UN
PROGRAMME DE VIE INDIVIDUELLE ET
COLLECTIVE
III
Lire
Romains XII, 9 à 21.
Nous entrons maintenant dans le détail de
la vie collective ou commune. Il est entendu que
chaque membre du corps de Christ est tout
pénétré d'humilité et
se trouve précisément à la
place que réclament les dons qu'il a
reçus de la main libérale du
Seigneur.
Que la charité soit
sincère, traduit-on d'ordinaire.
Il y a dans le texte : Que
l'amour soit sans hypocrisie.
Le beau mot de charité est si mal
compris et on en fait un tel abus qu'il vaut mieux
employer tout simplement celui d'amour, qui est
d'ailleurs son équivalent dans le langage du
Nouveau Testament ; sans hypocrisie,
c'est-à-dire sans fausseté, sans
duplicité. « Cet amour ne doit pas
comme l'amour mondain (et charnel ajouterons-nous)
se chercher lui-même dans les autres et pour
cela aimer et tolérer en eux le mal, mais
plutôt le haïr, même et surtout
dans les êtres les plus chers et s'attacher
en eux au bien que Dieu y a mis par sa grâce
(1). »
L'amour égoïste manque de courage et de
franchise. II voit bien les travers et les lacunes
de ceux auxquels il s'attache, mais il n'ose pas
les signaler et les reprendre de crainte de
froisser et de s'aliéner les coeurs et les
bonnes volontés. L'amour altruiste, qu'on
nous passe ce qualificatif barbare, mais commode,
cherchant avant tout le bien de l'être
aimé, peut et sait dire ce qu'il faut dire.
Tel est le sens de ces paroles :
« Ayez le mal en horreur ;
attachez-vous fortement au bien »
(littéralement : vous tenant
collés au bien.) Nous soulignons les
expressions qui montrent que ce n'est pas
placidement et platoniquement que nous
considérons les choses et que nous les
signalons. Le chrétien a l'âme
ardente, il est saintement passionné contre
le mal et pour le bien, sans acception de
personnes.
Par amour fraternel soyez pleins
d'affection (ou de tendresse) les uns envers
les autres ; par honneur soyez pleins de
respect, d'égards et de
prévenances, allant les uns au-devant des
autres, n'attendant pas que ceux qui ont eu des
torts envers vous, ou qui socialement devraient
s'approcher d'abord, fassent les premiers pas.
D'ailleurs, dans une querelle, écoutez les
deux parties, prêtez l'oreille aux deux
cloches ; elles rendent le même
son : c'est l'adversaire qui a tous les torts,
et c'est à lui, par conséquent, qu'il
incombe de venir s'humilier et reprendre les
relations rompues. Au point de vue social, le
riche, l'homme haut placé, entend que le
pauvre commence les politesses et le pauvre
prétend que c'est au riche à les
inaugurer ! La Parole de Dieu nous place sur
un tout autre terrain, qui n'est pas celui du
raisonnement, des considérations d'ordre
purement terrestre ou des mesquins calculs. Elle
nous dit : N'attends pas qu'on vienne, va le
premier.
Quant au zèle ; ne soyez
point paresseux. Il s'agit encore et toujours
de nos relations avec nos frères. Nos
versions anciennes ont donc raison d'ajouter ces
mots qui ne sont pas dans le texte
« à vous employer pour
autrui. » Cet empressement découle
tout naturellement de l'affection vraie, qui
devient effective sans peine, sans effort en
quelque sorte.
Fervents d'esprit : pleins
d'ardeur, pleins d'enthousiasme dans tout ce que
vous faites pour le prochain et dans tout ce que
vous dites au prochain. Rien de froid, de
calculé ni de guindé, mais de la
chaleur de coeur et de la
spontanéité. Et cela par la raison
que nous rapporterons tout au Seigneur et qu'en
servant nos frères, c'est lui-même que
nous servons. Comme cette pensée ennoblit
toutes nos relations et tous nos
actes !
Joyeux dans l'espérance,
patients dans l'affliction,
persévérants dans la
prière. Ce verset
12 ne saurait se détacher de
tout le contexte ; il ne revêt pas le
sens général qu'on lui donne presque
toujours, mais il s'applique, de même que ce
qui le précède et ce qui le suit, aux
relations entre frères. Nous espérons
toujours, au sujet de ceux qui, avec nous,
constituent la famille de Dieu, et cela
malgré les apparences les plus
défavorables, parce que nous croyons
à l'amour et à la puissance de
Dieu ; et cette espérance nous rend
joyeux. Dans les déceptions et les
déboires, nous sommes patients, ce
qui veut dire que sans nous plaindre et sans
récriminer, nous nous courbons et nous
attendons dans le silence l'heure de Dieu. Ne
savons-nous pas qu'aimer c'est souffrir et que les
souffrances de notre Maître ont
été le fruit à jamais
béni de son amour pour nous ?
Nous attendons de meilleures choses pour
ceux et en ceux que nous aimons, parce que nous
ne cessons pas de prier pour eux et que nous
croyons que nos prières sont entendues et
qu'il y sera certainement répondu tôt
ou tard et d'une manière ou d'une autre,
Dieu se réservant le moment et les
moyens.
Subvenez aux besoins des
saints : Le texte grec est plus
énergique et plus étendu dans son
application : Ayez en commun besoins des
saints, ou encore : communiez avec les besoins
des saints, ou : participez aux besoins des
saints. Les saints, ce sont nos frères en
Christ. Il s'agit des besoins de toute nature, des
besoins spirituels tout autant et même plus
que des besoins matériels. C'est là
le vrai communisme. Par lui, nous sommes
invités à prendre notre large part de
ce qu'ils ont, de leurs préoccupations, de
leurs aspirations et de leurs privations ou de
leurs besoins, et à leur communiquer ce que
nous avons. C'est un échange de tous les
instants et de toutes choses.
Poursuivant l'hospitalité,
comme un chasseur poursuit sa proie, ce qui montre
qu'elle ne se laisse pas facilement atteindre.
L'hospitalité est une vertu antique et
orientale qui tend à disparaître de
notre société toujours plus
affairée et agitée. Nous craignons
d'être gênés,
dérangés dans nos mouvements
perpétuels et dans nos habitudes aussi
régulières et ponctuelles qu'elles
sont égoïstes. Exercer
l'hospitalité, c'est remporter une victoire
signalée sur soi-même. C'est pour cela
que cette vertu est particulièrement
recommandée. Ce qui importe d'ailleurs,
c'est que nous ouvrions notre coeur plus encore que
notre maison ; et ne craignons pas qu'il
finisse par être trop rempli ; il a la
propriété de s'élargir
à mesure qu'il se peuple ; quand le
coeur est ouvert, les mains et la demeure s'ouvrent
facilement et largement. Il existe une
différence essentielle, soit pour ceux qui
agissent, soit pour ceux en faveur desquels on
agit, entre les personnes qui exercent
l'hospitalité par obligation, et par suite
sans bonne grâce et sans joie, et celles qui
le font avec amour, la regardant comme un honneur
et un privilège qui leur est accordé.
Dans
Héb.13, 2, nous voyons
qu'entre autres risques auxquels nous nous exposons
en ouvrant nos de meures à des frères
en Christ, nous courons celui de loger des anges,
des envoyés, des messagers de Dieu, ses
mandataires pour nous transmettre quelque
grâce, quelque don spirituel. Il pourra
arriver en fin de compte que ce soit nous qui
recevions le plus gros ou le plus précieux
bénéfice dans l'affaire.
L'apôtre passe ensuite des
relations avec nos frères à nos
relations avec nos ennemis, avec ceux qui nous sont
hostiles et nous persécutent, et qui ont de
ce fait un droit tout particulier à notre
intérêt et à notre sollicitude.
Il est facile de voir l'harmonie complète
entre l'enseignement de Paul et celui de son
Maître sur cet important sujet. (Voir
Matth. 5, 44.)
Quelques directions sur ce point
délicat ressortent clairement de notre
texte. Il me suffira de les
énumérer.
1° Nous devons nous efforcer paix
avec tous les hommes, même au prix des
renoncements et des sacrifices les plus grands. Si
nous avons des ennemis, ce qui peut fort bien
arriver par le seul fait que nous sommes enfants de
Dieu et que nous voulons vivre conformément
à sa volonté, il faut que ce soit
malgré nous, sans que nous y soyons pour
autre chose que pour notre fidélité
au Seigneur.
2° Aux mauvaises paroles, aux
paroles de blâme ou de malédiction,
aux paroles de médisance ou de calomnie,
nous devons répondre par des paroles de
douceur, d'humilité et de
bénédiction.
3° Aux actes de
méchanceté nous devons
répondre par des actes d'amour et de
dévouement.
(v. 20.)
Cependant, il reste une justice qui doit
être hautement sanctionnée, car sans
justice il n'y a pas de monde moral possible. C'est
pour cela que le Nouveau Testament comme l'Ancien
établit et maintient la justice. Il faut
vraiment que toute justice s'accomplisse une fois.
Toute parole ou tout acte inique, doivent recevoir
leur salaire. C'est là la colère et
la vengeance qui doivent se manifester un jour.
Mais ce n'est point notre affaire, c'est celle du
Juge suprême qui sonde les coeurs et les
reins et connaît toutes les circonstances
aggravantes ou atténuantes. Remettons-lui
notre juste cause et laissons-lui le soin de la
vengeance. Notre affaire à nous, c'est le
renoncement et la charité, à
l'exemple de notre Sauveur. Par le pardon et les
bons procédés nous amasserons des
charbons de feu sur la tête de nos ennemis,
ce qui veut dire que nous allumerons sur leur
conscience un feu qui pourra, les amener à
la repentance et au salut. Rien n'impressionne
davantage tous les hommes, parce que rien n'est
plus rare, même parmi ceux qui se disent
chrétiens, que le pardon des offenses
manifesté par des paroles et des actes
d'amour. C'est ce qui frappe le plus
l'humanité tout entière dans le
caractère de Jésus Mais pour le
réaliser, nos propres forces sont loin de
suffire : il faut une action puissante et
constante du Saint-Esprit.
Nous arrivons à présent
aux relations avec tous les hommes sans distinction
et sans exception. Le verset
15 réclame de nous en tout
premier lieu ce qu'on appelle la sympathie.
Ce mot est insuffisant pour exprimer la chose,
puisqu'il ne désigne guère dans le
langage courant que la participation à la
souffrance d'autrui, tandis que nous sommes
appelés à nous réjouir de la
joie du prochain tout autant qu'à prendre
part à sa douleur.
Reconnaissons d'ailleurs avec
humiliation qu'il nous est plus facile de pleurer
avec ceux qui pleurent que de nous réjouir
avec ceux qui sont dans la joie. Notre mauvais
coeur jaloux ou envieux ne trouve pas volontiers
satisfaction dans les succès, la
réussite et la prospérité
d'autrui. Il est, du reste, tellement rusé
que lorsqu'il pleure ou se réjouit,
soi-disant par sympathie, c'est en
réalité sur et pour nous-mêmes
qu'il pleure et se réjouit. Nous nous
mettons tellement à la place des autres
qu'il ne reste plus de place pour eux ! - En
outre, nous nous voulons du bien, nous nous
trouvons très vertueux, nous nous faisons un
mérite devant nous-mêmes, si nous
n'osons pas le faire devant Dieu et devant les
hommes, de notre commisération, de nos
paroles bienveillantes et de nos actes
empressés. Prenons garde à la
sympathie égoïste, à la
sympathie dans laquelle nous nous recherchons
nous-mêmes ! Et souvenons-nous d'autre
part que la sympathie vraie,
désintéressée,
généreuse, est la clef qui peut
ouvrir le coeur des hommes à l'influence de
notre témoignage chrétien et à
l'action de l'Évangile.
L'apôtre poursuit Soyez unis
dans une même pensée de
vérité et d'amour les uns envers les
autres. La réciprocité est une
condition essentielle d'entente et entre les
membres de l'humanité. Elle s'appelle encore
d'un autre nom, la sincérité. Elle
manque malheureusement presque toujours. Si nous
savions ce que nos frères en Christ, pour ne
pas parler des gens du monde, et ce que nos
meilleurs amis pensent et disent de nous, nous en
serions parfois bien affligés ou
blessés. Mais si nous l'ignorons d'une
manière précise, leurs
appréciations sur notre compte créent
un je ne sais quoi qui se sent et influe sur les
relations.
Nous aurons une autre opinion de nos
frères et des hommes en
général, et ils en auront une autre
à notre sujet si nous ne mettons pas nos
pensées aux « choses
élevées
(v. 16) et si nous n'en nourrissons
pas nos imaginations. Le fait de nous laisser
dominer par l'amour des grandeurs
créé chez nous sans que nous nous en
doutions une attitude déplaisante aux
autres. Il engendre les divisions, les sectes, les
partis ; il rend susceptible,
défiant ; il crée d'innombrables
et interminables froissements. Laissons-nous
plutôt
« entraîner » par les
choses humbles. Quel mal elles se donnent, ces
choses humbles, pour attirer et captiver notre
attention ! Et quelles résistances
elles trouvent en nous ! Quel degré de
dépouillement ne faut-il pas pour que nous
arrivions à reconnaître que nous avons
besoin de la sagesse, des conseils et de l'appui
des autres, et que nous ne saurions nous suffire
à nous-mêmes !
La conclusion de tout ce fragment, c'est
que nous devons surmonter le mal par le bien. Le
bien seul peut tuer le mal, on ne détruit
vraiment que ce qu'on remplace. Puisse le mal quand
il s'approchera de nous trouver la place
entièrement occupée ! Et
puissions-nous répondre à ses
sollicitations : Point de place pour
toi ! Tout est rempli par l'Esprit de mon
Dieu ; tu arrives trop tard. Arrière de
moi !
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