un homme ordinaire : le
don est trop divin pour que le donateur ne soit pas
divin aussi. Les adversaires de Jésus ne s'y
trompèrent pas quand ils entendirent
Jésus dire au paralytique « Tes
péchés sont
pardonnés », ils
murmurèrent, disant que
Dieu seul avait le droit de pardonner les
péchés. Et il faut avouer qu'ils
avaient parfaitement raison.
Mais il y a plus : la plupart
des croyants ont fait une autre expérience
morale du Christ-Sauveur, qui les a convaincus
davantage encore, s'il est possible : ils se
sont aperçus que Jésus
possédait non seulement la puissance de
pardonner le péché, mais encore celle
de le détruire. Ils avaient autrefois de
terribles habitudes dont ils étaient
esclaves ; longtemps ils essayèrent,
hélas ! en vain, de s'affranchir, ils
n'y parvenaient pas, plus ils faisaient d'efforts,
plus ils se sentaient liés,
désespérément vaincus. Et
voici que tout a changé depuis le jour
où, ne comptant plus sur eux-mêmes,
ils apportèrent leurs chaînes au
Christ, en le suppliant de les affranchir. Sans
être encore parfaits, ils ont reçu de
lui une force, un secours tel que le
péché leur est apparu vaincu. Cette
expérience leur a fait découvrir en
Christ plus et mieux qu'un modèle
parfait : un principe de vie sainte et pure
qui ne peut venir que de Dieu. Ce qu'il y a de
remarquable, c'est que plus ils ont fait
l'expérience de leur faiblesse et de la
puissance de Satan, leur ancien tyran, plus ils ont
été convaincus de l'infinie grandeur
de leur Libérateur. En d'autres termes,
c'est sur une base morale, toute
d'expérience, qu'est fondée leur
certitude concernant le caractère divin du
Christ ; tant il est vrai que la question du
péché est la clef de toutes les
autres et que plus un homme croit à sa
réalité tragique et douloureuse,
moins il a de peine à
saluer en Christ son Dieu-Sauveur.
Nous pouvons donc aujourd'hui
encore, après dix-huit siècles, faire
une expérience analogue à celle dont
parlent les Évangiles, qui mettent dans la
bouche des démoniaques ces mots :
« Qu'y a-t-il entre nous et toi, Fils de
Dieu ? Es-tu venu ici pour nous tourmenter
avant le temps ? » Les puissances
diaboliques qui appartiennent au monde invisible
reconnaissent donc que le Christ a même sur
elles une autorité souveraine, et chaque
fois qu'un disciple du prophète de Nazareth
veut se confier pleinement en lui pour obtenir la
délivrance du mal, il constate
qu'effectivement Jésus règne dans ce
domaine comme dans les autres. Voilà
pourquoi, par une expérience toute
personnelle, il arrive, lui aussi, à saluer
en Christ plus et mieux qu'un être
humain : le Dieu fait chair dont sa conscience
a besoin.
Mais il est un autre fait, capital
lui aussi, accessible aux chrétiens de tous
les temps : depuis qu'ils l'ont
rencontré et qu'ils ont trouvé en lui
le pardon et la délivrance, ils ont compris
qu'ils devaient lui donner toute leur vie, cette
vie ne leur appartient plus, lui seul en doit
être le Maître, lui seul y a des
droits, puisqu'il l'a rachetée. Aussi
n'ont-ils pas hésité à placer
sous son contrôle leur activité jusque
dans ses moindres détails. Et
désormais leur vie a un but, elle a une
valeur ignorée autrefois, elle est devenue
réellement digne d'être vécue.
Dorénavant les disciples du Christ sont
résolus à vivre pour lui et à
le servir jusqu'à leur
dernier soupir. Quoi d'étonnant qu'à
la suite de cette expérience, le Christ leur
apparaisse infiniment plus grand qu'un homme
ordinaire ? Ce n'est donc pas en vertu d'une
argumentation métaphysique ou philosophique
qu'ils sont arrivés à croire à
la divinité de leur Maître ; ils
n'ont peut-être jamais discuté ni
réfléchi philosophiquement parlant
sur ce sujet ; cette divinité est la
conséquence d'une expérience
profonde : comment ne pas y croire puisque le
Christ est devenu tout pour eux ?
Enfin, il est un troisième
fait capital, c'est l'expérience que, en
face de la mort, les chrétiens font de la
puissance et de la présence de Christ.
Tandis qu'autrefois elle était
considérée comme le roi des
épouvantements, tandis que jadis l'homme se
sentait seul au moment d'entrer dans la sombre
vallée et que souvent il tremblait en s'en
approchant, aujourd'hui qu'il a rencontré
Christ et qu'il s'est donné à lui
tout entier, cette crainte a disparu. Oh !
certes, il aime encore la vie terrestre et il ne
souhaite pas toujours la voir cesser, mais quand il
envisage la perspective du départ, c'est
sans amertume, sans désespoir, que
dis-je ? c'est avec douceur, c'est rempli
d'une espérance suprême, car il sait
que Jésus a vaincu la mort comme le
péché, il sait que Jésus
« qui était mort, est vivant aux
siècles des siècles et qu'il tient
les clefs de la mort et du séjour des morts
(Apoc. I, 18). » Il ne sera
donc pas seul à cette heure
solennelle. Christ sera
là près de lui, comme il est
près de tous ceux qui l'invoquent,
fût-ce même au moment de quitter cette
vie. Puisque Christ est le même de l'autre
côté du voile, il peut s'endormir
tranquille dans les bras de son Sauveur ; il
peut dire comme Paul : « Christ est
ma vie et la mort m'est un gain. Il m'est
avantageux de mourir pour être avec Christ
(Phil. I, 21, 23). » Ou
encore, comme Étienne, le premier
martyr : « Seigneur Jésus,
reçois mon esprit
(Actes VII, 60). » Or une
expérience semblable qui se
répète de siècle en
siècle par des milliers et des millions
d'êtres de tous pays et de toutes conditions
est une démonstration de la divinité
de Jésus-Christ plus convaincante que tous
les raisonnements théologiques; elle ne peut
s'expliquer que par le caractère divin du
Sauveur, elle devient une rêverie, elle est
un mensonge, presque un blasphème, si Christ
est un homme comme un autre, disparu depuis
longtemps de la surface de la terre.
Je reconnais que les pages qui
précèdent, se rapportant à des
expériences personnelles, n'ont
peut-être pas grande valeur au point de vue
de la logique pure, elles ne convaincront jamais
quelqu'un qui ne veut pas croire, parce qu'il n'a
pas fait lui-même ces
expériences : ces dernières
étant à la portée de chacun,
elles n'en ont que plus d'importance dans ce
domaine, la raison pure ne pouvant jamais à
elle seule atteindre à une certitude.
Et cependant je m'empresse d'ajouter
que pour celui qui réfléchit,
même au point de vue de la raison, il y a des
motifs de croire à la divinité de
Christ, qui ne sont certes pas à
dédaigner. Ceci m'amène à
examiner cette question à la lumière
de l'intelligence ; la conscience, puis
l'expérience ont parlé,
écoutons maintenant la voix de la
raison.
Avant tout, j'avoue qu'au point de
vue intellectuel, la divinité de Christ est
un mystère, un grand mystère que,
probablement, ici-bas, nous ne comprendrons jamais
tout à fait ; je me demande même
si le mystère ne grandira pas à
mesure que nous nous en approcherons davantage, en
vertu même de son objet : le Christ,
être infini, puisque divin. Mais il n'y a pas
là pour nous de motif à rejeter ce
fait parce qu'il demeure obscur. Nous sommes tout
environnés de mystères ; au fond
tout est obscurité dès que nous
réfléchissons, la vie comme la mort,
la plante comme l'animal, le corps de l'homme, son
âme et surtout les rapports entre l'un et
l'autre ; nous ne nous connaissons pas
nous-mêmes et nous prétendrions
connaître Dieu ? Nous sommes pour
nous-mêmes un perpétuel
problème et nous voudrions comprendre
parfaitement la personne du Christ qui se
présente à nous à la fois
divine et humaine ? Mais comment ne
comprend-on pas que l'élément
même du mystère, ainsi que l'a dit
Pascal, augmente notre confiance, car il est une
preuve de la vérité du fait. Si tout
à coup, comme par magie, disparaissait le
mystère qui entoure la
personne du Christ, il y aurait lieu de nous
étonner et surtout de nous défier
très sérieusement. « Le
mystère de piété est grand,
dit l'apôtre : Christ manifesté
en chair
(1 Tim, III,
16). »
Mais je me hâte d'ajouter que
ce mystère n'a rien, ne doit rien avoir de
contraire à la raison, tant au point de vue
de la nature divine qu'à celui de la nature
humaine. Dieu n'est-Il pas tout-puissant ? Ne
peut-Il pas faire ce que bon lui semble ? De
quel droit oserait-on limiter son pouvoir et lui
dire : Tu iras jusqu'ici, mais tu n'iras pas
plus loin ? En même temps, Dieu est
amour, amour infini, amour parfait. Or l'essence de
l'amour, ce qui le constitue, c'est le don de soi.
Aimer c'est se donner, et se donner parfaitement,
c'est aimer à la perfection. Le Dieu
tout-puissant, qui est amour, ne pouvait-Il donc
s'incarner dans un être humain pour accomplir
le salut de sa créature tombée ?
Le Fils unique du Père s'est fait chair, la
Parole divine s'est incarnée pour se donner,
le Christ éternel est entré dans le
temps par amour pour les pécheurs, y a-t-il
là quelque chose de
déraisonnable ?
D'autre part, la nature humaine nous
apparaît comme indéfiniment
perfectible ; on ne peut pas dire d'elle
qu'elle ira jusqu'à un certain point et
qu'il lui sera interdit de le jamais
dépasser. Si donc le Dieu infini petit, par
amour, s'abaisser infiniment et que, d'autre part
l'homme fini a la capacité de
s'élever
indéfiniment, ne peut-on
pas concevoir un point de rencontre entre le Dieu
qui se dépouille et l'homme qui se
revêt ? Or ce point de rencontre existe,
c'est précisément le Christ-Sauveur,
qui n'est compréhensible que s'il est
à la fois Homme et Dieu.
Ce mystère de l'incarnation
qui n'a rien de déraisonnable est
nécessaire à cause même de
l'oeuvre que le Christ est venu accomplir, une
oeuvre de médiation ; il est le grand
médiateur, le seul parfait
intermédiaire entre l'homme et Dieu. Or pour
être un médiateur entre deux
êtres, il faut appartenir à l'un et
à l'autre. Si le Christ n'avait
été qu'un homme, il aurait bien pu
être notre représentant devant Dieu,
il lui eût été impossible
d'être le représentant de Dieu
auprès de nous, et par là même
son oeuvre de médiateur n'eût pu
être accomplie. Avant de réconcilier
l'homme et Dieu en dehors de lui dans le monde, il
les a réconciliés pleinement en
lui-même. Mais pour cela, il faut admettre
les deux termes du problème et se garder,
sous prétexte de difficultés, de
vouloir le simplifier par la suppression de l'un
des termes : la divinité du Christ.
OBJECTIONS.
Avant de terminer cette étude, il ne sera
sans doute pas inutile de répondre à
trois objections qui se seront peut-être
élevées dans l'esprit de mes
lecteurs.
Pourquoi, se seront-ils dit tout
d'abord, si le Christ est réellement un
être d'essence divine, son
oeuvre se fait-elle si
lentement ?
Pourquoi son règne est-il
encore si peu répandu sur la terre ?
Pourquoi le Prince de ce monde a-t-il encore tant
de pouvoir et paraît-il par moments
l'emporter sur son adversaire ?
Dernièrement encore j'entendais des
socialistes proclamer bien haut dans une
conférence publique que le christianisme
avait échoué, après avoir tout
essayé en vain.
L'objection est grave, et nous
sommes les tout premiers à reconnaître
que l'état actuel du monde est de nature
à nous troubler et à nous faire
douter de l'Évangile. Mais aussi n'oublions
pas que nous sommes ici dans le domaine de la
liberté, si réellement en Christ nous
avons affaire à un Dieu ; le Christ
laisse actuellement les hommes libres d'adopter ou
de rejeter son autorité ; il leur a
confié le soin de proclamer son nom
jusqu'aux extrémités de la
terre ; mais il se garderait bien de les y
forcer et de les tourmenter. car il veut un peuple
de libre de franche volonté. Il y a
longtemps que la terre lui serait soumise si
l'effort missionnaire des trois premiers
siècles de notre ère et du XIX, avait
été ininterrompu dans
l'histoire.
Et puis, ne l'oublions pas, si
Christ est Dieu, il est éternel, son
règne est éternel comme lui ;
« mille ans sont, à ses yeux,
comme un jour, » il a le temps et il
diffère en ceci des souverains de la terre
ou même de son grand adversaire qui se
hâte et se démène,
« sachant qu'il a peu de
temps. » Pourquoi Jésus-Christ
s'agiterait-il ? Il a l'éternité
pour lui, il sait que tôt
ou tard la victoire, une victoire complète,
lui est assurée. Il l'a du reste
annoncé dans plus d'une parole : le
levain doit faire lever peu à peu toute la
pâte, la semence doit croître lentement
et devenir un grand arbre, le voyage qu'entreprend
le Roi est un lointain voyage, l'Époux doit
tarder à venir. Il va même
jusqu'à se demander s'il trouvera encore de
la foi sur la terre quand il
reviendra !
Ainsi donc cette objection de la
lenteur des progrès du royaume de Christ
peut même se tourner en sa faveur.
Il y a plus : si le
règne de Christ n'est pas encore venu sur la
terre, c'est plus aux disciples qu'au Maître
qu'il faut s'en prendre : avouons-le
franchement, sauf de magnifiques exceptions, le
Christ est mal, très mal servi par ses
Églises. Celles-ci donnent bien souvent au
monde de tristes spectacles, je crois même
que les représentants du christianisme lui
ont fait plus de mal que ses ennemis. J'irai plus
loin et je dirai qu'il est extraordinaire qu'avec
d'aussi faibles et misérables instruments,
le Christ ait obtenu dans le monde de pareils
succès et je comprends cet incrédule
du moyen âge qui, s'étant rendu
à Rome pour étudier le christianisme
au centre même de l'Église
chrétienne, fut tellement
étonné, bouleversé,
scandalisé par les horreurs qu'il vit dans
la capitale du monde chrétien, qu'il se
convertit immédiatement, pensant qu'une
religion aussi mal servie, à ce point
déshonorée, devait être divine,
pour pouvoir, malgré cela, subsister sur la
terre. Il y a longtemps, se
dit-il, que de pareilles abominations l'auraient
fait disparaître si son fondateur
n'était pas un Dieu.
Cette objection peut donc être
retournée contre ceux qui la font :
pour peu qu'ils veuillent bien sonder leur propre
coeur et celui de leurs semblables, ils pourront
sans peine deviner ce que serait devenu le monde si
le Christ divin n'avait pas déjà, en
une réelle mesure, enrayé le
mal.
Voici la seconde objection que je
tiens à signaler :
Si Christ est Dieu, il
devient un être trop élevé
au-dessus de nous pour rester encore notre
modèle.
C'est un Christ surhumain,
métaphysique, que nous ne pourrons plus
appeler notre frère et que nous ne pourrons
jamais imiter. Le fini ne doit pas se comparer
à l'infini, faire de Christ un être
infini, c'est nous l'enlever et nous laisser seuls
dans le désert que nous devons traverser
ici-bas.
Je comprends cette objection, et je
confesse de mon côté que, si la
divinité de Christ faisait disparaître
son humanité et qu'il me fallût
choisir entre l'une et l'autre, je choisirais son
humanité, car moi aussi je réclame un
Christ tout près de moi, un Christ qui me
ressemble et surtout auquel je puisse avec son
secours ressembler un jour. Il me faut un Christ os
de mes os et chair de ma chair, qui me comprenne,
auquel je puisse tout dire, qui pleure avec moi,
qui travaille, se réjouisse, souffre, lutte,
meure avec moi, un Christ véritable Fils de
l'homme, mon frère en un
mot. Mais je ne crois pas que ce Christ humain soit
en contradiction avec le Christ divin, les opposer
l'un à l'autre c'est oublier que l'homme a
été créé à
l'image de Dieu et que plus il sera semblable
à Dieu, plus, autrement dit, il sera divin,
plus il sera homme dans le vrai, dans le plein sens
du mot. Et puis c'est précisément
parce qu'il me faut un Christ humain, vivant
près de moi, que ce Christ doit être
assez puissant, assez infini pour pouvoir
être partout en même temps ; il me
faut un homme réellement homme vivant tout
près de chaque créature
humaine ; luttant, souffrant, marchant avec
toutes, sans qu'aucune soit exceptée ;
il me faut un Christ qui soit pour moi tout entier
en quelque sorte, mais en même temps tout
entier pour les autres ; un Christ homme pour
tous et pour chacun, un Christ homme pour tous les
temps et pour tous les pays. Or cette idée
du Christ déborde de beaucoup la notion
restreinte d'un fils d'homme ordinaire, il faut
qu'il soit un fils d'homme extraordinaire, un fils
d'homme divin, un Homme-Dieu, autrement il
échappe à mon étreinte. En
d'autres termes je réclame le
caractère divin du Christ en vue
précisément de son caractère
humain : pour que Christ soit
réellement le frère de tous les
hommes, il faut qu'il soit le Fils unique de Dieu,
qu'il soit Dieu comme Dieu. Christ sera
l'Homme-Dieu, ou bien il ne sera ni homme ni Dieu.
Enfin la troisième et
dernière objection, plus spécieuse
encore que les autres, a pour but de
défendre les droits imprescriptibles de
Dieu.
On nous reproche, en mettant Christ
trop en avant, de rejeter dans l'ombre Dieu le
Père. Vous éclipsez le Père,
nous dit-on, vous le détrônez avec
votre Christolâtrie.
Évidemment il peut y avoir
exagération dans nos conceptions sur le
Christ ; le Fils est et doit toujours rester
subordonné au Père et le Saint-Esprit
sait parfaitement donner à chacun sa place
et son rôle. Qu'on relise à cet
égard les épîtres de saint
Paul, et l'on s'en convaincra sans peine. Mais
qu'a-t-on remarqué d'ordinaire chez ceux qui
saluent en Christ leur Maître divin ?
C'est que tout ce qu'ils donnent au Fils en fait
d'adoration, d'amour et de consécration, va
directement au Père. On peut dire à
un homme : Aime Christ de tout ton coeur, de
toute ton âme et de toute ta pensée,
ce n'est pas lui seul que tu aimeras de la sorte,
c'est Dieu même. Tandis que les affections
humaines aboutissent à l'idolâtrie
quand elles deviennent absolues, parce qu'elles
prennent alors un caractère exclusif des
plus dangereux, l'amour absolu pour Christ, la
consécration de tout notre être
à son service ne mènent, ou
plutôt ne devraient jamais mener à
cette erreur. Le Père est le tout premier
à bénéficier des hommages que
reçoit le Fils et la Parole de Jésus
se réalise : « Que tous
honorent le Fils comme ils honorent le Père.
Nul n'honore le Père, s'il n'honore pas le
Fils qu'Il a envoyé
(Jean V, 23) ». J'en
atteste pour preuve le spectacle que nous donne
l'histoire : les hommes qui ont
été les plus dévoués
à la cause de Dieu, ceux qui ont servi et
aimé Dieu avec le plus d'ardeur et de
fidélité sont les mêmes qui ont
le mieux servi et le mieux aimé Christ,
saint Paul, les apôtres et en
général tous les héros de
l'Église chrétienne.
Si donc honorer, adorer Christ,
c'est honorer Dieu, cela ne signifie-t-il pas qu'il
y a, non pas identification, mais du moins
parenté spéciale, parenté
d'essence entre Christ et Dieu ?
Voilà pourquoi Christ a le
droit de demander à ses disciples de montrer
leur foi à sa divinité par une vie de
pleine consécration à son service.
S'ils veulent persuader les autres de la
divinité de leur Maître, il faut
qu'ils agissent constamment comme s'ils y
croyaient : il faut qu'ils lui vouent une
parfaite obéissance et une
inébranlable confiance ; il faut qu'ils
identifient à tel point leur vie à la
sienne que le monde puisse le découvrir, le
contempler, l'aimer dans leur existence de chaque
jour.
Quant à ceux de mes lecteurs
qui ne veulent pas admettre le caractère
divin de Christ, je les avertis d'une chose: S'ils
ne veulent pas y croire, ils n'y croiront jamais,
car le Christ ne veut pas s'imposer par la force,
et la volonté est nécessaire à
la foi. « Si quelqu'un veut faire la
volonté de mon Père, il
connaîtra si ma doctrine est de Dieu, ou si
je parle de mon chef
(Jean VII, 17) ».
Et pour aider ceux qui veulent
croire, je leur donne un conseil :
N'écoutez pas tant les arguments de droite
et de gauche, ne discutez pas tant, ne recherchez
pas au dehors des raisons de croire, mais rentrez
en vous-mêmes, retirez-vous dans le lieu
très saint de votre sanctuaire intime
où seul Dieu a le droit de
pénétrer avec vous ; là
faites silence et bientôt vous entendrez la
voix de votre conscience parlant avec amour,
parlant avec émotion du Seigneur
Jésus-Christ ; et vous ne tarderez pas
à vous apercevoir que cette voix n'est autre
que la sienne même. Christ a donc, comme
Dieu, le droit d'entrer dans le sanctuaire. Christ
parle en vous comme le fait votre conscience :
la conscience et lui, c'est une seule et même
voix ; il est donc la conscience de votre
conscience. Que dis-je ? il était
là avant qu'elle parle et dès qu'elle
a parlé, elle vous a dit de lui obéir
à lui comme vous lui obéissez
à elle sans hésitation, sans murmure.
Comment chose pareille est-elle possible ?
Uniquement parce que Christ est
Dieu, et que « Dieu était en
Christ réconciliant le monde avec
soi-même
(2 Cor. V, 19) ».
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