Fictions ou
réalités?
CHAPITRE XI
Peut-on croire encore à la vie
à venir ?
Quand un conférencier abordait
autrefois ce sujet, il avait devant lui, à
côté des croyants convaincus
désireux d'affermir leur foi, deux
catégories distinctes de contradicteurs, les
matérialistes théoriques qui se
plaçaient au point de vue philosophique, et
les matérialistes pratiques.
Les premiers n'admettant que la
matière avec ses continuelles
métamorphoses et niant absolument la
réalité de l'esprit, se refusaient
à admettre une survivance de la
personnalité humaine ; selon eux, cette
personnalité est destinée à
subir la transformation fatale de tout ce qui est
matière, la vie à venir est par
conséquent une belle illusion, à
laquelle un homme cultivé doit avoir le
courage de renoncer.
Quant aux matérialistes
pratiques, c'étaient des hommes vivant dans
le péché et ayant besoin de la nuit
de l'au-delà pour satisfaire leurs passions.
Mangeons et buvons, disaient-ils, car demain nous
mourrons !
Aujourd'hui si ces deux
catégories de négateurs
existent encore, et même
plus nombreuses que jamais, il en a surgi deux
autres chaque jour grandissantes.
Tout d'abord la foule des
socialistes athées qui comptent sur la
réalisation ici-bas de tous leurs plus beaux
rêves : « Trop longtemps,
s'écrient-ils, on nous a bercés de la
douce illusion d'une vie future par-delà les
nuages où chacun, les pauvres surtout,
pourraient jouir pleinement de la vie ; on
nous a dit qu'on pouvait compter sur Dieu, que le
Dieu juste arrangerait tout et rétablirait
l'équilibre et la justice au sein d'une
humanité désorganisée par le
désordre et l'injustice. Nous avons attendu,
et rien n'est venu, Dieu n'a rien changé du
tout ; par conséquent nous ne croyons
plus à son existence, ou, s'Il existe, comme
Il ne s'occupe pas de nous, c'est à nous
à nous tirer d'affaire tout seuls, en ne
comptant plus sur d'autres bras que sur les
nôtres et sur d'autre secours que sur celui
que nous pourrons mutuellement nous prêter.
Quant au ciel et à l'enfer
nous n'y croyons plus, ou plutôt l'enfer
c'est la terre actuelle exploitée par la
bourgeoisie égoïste, le ciel c'est la
terre de demain répartie entre les
prolétaires que tous exploitent aujourd'hui.
Et si par hasard il y avait une autre vie, eh
bien ! nous ne regretterons pas d'avoir joui
quelque peu ici-bas avant d'aller jouir
là-haut. On a longtemps voulu par
l'espérance du ciel et la crainte de l'enfer
assurer aux capitalistes une vie de jouissances
paisibles en tenant les ouvriers dans la
résignation, il est temps d'intervertir les
rôles ou plutôt de répartir
entre tous le lot commun de
peines et de plaisirs qui forme la destinée
des pauvres mortels.
Avouons que si nous ne pouvons pas
suivre les foules socialistes dans toutes leurs
revendications, il en est cependant que tout
chrétien de coeur et de conscience a le
devoir de réclamer avec eux : il est
juste en particulier que l'on diminue le plus
possible les souffrances de ceux qui peinent et que
l'on fasse régner entre les hommes des
rapports de justice et d'équité
sociale. Tant que nous sommes sur cette terre,
c'est sur cette terre qu'il nous faut vivre, il
importe que nous rendions la vie terrestre aussi
heureuse et aussi belle que possible. Nul n'a le
droit, parce qu'il est heureux, d'oublier les
multitudes qui ne le sont pas ; bien au
contraire, le droit et le devoir du
privilégié est de faire part aux
autres de ce qu'il a reçu, car chacun des
avantages dont il jouit constitue une dette dont il
doit s'acquitter.
Mais ce n'est pas seulement dans la
compagnie des socialistes athées que l'on ne
croit plus à la vie à venir, c'est
aussi dans cette bourgeoisie si conspuée par
eux. Si les uns ne croient pas au ciel parce qu'ils
n'ont pas assez joui et qu'ils voudraient jouir le
plus vite possible pendant qu'ils vivent, les
autres n'y croient plus pour un motif directement
contraire, ils ont abusé des biens de ce
monde, biens matériels et
intellectuels ; comme l'Ecclésiaste,
ils sont blasés,
dégoûtés de tout et volontiers
ils s'écrieraient :
« Vanité des vanités, tout
est vanité ». Aussi la
perspective d'une vie à
venir, même plus belle que la vie
présente ne les tente-t-elle pas, ils
aimeraient beaucoup mieux en finir bientôt
pour rentrer dans le néant ou dans le grand
tout où leur personnalité
disparaîtrait. La vie est un mal ; plus
vite elle sera épuisée, mieux cela
vaudra, car la mort est un bien.
Il existe même des personnes
cultivées, honnêtes, qui ne peuvent
pardonner à Dieu de les avoir
créées : quelle ne sera pas leur
révolte, quand on viendra leur
démontrer que ce même Dieu les oblige
à vivre éternellement ? Je ne
puis m'expliquer cet état d'âme que
par une dégénérescence de la
race, produite par une lassitude très facile
à comprendre dans une existence aussi
agitée, fiévreuse, troublée
que la nôtre. On se demande vraiment si ce
que l'homme appelle la vie mérite bien
encore ce nom : les hommes existent, se
remuent, tourbillonnent comme la poussière
d'une machine : est-ce là vivre ?
Je ne le crois pas. En tout cas cette excitation
factice nuit au plein épanouissement de
l'être, aussi n'est-elle pas digne de la
créature humaine, et je conçois que
la perspective d'une continuation indéfinie
de cette existence-là fasse hésiter
et même reculer d'horreur d'excellentes
âmes.
Quoiqu'il en soit, le nombre de ceux
qui nient la vie à venir va grandissant
constamment, il en résulte une
atmosphère dangereuse à respirer pour
ceux qui tiennent à leurs convictions. Petit
à petit, on s'habitue à l'idée
d'une fin complète après la
mort ; ce qui paraissait affreux, inconcevable
jadis, parait plus naturel
aujourd'hui que l'on rencontre tant de gens
honnêtes et laborieux, qui vivent sans cette
espérance. Voilà pourquoi il est bon
de traiter un sujet pareil en examinant de
près si vraiment la foi en une vie à
venir est une absurdité ou si elle s'impose
à notre intelligence. Je souhaite que, parmi
mes lecteurs, il s'en trouve un bon nombre qui,
mécontents de leurs doutes et sentant le
vide de leurs négations, cherchent à
reconquérir la foi qu'ils ont perdue. Mais
tout d'abord une remarque générale et
deux aveux sont peut-être
nécessaires.
La remarque générale
concerne le caractère universel de la
croyance à une vie future. Si beaucoup de
gens aujourd'hui en contestent la
probabilité, il n'en a cependant pas
toujours été ainsi, il n'en est pas
ainsi des peuples jeunes. On peut dire d'une
manière générale que tous ont
cru à une survivance, même ceux dont
la religion n'a pas dépassé une forme
rudimentaire. Ainsi la religion chinoise se
résume tout entière dans le culte des
morts. On connaît les champs
Élysées et l'Adès des Grecs et
des Romains, et les Égyptiens de
l'antiquité avaient à ce sujet des
idées très élevées et
très positives. Aujourd'hui encore quand on
visite les contrées païennes on trouve
presque toujours la foi à la survivance de
l'être humain, et si cette foi n'existe plus,
il en subsiste du moins des traces très
significatives, soit dans les moeurs, soit dans le
langage.
En d'autres termes, l'homme
instinctivement croit à
l'au-delà ; pour n'y plus croire, il
faut qu'il fasse un effort plus ou moins
considérable de raisonnement ou qu'il
subisse une influence extérieure. Or c'est
un axiome généralement admis qu'il
faut se défier de ce qui contredit les
instincts naturels ; plus nous nous
rapprochons de la nature, plus nous
découvrons la vérité. Cela est
vrai dans le domaine de l'hygiène et de la
médecine : pourquoi serait-ce faux
quand il s'agit de l'instinct
religieux ?
Et maintenant deux aveux, un aveu
que je demande à mes lecteurs et un autre
que je ferai moi-même ensuite.
N'y a-t-il pas eu, chers lecteurs,
dans votre vie, des heures et peut-être des
journées entières où vous vous
êtes sentis si heureux que vous auriez voulu
que ces moments ne finissent plus ?
C'était par exemple par une belle
matinée de printemps, alors que le ciel bleu
resplendissait sur vos têtes, que les oiseaux
remplissaient les campagnes de leurs plus beaux
concerts, l'air était pur, une
légère brise caressait doucement
votre visage, les fleurs étalaient,
joyeuses, parfumées, leurs pétales
aux rayons du soleil. Vous-mêmes, vous
étiez en pleine vigueur, en si bonne
santé, que vous en oubliiez votre
corps : en un mot vous viviez de toutes les
forces de votre être.
N'est-ce pas qu'alors vous avez
trouvé la vie splendide ? vous avez
trouvé qu'elle valait la peine d'être
vécue, vous avez souhaité qu'elle ne
finisse jamais ? Ne vous êtes-vous pas
écriés avec le poète :
0 temps, suspends ton vol ; et
vous, heures propices,
Suspendez votre cours ?
Ou bien, vous veniez de vous fiancer à
une jeune fille ardemment aimée ;
resté pur à travers toutes les
tentations de la jeunesse, vous aviez enfin
rencontré une créature pure, elle
aussi ; vous lui aviez avoué votre
amour, elle y avait répondu ; vous
étiez à elle, elle était
à vous. Oh ! dans ce tressaillement de
deux âmes soeurs, prêtes à
prendre ensemble leur vol vers les régions
de l'idéal, n'avez-vous pas trouvé la
vie magnifique ?
Ou bien encore, parents, quand votre
premier enfant, fruit de vos amours, a
ébauché un sourire ou, pour la
première fois, a laissé sortir de ses
lèvres fraîches et roses un
joyeux : Papa ! n'avez-vous pas
éprouvé une émotion
profonde ? Vos yeux sont devenus humides,
votre coeur a battu plus fort et vous avez
aimé la vie intensément. Auriez-vous
accepté à cette heure-là
l'idée qu'une mort brutale pouvait
anéantir à jamais l'être que
vous aimiez ? Avouez que si cette
pensée avait traversé votre esprit,
elle vous serait apparue insupportable,
monstrueuse, impossible ?
N'avez-vous pas tous connu des joies
plus pures et plus profondes encore, quand, par
exemple, vous avez repoussé au prix de
grandes souffrances une tentation presque
irrésistible ? ou que vous sacrifiant
vous-mêmes, vous avez
préféré à votre
intérêt celui des autres ? Toutes
vos idées sombres se sont alors
évanouies, toutes vos théories
pessimistes ont disparu comme un mauvais
rêve ; vous n'avez eu qu'une
pensée : Vivre, vivre le plus longtemps
possible, vivre en vous
dévouant, vivre en aimant et aimer pour
vivre toujours, toujours !...
La vie à venir nous
apparaît, n'est-il pas vrai ? dans ces
heures-là, comme une
nécessité. Il suffit de se laisser
porter par la marée qui monte, pour que tout
naturellement nous croyions à la vie qui ne
finira jamais et pour que nous ne puissions plus
prendre notre parti de l'effondrement de la mort.
Voici le second aveu que
j'annonçais tout à l'heure. Ainsi que
je l'ai dit au cours des précédentes
conférences, nous nous trouvons ici sur le
terrain moral, donc le terrain de la
liberté. Aussi bien tous les arguments que
l'on peut avancer pour prouver la
réalité de la vie future, n'ont-ils
pas avant tout un caractère scientifique,
mais bien un caractère moral. On ne pourra
pas plus démontrer scientifiquement ou
mathématiquement la vie à venir qu'on
ne peut prouver de cette manière l'existence
de Dieu ou la divinité de
Jésus-Christ. Le dernier mot est et restera
toujours un acte de foi, donc de volonté qui
prouve que notre liberté est pleinement
respectée au moment même où
nous affirmons ce que nous croyons. Autrement notre
liberté serait atteinte et le
caractère même de notre foi n'aurait
plus son côté moral qui en est
l'essence. Après la démonstration la
plus serrée, il faudra toujours que l'homme
puisse dire : « Et pourtant je ne
sais pas convaincu, je ne veux, je ne puis pas
croire. » Et Dieu seul peut savoir ce
qu'il y a de vrai et de sincère dans
ce : Je ne puis pas.
Or si cela est vrai d'une manière
générale de tous les sujets que nous
avons successivement traités, cela est tout
particulièrement vrai de celui que nous
examinons ici. Personne n'est revenu de
l'au-delà nous expliquer ce qu'est cette vie
à laquelle nous croyons ; bien plus,
comme cette vie diffère profondément
de la vie actuelle, il nous faudrait, pour
l'étudier ou seulement pour en
démontrer rationnellement la
réalité, des organes que nous n'avons
pas, que nous n'aurons jamais ici-bas. J'avais donc
bien raison d'affirmer tout à l'heure que la
foi à la vie à venir est une affaire
de volonté et qu'en dernier ressort c'est au
moi humain à décider si oui ou non il
veut admettre cette vie, en choisissant des
arguments affirmatifs et en mettant de
côté les arguments négatifs
presque aussi nombreux, ainsi que nous allons le
voir.
Ces remarques préliminaires
étaient nécessaires pour nous faire
comprendre pourquoi dans les pages qui suivent,
nous allons procéder de l'intérieur
à l'extérieur. Autrefois on faisait
le contraire, on démontrait la vie future
à grand renfort de preuves
extérieures, et l'on passait sous silence
les intérieures, ou du moins on leur donnait
une importance très secondaire. Aujourd'hui
les premières sont de plus en plus battues
en brèche ; il en est d'elles comme de
ces hautes murailles des villes du moyen âge,
qui jadis pouvaient résister aux assauts de
l'ennemi mais que notre artillerie moderne
réduirait facilement en poussière. De
là l'architecture des
fortifications actuelles :
cachées, et comme enfouies dans la terre,
elles attirent moins le regard, elles manquent de
pittoresque, il est vrai, mais elles n'en sont que
plus solides et peuvent défier les efforts
les plus redoutables des canons Krupp.
Les défenseurs du christianisme
ont été obligés d'abandonner
les bastions extérieurs et de se replier de
plus en plus, pour se réfugier même
dans la forteresse centrale qui est la conscience
chrétienne et l'expérience de Christ.
D'aucuns s'en plaignent et regrettent ce mouvement
de recul qui leur paraît une faute ;
nous nous en réjouissons au contraire, car
par ce mouvement on en revient au véritable
terrain de défense, le terrain moral, et la
liberté n'en est que mieux
sauvegardée. Il y aura peut-être moins
de croyants, c'est possible, mais ces croyants
auront beaucoup plus d'influence et seront plus
solides, car leur foi reposera non sur le sable
mouvant, mais sur le roc inébranlable de
l'expérience chrétienne. Tant qu'ils
en restaient aux preuves rationnelles, ils
risquaient toujours de rencontrer des intellectuels
plus sages et plus habiles qu'eux, prêts
à réduire en poussière leurs
arguments ; maintenant qu'ils doivent se
retrancher derrière des conditions toutes
morales et personnelles, ils ont toujours une
réponse prête, ils peuvent toujours
dire : « Je sais une chose, c'est
qu'autrefois j'étais aveugle, et maintenant
je vois. » Et tant qu'ils se contenteront
d'affirmer cela et toujours, ils fermeront
sûrement la bouche de leurs adversaires.
L'homme qui réfléchit
découvre devant lui trois champs
d'observation, correspondant aux trois
facultés fondamentales de son esprit :
Sa raison lui révèle
le monde de la matière ;
Son coeur, le monde des
sentiments ;
Sa conscience, le monde moral.
Or chacun de ces champs d'expérience nous
permet d'entrevoir la vie à venir, mais
aucun ne nous la révèle d'une
manière certaine.
Par le premier, la raison peut
croire à la possibilité de cette
vie ;
Par le second, le coeur peut en affirmer
la probabilité.
Par le troisième, la conscience
peut aller jusqu'à la
nécessité.
Mais s'il en reste là, l'homme n'arrivera
jamais à la certitude.
Écoutez plutôt. Quand
l'homme exerce sa raison sur ce premier champ
d'observation qui s'appelle la nature, il est tout
d'abord frappé de la puissance de vie qui
s'y déploie ; on l'a dit : Rien ne
meurt, tout se transforme. En hiver, il semble que
tout soit mort, les oiseaux se taisent, les arbres
se dépouillent, les insectes disparaissent,
le froid vient et la neige, en tombant, couvre la
terre d'un blanc linceul. Et voici qu'au printemps
tout reprend vie ; sous l'action des rayons du
soleil, la neige fond, les arbres se couvrent de
leur verte parure, les fleurs
s'épanouissent, les insectes ressuscitent
plus nombreux que jamais et les oiseaux font
retentir les bois de leurs merveilleux
concerts. Et chaque année
ce même phénomène se
renouvelle ; plus la terre produit, plus elle
paraît capable de produire, elle semble
vraiment inépuisable. Or la
résurrection générale n'est
autre que le résultat d'une multitude, pour
ainsi dire incalculable, de résurrections
partielles : dans la plus petite semence, dans
l'animal le plus infime, il y a une force vitale
cachée qui pourra bien se
métamorphoser, diminuer et même
disparaître à certains moments, mais
qui ne peut jamais être détruite. On
sait que les plus hautes ou les plus basses
températures ne réussissent pas
à anéantir certains microbes.
La raison nous poussera donc tout
naturellement à conclure de ce
phénomène régulier que la vie
de l'homme ne doit pas être anéantie
plus que celle de la graine ou de l'insecte ;
ce que Dieu fait pour un grain de blé ou
pour une chenille, Il doit le faire à bien
plus forte raison, pour cet être
supérieur, créé à son
image, qui s'appelle l'homme. Notre vie doit donc
se continuer ; les analogies de la nature,
cette grande parabole du monde spirituel, sont
là pour le prouver.
Cela est vrai, et pourtant en
réfléchissant un peu, on doit
reconnaître que ces analogies sont tout
à fait insuffisantes pour prouver la vie
à venir. Que dis-je ? ne semblent-elles
pas plutôt en contradiction avec cette
vie ? Car enfin ce qui demeure, ce n'est pas
l'individu, c'est l'espèce, et même
l'espèce peut disparaître, tandis que
la vie, elle, survit à tout. Les oiseaux qui
chantent aujourd'hui ne sont pas ceux
qui chantaient dans notre
première jeunesse ; les papillons qui
voltigeaient de fleur en fleur au temps de notre
enfance sont morts depuis longtemps ; ces
fleurs elles-mêmes se sont flétries
depuis bien des années ; d'autres leur
ont succédé.
La vie subsiste, mais elle se transforme
incessamment. Oui, nos bien-aimés vivent,
mais ils risquent de n'être plus les
mêmes ; ce qui survit d'eux, ce sont les
éléments de leur organisme qui ont
repris vie, en formant d'autres êtres,
inférieurs ou supérieurs, en tout cas
différents de ceux que nous avons connus. Et
quand l'heure de notre mort sera venue, le
même phénomène se produira pour
nous ; les particules de notre corps se
désagrégeront pour reprendre vie dans
d'autres créatures ; les
facultés de notre âme, ces forces
psychiques qui la constituent disparaîtront
à leur tour pour venir animer d'autres
êtres qui n'existent pas encore. Quelle
preuve y a-t-il donc là de la vie à
venir ? L'argument tiré de la nature ne
pourrait-il pas être retourné contre
les croyants, car une immortalité
impersonnelle, consistant dans le retour au grand
tout, ne mérite pas le nom
d'immortalité. La raison seule, en examinant
la nature, ne peut donc arriver qu'à cette
conclusion : la vie à venir est une
possibilité, rien de plus.
Quand ensuite, par le coeur, l'homme
découvre le monde des sentiments, il apprend
à connaître une manifestation de vie
bien plus réelle et bien plus intense que
celle de la nature ; l'homme normal, la
grande majorité des
hommes vivent par le coeur plus que par la raison.
Dieu n'a-t-Il pas gravé, du reste, au fond
de l'âme humaine cette loi qui est celle
même de son être : tu
aimeras ? Nous avons soif d'être
aimés, plus soif encore d'aimer ; nous
péririons si nous ne pouvions plus aimer. Or
que se passe-t-il constamment ? Ces
êtres que nous aimons nous seront
enlevés d'un moment à l'autre par la
mort ; nos affections n'ont aucune base
solide, puisqu'elles aboutiront toutes à des
séparations et à des
déchirements cruels ; et il se trouvera
que plus nous aurons aimé, plus grande sera
notre souffrance. Les créatures humaines
naissent les unes à côté des
autres, elles apprennent à se
connaître, commencent à s'aimer,
s'étreignent un instant dans leur amour,
puis brusquement sont séparées par
cet ennemi insatiable, toujours aux aguets, qui
s'appelle la mort. Et nos beaux rêves de
bonheur, d'amour éternel,
impérissable ? Envolés comme des
feuilles mortes en automne ; évanouis
comme la lumière au soir d'une belle
journée.
Mais l'homme ne peut en prendre son
parti : aussi son coeur lui crie que les
séparations ne sont que momentanées,
elles ne peuvent pas être définitives;
les êtres qui se sont aimés se
retrouveront et ils pourront s'aimer
désormais sans que rien ne vienne troubler
ni détruire leur affection. « Je
veux aimer toujours, a dit le Père Gratry,
tous ceux que j'aime. Donc ils vivront et je
vivrai. » Belle, touchante parole qui
s'harmonise admirablement avec le
commandement :
« Tu aimeras ! » Comment
Dieu m'ordonnerait-Il d'aimer, si c'est pour
m'enlever les objets de mon affection et pour que
je souffre d'autant plus que j'aurai obéi
plus scrupuleusement à l'ordre qu'Il m'a
donné ? Donc la vie à venir
existe puisqu'elle est nécessaire pour que
je suive la loi de mon être. D'ailleurs, de
toutes les activités de notre âme,
l'amour réel est la seule dont nous ne nous
lassions jamais et que les années
transforment sans réussir à
l'épuiser. L'idée de
l'éternité n'est acceptable pour nous
que dans la pensée de l'amour.
Tout cela est fort beau, et cependant ne
prouve de nouveau pas grand chose. Car il semble
vraiment que rien ne dirige les coups de la mort
cruelle. Elle fauche à tort et à
travers ceux que nous aimons. Sans cesse elle
paraît faire des erreurs : elle ravit
ceux qui sont nécessaires et que de
nombreuses âmes voudraient retenir ;
elle laisse vivre, au contraire, ceux qui
voudraient partir. Elle prend les jeunes en grand
nombre qui veulent vivre ; elle oublie les
vieillards qui l'appellent à grands cris.
Elle frappe en hiver quand tout est triste et froid
et que la mort semble naturelle ; elle frappe
encore plus au printemps quand tout nous pousse
à vivre et que la vie nous apparaît
belle et bonne.
Et puis elle est souvent si cruelle dans
la manière dont elle nous ôte ceux que
nous aimons : parfois elle y met des formes et
semble avoir des égards ; bien plus
souvent elle frappe brutalement, en pleine force,
ou au contraire, lentement en se plaisant à
torturer ceux que nous voudrions
tant épargner. Nous nous retrouverons ?
Ah ! certes, je le veux bien, je ne demande
pas mieux, mon coeur le désire ardemment,
mais où ? mais quand ? mais
comment ? Où sont-ils ces êtres
chéris dans cet au-delà
mystérieux dont je ne sais rien ?
L'univers est si grand ! Comment pourrai-je
les retrouver dans cet immense rendez-vous ?
Qui sait ? ils auront beaucoup changé,
et alors seront-ils encore ceux que je connais et
que j'aime ?? Que font-ils
là-haut ? À quoi emploient-ils
cette éternité que l'on nous
promet ? Oh ! que de points
d'interrogation angoissants au sujet de cette vie
à venir ? Il y en a tant pour le coeur
sensible et impressionnable de l'homme que
vraiment, on se demande si cette vie, à
supposer qu'elle existe, est bien
désirable ; et si elle ne l'est pas,
est-elle encore réelle ? Ne serait-ce
pas une illusion de notre pauvre coeur, fait pour
aimer et qui n'est que trop porté à
prendre ses désirs pour des
réalités ?
Il y a tant de choses que l'on croit
possibles quand on est petit, tout petit et
auxquelles on renonce à mesure que l'on
connaît mieux son impuissance et la
naïveté de ses premiers
rêves ! Tout enfant commence sa
carrière en voulant attraper la lune ou les
étoiles avec ses petits doigts roses, et
bientôt il reconnaît son erreur sans
être plus malheureux pour cela. Pourquoi en
serait-il autrement de la vie à venir ?
Pour être une chimère ou quelque beau
rêve de jeunesse, elle n'en aurait pas moins
eu son utilité, en nous aidant à
traverser la vie monotone et fatigante d'ici-bas.
De ces objections et de bien d'autres
encore qu'il serait facile de multiplier, je
conclus que le coeur laissé à
lui-même en face de ce champ
d'expérience qui s'appelle le monde des
sentiments, peut affirmer que la vie à venir
est une probabilité, mais rien de plus; car
dès qu'il veut aller plus loin, il rencontre
des difficultés si grandes et en si grand
nombre que cette probabilité même
diminue et risque de disparaître.
Enfin reste le troisième et
dernier champ d'observation, celui du monde moral
dans lequel l'homme pénètre par sa
conscience. Or cette conscience lui dévoile
d'un côté, le besoin impérieux
de justice qui se trouve au fond de toute âme
d'homme et qui fait qu'elle se révolte
chaque fois qu'elle est l'objet d'une injustice
quelconque ; de l'autre, un monde terrestre
tout rempli d'injustices et d'injustices souvent
criantes. N'arrive-t-il pas sans cesse ici-bas que
les bons échouent taudis que les
méchants réussissent ? La Bible
l'a déclaré depuis bien des
siècles déjà : tel qui
sert Dieu avec piété et qui
évite avec soin de faire du tort à
son prochain, traverse de terribles épreuves
dans lesquelles il semble vraiment que Dieu
l'oublie ; tel autre, impie, qui trompe sans
pudeur ses semblables et s'engraisse à leurs
dépens, semble être l'objet d'une
protection particulière de Dieu. D'autre
part, des enfants sont punis et punis
sévèrement pour des fautes de leurs
parents ou de leurs ancêtres dont on ne peut
pourtant pas les rendre responsables. Des peuples
tombent dans la décadence
grâce à tel de leurs souverains, qui
par raison d'état ou haine personnelle, a
persécuté ses meilleurs sujets. Le
grand Schiller a dit, il est vrai, que
« l'histoire est le jugement de
Dieu, » ce qui signifie que la justice se
fait peu à peu à travers les
siècles. C'est fort possible ; mais en
attendant les vrais coupables échappent trop
souvent et les innocents sont punis à leur
place. Est-ce juste ? Non, mille fois non, et
par le spectacle que nous avons sous les yeux,
notre besoin impérieux de justice est
constamment mis de côte ou foulé aux
pieds.
De là l'espoir qui s'impose
à toute conscience d'homme de nouveaux biens
et d'une nouvelle terre où la justice
habitera, d'une vie à venir où cette
soif de justice sera parfaitement
étanchée, parce que
l'équilibre sera pleinement rétabli.
Cela est tellement vrai que l'on peut se demander
si réellement l'idée de Dieu est
encore admissible au cas où cette
espérance ne serait qu'une illusion. Comment
un Dieu d'amour en effet pourrait-Il mettre dans
nos coeurs une faim et une soif pareilles, pour
nous amener en fin de compte à une
formidable déception ?
Il est plus que probable que tous mes
lecteurs sont d'accord avec moi sur ce point, et
cependant en y regardant de plus près, des
doutes se présenteront sûrement
à l'esprit, tant il est vrai que la
conscience livrée à elle-même
ne peut plus aujourd'hui arriver à la
certitude de la vie future. En effet si cette
justice dont nous avons si grand besoin nous
apparaît si peu générale et si
peu personnelle sur cette terre, de quel
droit oserions-nous
prétendre que de suite après la mort,
comme par un coup de baguette magique, elle va
s'établir d'une manière universelle
et pour chacun en particulier ? Pourquoi
l'individu ne serait-il pas sacrifié
à l'espèce, puisque l'espèce
est infiniment plus importante que
l'individu ? Il se peut que nous appelions
justice quelque chose qui ne mérite pas ce
nom ; et que ce qui nous apparaît
injuste soit en somme bien plus juste qu'il ne le
semblait d'abord. Nos notions les plus
élémentaires ne subissent-elles pas
de continuelles transformations ? La nature
elle-même au milieu de laquelle nous vivons
et qui nous donne une perpétuelle
leçon de choses nous offre un spectacle
où l'injustice est autrement plus
réelle et plus triomphante que la
justice ; les faibles y sont sacrifiés
aux forts, les petits succombent devant les grands,
et la mort que l'on nous montre comme introduisant
l'homme dans une vie très supérieure
au point de vue moral apparaît
elle-même trop souvent comme le comble de
l'injustice. Comment donc d'un
événement pareil pourrait-il
résulter le triomphe de ce qui est
juste ?
Toute ces questions et d'autres qui
viennent encore et en grand nombre se poser
à l'esprit de l'homme l'empêchent de
conclure avec certitude à la vie à
venir. Il se l'est représentée
jusqu'ici comme possible, puis probable, il peut
maintenant y voir une
nécessité : aller plus loin lui
est interdit, du moins avec ses seules
facultés. De là, le besoin d'un
élément nouveau, celui de la
révélation en
Jésus-Christ ; c'est au seul
contact de Christ que la
possibilité, la probabilité et la
nécessité peuvent se transformer en
certitude glorieuse et bénie et amener un
homme comme saint Paul à dire :
« J'ai le désir de mourir et
d'être avec Christ, ce qui de beaucoup est le
meilleur. Maintenant comme toujours, Christ sera
glorifié dans mon corps avec une pleine
assurance, soit par ma vie, soit par ma mort ;
car Christ est ma vie, et la mort m'est un gain
(Phil. I, 20 à 23).
Jésus-Christ a détruit la mort et mis
en évidence la vie et l'immortalité
par l'Évangile
(2 Tim. I, 10). La mort a
été engloutie dans la victoire. 0
mort, où est ta victoire ? 0 mort,
où est ton aiguillon
(1 Cor. XV, 55) ? Nous ne
perdons pas courage. Et lors même que notre
homme extérieur se détruit, notre
homme intérieur se renouvelle de jour en
jour. Car nos légères afflictions du
moment présent produisent pour nous
au-delà de toute mesure un poids
éternel de gloire, parce que nous regardons,
non point aux choses visibles mais à celles
qui sont invisibles ; car les choses visibles
sont passagères et les invisibles sont
éternelles
(2 Cor. IV, 16 à
18). »
Et comment donc parvenons-nous à
cette certitude concernant la vie à venir,
une fois que nous sommes entrés en contact
avec Christ ? C'est ce qui nous reste à
examiner.
Tout d'abord Christ nous amène
à la certitude parce qu'il la possède
lui-même et parce que l'oeuvre
qu'il accomplit n'a sa raison
d'être que si elle aboutit à la vie
éternelle. Observées de près,
sa vie et surtout sa mort expiatoire
révèlent à celui qui le
contemple un être éternel qui
apparaît soudain dans le temps ; tout en
vivant sur la terre, on sent qu'il n'est pas de la
terre ; il n'en vient pas, il ne fait que la
traverser ; sa vraie patrie c'est le ciel
qu'il aimerait faire descendre sur la terre ;
il parle constamment de la vie éternelle, il
s'y meut, il se réjouit d'y retourner ;
il cherche à chaque instant à y
entraîner les multitudes qui l'entourent, il
dirige sans cesse leurs yeux de ce
côté. D'ordinaire les grands penseurs,
les philosophes sentent le besoin, quand ils
parlent de la vie future, de justifier leur
conviction en l'appuyant d'arguments. Jamais
Jésus ne procède de cette
manière. Il se contente d'affirmer la vie
éternelle, de la poser comme un fait
indiscutable. Viendrait-il à un voyant
l'idée de discuter l'existence du
soleil ? Aussi paraît-il
étonné que ses disciples ne se
réjouissent pas de son retour auprès
du Père, dans la gloire qu'il avait avant
que le monde fût fait ; et quand il veut
les rassurer, il leur annonce qu'il ne s'en va que
pour leur préparer une place, afin de les
introduire là où il sera
lui-même.
Quant à l'oeuvre qu'il accomplit
elle consiste précisément à
relever sans cesse l'homme déchu de corps et
d'esprit pour le mettre en état de
paraître sans crainte devant Dieu. Il attaque
la mort dans toutes ses manifestations et s'efforce
de reculer les limites de son empire en lui
arrachant le plus grand nombre
possible de ses victimes : il guérit
tous les malades qu'il rencontre, il ressuscite
plusieurs morts, pardonne les péchés,
affranchit les esclaves du prince de ce monde et se
préoccupe constamment de remettre en
communion avec Dieu, source de toute vie, ceux
qu'il est venu sauver. S'il accepte de mourir
à son tour, ce n'est pas pour rester dans
les liens de la mort, c'est pour s'en affranchir et
« en affranchir en même temps, dit
l'Écriture, tous ceux qui étaient
retenus toute leur vie par la crainte de la mort
(Héb. II, 14 et
15). » Il ne meurt que pour
ressusciter et entraîner dans sa
résurrection des multitudes
altérées de vie et
d'immortalité.
De là des paroles comme
celles-ci : « Je suis la
résurrection et la vie. Celui qui croit en
moi vivra quand même il serait mort
(Jean XI, 25, 28). Celui qui vit et
qui croit en moi ne mourra jamais. La
volonté de mon Père, c'est que
quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie
éternelle ; et je le ressusciterai au
dernier jour
(Jean VI, 40). En
vérité je vous le dis, Moïse ne
vous a pas donné le pain du ciel, mais mon
Père vous donne le vrai pain du ciel ;
car le pain de Dieu, c'est celui qui descend du
ciel et qui donne la vie au monde. Je suis le pain
de vie. Celui qui vient à moi n'aura jamais
faim, et celui qui croit en moi n'aura jamais soif
(Jean VI, 32, 35). Comme le
Père ressuscite les morts et donne la vie,
ainsi le Fils donne la vie à qui il veut.
Celui qui écoute ma
parole, et qui croit à Celui qui m'a
envoyé, a la vie éternelle et ne
vient point en jugement, mais il est passé
de la mort à la vie. En vérité
je vous le dis, l'heure vient, et elle est
déjà venue, où les morts
entendront la voix du Fils de Dieu ; et ceux
qui l'auront entendue vivront. Car comme le
Père a la vie en lui-même, ainsi Il a
donné au Fils d'avoir la vie en
lui-même
(Jean V, 21,
24 à 26). Je suis venu afin
que mes brebis aient la vie, et qu'elles soient
dans l'abondance. Je suis le bon berger. Le bon
berger donne sa vie pour ses brebis. Je donne ma
vie pour mes brebis
(Jean X, 10, 11,
15). Dieu a tant aimé le
monde qu'Il a donné son Fils unique, afin
que quiconque croit en lui ne périsse pas,
mais qu'il ait la vie éternelle
(Jean III, 16). »
Et d'où vient cette certitude du
Sauveur sur la vie éternelle, certitude
qu'il cherche à communiquer aux
autres ? Uniquement de la pleine conscience de
sa filiation divine ; il se sait Fils unique
du Père, il se sent en relations intimes et
vivantes avec son Père ; il est dans le
Père, son Père est en lui. Comment
donc ces relations si douces, si continuelles, dans
lesquelles il puise force, courage, joie,
espérance inébranlable,
pourraient-elles tout à coup cesser et
cesser pour toujours ? Quand on aime le
Père comme il l'aime, quand on en est
aimé, il n'est pas concevable que cet amour
doive aboutir subitement à une destruction
complète. Un amour pareil est plus fort que
la mort, car il dépasse
de beaucoup les limites si étroites du temps
et de la matière. « Moi et le
Père nous sommes un »
(Jean X, 30) : Si cette parole
est vraie, le Fils une fois disparu, le Père
devrait disparaître à son tour, ce qui
est la négation même de l'idée
de Dieu. Il vit dans une communion ininterrompue
avec le Père et quand, sur la croix, cette
communion semble cesser par suite du mystère
de l'expiation, le Fils en reçoit le coup de
mort, mais ce n'est que pour un instant ;
quand il expire pour entrer dans le
mystérieux au-delà, il se sent de
nouveau dans les bras de son Père.
« Père, s'écrie-t-il, je
remets mon esprit entre tes mains. »
(Luc XXIII, 46) Il ne mourra pas, il
vivra, il ressuscitera, il vaincra la mort,
puisqu'il continue à être en communion
avec son Père.
Tel est, me semble-t-il, le fondement de
la certitude inébranlable du Sauveur en face
de la vie à venir. Même lui, le Fils
unique, il pouvait, puisqu'il avait revêtu
notre nature infirme, traverser des moments
d'obscurité, il pouvait comme nous se poser
des points d'interrogation, être
attristé, scandalisé même par
la vue des injustices d'ici-bas, il n'en restait
pas moins ferme et inébranlable dans sa foi
à l'au-delà glorieux, par la bonne
raison qu'il se savait partout et toujours dans les
bras de son Père. On ne meurt pas quand on
s'endort dans les bras de Dieu, ou si l'on meurt
c'est pour entrer dans une vie meilleure, non pas
pour être anéanti. Celui qui vit de
Dieu et en Dieu tient la mort
sous ses pieds comme un ennemi vaincu.
La certitude du Fils de l'homme doit
devenir la nôtre, car ce qu'il a
été nous devons le devenir ; il
nous a laissé un exemple, afin que nous
suivions ses traces. Or pour nous comme pour lui la
seule condition indispensable à remplir pour
parvenir à cette certitude, c'est que nous
aussi nous entrions et nous nous maintenions dans
une communion filiale avec le Père
céleste. Christ en nous réconciliant
avec Dieu nous place dans des rapports filiaux
vis-à-vis de Dieu ; il veut être
notre frère aîné pour que nous
devenions des fils et des filles du Père.
« Vous n'avez pas reçu, dit saint
Paul, un esprit de servitude, pour être
encore dans la crainte ; mais un esprit
d'adoption, par lequel nous crions :
Abba ! Père ! L'Esprit
lui-même rend témoignage à
notre esprit que nous sommes enfants de Dieu
(Rom. VIII, 15 et
16). »
Or quiconque est entré dans des
relations pareilles avec Dieu, voit tout se
transformer pour lui ; et surtout en ce qui
concerne la vie à venir, il arrive à
une certitude inébranlable qu'il ne
connaissait pas autrefois. Il se sent avec Dieu
dans des rapports que la mort ne pourra jamais
détruire, tant ces rapports sont intimes et
vivants. Il a éprouvé quelque chose
de l'amour de Dieu, ce qu'il a entrevu n'est que le
bord d'un océan immense, infini, mais il en
voit assez pour tressaillir
d'une joie indicible et ne plus douter de la vie
éternelle. Comment la mort serait-elle le
dernier mot de relations si douces, voulues de
Dieu, établies par lui-même ?
« Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais
des vivants, car pour lui tous sont vivants.
(Luc XX, 38) » Quand on
participe à sa vie, rien ne peut la
détruire, et si la mort survient, elle devra
nécessairement être suivie d'une
résurrection qui triomphera d'elle en nous
transformant glorieusement.
Mais alors des conséquences
magnifiques vont en découler dans le triple
champ d'expérience dont nous parlions tout
à l'heure, pour changer la
possibilité, la probabilité, la
nécessité en joyeuse certitude. Et
tout d'abord la vue des injustices du monde moral
qui révoltent notre conscience nous donne
dorénavant la certitude d'une vie à
venir où la justice triomphera. Puisque Dieu
est amour, puisque Dieu nous aime, Il ne peut pas
avoir mis dans nos âmes, cette soif
d'équité, sans s'être
engagé en même temps à
satisfaire cette soif, autrement Il serait cruel,
ce que son amour rend impossible. La justice,
garantie par l'amour de Dieu se fera pleine,
entière, pour tous et pour chacun. Il n'est
pas concevable que quelqu'un soit exclu ; les
plus pauvres, les plus dénués, les
plus méprisés auront leur part de
justice comme les autres : que dis-je ?
S'il y a une différence entre eux, elle sera
en faveur des premiers, car un Dieu d'amour et de
justice doit proportionner ses
tendresses et ses compensations
à la grandeur de la souffrance. Les grandes
injustices seront réparées, les
petites le seront tout autant, l'amour infini de
Dieu l'exige et cet amour est un amour paternel
s'adressant à tous. En vertu même de
ce principe de justice, fondé sur l'amour de
Dieu, la vie à venir sera d'autant plus
belle que la vie terrestre aura été
plus douloureuse, car la souffrance,
développant la sensibilité de
l'homme, le met en état de jouir
intensément après avoir
intensément souffert.
De là cette doctrine du jugement
dernier que beaucoup rejettent comme une
superstition du moyen âge, que certains
redoutent comme quelque chose d'horrible, prouvant
plus la colère et la haine de Dieu que son
amour, et qui n'en sera pas moins envisagé,
cela va sans dire, au point de vue tout spirituel,
une bénédiction pour le monde et une
manifestation éclatante de l'amour de Dieu
tout autant que de sa justice. Car ce sera la fin
de toute injustice, la condamnation et la
destruction du mal sous toutes ses formes, et le
triomphe décisif et définitif du
bien. La pensée de l'amour de Dieu
entraîne nécessairement celle du
jugement, et celle du jugement est la
présupposition nécessaire de la vie
à venir.
Donc en Christ et par lui, la vie
à venir est une certitude, puisque la
conscience restaurée par Christ nous laisse
entrevoir de nouveaux cieux et une nouvelle terre
où la justice habitera.
Ensuite la vue du monde des sentiments,
dévoilé par le coeur, ne nous
amène pas seulement à une
probabilité concernant la
vie à venir, mais plutôt à une
certitude, une fois que notre coeur a
été purifié, consolé,
régénéré par
Jésus-Christ. Comment le Dieu d'amour que
Christ nous révèle nous
ordonnerait-Il d'aimer, si c'était pour nous
enlever ensuite sans pitié les objets de nos
affections ? La loi même qu'Il nous
impose, qui est la loi de son être, rend
nécessaire un monde où les affections
s'épanouiront à toujours. Le coeur
d'ailleurs se lasse-t-il d'aimer ? Plus il
aime, plus il a besoin d'aimer. Plus les objets de
son affection sont nombreux, plus il grandit, et la
mort devient impossible ; l'amour ne finira
jamais, autrement il est une illusion.
Entendons-nous cependant, je parle ici de l'amour
vrai, de l'amour tout pénétré
de Dieu, non pas de l'égoïsme
déguisé qui n'est qu'une caricature
de l'amour. Je me demande en effet s'il est
possible de s'aimer réellement en dehors de
Dieu.
J'ai peur que le coeur aime mal quand
Dieu est absent, qu'il s'aime lui-même plus
qu'il n'aime les autres ; j'ai peur qu'il se
cache au fond de tout coeur d'homme pécheur
un fond d'égoïsme
inépuisable : même dans l'amour
le plus passionné, même quand l'on
parle d'adoration et d'idolâtrie, est-on bien
sûr que ce soit l'amour pur, vrai,
inexplicable, désintéressé
qui, lui, aime au fond sans raison, qui aime sans
savoir pourquoi, tout simplement parce qu'il
aime ? Quand le coeur aime en Dieu au
contraire, quand c'est Dieu qu'il aime avant tout
en aimant la créature, le danger de
l'égoïsme et de l'idolâtrie
disparaît, l'amour devient
pur, il se débarrasse peu à peu de
tous les éléments de corruption qui
le rongent sourdement, et alors il ne peut pas
périr, il est vraiment « plus fort
que la mort ».
« La chair et le sang, dit
Paul, ne peuvent hériter du royaume de
Dieu ; la corruption n'hérite pas
l'incorruptibilité.
(1 Cor. XV ;
50) »
Qu'est-ce que cela signifie, sinon que
les affections accidentelles en quelque sorte,
résultant de la naissance ou de
circonstances fortuites, ne dureront que si Dieu
les pénètre et dans la mesure
où Il les pénétrera ; en
dehors de Dieu, n'étant que chair, elles
subiront le sort de la chair, elles n'ont devant
elles que la décomposition,
c'est-à-dire la perpétuelle
transformation. Pénétrées de
Dieu, au contraire, elles reposent sur le roc et
rien ne peut désormais les ébranler
ou les détruire. Dans ce domaine comme dans
tous les autres, la mort ne nous enlève que
ce que nous n'avons pas donné et
consacré à Dieu.
C'est ce qui explique comment dans la
vie à venir, nous pourrons être
heureux, même si nous ne retrouvons pas tous
ceux que nous avons aimés ici-bas,
difficulté qui peut paraître
troublante à plus d'un de mes lecteurs
(1). Dieu sera
alors tellement tout en tous, Il
remplira tellement tout de sa
vie et de son amour, que tout ce qui ne sera pas en
lui disparaîtra ; nous ne l'apercevrons
pas, à supposer que cela existe encore. Nous
ne voudrons aimer, nous ne pourrons aimer que ceux
qui seront les objets de l'amour de Dieu.
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout
ton coeur, de toute ton âme, de toute ta
force et de toute ta pensée, et ton prochain
comme toi-même.
(Luc X, 27) » Dieu doit
être le premier et quand Il est mis de
côté, nous ne pouvons plus aimer, du
moins d'un amour éternel, par la bonne
raison que nous ne retrouvons plus dans
l'être aimé l'objet divin de notre
amour. Ne voyons-nous pas ce
phénomène commencer
déjà ici-bas, chaque fois qu'un
être s'éloigne volontairement de
Dieu ?
Voici deux frères dont l'un est
chrétien, tandis que l'autre ne l'est
pas ; il se creuse entre eux sans qu'ils le
cherchent, un fossé toujours plus
profond ; leurs goûts, leurs
aspirations, leurs espérances ne sont pas
les mêmes ; ce qui attire l'un repousse
l'autre, ce qui enthousiasme le premier laisse le
second froid et indifférent. Le
chrétien rencontre un jour un homme qui a
les mêmes convictions que lui :
immédiatement une sympathie profonde
s'établit entre eux, ils parlent le
même langage, ils se sentent frères
d'une manière beaucoup plus profonde que les
deux frères de même sang. Cette fois
ce qui les rapproche ce n'est plus la chair et le
sang, c'est-à-dire la matière, c'est
l'esprit et le coeur,
c'est-à-dire Dieu lui-même ; leur
amitié n'est plus de l'amitié c'est
une communion ; ce sont les deux membres d'un
même corps et comme ces deux membres sont
étroitement unis à la tête,
tant que la tête subsistera, or elle
subsistera éternellement puisque c'est
Christ ou Dieu, ils ne seront jamais
séparés. Le rapprochement accidentel
vient de recevoir le sceau du divin, donc de
l'immortalité, et désormais
l'accident, le corruptible disparaît ;
la mort pourra relâcher momentanément
ces liens, elle ne pourra jamais les
détruire.
En d'autres termes la famille que Christ
est venu fonder sur la terre est destinée
à l'immortalité, l'union qu'il a
établie entre les membres et lui, la
communion qui existe entre eux ne peuvent
être brisées par rien, donc la vie
à venir, grâce à
Jésus-Christ, est dorénavant une
certitude absolue. J'en appelle à
l'expérience de tous ceux qui forment cette
famille et qui connaissent cette communion :
sans qu'ils puissent toujours se rendre compte
pourquoi ni comment, ils sentent très bien
qu'ils s'aiment pour toujours et qu'entre eux la
mort est vaincue.
Enfin la vue du monde de la nature que
nous fournissait notre raison et qui nous avait
amenés à une possibilité
concernant la vie à venir, nous conduit
à une certitude quand nous envisageons la
nature non plus en elle-même mais en Christ
et comme l'oeuvre que Dieu a créée
par son intermédiaire. « Toutes
choses ont été faites par lui et rien
de ce qui a été
fait n'a été fait
sans lui
(Jean I, 3). » Plus nous
réfléchissons à ces sujets,
plus nous méditons l'Écriture sur ces
questions, plus nous arrivons à la certitude
que l'univers matériel, notre terre en
particulier, participera à l'oeuvre
glorieuse de rédemption entreprise par le
Christ. Un jour viendra où le royaume de
Dieu s'établira partout, sur notre terre
déchue tout aussi bien qu'ailleurs. Pourquoi
en serait-elle exclue, quand nous la voyons si
belle, cette nature, en une radieuse journée
de printemps ou sous les rayons du soleil
d'automne, alors qu'elle se pare de sa magnifique
robe de noce ? N'apparaît-elle pas plus
belle encore que l'homme lui-même qui
règne sur elle ? N'est-elle pas en face
de lui comme une épouse fidèle et
malheureuse, en larmes en face de son époux
infidèle ? Ne l'attend-elle pas avec
une constance touchante, jusqu'au jour où il
sera enfin à la hauteur de sa
beauté ? N'est-ce pas cette
pensée que Paul exprime quand il dit que
« la création attend avec ardeur
et anxiété la
révélation des fils de Dieu ?
Car la création, ajoute-t-il, a
été soumise à la
vanité, - non de son gré mais
à cause de celui qui l'y a soumise, - avec
l'espérance qu'elle aussi sera affranchie de
la servitude de la corruption, pour avoir part
à la liberté de la gloire des enfants
de Dieu. Or nous savons que jusqu'à ce jour,
la création tout entière gémit
et souffre les douleurs de l'enfantement
(Rom. VIII, 19 à
22). »
Quand le Fils de Dieu qui fut aussi le
Fils de l'homme, l'homme normal, apparut sur la
terre, son pouvoir et sa sollicitude ne se
restreignirent pas au domaine de l'âme, il
s'occupa tout autant du corps de ses contemporains
et à plusieurs reprises manifesta son
pouvoir royal au sein de la nature. Que l'on se
rappelle plutôt la scène où il
apaisa la tempête sur le lac de
Génézareth. N'est-ce pas là un
symbole et comme une prophétie de ce qu'il
fera un jour en faveur de la nature ? Ne
pouvons-nous pas y voir un gage de cette
restauration magnifique qu'il accomplira pour elle
et par laquelle il rétablira l'harmonie, en
supprimant le désordre introduit par l'homme
déchu ? En tout cas, quiconque
connaît par expérience le Seigneur
Jésus sait qu'il ne commence pas une oeuvre
sans l'achever et qu'il peut mener à bien et
pousser jusqu'à la perfection l'oeuvre de
son amour. Voilà pourquoi nous disions il y
a un instant qu'en entrant en communion intime et
vivante avec Christ, en découvrant par lui
l'amour infini du Dieu de la grâce, qui est
le Dieu de la création, nous arrivons
à une certitude absolue sur la vie à
venir et que cette certitude remplace la
possibilité qu'avait entrevue la raison
laissée à elle-même.
C'est ainsi que, grâce à
Jésus-Christ, grâce à la
position dans laquelle il place tous ceux qui
croient en lui, l'homme quitte le sable mouvant et
met le pied sur le roc inébranlable. Aussi
à la question qui forme le titre de cette
étude : Peut-on croire à la vie
à venir ? nous répondrons, pour
le douteur : Peut-être. Pour le
croyant : Certainement.
Voici maintenant quelles seront nos
conclusions.
Avant tout, nous dirons aux
spiritualistes, qui admettent une vie future, sans
accepter la révélation
chrétienne, de prendre garde que leur
espérance ne devienne de plus en plus vague
et obscure à mesure que la science se
développe et que l'étude de
l'histoire apparaît plus confuse et plus
troublante ; les arguments d'autrefois ne
tiennent plus debout ; en dehors de Christ,
chaque progrès dans un domaine ou dans un
autre est un ébranlement nouveau des
anciennes croyances. La foi à
l'Évangile va donc devenir toujours plus
nécessaire pour ceux qui, refusant de se
contenter de choses approximatives ou de
probabilités, ont besoin de
certitudes.
Quant à ceux qui nient toute vie
future, qu'ils se demandent si leurs doutes ne
viennent pas du péché qui est et
restera la grande cause de
l'incrédulité : en
général l'homme croit ce qu'il a
intérêt de croire ; et il est
évident que celui qui vit dans le mal a trop
intérêt à nier cette vie pour
l'admettre. Mais quand il s'écrie :
Mangeons et buvons, car demain nous mourrons !
il n'en est pas très sûr ; il se
le dit, il le crie même, pour se donner du
courage et tranquilliser sa conscience au moment
où elle l'accuse. Mon cher lecteur, si c'est
là ton attitude, laisse-moi te supplier de
faire acte de sincérité, et ta
négation ne te paraîtra plus si
certaine. Et puis fais un effort pour sortir du
mal, fuis le mal, combats-le de toutes tes forces,
cherche le bien, attache-toi fortement à lui
et la vie te semblera trop belle pour n'être
qu'une marche vers la mort.
Enfin aux croyants, qui pourront lire ce
qui précède, je dirai de travailler
activement à aider les autres à
croire à la vie à venir en leur
montrant qu'eux-mêmes y comptent avec une
joyeuse certitude. Au milieu des doutes et des
négations de nos contemporains, il nous faut
tout faire pour répandre notre foi, et nous
n'y réussirons que si tous
s'aperçoivent que nous vivons ce que nous
croyons. Qu'ils évitent avec soin par
conséquent de se laisser aller au
désespoir quand quelqu'un de leurs
bien-aimés a pris son vol vers les sommets
éternels ; qu'ils ne cherchent plus
parmi les morts ceux qui sont vivants, qu'au lieu
de tenir leurs yeux fixés vers la terre et
le sépulcre, ils les lèvent vers le
ciel, baignés de larmes, je le comprends,
mais brillants d'une joyeuse
espérance.
Et surtout qu'ils évitent avec
soin de mettre leur coeur dans les biens de ce
monde, comme si ces biens étaient seuls.
« Là où est votre
trésor, là est votre coeur
(Matth. VI, 21) », disait
Jésus. Que notre trésor soit dans le
ciel et que notre coeur y soit aussi, et le monde
recommencera à croire au ciel.
« Si donc vous êtes
ressuscités avec Christ, dit saint Paul,
cherchez les choses d'en-haut, où Christ est
assis à la droite de Dieu
(Col. III, 1) » et le monde
les cherchera avec vous.
- Puis je vis un
nouveau ciel et une nouvelle terre; car le
premier ciel et la première terre avaient
disparu, et la mer n'était
plus.
- Et je vis descendre
du ciel, d'auprès de Dieu, la ville
sainte, la nouvelle Jérusalem,
préparée comme une épouse
qui s'est parée pour son
époux.
- Et j'entendis du
trône une forte voix qui disait: Voici le
tabernacle de Dieu avec les hommes! Il habitera
avec eux, et ils seront son peuple, et Dieu
lui-même sera avec eux.
- Il essuiera toute
larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et
il n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur,
car les premières choses ont
disparu.
(Apocalypse XXI, 1 à 4)
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