LA PUISSANCE
DE LA PRIÈRE
VI
LA PRIÈRE ET LA GUÉRISON DES
MALADIES
La faim n'est pas le seul ennemi de l'homme dans
l'ordre matériel. Il y a la
maladie.
La prière a-t-elle un pouvoir
sur la maladie ? Est-elle en certains cas,
un moyen de guérir ?
La chose est en tout cas
possible. L'influence si énorme, si
évidente du moral sur le physique ne nous
permet pas d'en douter.
Voyez ce qui se passe en temps
d'épidémie. Un homme s'est
couché, s'imaginant ressentir les
premières atteintes du mal. Survient un
personnage investi, à ses yeux, de quelque
autorité, parent, pasteur, maire ou
médecin.
- Voulez-vous bien vous lever, dit-il au
soi-disant malade. Vous n'avez rien. Debout !
Au travail ! ou vous êtes perdu.
Le pseudo-malade se lève, en
hésitant. en protestant peut-être,
mais enfin il se lève ; il se tient
ferme sur ses pieds ; il reprend ses
occupations. Il est sauvé.
Des faits semblables ont
été cent fois
observés.
Par suggestion ou autrement, si l'esprit
d'un homme a ce pouvoir sur l'esprit d'un autre
homme, que sera-ce de l'Esprit de Dieu ? Or
la prière mobilise l'Esprit de Dieu ;
elle concentre son action sur un point
de l'espace et du temps, sur une
personne ou sur un groupe de personnes.
C'est dans ce sentiment que le centenier
de Capernaüm disait à Jésus, en
qui il avait reconnu un organe de Dieu :
« Je ne suis pas digne que tu entres chez
moi : dis seulement une parole et mon
serviteur sera guéri. » Et le
serviteur fut guéri à distance par le
rayonnement de la pensée, de la
volonté, de l'esprit de Jésus, qui
était l'esprit de Dieu même.
Ce qui nous apparaît comme
possible, en vertu de l'empire exercé par
l'esprit sur le corps, s'est réalisé
maintes fois en Jésus de Nazareth,
« cet homme que Dieu avait oint d'Esprit
saint et de force, et qui allait de lieu en lieu,
faisant du bien et guérissant tous ceux qui
étaient sous l'empire du diable, parce
que Dieu était avec lui. »
(Actes X, 38.)
Ce que Jésus a fait avec une
incomparable maîtrise, Dieu a donné
à d'autres de le faire, aux
apôtres d'abord et, après eux,
à plusieurs de ses serviteurs et de ses
servantes, dont je nommerai quelques-uns tout
à l'heure, tous vrais et grands prieurs,
saints, donnés à Dieu, corps et
âme, et puisant en Lui seul leur vertu
guérissante. Aucun d'eux n'a interdit
l'usage des remèdes et de la
médecine ; aucun ne s'est donne pour
guérisseur. Dieu seul guérit. C'est
ce qu'affirment à l'envi Catherine de
Sienne, Dorothée Trudel, de Maennedorf
près de Zurich, le pasteur Blumhardt, M.
Vignes, de Vialas dans le Gard.
« Si tu as la foi, disait
souvent Dorothée Trudel à ses
malades, la prière peut te guérir. Le
Seigneur en décidera. » Son
premier souci était de guérir
l'âme. C'est par l'âme, à
travers l'âme, en quelque sorte, qu'elle
essayait d'atteindre et de guérir le corps,
Elle ne promettait d'ailleurs à
personne la guérison. Si vous vous
convertissez, disait-elle, Dieu vous donnera la
santé, qui vous est bonne : il vous
fournira, les moyens d'être utile
(1). »
Plus rude était le père
Vignes, de Vialas, qui, quelquefois obtint
par la prière de remarquables
guérisons « Priez
vous-mêmes », disait-il souvent
à ses visiteurs. À quelqu'un qui
venait de Berne il disait :
« N'avez-vous donc aucun Dieu à
Berne ? Ayez foi en Dieu et rentrez chez
vous. »
Il faut beaucoup de réserve et
beaucoup de sobriété dans les
jugements lorsqu'on traite de cette question des
guérisons par la prière.
L'action de Dieu n'est jamais baroque,
jamais contradictoire à l'ordre naturel et
au sens commun. Aussi la question que me posait un
jour un médecin : « Dieu
fait-il repousser les jambes
coupées ? » n'a-t-elle ni sel
ni à propos. Dieu, dans ses oeuvres,
respecte le bon sens. Quand on le prie, il faut
s'en souvenir. Mais dans l'arsenal infiniment
riche des lois de Dieu, dans les virtualités
de l'Esprit de Dieu, il y a assez de ressources
pour déconcerter notre raison bornée,
notre raison butée, et en particulier pour
opérer de merveilleux effets de
guérison.
La vie des saints en offre maint
exemple. La vie des humbles en offre aussi. Preuve
en soit ce trait que, m'a raconté un
vieillard du Jura vaudois. « J'avais
douze ans, me dit-il. lorsque mon père tomba
très gravement malade. On m'envoya dans la
ville voisine chercher le remède
ordonné par le médecin. Comme je
revenais, une détresse me saisit. Je me
jetai à genoux au pied
d'un sapin et suppliai le ciel de guérir mon
père. Après cela, je me mis à
courir pour ne pas arriver trop tard. Comme je
montrais de loin la précieuse fiole : -
« Ce n'est plus nécessaire, me
cria-t-on. Le père va mieux. Il est hors de
danger. - Depuis quand ? - Depuis ce matin
vers dix heures. « C'était le
moment où j'avais prié. «Depuis
ce temps-là, j'ai toujours eu confiance au
Très-Haut, conclut le vieillard, et Il m'a
souvent délivré. »
Il y a, dans le Nouveau Testament, deux
paroles trop oubliées, celle-ci dans
l'Évangile selon saint Marc :
« Ceux qui auront cru imposeront les
mains aux malades et ceux-ci seront
guéris », et cette autre, dans
l'épître de saint Jacques :
« Quelqu'un est-il malade ? Qu'il
appelle les pasteurs de l'Eglise et que ceux-ci
prient pour lui, après l'avoir oint d'huile
au nom du Seigneur. La prière de la foi
sauvera le malade. Le Seigneur le relèvera,
et s'il a commis des péchés, ils lui
seront pardonnés. »
Un pasteur français
écrivait dernièrement à un de
ses collègues qu'il avait employé
l'imposition des mains et l'onction d'huile pour
son petit garçon atteint d'une
méningite et qu'il attribuait la
guérison à cet acte inspiré
par une foi sincère.
Qui limitera le pouvoir de la
foi ?
Notre maladie de raisonner sur tout, nos
doutes perpétuels, nos
« J'admets » et « Je
n'admets pas » dressent une
infranchissable muraille entre les puissances
célestes et notre pauvre âme
desséchée.
Si nous nous conformions davantage
aux prescriptions apostoliques, si nous
délaissions moins les traditions anciennes,
surtout si nous avions plus de foi en Dieu, plus de
malades aussi seraient guéris.
VII
LA PRIÈRE ET LA VICTOIRE SUR LE
PÉCHÉ
Obtenir de Dieu, par la prière, le pain
quotidien ou une guérison, c'est quelque
chose, assurément, mais combien peu en
comparaison du salut de l'âme !
L'âme, c'est l'homme même, le fond de
l'homme. Aussi vaut-elle plus que le monde
entier.
L'âme a un ennemi pire que la
famine et que la maladie, c'est le
péché, désobéissance
à l'ordre éternel et divin,
lèpre et cancer de l'âme.
Pour affranchir une âme du
péché, il faut deux choses :
une opération de chirurgie, une
amputation du péché, et, sur la
plaie que laisse cette amputation, un baume qui
et le pardon.
La prière, dans les deux cas,
est un puissant et indispensable
auxiliaire.
Trois exemples empruntés à
la vie quotidienne, trois exemples entre mille,
vont rendre la chose sensible.
Un homme buvait. Il ne vivait plus que
pour boire. Depuis plus de vingt ans, il buvait
passionnément, éperdument. Il
était l'esclave de la boisson, son pantin,
son polichinelle. Par nature il n'était pas
méchant, pas brutal, plutôt doux et
poli. La boisson lui faisait pourtant battre sa
femme qu'il aimait, sa pauvre
femme maladive et infirme, lorsqu'elle se mettait
en travers de sa passion.
Une chose restait à cet
homme : la foi en Dieu. Il tenait cette foi de
sa mère et il la gardait, malgré son
abjection. Il croyait à un Dieu d'amour. Au
fond de lui-même, il désirait
appartenir à Dieu. Il y a de ces
contrastes.
Quand il était à peu
près de sang-froid, ou pouvait lui parler de
Dieu, l'exhorter à ne plus boire, prier avec
lui et pour lui. Sa femme et des amis
chrétiens ne s'en firent pas faute.
Une invincible répugnance
l'empêchait de signer même
à terme bref, un engagement d'abstinence,
Son tyran ne le permettait pas.
Après certains entretiens on le
voyait ébranlé, hésitant,
jamais décidé à signer. Sa
santé s'en allait. Il avait des maux de
tête, des éblouissements. Le foie lui
faisait mal. Un médecin, consulté,
avait dit : « Laissez-le tranquille.
C'est un dipsomane. Il faut qu'il boive. Il boira
jusqu'au bout... » Et il buvait.
Une nuit, il rêva que le diable le
réclamait pour l'enfer. Comme il se
débattait, il vit sa mère (morte
depuis plusieurs années), qui le
défendait contre Béelzébul et
s'efforçait de l'attirer à Dieu.
Cette scène dura longtemps.
Le lendemain matin, il dit à sa
femme : « Tu sais, je signe,
et pour la vie. C'est décidé. Je
tiendrai. Tu verras. »
Et il « tient »
depuis des années.
N'est-il pas évident que les
prières de sa femme et de ses vrais amis ont
été, pour lui, l'eau qui tombe goutte
à goutte et finit par entamer le roc ?
Les prières de sa
mère ont fait le reste. Sans toutes ces
prières, c'est le médecin qui aurait
eu raison.
Voici un autre exemple, relatif,
celui-ci, au pardon des
péchés.
Ils sont bien rares. n'est-ce pas, parmi
nous, ceux qui ont une pleine et joyeuse assurance
d'être pardonnés devant Dieu ;
ceux qui, suivant la magnifique expression du
psalmiste, ont reçu la justice de Dieu
leur Sauveur ?
On se contente le plus souvent d'une
demi-foi, d'une demi-justice ; on n'a par
conséquent qu'une demi-assurance et qu'une
demi-joie.
Tel était l'état du
vieillard dont je vais parler. Il croyait, mais le
soleil de sa justice était encore
voilé de brume.
Le départ pour le grand voyage,
pour le voyage aérien, comme il l'appelait
avec un sourire, approchait pour lui, et il le
savait. Il priait Dieu de le préparer. Il
priait ardemment. Je l'ai entendu prier à
haute voix. Sa femme, qu'il avait perdue, jeune
encore, avait aussi prié pour lui. Elle
continuait sans doute à prier près de
Dieu. Et voici comment Dieu
répondit.
Un jour, de sa voix douce et claire, le
vieillard me raconta ceci : J'ai fait, la nuit
dernière, un rêve magnifique. J'ai
rêvé d'abord que les
péchés de toute ma vie se dressaient
contre moi pour m'accuser et pour me condamner.
Oh ! comme j'avais peur ! ... Mais voici
que tout-à-coup je vis une lumière,
j'entendis une voix, et cette voix, je le sentais,
était pour moi ; et lentement,
distinctement, elle me dit : « Si
quelqu'un a péché, nous avons un
avocat auprès du Père,
Jésus-Christ le juste... »
Quel soulagement, quelle joie je
ressentis alors ! Et quelle certitude !
Je n'avais plus l'ombre d'un doute. Comment
aurais-je pu douter, avec un pareil
avocat ?
Le péché n'est pas
seulement vice, ivrognerie, débauche ou
pillage du bien d'autrui. C'est aussi la force
d'inertie, le nuage de doute, l'esprit de
complaisance pour nous-mêmes qui nous
empêche de croire et de nous réjouir
en Dieu notre Sauveur. Contre cette forme
spéciale du péché, la
prière est aussi le plus sûr
remède.
Écoutez plutôt ce
récit.
Je fus appelé, il n'y a pas
longtemps, à visiter un jeune homme atteint
de tuberculose des os. Nature ardente, alpiniste de
marque, en dernier lieu employé de confiance
dans une maison de commerce au Brésil, mon
jeune ami tenait à la vie. Dans l'espoir de
guérir, avec un mâle et stoïque
courage, il laissait labourer sa chair par l'acier
des instruments de chirurgie. Une lutte tragique se
livrait dans son âme et se lisait comme un
reflet d'orage sur ses traits énergiques.
Bientôt il devint évident que son mal
ne pardonnerait pas. Il recevait toujours mes
visites avec plaisir Nous causions, nous lisions la
Bible et nous priions ensemble ; mais un
abattement mortel se peignait de plus en plus dans
son regard et dans son attitude.
Un matin il me fit appeler. Je l'avais
vu la veille dans un état d'extrême
abattement. Quel ne fut pas mon étonnement
de le voir souriant et comme
illuminé !
« Vous paraissez, lui dis-je,
avoir reçu une bonne nouvelle. »
Et lui alors : « Oui, en effet.
Nous avons beaucoup prié, cette nuit, ma
mère et moi, et Dieu nous a
entendus. » Il ajouta :
« Les médecins font ce
qu'ils peuvent ; ils font
beaucoup de bien ; mais il n'y a que
Dieu. » La prière avait
chassé le démon de tristesse.
Deux jours après, le jeune
héros, qui avait été, lui
aussi, sur un champ de bataille, expirait en pleine
victoire, après avoir déclaré
qu'il allait « quitter ses
haillons ». Il appelait ainsi son
pauvre corps meurtri et décharné.
VIII
LA PRIÈRE ET L'ÉGLISE
Institution divine pour le salut des âmes,
l'Eglise a la parole et la prière pour
armes principales. La Parole de Dieu
annoncée par l'Eglise est sans doute pour
l'âme le pain substantiel ; mais ce qui
amène les âmes à désirer
ce pain, à le demander et à le
redemander, à s'en nourrir enfin et à
en vivre, c'est la prière. Sans la
prière, la Parole de Dieu demeure un aliment
sans saveur, sans attrait, sans effet.
Le Christ le savait bien. Il
prêchait chaque jour, quelquefois presque
tout le jour, mais c'était après
avoir passé de longues années en
prières et en méditations avant son
ministère ; et pendant son
ministère même, c'était souvent
après avoir passé une partie de ses
nuits en prière.
Si le pain de la parole du Christ
conserve une telle vertu à travers tous les
siècles, c'est que ce pain par la
prière a été pétri dans
la rosée d'en haut. Les prières du
Christ en Galilée et en Judée planent
encore sur nous ; et le Christ prie aussi au
ciel pour les âmes rachetées au prix
de son sang. Associer nos prières aux
siennes, mettre nos prières au
bénéfice de son intercession, c'est
le moyen de les rendre efficaces.
Les serviteurs de Dieu et de l'Eglise
n'ont jamais été puissants sans la
prière. Le travail, le talent, le
génie même n'ont
jamais pu la suppléer, tandis que maintes
fois la prière, l'esprit de prière,
l'habitude de la prière ont
suppléé le talent et le génie
absents.
Quel prieur que l'apôtre
Paul ! Il fonde les Églises
à coups de prières, si l'on peut
ainsi dire. Présent, il les arrose de
prières. Absent, il les porte par la
prière devant le trône de Dieu, afin
qu'Il les bénisse. lisez, relisez les
épîtres de Paul : partout vous le
verrez se recommander « aux
prières des saints », en rappelant
que, nuit et jour, lui-même prie pour ses
chers Philippiens, pour ses chers Corinthiens, pour
ses chers Galates, bref, pour tous ceux qu'il
appelle enfants en la foi. »
Un serviteur éminent de l'Eglise
au XIIe siècle, ce fut saint Bernard de
Clairvaux. Prédicateur éloquent,
grand réveilleur de consciences, fondateur
d'innombrables monastères dont il sut faire
autant de jardins de Dieu au milieu du
désert, il fut une lumière au milieu
des ténèbres, et cette
lumière, il l'alluma en Dieu par la
prière. Nous avons de lui cette
pensée qui nous fait voir en lui un
pratiquant et un maître de la
prière : « Nous avons souvent
un coeur vide et dur quand nous commençons
à prier. Si nous persistons, la grâce
descend souvent en nous, inonde notre coeur :
alors un torrent de sentiments pieux remplit notre
âme. »
Ce que Bernard de Clairvaux fut pour la
France au XIIe siècle, John Wesley le
fut pour l'Angleterre au XVIIIe siècle. On a
dit qu'il laissa le monde meilleur qu'il ne l'avait
trouvé. Certes, il n'a négligé
ni le savoir ni le travail, lui qui aimait à
lire les poètes grecs et latins, lui
l'infatigable prédicateur qui traversa
l'Angleterre en tout sens et huit fois
l'Atlantique. Cependant la
prière fut la racine de son oeuvre et de ses
succès étonnants. Au début de
son ministère chez les Indiens
d'Amérique, il disait : « Qui
me convertira, moi qui veux convertir les
autres ? » et il priait sans cesse.
C'est par ces prières ardentes qu'il obtint
et qu'il conserva pendant plus d'un
demi-siècle la puissance spirituelle qui
attirait et transformait les foules. Quelqu'un qui
l'a bien connu a dit de lui :
« La prière était,
à ses yeux, la principale occupation, et
je l'ai vu sortir de son cabinet avec une telle
sérénité empreinte sur son
visage qu'il semblait ceint d'une
auréole. »
Les succès des
prédicateurs, non les succès
mondains, les succès de vogue, mais ceux qui
se traduisent par des changements accomplis dans
les coeurs, sont proportionnés à
leur puissance dans là prière. C'est
une loi du royaume de Dieu aussi inflexible, aussi
invariable que les lois physiques.
Sur le seuil de l'époque
contemporaine, Fritz Oberlin a
régénéré
économiquement, moralement et religieusement
une pauvre vallée des Vosges. Oui, mais
Fritz Oberlin était l'homme dont le premier
soin en rentrant de ses tournées pastorales
était de noter à la craie sur sa
porte le nom de ceux qui lui paraissaient devoir
occuper une place spéciale dans ses
intercessions. Il priait aussi nom par nom pour
chacun de ses catéchumènes. Et il fit
cela pendant plus de cinquante ans.
Quels exemples pour les modernes
successeurs des apôtres qui gémissent
de la stérilité de leurs travaux et
qui négligent la
prière !
Ah ! sans doute, le sol spirituel
est dur de nos jours. Il est dur après que
les doctrines athées et
matérialistes ont
été semées à pleines
mains. Il est dur après que l'Allemand
Frédéric Nietzsche a lancé
dans le monde, avec trop de succès, sa
fameuse théorie du renversement des valeurs,
cette théorie qui consiste à prendre
le contre-pied de tout ce qui a été
enseigné jusqu'ici comme bien, beau et vrai.
Il est dur, après le colossal scandale d'un
peuple qui ressuscite et dépasse la barbarie
antique, tout en criant : « Dieu
avec nous ! ... » Mais plus le
sol est dur, plus il faut le labourer,
l'ensemencer, l'arroser de
prières.
C'est du démon engendré
par un demi-siècle d'antichristianisme que
l'on peut dire ce que disait le Christ :
« Cette sorte de démon ne sera
chassée que par le jeûne et la
prière. »
Dieu n'est pas mort, quoi qu'en ait dit
Nietzsche, par la bouche de Zarathoustra, son sage
favori. Comme on le prie, il répond.
Quand on le prie faiblement, il répond
faiblement. Quand on le priera beaucoup, avec force
et en masse, il répondra de même. Le
feu du ciel descendra et allumera un incendie
d'amour, de foi et de justice.
La prière est l'âme de
l'oeuvre. On fait beaucoup d'oeuvres
aujourd'hui dans l'Eglise chrétienne ;
mais quand la vraie prière en est absente,
c'est de la philanthropie, chose estimable, utile,
nécessaire. Ce n'est pas l'oeuvre de Dieu,
celle qui crée et sauve.
Les prieurs que l'Eglise attend, et
qu'elle aura un jour si nous savons les demander,
la rendront de nouveau puissante pour le bien.
Et ces prieurs ont eu des
précurseurs.
David Livingstone, de Blantyre,
en Écosse, a été un homme de
prière, Littéralement, il est mort
à genoux dans une hutte de l'Afrique
centrale. C'est le secret de son
oeuvre féconde, oeuvre d'amour, de
pitié et de foi.
L'évangéliste
américain David Moody, et avant lui
Spurgeon, le célèbre
prédicateur anglais, ont maintes fois
renouvelé le miracle de la Pentecôte.
Ils ont fait pousser à des foules d'hommes
et de femmes le cri décisif, ce cri qui
n'est pas : « Quelle belle
prédication », mais :
« Hommes frères, que
ferons-nous ? » ... Pourquoi ?
Comment ? Parce que Moody et Spurgeon
étaient des hommes de prière.
« Ils prêchent ce que
nous prêchons, me disait un pasteur qui
avait entendu un de ces hommes de réveil. Je
ne comprends pas qu'on y coure. » Si l'on
y courait, c'était sans doute parce qu'on y
sentait une force que tous n'ont pas.
Une prédication que la
prière n'a pas préparée
ressemble à une locomotive sans feu et sans
vapeur. Combien de prédicateurs montent sur
la locomotive sans avoir allumé le feu et
s'étonnent qu'elle ne bouge
pas !
Voici un fait bien simple, auquel je
tiens, en raison même de sa
simplicité, et parce qu'il nous montre
comment, par la prière, les champs de
travail les plus humbles et, semble-t-il, les plus
stériles, peuvent être
fertilisés.
Un pasteur, jeune encore, arrivait pour
la première fois dans un village des Alpes
dauphinoises où il venait d'être
nommé. Dès qu'il aperçut de
loin, au milieu des arbres, les premiers toits de
sa nouvelle résidence, il supplia Dieu de
bénir son activité. Sa prière
fut exaucée. Au bout de quelques mois, il
avait obtenu dans cette paroisse des
résultats spirituels qui lui avaient
été refusés ailleurs
après huit ans d'efforts.
Il y eut un vrai réveil des âmes. On
en parla dans les paroisses voisines.
« Il était temps »,
disait-on. En effet, depuis bien des années,
cette paroisse ne s'était fait remarquer que
par sa résistance obstinée à
l'influence de l'Évangile.
Le jeune pasteur a toujours vu dans
cette éclosion magnifique de vie morale et
religieuse une réponse à la
prière muette qu'il avait fait monter vers
le ciel, par une belle journée
d'été, pendant qu'une voiture
rustique l'emportait vers des inconnus, ses futurs
paroissiens.
Quelles merveilles on verrait si les
quelques centaines de milliers de curés, de
prêtres et de pasteurs des Églises
catholiques, grecques orthodoxes, anglicanes et
protestantes devenaient, avant tout, des hommes de
prière !
Quand les prédicateurs diront
à Dieu avant d'aller prêcher :
« Je n'irai pas sans
toi ! » et quand les humbles s'y
mettront ; quand les malades, - qui ont le
temps ; - quand les vieillards
chrétiens - qui, souvent aussi, ont le
temps ; - quand les jeunes gens et les jeunes
filles, quand les pères et les mères,
qui ont moins de temps, - prendront pourtant celui
de prier pour que Dieu vienne, - le Dieu de
Jésus-Christ, - alors les temps nouveaux
luiront.
IX
LA PRIÈRE ET L'ÉTAT.
« L'État, c'est
moi », disait Louis XIV, type dit
monarque absolu. Aujourd'hui, dans nos pays
démocratiques, l'État, c'est tout le
monde. Le peuple est souverain, et le peuple, c'est
tout le monde, spécialement les
électeurs, dont les femmes seront
bientôt.
Dans l'intérêt de
l'État, il faut donc prier pour tout le
monde, pour tous ceux qui ont une influence dans
l'État. Mais il faut prier en particulier
pour les délégués et les
représentants de la souveraineté
populaire, à tous les degrés et dans
tous les domaines, pour tous ceux qui portent sur
leurs épaules le lourd fardeau des affaires
publiques, depuis les chefs d'État jusqu'aux
plus modestes fonctionnaires.
La prière qui part du coeur et
qui est faite dans l'esprit de Jésus,
étant faite pour la justice. ne se perd
jamais dans le vide.
Moïse était puissant dans la
prière ; il était aussi un
meneur d'hommes, berger, chef d'Israël. Et
plus d'une fois, quand le meneur d'hommes
échouait, quand Israël ameuté
méconnaissait l'autorité de son chef,
le prieur Moïse remettait les esprits et les
choses dans l'ordre.
Heureux les peuples qui ont à
leur tête des Moïses
modernes, bergers de foules et
prieurs à la fois !
Tels ont été aux
États-Unis d'Amérique les Washington,
les Lincoln, les Grant, les Roosevelt ; en
Angleterre, les Wilberforce, les Gladstone et tant
d'autres.
Comme l'Angleterre et les
États-Unis, la France, à tous les
rangs de la société, n'a jamais
manqué d'hommes de prière, d'hommes
prêts à dire : « Je
crois aux mains jointes. »
À cet égard, les
premières journées d'août 1914
ont été hautement
significatives.
Aux premiers bruits de mobilisation,
nuit et jour ont été
assiégés les églises et les
temples de tous les cultes. Et par qui ? par
une foule de soldats de tout grade et de toutes
armes, qui venaient là se confesser, prier,
recevoir Dieu, faire avec Lui leur paix, avant
d'aller se battre et peut-être
mourir.
Qui donc avait dit que le peuple de
France avait laissé perdre sa
religion ? Dans le coeur des Français
revivait tout-à-coup l'esprit de sainte
Geneviève, de saint Louis, de Duguesclin, de
Jeanne d'Arc. La France laïque et
républicaine croyait et priait comme
l'ancienne France. La France éternelle
reprenait conscience de son
identité.
Ce fut alors que l'on vit, spectacle
inoubliable, l'union sacrée se faire non
seulement entre les partis politiques, mais, chose
plus difficile et plus désirable encore,
entre les Églises diverses. Ce fut alors que
virent le jour, par dizaines et par centaines de
milliers, ces petits livres intitulés
Prières et chants pour le temps de la
guerre (pour les catholiques), Livre de
prières du soldat français (pour
les protestants) ; petits livres souvent
retrouvés dans les
havresacs avec des taches de
sueur et de sang. Ce fut alors qu'on entendit tant
de troupiers français chanter avec entrain
ce refrain d'espoir immortel :
- Au ciel ! Au ciel ! Au
ciel !
- Tous ceux que nous pleurons,
- Au ciel, au ciel, au ciel,
- Nous les retrouverons.
Ou ces strophes d'espérance plus proche
et plus immédiate :
- Oui, nous la reverrons.,
- L'église du village,
- Qui couvre d'âge en âge
- Nos champs et nos maisons
-
- Oui, nous irons prier
- Devant nos croix de pierre,
- Pour ceux du cimetière
- Qu'on ne peut oublier.
Et c'est ainsi que l'on s'achemina vers
« le miracle de la
Marne ». Admirable expression de la
foi populaire ! Personne en effet ne fera
admettre à l'instinct populaire que, dans
cette victoire, avec le coup d'oeil, avec le
génie militaire d'un Joffre et d'autres
généraux, avec l'héroïsme
des « poilus français »
et de leurs alliés belges et anglais, il n'y
ait pas eu autre chose, c'est-à-dire la main
de Dieu, la réponse de Dieu à la
prière de la France.
Depuis des années la Kultur avait
tout préparé, tout calculé. La
victoire lui paraissait vingt fois certaine... et
ce fut la défaite. Une fois de plus on a pu
dire : Gesta Dei per Francos. Dieu et
la France ont combattu ensemble.
Aux heures de détresse et de
danger national, la loi se réveille. On
prie. Il faut prier ! C'est un instinct
humain, indestructible. C'est le cri de l'âme
créée par Dieu, faite pour
Lui.
Je ne dirai pas comme d'autres :
« C'est la peur qui a fait cela, et la
religion de la peur n'a rien de
glorieux. » Le Français n'est pas
peureux. C'est son moindre défaut. Il y a
donc eu là autre chose que la peur. Il y a
eu ce qu'un Père de l'Eglise, Tertullien, a
appelé « le témoignage de
l'âme naturellement
chrétienne. »
Malheureusement ce témoignage est
souvent fugitif, souvent semblable à
l'éclair dans la nuit. L'éclair a
lui ; la nuit revient. Il ne faut pas qu'elle
revienne Il faut que l'éclair se
transforme en lumière durable, en
lumière éternelle.
C'est ce qui a eu lieu, nous le savons,
pour un grand nombre de ceux qui ont
chanté : « Nous voulons
Dieu » ou d'autres paroles de foi, en
août 1914. Combien de milliers de
ceux-là dorment sous une croix de bois ou
dans quelque fosse, anonyme, après que leur
âme s'est envolée vers Dieu ! Je
pense à vous, prêtres, pasteurs,
missionnaires, étudiants en
théologie ; à vous Charles
Péguy, Psichari, Allier, Cornet-Auquier (il
y en aurait trop à nommer), nobles esprits
et coeurs chrétiens ; à vous,
généraux, officiers et soldats,
braves enfants de France ; à vous aussi
Belges, Anglais, Italiens, intrépides
champions du droit et de la liberté ;
à vous, vous qui, comme le Christ, avez
donné votre sang pour vos frères,
pour votre patrie, pour la justice, pour la
liberté du monde, pour nous. Et un
invincible besoin du coeur, que
l'Évangile ne réprouve pas, nous
pousse à dire, avec
l'Église ancienne : « Da
eis, Domine, requiem aeternam. Donne-leur,
Seigneur, le repos
éternel. »
Le devoir, pour nous qui restons,
c'est de prier pour les vivants ....

... Car l'heure de la détresse,
l'heure du danger national n'est point
passée. Même quand a sonné
l'heure de la victoire, la détresse n'est
point passée pour cela. D'autres dangers
et d'autres luttes surgissent. Le mal n'abdique
pas. L'enfer n'est pas vidé de ses
démons, qu'il ne cesse de lancer à
l'assaut de la terre. Pascal n'a-t-il pas
dit : « Jésus-Christ sera en
agonie jusqu'à la fin du monde. Il ne faut
pas dormir pendant ce temps-là. »
Non, il ne faut pas dormir, mais veiller et
prier.
À quoi bon ? nous dira
peut-être quelqu'un. Voyez la Belgique
bâillonnée sur la tombe de ses
héros Voyez le charnier serbe et le charnier
arménien. Voyez tant de prières qui
se sont perdues dans le ciel muet et vide,
semble-t-il !
Mystère de douleur !...
Mystère ! Nous l'avouons. Nous en
souffrons. Mystère qui ne s'éclaire
de quelques rayons que sur le Calvaire, au pied de
la croix sur laquelle le Juste a crié :
« Mon Dieu ! Mon Dieu, pourquoi
m'as-tu abandonné ? » Et
pourtant il était là, le Juste, et il
était quand même abandonné de
Dieu, abandonné pour nous, à cause de
nos péchés... Mais il ne l'a
été que pour un temps. Le
troisième jour, il est ressuscité. Il
y a là un mystère qu'il nous faut
accepter ;... mais il y a là aussi de
quoi nous faire accepter le mystère.
Le Juste s'est
révélé vainqueur. Un jour, il
se lèvera pour tous, comme juge ou comme
sauveur, comme juge, pour vous
bourreaux ; comme sauveur, pour vous, pauvres
victimes.
Et je pense ici à miss Edith
Cavell, calme, résignée, souriante,
quelques instants avant de tomber sous les balles
du peloton d'exécution, à miss Cavell
prenant alors congé du chapelain anglais qui
lui avait donné la communion, avec un
sourire et ces mots « Nous nous
reverrons. »
À l'heure sombre où l'on
semble abandonné de tous, et de Dieu
même quelquefois, miss Cavell n'a pas
prié en vain.
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