Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



MOODY
PÊCHEUR D'HOMMES - MILITANT DES U. C. J. G.




CHAPITRE X
AVEC LES SIENS

Sa mère

S'établir à Northfield, à son premier retour d'Angleterre, avait été pour Moody une joie très grande. Lui qui, à seize ans, avait eu hâte de quitter la maison pour voir du pays et jouir de la liberté, était, en fait, attaché par toutes les fibres de son coeur au foyer natal. Il y retrouvait sa mère, qui longtemps encore devait en demeurer l'âme. À vrai dire, elle n'avait autrefois guère compris son fils dans sa décision d'abandonner les affaires pour le service de Dieu, mais elle avait trop prié pour n'être pas heureuse qu'il eût obéi à l'appel d'En-Haut. Ce n'est qu'en août 1876, et sans en avoir annoncé l'intention, qu'elle vint assister pour la première fois à un culte présidé par lui. Lorsqu'il la vit se lever et demander que l'on priât pour elle, Moody, saisi, se tourna vers un fidèle ami :
- Prie, toi, Jacobs, moi je ne le puis pas!

Qui ne comprendrait l'émotion avec laquelle il l'entendit ensuite proclamer joyeusement sa foi ?
Dès ce jour, parvenue à la liberté des enfants de Dieu, elle ne cessa de progresser dans la vie spirituelle. À sa constante sollicitude, Moody répondait par une filiale et respectueuse tendresse. En voyage, il ne se passait guère de jour qu'il ne trouvât le temps de lui écrire ou de lui envoyer quelques coupures de journaux, afin qu'elle pût le suivre pas à pas. Elle se réjouissait de sa droiture plus encore que de sa réputation croissante.

Maison familiale de Moody.
(d'après une gravure de 1886)

Attachée à la vieille maison de famille que, sans lui enlever son cachet, Moody avait faite plus confortable, l'aïeule, admirablement conservée, entendait, à quatre-vingt-six ans, tenir elle-même son ménage ! «J'ai battu mon beurre tout l'hiver, écrivait-elle. Ne me grondez pas ! Un peu fatiguée, c'est vrai : mais notre bon Père me donne Sa force jour après jour»... Aussi les élèves de Northfield et de Mount-Hermon accouraient-ils volontiers vers Granny (1) , séduits par son charme, sa piété et le rayonnement de toute sa personne.
Puis la fin s'annonça. D'une main ferme encore, elle termina une dernière lettre par ces mots : «je pense souvent à la bonté que le Seigneur m'a témoignée tout le long de ma vie. Il m'a donné de si bons enfants ! ».

À l'appui de cette affirmation, on vit Moody interrompre une importante tournée lorsque lui parvint l'alarmante nouvelle. il put encore recueillir l'adieu de sa mère, assister à sa fin paisible, et le jour des obsèques lui rendre un suprême hommage :
«Ce n'est point la coutume qu'un fils prenne la parole en pareille circonstance, mais je voudrais avoir la force de dire le grand honneur que j'éprouve d'être le fils d'une telle mère. Je ne puis assez la bénir pour ce qu'elle a été. Elle fut une femme très sage. En un sens, elle a été plus sage que Salomon puisqu'elle a su élever ses enfants. Elle en a eu neuf, et tous ont aimé le foyer familial. Elle a gagné leur coeur ; elle pouvait faire d'eux ce qu'elle voulait. Loin d'elle, ils soupiraient après le moment où ils reviendraient s'établir près du cher foyer. J'ai beaucoup voyagé, J'ai vu beaucoup de mères ; je n'en ai pas vu qui eût plus de tact. Ma soeur aînée m'a dit, ces tout derniers jours, quelque chose qui m'a brisé : à savoir que, pendant la première année qui suivit la mort de noire père, ma mère pleurait chaque soir et s'endormait exténuée de fatigue et de tristesse. Or, devant ses enfants, elle se montrait toujours gaie. Souvent, sous le poids de son chagrin, elle se relevait la nuit et ma soeur l'entendait invoquer Dieu. Mais avant de laisser libre cours à sa tristesse, elle s'assurait que nous étions endormis. jamais elle ne fit de différence entre nous. Elle nous aimait tous et d'un égal amour. Jamais elle ne s'est plainte de nous. Et comme elle appréciait la bonté qu'on lui avait témoignée pendant ses années de luttes ! Lorsque, rentrant à la maison, il m'arrivait de dire sans bienveillance. «On m'a fait ceci, on m'a fait cela ! » elle m'arrêtait tout de suite :
- N'en dis pas davantage, Dwight ; cet homme a été bon pour moi ! ».

Maintes fois, prêchant sur la parabole de l'enfant prodigue, Moody évoqua la fidélité de l'amour maternel, image infiniment touchante de l'amour du Dieu qui pardonne. il en avait trouvé un exemple éloquent dans sa famille même. L'un de ses frères, en effet, s'était éloigné de la maison et devait en demeurer très longtemps absent. jamais on ne prononçait son nom devant la mère ; mais elle, toujours, pensait à lui. «Bien des années s'étaient écoulées, ma mère avait vieilli, ses cheveux étaient devenus blancs, lorsqu'un après-midi d'été apparut un homme au visage brûlé par le soleil et couvert d'une barbe épaisse. Il avait passé d'abord au cimetière. Puis, arrivé devant la maison, il ouvrit le portail, s'approcha d'une fenêtre, regarda dans la chambre comme s'il craignait d'y voir des étrangers. Enfin, il heurta à la porte. Ce fut ma mère qui ouvrit.
Des années de luttes et de rudes travaux avaient rendu l'homme méconnaissable. Ma mère le pria d'entrer. Lui, ne bougeait ni ne parlait, debout dans l'altitude du repentir mais comme brisé par le sentiment de son indignité. De grosses larmes roulaient le long de ses joues... La mère reconnut alors son fils perdu. Mais il ne voulait pas franchir le seuil avant d'avoir confessé son péché et entendu des lèvres mêmes de celle qui, si souvent et si longtemps avait prié pour lui, la douce assurance du pardon.
Pensez-vous que cette mère ait laissé son fils hors de la maison jusqu'à ce qu'il eût achevé la longue énumération de ses fautes, qu'il eût accompli une série d'actes de pénitence et redit je ne sais combien de prières ? Non ! Rien de tout cela ! Elle l'attira sur son coeur, le fit entrer sans délai et eut, de ce retour, plus de joie que ne lui en avaient causé tous les autres enfants qui, eux, n'avaient pas quitté le foyer.
Et c'est de la même manière que Dieu pardonne aux prodigues qui reviennent à Lui ! ».

Le foyer familial

Le foyer, cadre où l'homme apparaît sous son jour le plus vrai.
Dans la demeure aimée de Northfield devaient grandir trois enfants : une fille, Emma, et deux fils, William-Revell et Paul. La vie y était paisible, intime. Rien ne vint troubler ni, même un seul jour durant près de quarante années, voiler l'amour noble et pur qui avait rapproché Dwight-L. Moody et Emma Revell aux heureux temps de leurs fiançailles... Compagne de vie s'associant pleinement à son activité et le déchargeant de tout ce qu'elle pouvait prendre sur elle des soucis du ménage ou de la direction des écoles, elle permit ainsi à Moody, entre ses tournées ou pendant ses vacances, de jouir pleinement de la vie de famille. C'est alors qu'il aimait à se détendre, à jouer avec les enfants, puis, lorsqu'ils grandirent, à les suivre de près, à les initier enfin à ses travaux. Lorsque fut venu leur tour de fonder un foyer, il se plut à pratiquer l'art d'être grand-père. Ayant gardé son coeur d'enfant, comment n'aurait-il pas aimé les tout petits et su s'en faire aimer?
«Je l'ai vu un matin - raconte un ami - rentrant en voiture dans la cour de sa maison et ayant à ses côtés sa petite-fille âgée de quatre ans ; elle s'était endormie, appuyée contre lui. Plutôt que de la réveiller, il fit dételer doucement le cheval et resta dans la voiture où bientôt lui aussi s'assoupit ! ».

Enfin, les visites d'amis étaient fréquentes, l'hospitalité de Northfield, particulièrement au moment des conférences d'été, s'avérant inépuisable.
A cet heureux foyer, chaque journée avait son programme. Debout de fort bonne heure (avant six heures le plus souvent), Moody restait d'abord seul avec son Dieu, lisant et méditant Sa Parole ; il s'était fait une règle de mettre à profit ses vacances pour relire le Saint Livre chaque année d'un bout à l'autre. Après quoi, il faisait le tour des fermes et rentrait pour un déjeuner familial où l'on célébrait le culte quotidien. La matinée était consacrée, soit au courrier toujours considérable soit aux écoles et aux conventions. De plus, tous les jours, le chef présidait deux courts services, l'un à neuf heures au séminaire des jeunes filles, l'autre à midi à l'Institut de Mount-Hermon : il restait ainsi en contact journalier avec les élèves, toujours prêt aux entretiens personnels si on lui en exprimait le désir. Un temps de repos suivait le repas de midi : mais, bien souvent, il se transformait en heure d'étude. Ensuite, promenade en cabriolet: Moody conduisait lui-même, entraînant volontiers sa femme ou ses enfants à quelque excursion, à quelque visite aux alentours. En général, la soirée ne se prolongeait guère.

Moody avec des étudiants.

Le régime était simple. On vivait surtout des produits de la ferme et du jardin où Moody aimait à travailler lui-même et dont il savait généreusement, au temps des récoltes, faire bénéficier isolés, indigents et citadins. «Tout homme, disait-il, doit avoir une marotte quelconque pour se détendre l'esprit». «Envoyez-moi donc une lettre pleine de détails sur la ferme», lisait-on parfois au milieu des nouvelles qu'il donnait de ses voyages. Et, d'autres fois, il écrivait : «J'ai acheté vingt-cinq moutons et vingt-cinq brebis pour l'école des garçons... Nous avons donc maintenant huit vaches et nous aurons bientôt soixante-quinze poules. Une des dindes couve; j'aurai aussi des oies pour mettre de l'animation dans le paysage ! Il nous arrivera demain soir sept garçons, et nous en attendons d'autres la semaine prochaine». Le fragment fait tableau ! Mais ces élèves qui semblaient l'intéresser à l'égal des moutons ou des poules, Moody les suivait de près ; il surveillait lui-même leur logement et leur alimentation, partageait leurs joies, prenait sa part de leurs chagrins, et s'intéressait à eux avec une paternelle sollicitude même lorsqu'ils avaient quitté l'école.

L'hôte et l'ami

Durant les conférences d'étudiants et autres «conventions» annuelles, son talent consistait à diriger jusqu'aux moindres détails, sans jamais se mettre en avant mais en faisant appel à des orateurs du dehors, notamment à ceux qui avaient l'habitude de l'enseignement. Un jour, on insista pour qu'il se fit entendre lui-même ; bon nombre de délégués, lui disait-on, étaient venus dans cet espoir. Non sans difficulté, il accepta, mais convoqua son monde... à six heures du matin, pour ne prendre, disait-il, la place d'aucun autre ! L'assistance fut, ce matin-là, plus nombreuse qu'à l'ordinaire !

Tous ceux qui l'ont vu chez lui, tous ceux qui sont devenus ses amis, sont unanimes à louer son charme. ils louent aussi son naturel, sa bonhomie, son inaltérable entrain. Enfant, il aimait à jouer de bons tours à ses camarades d'école ou à inventer avec eux des farces. Toute sa vie, il garda quelque chose de cette malice, sans malveillance aucune. Avec lui les rires éclataient et sonnaient toujours francs.

Whittle, compagnon de la première heure, raconte un séjour qu'il fit à Northfield en compagnie de Sankey et de Bliss, autre musicien de ses amis. Moody leur fit parcourir tous les environs, leur montra, dans la montagne, les lieux où, adolescent, il allait garder les vaches et cueillir des baies sauvages.
«Avec lui, nous allâmes ensuite dîner chez son oncle Cyrus, de l'autre côté de la vallée. Nous traversions le fleuve en bac. Bliss et Sankey chantaient ensemble divers cantiques, entre autres ceux qui commencent ainsi : «Attendant le pilote... » ou «Il est un pays de pures délices... ». Moody aidait le passeur. Nous eûmes le sentiment que la traversée était décidément bien lente. Après le troisième ou quatrième cantique, Sankey, portant ses regards sur Moody, constata qu'il tenait le câble et ramait en sens contraire du passeur, non seulement pour le plaisir d'entendre chanter ses amis le plus longtemps possible, mais aussi pour le bien du batelier : c'était un de ses anciens compagnons d'école et il priait pour sa conversion. Moody s'amusa fort de la déception de Sankey. Tous après avoir ri de bon coeur, nous entonnâmes à l'unisson le «Passons sur l'autre rive» et, surveillant cette fois Moody du coin de l'oeil, nous achevâmes la traversée... ».

Alors que, pour ses tournées de conférences et ses voyages, il ne quittait guère la tenue ecclésiastique qu'il avait adoptée à Chicago dès ses débuts de prédicateur, à Northfield au contraire, il portait des vêtements plus simples : un habit de velours marron foncé, pantalon et gilet de teinte jaunâtre, ce qui lui avait valu le surnom familier de Bumblebee (gros bourdon). On le voyait coiffé d'un chapeau déformé par l'usage et les pluies et, les jours de mauvais temps, chaussé de bottes de caoutchouc, fendues par le haut parce qu'il n'en avait trouvé nulle part d'assez larges.

Fréquemment, au temps des «Conventions» ou de la rentrée des classes, il allait en voiture accueillir à la gare quelque orateur ou quelque hôte.

Un jour, un voyageur, accompagné de deux dames, l'aperçoit au milieu des autres conducteurs attendant des clients et lui demande de le conduire à l'hôtel. Moody essaie d'expliquer qu'il est venu chercher des jeunes filles. L'autre insiste :
- Ces jeunes filles ne sont pas les seules à avoir besoin de vous. Menez-nous à l'hôtel. Vite !

Moody, amusé, consent. Il entend le monsieur expliquer aux dames que cet afflux de voyageurs est dû à la rentrée des cours des écoles qu'a fondées M. Moody. Puis le dit monsieur donne l'ordre au soi-disant cocher de les conduire à l'hôtel le plus rapproché de ces établissements qu'on appelle the Northfields. On y arrive. Les étrangers descendent de voiture, et Moody de tirer sur les guides.
- Hé là ! hèle le personnage, arrêtez donc ! je veux payer ma course !

Peine perdue, Moody, faisant la sourde oreille, touche du fouet et disparaît, Stupéfait, l'étranger s'informe :
- Quel est donc ce cocher qui ne veut pas être payé'?
- Hé, c'est D. L.
- Quoi D. L.? Que voulez-vous dire?
- D. L. Moody, voyons !
... Le lendemain, l'étranger, confus alla présenter des excuses à celui que l'aventure avait cordialement diverti.

Avec ses collègues

Comme bien on pense, ces dons extérieurs, si remarquables fussent-ils, ne suffisaient pas à justifier l'attrait exercé par une telle personnalité. Ce qui lui valait l'affection générale, c'étaient sa piété, son caractère viril, chevaleresque et modeste à la fois, fort et doux tout ensemble, et cette nature absolument dépréoccupée de soi. Certes, il pouvait comme tout homme se tromper, commettre des impairs, mais jamais deux fois le même ! Il lui arrivait de céder à son tempérament naturellement vif et même emporté ; rien de plus touchant que de l'entendre alors demander publiquement pardon pour telle parole injuste, tel geste brusque qui lui avaient échappé.

Moody présidant une réunion à Northfield.

Certain soir, ayant, sans raison, grondé son fils cadet avec une sévérité et une vivacité inaccoutumées, on le vit rejoindre l'enfant en pleurs, s'agenouiller près de son petit lit, et, sanglotant lui aussi, lui demander pardon pour son impatience et sa rudesse. De tels aveux n'étaient pas signe de faiblesse, mais plutôt de grandeur d'âme ; ils procèdent de cette maîtrise de soi qui impose le respect.
Qu'on en juge par d'autres exemples!

«Nous étions, raconte un ami, réunis sous la tente, lors d'une convention biblique à Northfield. Adossé au mât central, Moody dirigeait l'entretien. Tout à coup, il lança comme une flèche la question suivante :
- Frères, combien en est-il parmi vous qui soient assez avancés dans la grâce pour supporter qu'on les critique ?

Plusieurs mains se levèrent.
Comme un éclair, mais sans aigreur, Moody se tourna vers un jeune ecclésiastique :
- Alors, frère, lui dit-il, vous avez parlé treize fois au cours de ces trois journées, et peut-être avez-vous ainsi empêché douze autres personnes tout aussi qualifiées de prendre la parole...

C'était la vérité : le pasteur mis en cause s'était montré importun et présomptueux. Moody jouait avec lui franc jeu. L'interpellé avait levé la main et s'était déclaré prêt à accepter un blâme. En fait, il le prit très mal. Cherchant à se disculper, il ne put qu'aggraver son cas. Là-dessus, un Américain pur sang, donnant libre cours à son indignation, apostropha Moody en l'accusant de brusquerie. Moody rougit, laissa passer l'orage ; puis, se cachant la figure dans les mains, on l'entendit s'excuser :
- Frères, je reconnais la faute dont on m'accuse. Mais moi, frères... je n'avais pas levé la main ! ...

Une autre fois, dans une séance de travailleurs chrétiens, Moody avait présenté le haut idéal du ministère et parlé de façon mordante de ceux qui trahissent leur vocation sacrée. Un jeune théologien protesta :
- Mr. Moody, je ne vois pas de pasteur ressemblant à celui que vous venez de dépeindre.
Trop vivement, Moody rétorqua:
- Vous êtes encore très jeune : vous en verrez beaucoup Restez à Rama (2) jusqu'à ce que votre barbe ait poussé.

La réplique était injuste et rude ; mais on ne pouvait, pour cela, suspendre la séance qui se poursuivit. Chacun, cependant, gardait l'impression que Moody n'avait pas été fidèle à la courtoisie et à l'amour qu'il témoignait habituellement à ses hôtes. Même emporté par sa véhémence, il ne pouvait pas ne pas s'en être rendu compte.
- Mes amis, s'écria-t-il tout à coup, j'ai au début de celle réunion, répondu d'une façon insensée à un cher jeune pasteur je demande à Dieu de me pardonner et je demande pardon à mon frère...
Puis, allant droit à l'offensé, il lui tendit la main.»

Pareille humilité ne l'empêchait pas d'être terme et d'imposer au besoin sa volonté lorsque le salut des âmes, la dignité de l'Évangile, l'honneur de Dieu étaient en cause. C'est ainsi qu'un Jeune orateur s'étant plaint avec vivacité que Moody l'eût arrêté brusquement alors qu'il prononçait une prière (mais une prière interminable !) :
«- Vous dites que je vous ai blessé, répartit Moody, J'en suis désolé. Mais vous froissiez les sentiments de centaines de personnes. J'aime mieux blesser un seul homme que de le laisser en froisser beaucoup d'autres !»

Les revivalistes sont souvent accusés de donner dans l'excentricité et d'ouvrir toutes grandes les portes à une exaltation malsaine autant qu'à toute sorte d'idées bizarres. Pareil reproche ne pouvait être adressé à Moody. Sa piété ardente, son zèle dévorant ne l'aveuglaient aucunement et n'étouffèrent jamais son robuste bon sens. Il avait en horreur tout ce qui sonne faux, le pathos, le sentimentalisme et la mièvrerie et, tout aussi bien, le fanatisme ou les «trucs» dont certains orateurs se servent pour attirer l'attention et capter les âmes.

Le chef

Ce fut aussi un admirable président. Une photographie prise an cours d'une des conférences d'été le montre, assis sur le bord de sa chaise, appuyé sur l'accoudoir, suivant attentivement la discussion. Il semble prêt à intervenir, au besoin à sauter à la tribune pour éviter que l'entretien ne s'engage sur une fausse voie ou n'aboutisse à une impasse. On dit qu'il ne présidait pas, mais imprégnait la séance de son esprit et l'on comprend que les participants en aient gardé un souvenir ineffaçable.

De ce bon sens sanctifié par l'Esprit, qui a été l'une de ses forces, voici encore un exemple remontant aux débuts de son ministère. Rentré chez lui après une journée fort bien remplie, il demanda à l'évangéliste, qui était son hôte ce jour-là, de bien vouloir faire le culte. L'excellent chrétien commenta longuement une portion de l'Écriture puis pria, très longuement aussi. Après l'amen final, on vit Moody rester à genoux. Sa femme, d'abord émue de ce recueillement prolongé, fut tout à coup envahie d'un sentiment d'inquiétude à le voir immobile à ce point, car elle se souvenait que son père, Edwin Moody, avait été enlevé par une mort subite... Elle lui toucha l'épaule. À ce moment, il tourna la tête vers elle mais, à l'expression atone et candide de son visage, on reconnut que le maître de céans s'était tout simplement endormi... Son visiteur crut devoir rappeler sentencieusement le texte sacré : «L'esprit est prompt, mais la chair est faible » !

« - Pas du tout ! déclarait-il plus tard en racontant l'incident : c'est lui qui était à blâmer de parler si longuement après une journée de rude labeur. Je croyais alors manquer de spiritualité J'étais tout simplement insensé. Le Seigneur n'est pas un Maître dur: Je me tuais en travaillant follement, jour et nuit, sans même prendre le temps de manger. J'ai appris depuis lors que, si je veux bien servir mon Maître, je dois agir avec bon sens et, depuis ce temps-là, je fais mon culte le matin, alors que je suis tout à fait réveillé».

Il arrivait parfois qu'il dût faire acte d'autorité. Ses décisions étaient alors acceptées par ses aides et subordonnés, car ceux-ci les sentaient inspirées par l'expérience. À son fils qui cherchait un jour à le faire revenir sur un point où leurs vues divergeaient, il déclara fermement :
«- Mon fils, tant que j'aurai la responsabilité de cette affaire, je veux qu'elle se fasse comme je l'entends. Le moment viendra où toi tu en seras responsable : alors tu pourras agir comme tu le jugeras bon.»

C'est ainsi qu'il fut amené à prendre très nettement position dans la question des guérisons par la foi. En ce temps-là, quelques élèves de l'institut biblique de Chicago avaient adopté les vues de ceux qui estiment que la foi dispense de recourir à la science médicale. Le bruit se répandit que c'était là une conséquence de l'enseignement donné à l'Institut. Sans même ouvrir une enquête sur les faits qui étaient à la base de ce bruit, Moody fit venir le directeur général et les chefs des divers services. Il leur dit qu'il avait eu vent que telle et telle chose s'était passée, qu'il croyait légitime l'usage de remèdes prescrits par la science médicale et déclara solennellement qu'à son avis la prière de la foi n'exclut nullement cet usage. Il déclara qu'au surplus il ne voulait pas être accusé de garder à l'Institut des élèves qui en cas de maladie refuseraient de consulter un médecin. C'était net et clair. Lorsqu'il eut terminé, frappant la table du poing, il conclut ainsi :
«Si des gens enseignent qu'en cas de maladie il ne faut pas appeler le docteur, qu'ils sortent ! C'est tout».

Et il leva la séance.
Autocrate ? Oui, mais seulement en ce sens qu'il savait au besoin accepter les responsabilités et agir en conséquence. Autrement, jamais il n'a voulu faire oeuvre personnelle. Bien des actes ont mis en évidence chez lui l'humilité authentique du chrétien qui ne veut qu'une chose comme son Maître, servir.

Faut-il insister encore sur son désintéressement jamais Moody n'a voulu accepter de traitement fixe. Il s'attendait à Dieu pour son pain quotidien. Il connut des heures de gène : elles ne purent abattre sa confiance. Ses amis pourvurent au nécessaire. Il n'acceptait que ce qui était indispensable à son entretien et ne se départit jamais de son idéal de simplicité, autant pour les siens que pour lui-même. Si quelqu'un tenait à lui témoigner sa reconnaissance par un don, immédiatement il en trouvait l'emploi et faisait parvenir la somme à une Union chrétienne de jeunes gens, un collège, une institution de bien public. Il confia à un conseil d'administration de trois personnes la gérance des fonds assurés par les éditions successives du recueil de cantiques qu'il avait édité jadis avec Sankey, fonds qui, à la fin de septembre 1885, déjà s'élevaient à trois cent cinquante mille dollars (1.750.000 francs or). On chargea de la vérification des comptes un homme de loi de grand renom, qui d'ailleurs n'avait pas caché son dédain pour ces campagnes d'évangélisation et même avait accusé Moody aussi bien que Sankey d'être de vulgaires profiteurs. Après avoir examiné les livres, il retira ses accusations, reconnut la parfaite loyauté de l'évangéliste et du chanteur. Puis il déclara qu'après tout ils étaient bien fous de laisser glisser entre leurs doigts une telle fortune ! ...

Cette droiture, cet oubli de soi-même, donnaient à toute la personnalité du chef un rayonnement extraordinaire. Il était de ceux qui, partout où ils se présentent, là même où ils ne font que passer, assainissent l'atmosphère et devant qui l'on ne peut éprouver de sentiments mesquins. De tels êtres imposent le respect même à des inconnus. Un témoin autorisé a raconté que, se trouvant un jour chez le coiffeur, il eut le sentiment que l'homme qui venait d'entrer et s'était installé dans le fauteuil voisin du sien n'était pas un client quelconque. Sans aucune pédanterie, chaque parole qu'il prononçait témoignait d'un intérêt vivant pour l'employé qui s'occupait de lui.
«Je compris très vile que J'avais assisté à une réunion d'évangélisation, mon voisin n'étant autre que Moody. Intentionnellement, je m'attardai dans ce salon de coiffure après son départ et notai, sur les employés qui étaient là, l'effet singulier de son passage. Tous parlaient à mi-voix. Ils ignoraient son nom, mais ils savaient que quelque chose avait élevé leurs pensées et, lorsque je me relirai, ce fut comme si je sortais d'un sanctuaire... ».

On appréciera la valeur de ce témoignage lorsqu'on saura qu'il a pour auteur le président Woodrow Wilson lui-même.


Table des matières

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1. Diminutif affectueux de grand-mère, en anglais.
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2. Localité en Palestine, lieu natal et résidence qui prophète Samuel.

 

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