UN
PROGRAMME DE VIE INDIVIDUELLE ET
COLLECTIVE
IV
Lire
Romains XIII, 1 à 7.
Nous sommes ici en présence des devoirs
du chrétien vis-à-vis de
l'État, du gouvernement, des
autorités. C'est donc du chrétien
citoyen que nous allons parler. Le sujet ne manque
ni d'intérêt ni d'actualité. On
ne peut lui reprocher de ne pas répondre aux
préoccupations de notre temps.
Une remarque essentielle s'impose
à nous dès le début. Ce n'est
pas l'idée des nationalités, et par
conséquent, pas celle de patriotisme, qui
ressort de ce que nous venons de lire, mais bien
celle de l'organisation sociale et des devoirs qui
incombent à l'enfant de Dieu, au sujet et au
serviteur du Roi des rois envers cette
organisation. Il y a quelque chose de plus
important et de plus élevé que le
patriotisme ; et aujourd'hui plus que jamais,
nous avons besoin qu'on nous le redise, et qu'on
nous rappelle à cet égard à
l'ordre voulu de Dieu. Chose curieuse et triste
à constater : à mesure que les
relations internationales se multiplient par les
voyages, par les échanges commerciaux et par
les congrès sur toutes les questions
imaginables, le nationalisme
s'exaspère ; l'impérialisme,
c'est-à-dire la soif de dominer et de
régenter l'univers, tourmente toutes les
grandes nations, y compris celles desquelles on
l'aurait le moins attendu : le pangermanisme,
le panslavisme, le panaméricanisme sont
nés de nos jours et fleurissent.
Peut-être est-ce le besoin instinctif de se
défendre contre l'envahissement du
cosmopolitisme, de l'universalisme. On veut
être allemand, anglais, français ou
suisse d'abord ; homme ensuite, s'il reste du
temps, des capacités ou des forces. Le
patriotisme exagéré (il y a un amour
légitime du pays natal, nous ne le
méconnaissons pas), passé à
l'état de chauvinisme, nous fait
méconnaître, oublier ou
négliger la société,
l'humanité, et nos devoirs vis-à-vis
d'elle. Combien opportun est l'enseignement de
Paul ! L'apôtre énonce deux
principes fondamentaux.
1° Les autorités, par
où il faut entendre tout d'abord les
positions et les fonctions plutôt que les
hommes, ont été instituées
par Dieu. L'anarchie n'entre pas dans la
pensée divine. La société ne
peut subsister que s'il existe un gouvernement, des
chefs qui commandent, des magistrats qui
administrent les affaires du pays et rendent la
justice. Une hiérarchie des pouvoirs
est indispensable. Il en est de même dans la
famille, qui ne saurait se passer de chef. Si un
établissement d'instruction,
d'éducation ; si une industrie, un
commerce ; si une église, veulent
accomplir leur mission et prospérer, il faut
absolument qu'il y ait des maîtres qui
enseignent et des élèves qui
écoutent, des patrons qui ordonnent et des
employés ou ouvriers qui obéissent,
des fidèles et des conducteurs, des brebis
et des pasteurs. Aucune institution ne peut vivre
et se développer sans un esprit de
subordination et de discipline. Dieu est un Dieu
d'ordre, et non de confusion. Un ordre merveilleux
règne dans l'univers qui est son oeuvre. De
là le nom de Kosmos,
régularité, harmonie, beauté,
que donnèrent les anciens à
l'ensemble de la création visible.
Les magistrats sont, qu'ils le sachent
ou qu'ils l'ignorent, qu'ils le veuillent ou qu'ils
s'en défendent, les ministres ou
serviteurs de Dieu. Ils auront de ce fait un compte
rigoureux à rendre à leur
Maître. Et ce compte sera double : celui de
l'homme privé et celui de l'homme public. Si
cette pensée était plus
familière à nos contemporains, ils
seraient peut-être moins portés qu'ils
ne le sont à solliciter les hautes
positions, et à s'efforcer d'y arriver par
tous les moyens, même les moins avouables. -
Ce que les magistrats doivent faire régner,
c'est la justice ; ils doivent encourager le
bien et réprimer le mal ; et pour cela,
il importe que pour leur propre compte ils
pratiquent la justice et le bien. Ce sont là
de ces choses élémentaires qu'il faut
proclamer, parce que notre génération
les a totalement perdues de vue.
2° Il n'y a pas d'autorités,
- et maintenant nous voulons parler, non plus des
positions et des fonctions, mais des personnes, des
hommes constitués en dignité, - il
n'en existe pas, disons-nous, que cela ne vienne en
fin de compte de Dieu lui-même. Elles
existent, sinon toujours par sa volonté
expresse et directe, du moins par sa permission ou
son consentement. Sa providence, qui prévoit
tout et qui pourvoit à tout, les accepte et
les tolère tout en se réservant de
maintenir sa souveraineté et d'intervenir
toutes les fois qu'elle le jugera bon. Il en
résulte que le chrétien doit
être respectueux et soumis vis-à-vis
du gouvernement établi, quelle qu'en soit la
forme ou l'origine. D'ailleurs, pour quiconque
connaît l'histoire, il n'existe aucun
régime qui n'ait à son point de
départ quelque acte de violence ou
d'usurpation. C'est dire qu'en
réalité et au fond il n'y a dans ce
inonde aucun gouvernement absolument
légitime. Cependant le chrétien est
tenu de l'accepter : il ne saurait être
ni un révolutionnaire ni un agitateur
politique ni un homme de parti. Il garde et
sauvegarde son indépendance
d'appréciation et d'action vis-à-vis
des partis, des coteries et des syndicats, dont les
membres la plupart du temps abdiquent tout jugement
personnel et renoncent à toute
liberté effective.
L'enfant de Dieu s'incline devant les
lois et donne l'exemple de l'obéissance
volontaire et empressée à leurs
prescriptions. Il s'acquitte ponctuellement et
consciencieusement de ses devoirs de citoyen. Par
son bulletin de vote, il contribue pour sa part,
modeste mais nécessaire, à la bonne
marche des affaires de sa patrie. Si la confiance
de ses concitoyens lui confère un mandat
sans que pour cela il ait usé d'aucun des
procédés louches usités dans
les élections, il ne se refuse pas à
l'accomplissement d'une mission
particulière, à servir sa patrie dans
la tâche qu'elle lui prescrit
elle-même.
En un mot, il rend à César
c'est-à-dire à l'État, ce
qu'il doit à César, mais il se garde
de faire de César son Dieu et de la
politique l'aliment principal de sa pensée
et de son coeur.
Ce qui vient d'être exposé
ne concorde guère avec l'esprit moderne tout
pénétré du souffle
délétère du
mécontentement amer, de la
récrimination et de la révolte sourde
ou tapageuse. Cependant lorsque Paul
écrivait son exhortation, le César
s'appelait Néron !
Réfléchissons : Tout acte de
violence pour renverser ce qui existe est un acte
d'incrédulité à l'égard
de Dieu, que nous ne croyons pas capable
d'intervenir au moment opportun, et une atteinte
portée à son autorité
souveraine. Nous oublions que
« l'Éternel
règne ».
Il est toutefois un cas, un seul,
où nous pouvons et même devons
résister au gouvernement ; c'est celui
où il s'ingère dans les affaires de
la conscience et l'opprime en nous empêchant
de rendre à Dieu ce que nous devons à
Dieu. Alors il vaut mieux obéir à
Dieu qu'aux hommes. (Actes 4,19). Mais
hâtons-nous d'ajouter qu'il ne s'agit pas
d'une résistance ouverte, d'une protestation
insolente, d'une révolte à main
armée.
« Ceux qui prendront
l'épée périront par
l'épée. »
(Matth. 26, 52.) « Les
armes de notre guerre ne sont point
charnelles. »
(2 Cor. 10, 4.) C'est un refus tout
pénétré de
déférence, un « Me voici,
je ne puis autrement ; que Dieu me soit en
aide ! » un appel
modéré à la raison et à
la conscience des magistrats :
« Jugez
vous-mêmes.... »
Nous ne saurions donc approuver les
guerres de religion, même lorsqu'elles
avaient pour but la défense des
opprimés pour la foi. Encore moins quand
elles se proposaient d'imposer la
vérité par la force aux populations
qui ne s'en souciaient que médiocrement, ou
de la protéger contre ses adversaires. Nous
ne condamnons pas ceux qui ont entrepris ces
guerres, mais nous estimons qu'ils ont commis une
grave erreur. Nous trouvons animés d'un
esprit plus évangélique les martyrs
qui priaient pour leurs bourreaux et pour le roi
qui les faisait conduire au supplice ; et les
assemblées du Désert de France, qui
intercédaient pour le monarque dont les
dragons pouvaient d'un instant à l'autre
paraître à l'horizon et s'emparer des
hommes pour les conduire aux galères et des
femmes pour les enfermer à la Tour de
Constance.
Saint Paul demande expressément
qu'on prie pour les gouvernements et pour les
hommes qui détiennent le pouvoir.
(1 Tim. 2, 1 à 3.) C'est
là un devoir que nous ne négligeons
que trop. Si nous priions davantage, d'une part les
choses iraient mieux parce que Dieu entend et
exauce les supplications, et de l'autre nous
serions moins disposés à critiquer,
à blâmer, et à entretenir par
là l'esprit de mécontentement et
d'insubordination. Ce que nous devons
désirer par-dessus tout, c'est de pouvoir
mener une vie paisible et tranquille en toute
piété et honnêteté, en
d'autres termes de pouvoir servir Dieu et les
hommes en toute liberté.
Une première conséquence
des deux principes que nous venons
d'établir, c'est que résister
à l'autorité ou aux autorités,
c'est s'opposer à l'ordre établi de
Dieu, c'est être un perturbateur, un fauteur
de désordres, un instigateur d'indiscipline
et de bouleversement ; c'est porter atteinte
à l'harmonie, à la paix, à la
sécurité sociales; c'est en
réalité et tout bien
considéré faire la guerre à
Dieu. Nous devons lui laisser
complètement le soin d'abaisser et
d'élever, de faire descendre au
sépulcre et d'en faire remonter qui
bon lui semble et quand bon lui semble. Sans
cela nous nous exposons au jugement de Dieu,
à un châtiment, à une
réprobation publique ou privée qui
nous humiliera profondément. Celui qui
s'élève et veut prendre la place de
Dieu sera abaissé, parfois jeté
à terre et foulé aux pieds par les
hommes, comme le sel qui a perdu sa saveur.
Et, remarquons-le, ce n'est pas tant la
crainte des hommes, de la police, des gendarmes,
des juges, de la prison, ou simplement de
l'opinion, qui doit nous retenir et nous guider,
que la crainte de Dieu, qu'une conscience
éclairée et spirituelle. La crainte
du jugement des hommes et des conséquences
de ce jugement n'est pas rejetée par Paul,
mais simplement considérée comme
étant d'ordre inférieur. Faute de
mobiles plus élevés, elle a sa place
pour nous arrêter dans la voie du mal ou pour
contribuer à notre éducation.
Une seconde conséquence des
principes établis, c'est que le
chrétien doit payer ses impôts avec
régularité, bonne grâce et
bonne humeur, ce qui n'est pas toujours le cas, on
en conviendra. Il se gardera de toute dissimulation
et de toute fraude vis-à-vis de
l'État, aussi bien quand il passera à
la douane que lorsqu'il aura des droits à
payer sur des marchandises, des immeubles ou des
successions. Il est certain que ceux qui agissent
avec droiture dans ce domaine sont pressurés
outre mesure. Il semble que les lois fiscales aient
été établies en
prévision de la tromperie et pour que toute
fraude défalquée, il reste encore
assez au trésor. Les gens scrupuleux sont
ainsi dupés. Mais rien ne les empêche
de protester, de réclamer, de s'associer
à des démarches légales et
loyales et de favoriser ainsi
l'établissement de la probité la plus
stricte dans ces sortes d'affaires.
Terminons par une remarque
générale : Nous traversons des
temps difficiles, des temps de grandes agitations
nationales, politiques, sociales et religieuses. On
veut tout bouleverser, tout renverser, tout
changer. On attaque toutes les traditions et les
institutions les plus anciennes et les plus
vénérables, tous les droits acquis.
C'est dans toutes les sphères de la vie
qu'on veut rompre avec le passé, comme s'il
ne contenait rien de bon, comme si les
expériences accumulées d'un grand
nombre de siècles et de
générations d'hommes n'avaient aucune
valeur et aucune autorité pour nous. Et on
veut refaire la société et
l'église de fond en comble selon des
théories et des systèmes
inventés par des hommes de talent ou de
génie qui ont aussi peu de contact que
possible avec les réalités de la vie
de tous les jours! Qu'au milieu de ce tourbillon
d'idées mal mûries, ou de
déclamations sonores, le chrétien se
montre calme, plein de discernement, de sagesse et
de modération ; plein de tact et de
charité ; conservateur là
où il faut conserver, réformateur
où il faut corriger et améliorer, et
il sera une lumière au milieu des
ténèbres qui s'épaississent
toujours plus dans le monde de la
pensée.
Et que toujours, partout et à
l'égard de tous et de tout ce qui est
sincère, l'enfant de Dieu se montre
respectueux, alors qu'il est de mode de ne
respecter plus rien ni personne, si ce n'est les
chefs de parti ou d'école (qui ne sont du
reste honorés que par leurs disciples) et
par là il témoignera pour
l'Évangile, pour Christ et pour Dieu.
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