LA MAIN DE
DIEU
La Main de Dieu a paru à
Aix-en-Provence au début de
l'été 1943, mais le rationnement du
papier n'a pas permis aux éditeurs de nous
fournir les exemplaires commandés à
votre intention. L'auteur nous a donné alors
toute liberté pour la réimpression de
ces prédications, et nous sommes heureux de
pouvoir, au nom de l'Eglise, vous faire parvenir
cette bouffée d'air de France et vous
permettre d'entrer en communion plus,
étroite par la pensée et la
prière, avec les membres de vos familles
qui, au pays, trouvent dans la lecture de ces
prédications fortes et viriles, un
réconfort et un encouragement dans les
difficultés de l'heure.
Nous profitons de l'occasion pour
vous renouveler l'assurance de notre fraternelle
affection et l'offre de vous envoyer toutes les
Bibles, Nouveaux Testaments et livres religieux
dont vous pourriez avoir besoin pendant ce temps de
solitude physique et morale. C'est là notre
seule raison d'être : au nom des
Églises, apporter à chacun, dans la
mesure du possible, aide et
réconfort.
La Commission oecuménique
pour l'Aide spirituelle aux Prisonniers de
Guerre.
Genève, 41, avenue de
Champel.
Olivier Béguin,
secrétaire.
PRÉFACE
Voici, en pleine tourmente, un livre de
Sermons. Des auditeurs, et parmi eux, des jeunes,
ont désiré cette publication. C'est
bon signe. On comble leur souhait.
Des auditeurs ? En quelque
sorte, des collaborateurs. Le
« sermon », d'après
l'étymologie, est un ensemble de paroles
« qui s'enchaînent »,
d'où le sens ancien de
« conversation », disent les
philologues. Et n'est-ce pas, en effet, une
manière d'entretien entre le
prédicateur et les fidèles, entretien
où un seul parle à haute voix, tandis
que les autres répondent, par la parole
intérieure, dans le silence de leur
coeur ? Il reste, toutefois, que c'est une
composition « oratoire »,
même si l'on entend ce mot dans son sens le
meilleur, celui qu'indiquait Pascal lorsqu'il
disait : « La vraie éloquence
se moque de
l'éloquence. »
Le sermon, discours parlé,
est fait pour être entendu. Et pourtant, les
meilleurs sermons, ceux qui ne s'évanouiront
pas à la limite des vibrations de l'air
engendrées par la parole articulée,
doivent pouvoir être lus, et lus avec
intérêt. Le Protestantisme
français possède, sans excès,
des recueils de sermons qui méritent
d'être élevés au rang de livres
de chevet. Il est souhaitable que, par une louable
émulation, cette collection soit enrichie.
Aux jeunes prédicateurs de s'y employer. M.
le pasteur Henri Manen affronte aujourd'hui,
courageusement, l'épreuve de l'impression.
Il met sa pensée noir sur blanc. Nous sommes
heureux d'en faire la présentation.
Il y a plusieurs genres de
sermons. Tous sont bons, sauf le genre
défini par Mme de Sévigné
écrivant à sa fille :
« je sors du sermon, je m'y suis
ennuyée pour l'amour de Dieu. »
Pendant de nombreuses années, nous avons
entendu dans une grande Église de Paris,
prononcés par quatre pasteurs se
succédant dans la même chaire, le
sermon christologique, brûlant d'amour,
édifié sur une vaste pensée
créatrice ; le sermon de fine,
pénétrante et émouvante
psychologie religieuse ; le sermon de morale
évangélique d'une profonde
spiritualité ; le sermon fortement
étayé par l'histoire de la
Réforme. Pas un seul qui se confinât
dans la dogmatique, qui risque de diviser. Tous
centrés sur la rayonnante personne du
Christ. C'est que le sermon de l'Unité
réformée française doit, non
pas parquer les fidèles dans des
compartiments étrangers à la foi
commune, mais les rassembler dans un même
élan de confiance, d'amour, autour des
principes éternels proclamés par
l'Écriture, et, principalement, par
l'Évangile. Il doit inspirer et fortifier.
Inspirer, pour nourrir la conscience morale, la
conscience chrétienne ; fortifier, afin
de porter à l'action.
M. Manen est un homme d'action.
C'est sa pente. Un impératif joyeusement
accepté lui dit de la suivre sans faiblir
dans un temps où il n'est pas permis de
sommeiller lorsqu'on a le vif sentiment du message
dont on est comptable. Ses sermons reflètent
cette primordiale tendance. Il parle donc avec
vigueur des décisions viriles de la
foi ; de la fidélité qui permet
de vaincre la peur de souffrir ; de la lutte,
état normal du chrétien ; de
l'obéissance à la vocation qui lui
est adressée ; de la justice de Dieu,
qui juge et châtie, qui avertit, qui juge et
pardonne ; de l'amour du Christ qui, par sa
souffrance volontaire, absorbe et abolit la haine
des hommes : sommet de l'action
rédemptrice.
L'action efficace, capable de
prolonger en profondeur ses effets, n'est pas
l'activité superficielle que l'on rencontre
parfois dans les « oeuvres »,
et qui n'est qu'agitation. C'est un feu qui surgit
d'un foyer central inextinguible, allumé par
l'Esprit. Cette action-là,
génératrice de pensée, formule
au tréfonds de l'être intime ce que
nous appellerons une « pensée
d'action », qui fait passer de la
puissance à l'acte, l'éternelle
spiritualité que le prédicateur puise
dans la Bible, soit qu'elle s'exprime, dans
l'Ancien Testament, par des
« vies »,
représentatives des
révélations divines progressives, qui
se sont insinuées, qui ont trouvé
passage, pour parler comme Bergson, dans la masse
confuse, souvent impure, constituant telles
personnalités de l'Ancienne Alliance ;
soit qu'elle jaillisse des injonctions, des
enseignements des grands prophètes ;
soit enfin qu'elle rayonne, éclatante et
chaude, du foyer même du christianisme
authentique, de l'Évangile, où, dans
la personne du Christ, elle atteint
l'Absolu.
Cette spiritualité ne
concerne pas exclusivement tel peuple et telle
époque, et, singulièrement,
l'époque d'angoisse et de souffrance que
nous vivons. Elle est valable pour toutes les
périodes de l'Histoire, pour toute la
caravane humaine, dans le Temps et dans l'Espace.
Sa pérennité ne peut être mise
en doute. Le témoignage intérieur de
l'Esprit nous l'assure.
Les prédications qui
composent ce volume sont donc des
prédications d'action, fondées sur
cette « Pensée
d'action » que nous venons d'esquisser.
Remercions-en M. le pasteur Manen. Quelque
goût que nous ayons pour la
spéculation théorique, il nous
plaît de trouver dans ces pages, une
pensée non pas
« assise », mais
« debout », qui fait front, qui
est en marche, et qui montre, dans le
déroulement des siècles,
« la main de Dieu ».
« Un de nos modernes penseurs
(1) -
déclare M. Manen dans son sermon Le Bras de
chair et la main de Dieu - après avoir
consacré la plus grande partie de ses
écrits et de ses prédications
à scruter les abîmes douloureux du
problème du Mal, a vu, au soir de sa vie, se
dresser le beau et solennel problème du
Bien. Et au cours d'un ouvrage imposant, il
relève dans notre vie, dans notre histoire,
sur notre terre, et dans notre
âme, toutes les merveilleuses et
inexplicables délivrances, tous les
triomphes fulgurants de la vie sur la mort, de
l'esprit sur la matière, de l'éternel
sur l'éphémère. Somme toute,
toutes les victoires définitives de la main
de Dieu. »
L'Apocalypse dessine en quelques traits la
figure éblouissante de ce cavalier, montant
un cheval blanc, armé d'un arc et
déjà couronné au
départ, avant même d'avoir
combattu : car « il partit en
vainqueur et pour
vaincre. »
Telle doit être l'allure
triomphante du Ministre de l'Évangile. S'il
est fidèle, et dans la délivrance de
son message et dans sa vie personnelle, il se
confère des droits : le droit
d'enseigner, le droit d'avertir, le droit de
reprendre et de protester, au nom de son souverain
Maître. Il peut alors s'approprier
l'affirmation magnifique, à la fois humble
et fière, du cardinal Lavigerie :
« je suis le serviteur d'un Maître
qu'on n'a jamais pu renfermer dans un
tombeau. »
PAUL LIQUIER,
Inspecteur honoraire de
l'Enseignement de la Seine.
Aix-en-Provence, avril 1943.
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