Nous
les jeunes
VII.
LE PEUPLE
« CE
SONT LES INDIVIDUS QUI FORMENT LE
PEUPLE. »
ARNDT.
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Peut-être l'échappée
que nous avons eue sur l'humanité, à
propos de notre enfant, a-t-elle paru trop vaste
à beaucoup de personnes. Peut-être,
aussi, beaucoup d'autres sont-elles
disposées à nier que
l'humanité forme un tout. Il n'y aurait,
pour ces dernières, que des peuples, des
nations différant les unes des autres, des
histoires nationales distinctes, mais jamais une
humanité ne serait apparue dans l'histoire.
Il y a là matière à
discussion. Pour ma part, je tiens
l'humanité pour un tout, et je puis assurer
que j'ai de bonnes raisons pour le faire.
Mais comme on ne s'est pas encore mis
d'accord sur ce point, au lieu de nous occuper
d'une humanité qu'il nous serait difficile
d'étudier dans son ensemble, occupons-nous
d'une humanité à portée de
notre observation, de notre peuple. Un peuple est
toujours une réalité historique,
possédant un caractère défini,
et ayant une tâche
précise à remplir. Un peuple qui est
parvenu à l'unité politique de sa
race, révélera toujours très
nettement l'unité des éléments
qui constituent sa nationalité. Les
mêmes facteurs de développement qui
agissent sur l'individu isolé :
origine, ambiance, climat, situation
géographique, etc., ont aussi leur
importance pour le peuple dont ils contribuent
à façonner l'âme.
L'âme ? Un peuple a-t-il une
âme ? N'est-il pas déjà
assez difficile de croire que l'homme en ait une,
faut-il donc croire que le peuple en a une
aussi ? Certainement ! Il en est de
l'âme du peuple comme de l'âme de
l'individu. Dans le rythme engourdissant de la vie
journalière, dans sa monotonie machinale,
nous courons le danger d'oublier que nous avons une
âme. Plus d'un, dont la tranquillité
n'est jamais troublée, peut l'avoir
oubliée et perdue. Mais lorsqu'un bonheur
immense nous arrive et nous remplit d'une joie
débordante, ou lorsqu'un malheur nous
atteint, nous ébranle jusqu'au plus profond
de notre être, ou encore, lorsqu'une
tâche nous est confiée, exigeant
toutes nos forces disponibles, et ne pouvant
être accomplie que par un travail et un
effort personnels, alors, le prisonnier
oublié se réveille
en nous. On le disait mort et en
décomposition, mais il se rue contre les
barreaux de son cachot ; il appelle à
grands cris l'air et la lumière, car, sans
air et sans lumière, il ne peut vivre.
Joyeuse ou désolée, notre âme
se dresse devant nous, et nous rappelle que nous ne
devons pas l'oublier, parce qu'elle est la
meilleure partie de nous-mêmes.
Un peuple peut aussi
végéter pendant des années,
même des dizaines d'années, lorsque
celles-ci ne sont pour lui qu'une somme de jours
dont l'un ressemble à l'autre. Aucune
souffrance profonde, aucune joie, ne viennent
remuer les flots de la vie populaire ; aucun
grand sacrifice n'est exigé, aucune grande
tâche ne demande à être
accomplie. Alors les traits caractéristiques
du peuple s'effacent, son individualité
s'amoindrit, son âme s'endort. Mais qu'un
appel à se libérer d'une domination
étrangère retentisse, ou que le
peuple ait à combattre pour sa
liberté et son unité, chacune des
individualités qui le composent se donne au
tout, s'abandonne, se sacrifie pour la nation. Tous
les désirs, toutes les espérances,
toutes les craintes particulières se
taisent, et toutes les âmes de la nation,
confondues dans un même sentiment, n'en
forment plus qu'une, l'âme
du peuple, grande, forte et joyeuse. Cette
âme populaire ne se révèle pas
seulement, dans les grandes époques, par
l'action commune ; elle cherche aussi des
représentants dans lesquels elle puisse
s'incarner. Parmi ces représentants, nous
pouvons citer les réformateurs, comme
Luther, Calvin, les grands poètes, tels que
Shakspeare, Goethe, Victor Hugo, et les grands
hommes d'État des différents
peuples.
Il y a une occasion accessible à
tous, de lire dans l'âme du peuple. Nous
n'avons qu'à montrer un peu moins d'orgueil,
à être un peu moins blasés. Il
faut qu'une fois, au moins, nous sentions que
nous faisons partie du peuple ; il faut
que nous l'aimions davantage. Alors les contacts
que nous aurons avec lui ne seront plus uniquement
des occasions de déclamations
insensées et vides sur les
« masses », mais nous
découvrirons des réserves
inépuisables de force et de
fidélité, d'amour maternel et
d'aspirations au développement, dont
l'absence serait la mort de notre peuple. Qui a
donc rendu les artistes capables de nous peindre le
peuple dans ses joies et dans ses douleurs ?
C'est l'amour avec lequel ils l'ont regardé,
écouté ! Le génie n'est
pas l'orgueil le génie, c'est l'amour.
Et nous voulons apprendre à
connaître ceux qui ont été les
représentants et les protecteurs de
l'âme de notre peuple. Quelque
différents qu'ils puissent être les
uns des autres, dans la mesure où ils ont
rencontré cette âme et parlé
par elle, ils toucheront et enrichiront nos
âmes ; ils nous identifieront avec cette
âme, sans que cela soit au détriment
de notre caractère personnel. Tout
véritable intérêt individuel
bien compris, est aussi un intérêt
national.
Nous tiendrons aussi à
connaître l'histoire de notre peuple, afin de
savoir d'où nous venons, et d'y trouver des
indications sur la voie que nous aurons à
suivre dorénavant.
Nous apprendrons encore à
connaître notre pays, et malgré le
cosmopolitisme envahissant, nous conserverons notre
amour de la patrie. C'est avec amour que nous
contemplerons ses plaines et ses montagnes. Il y a
en elles un esprit qui nous parle, et qui, lorsque
nous le comprenons bien, ne nous quitte plus. Notre
pays doit nous devenir sacré, lui qui a vu
changer les temps et les générations,
qui ont assisté aux joies et aux douleurs de
l'âme du peuple. Je suis convaincu que plus
nous apprendrons à connaître
intimement notre pays et notre
peuple, plus nous surveillerons attentivement ses
émotions, et mieux nous le comprendrons et
l'aimerons. Nous n'aurons pas un patriotisme
aveugle, un orgueil national, qui s'imagine qu'il
n'y a point de peuple comme le nôtre, mais un
amour éclairé. Loin de nous le
patriotisme qui, dans les festins, crie
jusqu'à s'enrouer, et s'enivre, pour aller
ensuite, se calmer auprès des plus
malheureuses filles de ce même peuple,
à la santé duquel il vient de
boire ! Arrière de nous, cette
misérable hypocrisie ! Mais honneur
à celui qui sait s'absorber avec amour dans
l'étude de son peuple, au contact duquel son
âme deviendra grande, forte,
indépendante ! Honneur à celui
qui baigne son âme dans les flots de
l'histoire de la patrie, tellement qu'elle en sort
forte, pure et fidèle !
Étudions aussi la question
sexuelle à ce point de vue très
élevé qui est celui de ses relations
avec la vie nationale. Nous ne nous bornerons pas
à compter les innombrables millions
d'individus qui, annuellement, sont
sacrifiés sur l'autel de Vénus,
capital géant perdu pour la civilisation, le
progrès de notre peuple, et qui surpasse en
tout cas de beaucoup ce que l'on nous demande
à titre de sacrifice national. Nous ne
penserons pas seulement que le
poison des maladies vénériennes
réclame d'innombrables victimes, hommes et
femmes, qui auraient pu rendre encore des services
à la collectivité, - quoique ces
points de vue aient une grande importance et qu'ils
pèsent, probablement, dans la balance plus
que nous ne pouvons le supposer maintenant.
Ce que nous voulons, c'est aimer notre
peuple de cet amour qui l'aidera et l'encouragera,
en le gardant de cette dépravation morale et
de cette faiblesse organique qui ont conduit
à la ruine les peuples anciens. Les femmes
qui sont au service de la prostitution ou de toute
autre satisfaction charnelle, ne sont-elles donc
pas des enfants de notre peuple ? Nous ne
pourrons plus regarder sans souffrir la
vulgarité de leurs traits flétris, ni
porter la responsabilité de les rendre
encore plus vulgaires en nous servant d'elles. Nous
ne nous excuserons plus en prétendant qu'il
n'y a en elles plus rien à corrompre et plus
rien à sauver. On retire de l'eau,
même un noyé. Et pour remplacer la
prostituée dont tu te sers, et dont tu as
contribué à précipiter la
ruine, il y a encore l'innocente qui sera
foulée aux pieds à la place de celle
dont tu as abusé. Ainsi tombe encore
l'excuse, souvent avancée, que l'on ne s'est
jamais servi de filles pures.
Dans le domaine de la prostitution,
l'offre monte et baisse proportionnellement
à la demande.
Mieux encore : Le peuple, la
collectivité, n'ont-ils pas des droits bien
fondés sur nos corps et nos forces, à
nous, jeunes hommes ? Ce principe
individualiste qui caractérise le courant
intellectuel moderne que nous avons
résolument adopté, ne nous
empêche en rien de nous unir à
l'âme de notre peuple. Nous ne voulons pas
être des entêtés, de froids
égoïstes qui renient l'esprit de corps,
qui n'ont plus d'amour pour le peuple, mais des
personnalités fortes, dont l'énergie
s'emploiera, dans les positions
élevées comme dans les plus humbles,
à aider et à protéger la
collectivité. Nous ne nous persuaderons pas
que notre conduite est indifférente à
la communauté, et que notre activité
n'a pas d'importance pour elle. En
réalité, notre existence peut lui
être utile ou nuisible, et une commode
indifférence est le plus grand méfait
que nous puissions commettre à son
égard. Ce que nous acquérons en
pureté, en joie et en bonheur, pour nous et
pour nos enfants, se répand par les canaux
des mille relations que nous possédons et
constitue finalement un apport indispensable
à l'âme populaire.
À quoi sert un patriotisme qui ne
s'exprime qu'en phrases ?
Au début de toute chose, on trouve une
action, et c'est encore une action qui
détermine le résultat final.
C'est donc une illusion de croire que
nous pouvons passer sans transition, du domaine de
ce qui est purement individuel au domaine de ce qui
appartient à l'humanité en
général. Notre personnalité
s'est formée sur le terrain national,
d'après le caractère de notre
race ; elle est liée à
l'existence politique de notre peuple. Annuler cela
d'un trait, ce serait vouloir séparer le
corps de l'âme. Notre langue, notre
façon de penser, de sentir, de travailler et
de posséder, tout cela est le patrimoine du
peuple, l'expression de l'âme du peuple.
Intérieurement, organiquement et
naturellement, nous sommes liés à
notre peuple par d'innombrables fibres et
téguments, et nous nous devons à lui,
de toutes façons.
C'est pourquoi, nous lui
témoignerons notre reconnaissance en prenant
une résolution virile, en nous consacrant
à une vaillante activité. Il vaut la
peine de travailler pour le bien-être et
l'avenir de notre peuple. Soyons purs, par amour
pour lui !
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