Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
REGARD
Bibliothèque chrétienne online
EXAMINEZ toutes choses... RETENEZ CE QUI EST BON
- 1Thess. 5: 21 -
(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



TOPSI 

Suite


(Début)

Et, prenant doucement la fillette par les épaules, elle la força à faire volte-face. Les yeux pleins de larmes et le coeur ulcéré, elle rejoignit ses compagnes ; se tournant vers le conducteur, elle lui dit :
- Presse le pas. Elle ne doit pas nous suivre plus loin ; elle pourrait se perdre et alors ...

La petite fille, triste dans sa solitude, demeura sur place tant que la voiture fut en vue, puis très, très lentement, Gwa Gwa revint sur ses pas et recommença à s'ingénier à se procurer son pain quotidien.

Chaque jour, et bien des fois par jour, les dames parlaient au Seigneur de la petite abandonnée et Lui, qui est riche en moyens, veilla sur l'enfant qui ne le connaissait pas encore.
Le temps était encore chaud et Gwa Gwa, assise tristement au bord de la route, regardait passer les véhicules, espérant toujours que le char qu'elle attendait se présenterait bientôt devant la grande porte de la ville.
Quelquefois elle se mêlait aux jeux des autres enfants, mais le plus souvent, elle restait tranquille, cherchant à comprendre les étranges événements qui avaient marqué sa courte vie.
Quelquefois un des élèves de l'école du soir partageait un concombre avec elle, et quelquefois aussi, une dame élégante arrêtait sa voiture, l'appelait à ses côtés et lui donnait quelque menue monnaie, car maintenant beaucoup de personnes connaissaient Gwa Gwa comme la petite protégée des missionnaires.

Elle ne savait plus ce que c'était que d'être positivement affamée, car grand-maman Fan avait promis de lui donner chaque jour son bol de nourriture. Pour éviter les coups, elle ne rentrait que tard dans la soirée chez la méchante femme qui l'hébergeait et quittait ce triste logis dès l'aube.
Mais bien trop tôt, hélas ! l'automne fit son apparition, puis le cruel hiver, si redouté des mendiants, commença de sévir. Les vents glacés perçaient les haillons de Gwa Gwa et quelquefois sa toux la secouait à tel point qu'elle pouvait à peine se traîner chez grand-maman Fan pour chercher son dîner. Les chiens étaient aussi méchants que jamais et maintenant il n'y avait personne pour laver ses jambes déchirées par leurs crocs. L'enfant pleurait souvent de douleur et la méchante femme chez qui elle habitait ne lui témoignait aucune pitié et la rouait de coups parce que ses tournées étaient si infructueuses maintenant.
Souvent elle demandait par signes quand ses trois amies reviendraient et chaque fois grand-maman Fan répondait par un sourire encourageant qui pouvait signifier : Oui, oui, elles seront bientôt là ! Mais le temps semblait bien long à Gwa Gwa.

Durant cet hiver, Gwa Gwa se lia d'amitié avec une autre fillette qu'elle avait rencontrée un jour se traînant dans la ville sur ses mains et ses genoux car elle n'avait plus qu'un pied. Cette petite infirme savait beaucoup mieux se tirer d'affaire que Gwa Gwa. Elle connaissait les bons coins où l'on pouvait s'asseoir le dos contre le mur, et profiter de la chaleur des kangs bien chauffés dans l'intérieur des maisons. Elle savait aussi gagner les bonnes grâces du restaurateur populaire qui parfois jetait une cuillerée de soupe chaude sur le pain sec au fond de son bol. Gwa Gwa était une mendiante maladroite, elle demandait toujours du travail en échange de sa nourriture et peu de gens lui en offraient. Sa nouvelle associée, par contre, la faisait profiter de son expérience des affaires.

Lorsque le printemps revint, de fréquentes fêtes dans les temples attiraient les villageois qui se montraient généreux envers les mendiants. Pourtant les missionnaires ne revenaient pas et leur demeure restait vide. Gwa Gwa abandonna tout espoir de les revoir jamais, bien que grand-maman Fan semblât toujours annoncer leur retour. Mais l'expérience de la vie avait appris à Gwa Gwa que les gens ne disent pas toujours la vérité, et dans son coeur elle pensait : Jamais plus je ne reverrai mes amies !
Bien qu'elle eût perdu tout espoir, cependant l'enfant ne manquait pas de visiter chaque jour la maison qui lui était chère. Elle entrait par la porte de la cour, elle faisait le tour du jardin, contemplait de loin les chambres où ses amies avaient vécu, puis, avant de s'en aller, elle s'asseyait sur le seuil et gémissait doucement comme elle savait qu'on le faisait lorsque quelqu'un était mort.

Tout un été passa, et le second hiver si redouté était arrivé ; les premiers blizzards, ces vents glacés venant du désert du Gobi, balayaient déjà la ville, apportant du nord cailloux et tourbillons de sable. Les haillons de Gwa Gwa étaient plus misérables que jamais. Il n'y avait plus de fêtes, les rues étaient vides. L'enfant était si triste que, lorsqu'elle revenait à la maison de ses amies, elle ne se contentait plus de gémir, elle pleurait à gros sanglots. Mais, en un mémorable jour de décembre, lorsqu'elle pénétra dans la cour, elle s'arrêta, médusée. Des ballots gisaient partout et, de la porte de la cuisine, s'échappait une vapeur odorante qui disait qu'un dîner était en cours de préparation.
Soudain, l'enfant vit ses trois amies debout sur le seuil de la maison. Avec un cri de joie, elle abandonna sa petite canne et se précipita dans les bras grands ouverts pour la recevoir.

Cet hiver-là fut un des plus rigoureux que le nord-ouest de la Chine eût jamais connu. Un blizzard après l'autre balayait la plaine et souvent le froid était si intense que personne ayant un logis ne s'aventurait à mettre le nez dehors. Chaque soir, les mendiants, serrés les uns contre les autres, se tassaient aux alentours des temples dont les hautes murailles offraient quelque protection contre les vents glacés. Mais chaque matin on retrouvait le corps de quelque petit enfant ou de quelque vieillard qui gisait gelé sur le sol durci.
Les chrétiens chinois, réunis chez les trois dames, discutaient de la situation et des moyens de venir en aide à des centaines de malheureux.
- Apportons un bon tas de paille dans une des grandes chambres, proposa quelqu'un, et, une fois la nuit tombée, nous irons à la recherche des petits enfants et nous les mettrons à l'abri.
- Voilà une excellente idée, firent les dames, et chaque matin nous cuirons une grosse marmitée de millet pour le déjeuner des petits.

On répandit donc la paille en couche épaisse sur le plancher, on acheta un grand sac de millet et chaque soir, quelques chrétiens indigènes s'en allaient à la recherche des enfants abandonnés, trop heureux de trouver un refuge contre les frimas.

La petite solitaire errait du haut en bas, de la grande rue où s'accroupissait dans un coin abrité, mais pour elle, comme pour tous les « sans-famille », c'était une saison terrible. Ses haillons ne croisaient pas même sur sa poitrine et c'est en frissonnant qu'elle affrontait chaque matin la bise du nord, sans avoir déjeuné. Elle devait quelquefois attendre bien longtemps avant que quelqu'un lui jetât une croûte de pain. Mais dès qu'elle avait ainsi reçu quelque nourriture, elle cherchait en échange à porter un message ou à enlever la neige devant la porte.
Elle avait alors le sentiment d'avoir gagné son repas. Cependant elle était toujours heureuse de trouver le bon dîner chaud qui l'attendait chez ses amies, car ce bienfait était offert et accepté avec l'amour qui n'exige ni ne donne un paiement.

Voyant l'état des vêtements de l'enfant, les missionnaires achetèrent une bonne pièce de drap tissé à la main, et grand-maman Fan eut vite fait d'en confectionner une paire de ces larges pantalons que portent toutes les petites filles chinoises. Grande fut la joie de Gwa Gwa lorsqu'elle se para de son nouveau vêtement. Mais, hélas ! cette joie fut de courte durée !
Une fois dans la rue et lorsqu'il s'agit de regagner sa demeure, l'enfant n'avança plus que d'un pas traînant et il se passa du temps avant qu'elle atteignit l'étroite entrée de la cour sur laquelle s'ouvraient cinq chambres, dans l'une desquelles habitaient la méchante femme et ses enfants. Quand enfin Gwa Gwa arriva devant la porte, un garçon du même âge qu'elle sortit en la bousculant. Voyant le vêtement neuf, le gamin lança une gifle à la fillette en lui adressant de grossières injures.

L'air de la chambre était alourdi par l'opium, l'horrible drogue dont l'emploi n'est que trop répandu en Chine. Sur le kang étaient placés une couverture en lambeaux, des draps sales et un plateau supportant une petite lampe à huile. Un homme, étendu de tout son long, était occupé à nettoyer sa pipe à opium. Gwa Gwa n'avait rien à craindre de sa part ; le poison l'avait abruti et il somnolait à demi, mais la femme, qui était en train de serrer les restes du souper, paraissait être de fort méchante humeur. Elle aussi voulait fumer l'opium et tout retard apporté à l'assouvissement de sa terrible passion l'irritait au plus haut point.

À côté du fourneau on avait posé un bol à moitié rempli d'une masse grise et gluante, un répugnant mélange de farine et d'eau, la part de Gwa Gwa, ce qui était resté au fond de la marmite après que chacun avait mangé sa part.
La femme saisit la sacoche de l'enfant et la vida sur la table. Il ne s'y trouvait que quatre piécettes en cuivre, dont il aurait fallu trente pour faire la valeur de deux sous, trois petits morceaux de charbon que Gwa Gwa avait ramassés dans la rue et un os qu'un cuisinier lui avait lancé. La femme mit les piécettes dans sa poche, jeta les débris de charbon sur le feu et plaça l'os sur un rayon au-dessus du fourneau. Puis elle se saisit de Gwa Gwa et examina ses pantalons neufs en s'assurant qu'elle portait encore sa vieille paire en dessous. Chaque fois qu'elle regardait l'enfant, ses yeux étaient pleins de haine et, tout en la tenant, elle lui pinça le bras si fort que Gwa Gwa cria de douleur. Alors la mégère empoigna le tisonnier et frappa l'enfant sur le dos avec la tige de fer.

Dès que Gwa Gwa put lui échapper, elle se réfugia dans un coin de la chambre, près de la porte, et se coucha sur la terre battue, sa sacoche et son bâton à côté d'elle. Bientôt elle s'endormit profondément ; alors la femme s'approcha doucement et lui enleva ses pantalons neufs, ne lui laissant que son vieux vêtement en guenilles. Puis elle sortit et se rendit chez un chiffonnier, lui vendit les pantalons pour quelques sous qu'elle échangea bien vite contre une boulette d'opium.

En se réveillant, Gwa Gwa comprit ce qui s'était passé ; elle se mit en colère, sanglota, tapa du pied, brandit son petit bâton, mais tout cela ne lui rendit pas son vêtement volé. Pour la première fois de sa vie elle avait été l'heureux possesseur de quelque chose qui lui appartenait en propre et maintenant il ne lui restait plus que ses misérables haillons. Elle courut chez ses amies pour trouver la maison vide. Le cuisinier lui donna à dîner, mais ne parut pas s'intéresser à la perte qui la chagrinait si fort.

Pauvre petite Gwa Gwa ! Si vous comparez son sort au vôtre, n'avez-vous pas lieu d'être reconnaissants de tous les bienfaits dont vous êtes comblés ? En avez-vous jamais remercié votre Père qui est dans le ciel ?

Bien que Gwa Gwa n'en sût rien du tout, ses trois amies étaient en train d'élaborer un projet qui, mené à bonne fin avec la bénédiction de Dieu, devait changer du tout au tout la vie de la petite mendiante. Mais ce n'était pas chose aisée que d'arracher l'enfant aux griffes de la méchante femme qui prétendait avoir tous les droits sur elle. Le projet devait donc être mûri dans le silence et ne pouvait être mis à exécution sans le concours de plusieurs hommes influents de la ville.
- Il faut acheter Gwa Gwa tout de suite, dit grand-maman Fan, je ne vois pas d'autre moyen.
- Le fait de l'acheter n'est pas tout, émit le mandarin Lin, riche négociant de l'Asie centrale, il faudra dès lors la nourrir et la vêtir.
- C'est nous qui nous en chargerons, dit la Dame Grise, mais pendant nos longues absences, quand nous voyageons pour notre précieuse mission, qui prendra soin de la petite solitaire.
- C'est tout simple, dit grand-papa Fan, nous la prendrons chez nous, à moins que nous ne soyons partis avec vous.
- Dans ce cas, c'est ma femme qui s'en occupera, assura le mandarin Lin. Leur seule crainte était que, de dépit, la méchante refuse de vendre Gwa Gwa. Dans le cercle d'amis, on discuta pendant une heure entière, chacun émettant une idée. Finalement celle du mandarin Lin fut acceptée à l'unisson. Rentrant chez lui, il fit venir dans sa chambre un serviteur sûr auquel il confia la chose. Le serviteur qui savait le genre de femme auquel il aurait affaire se montra plein de ressources.
- Donnez-moi une bonne poignée d'argent dans ma poche, dit-il, je ferai en sorte qu'elle l'entende sonner et, comme elle est une fumeuse d'opium invétérée, cela l'attirera. Elle donnerait n'importe quoi pour une boulette d'opium, combien plus facilement se débarrassera-t-elle d'une sourde-muette qu'elle déteste pour en obtenir !

Avec l'argent tintinnabulant dans sa poche, son long tuyau de pipe dans sa ceinture, notre homme prit la rue de l'Ouest. Tout en flânant, échangeant quelques mots ici ou là avec des connaissances, il arriva au bout de la rue où se trouvait la demeure de la mégère.

Devant la misérable porte se tenait un gamin ayant un plateau de bois attaché aux épaules. Sur ce plateau étaient empilés des beignets à la viande suintant de graisse. C'était le fils de la méchante femme ; elle avait fait ces beignets dans l'espoir d'en retirer quelques sous pour acheter sa dose d'opium journalière.
Quand le serviteur arriva à la porte, il s'accroupit à la mode chinoise et alluma sa pipe, puis il demanda au gamin si le commerce marchait bien.
- Non, lui fut-il répondu, personne ne veut de ma marchandise.

À ce moment on entendit la voix perçante de la femme grondant le gamin, lui reprochant de perdre son temps.
- L'enfant fait ce qu'il peut, dit le serviteur, mais personne ne veut de ses beignets. N'y aurait-il pas chez vous quelque chose d'autre à vendre ?
- J'ai les enfants les plus incapables de toute la ville, dit-elle ; mon garçon est un fainéant, un propre à rien, quant à ma fille, elle est sourde-muette !

Pendant ce temps, quelques spectateurs s'étaient avancés et plaisantaient.
- Qui voudrait acheter une sourde-muette? s'écria l'un d'eux.
- Qui sait? Il se peut que quelqu'un le fasse, dit le serviteur qui, tout en parlant, faisait sonner l'argent dans sa poche. Je connais une dame qui a besoin d'une servante et elle ne verrait pas d'objection à ce qu'elle soit sourde-muette. Sur ces paroles, il s'éloigna, mais la graine avait été semée et, quand il revint un peu plus tard dans cette même rue, le gamin qui était aux aguets courut avertir sa mère.

Quelques mots seulement furent échangés, puis, le serviteur murmura :
- Venez demain au coup de midi chez le mandarin Lin.

Le lendemain, quand Gwa Gwa se rendit à la maison de ses amies, elle y trouva toutes sortes de petits travaux à faire. Elle balaya la cour, porta des seaux d'eau et ramassa du bois mort au jardin. Elle ne se doutait pas que très près d'elle le mandarin Lin et la méchante femme discutaient de son avenir.
La femme était arrivée exactement au coup de midi, on l'avait fait entrer dans le bureau où le mandarin traitait ses affaires. C'était un très joli bureau dans lequel étaient disposés de magnifiques divans rouges et une table drapée de rouge aussi. Sur la table il y avait une théière, deux tasses, une écritoire avec le pinceau pour écrire et le grand cachet carré avec lequel "Grand homme Lin" scellait ses documents.
La femme, à la vue de tant de magnificence, fut saisie de crainte et pensa qu'elle aurait mieux fait d'aller à la cuisine pour discuter de la chose avec la femme du serviteur mais, ce dernier étant déjà là, elle dut donc s'avancer.
- À propos de votre sourde-muette, dit-il, combien en voulez-vous ?
- Cette enfant m'a coûté beaucoup d'argent, répondit la femme, je ne puis la céder à moins de vingt mille cash.
- Vingt mille cash ! Qui est-ce qui aurait assez d'argent pour le dépenser de la sorte ? gronda le serviteur.

Ces deux-là étaient de première force pour traiter une affaire et on ne sait jusqu'à quand la discussion aurait duré si le mandarin Lin n'était entré dans le bureau à ce moment.
- Apportez-moi quinze mille cash, dit-il à son employé, et donnez-les à cette femme, puis vous m'amènerez l'enfant.

Quand Gwa Gwa entra dans la pièce, elle fut terrifiée à la vue de la méchante femme, mais le mandarin Lin lui fit voir sur la table un grand papier, ainsi que la grosse pile de pièces de cuivre, que la femme était en train de serrer dans son fichu. La fillette comprit ce que cela signifiait et ses yeux brillèrent quand on apposa le grand sceau sur le document qui déclarait que, dès ce moment, Gwa Gwa cessait d'être la propriété de la méchante femme et qu'elle devenait l'enfant des missionnaires.

L'heureuse Gwa Gwa retourna à son dîner chaud, après quoi on lui fit faire encore différents petits travaux dans la maison. Puis la Dame Bleue la fit entrer dans une chambre latérale où se trouvaient un baquet en bois rempli d'eau chaude et tout à côté un habillement complet fait à la taille de l'enfant. Vite on la débarrassa de ses haillons et on la plongea dans l'eau.

C'était la première fois de sa vie qu'elle prenait un bain ; elle riait et battait des mains quand grand-maman Fan vint pour la frotter et la nettoyer de la tête aux pieds. Quand elle sortit de l'eau on lui rasa la tête et on lui mit ses nouveaux habits. C'était d'abord un pantalon de coton bleu doublé de blanc et douillettement ouaté, une petite jaquette blanche, et enfin un manteau bleu marine. Il y avait aussi une paire de chaussettes blanches. Elle enfila ses petits pieds dans de vieux souliers de la Dame Bleue qu'on attacha solidement avec des cordons.
Quand elle fût prête, elle se rendit dans la chambre où étaient les trois dames et s'inclina très bas trois fois pour leur montrer combien elle était reconnaissante pour tant de merveilleux cadeaux, puis, se tournant vers grand-maman Fan, elle lui fit une profonde révérence pour la remercier aussi.
On lui fit comprendre alors qu'elle ne retournerait plus jamais chez la méchante femme, mais qu'elle habiterait la maison de ses amies et partagerait la chambre de grand-maman Fan dans la dépendance. C'est elle qui devrait tenir la chambre bien propre, allumer et entretenir le feu du "kang" avec des épines et les déchets de l'étable, pour que le lit soit toujours chaud et confortable.

Cette nuit-là, au lieu de se recroqueviller sur un sol glacé, Gwa Gwa s'étendit sur le lit de briques doucement chauffé et entretenu par un petit feu. Grand-maman Fan se servait d'un oreiller en forme de rouleau dont les deux bouts étaient ornés d'un motif brodé et bien bourré de balle d'avoine. Gwa Gwa, n'ayant pas d'oreiller, se choisit un petit fagot de branchettes, le glissa derrière sa nuque, tira la couverture jusqu'à son menton et s'endormit profondément. Mais, avant de se coucher côte à côte, elles s'étaient agenouillées et grand-maman Fan avait prié à haute voix. Personne ne peut savoir ce que Gwa Gwa exprima dans sa prière, mais on peut être sûr qu'elle se montra très reconnaissante à Quelqu'un pour quelque chose.

Une semaine plus tard, la méchante femme apparut soudain dans la cour de la maison des dames missionnaires. Gwa Gwa fut la première à l'apercevoir et de frayeur courut se cacher derrière la porte.
Le cuisinier, reconnaissant la voix criarde de la femme, sortit, espérant lui dire une bonne fois sa façon de penser, mais la Dame Grise était déjà sur le pas de porte avant lui.
- Que désirez-vous ? lui demanda-t-elle sévèrement.
- Oh ! c'est seulement encore une petite affaire dont je veux vous parler, répondit-elle.
- Dites vite ce que c'est, commanda la Dame Grise.
- Eh bien, c'est à propos des habits que portait Gwa Gwa le jour où elle est allée chez le mandarin Lin.
- Alors quoi.
- On ne m'a point donné d'argent pour cela et le mandarin Lin n'a pas même mentionné qu'on voulait les acheter.
- Est-ce seulement pour cela que vous êtes venue ? et la voix de la Dame Grise était très sévère.
-Oui, c'est tout.
- Eh bien, les voilà, et puisque c'est tout ce que vous désirez, prenez-les et partez au plus vite.

En disant ces mots, la Dame Grise ouvrit la porte de l'écurie et lui montra dans un coin le paquet de haillons qu'on avait déposé là en attendant de les brûler. La femme ramassa ces quelques vêtements malpropres ; puis, tournant la tête à gauche et à droite, elle chercha des yeux la petite sourde-muette. Mais celle-ci ne se montra nulle part.
- C'est la toute dernière fois que vous viendrez ici, lui dit la Dame Grise. Quand vous aurez quelque chose à demander, adressez-vous directement au mandarin Lin.

Mais la méchante femme ne désirait pas du tout aller chez le mandarin Lin, elle en avait plus peur qu'envie. Au fond, ce qui l'attirait dans ce quartier, c'était de savoir si tout ce qu'on racontait en ville sur Gwa Gwa était vrai. Les uns disaient que les dames avaient fait venir un remède de leur propre pays dont une petite parcelle vous guérissait de la surdité. D'autres racontaient que non seulement Gwa Gwa parlait en chinois, mais aussi en anglais. On disait encore qu'elle était habillée de vêtements somptueux, qu'elle était traitée comme l'enfant de la maison et qu'elle mangeait la même nourriture que les dames ; mais la méchante femme dut quitter la maison sans avoir pu satisfaire sa curiosité, car Gwa Gwa resta blottie dans son coin jusqu'à ce qu'elle fût partie et que le cuisinier eût refermé solidement la porte. Bien entendu, Gwa Gwa avait surveillé la femme par une fente sans être vue et ce ne fut qu'après son départ qu'elle se sentit vraiment en sécurité. Elle n'avait pas encore compris qu'une fois l'argent donné pour sa rançon, la femme n'avait plus rien à prétendre et n'avait pas même le droit de la toucher.

On avait acheté Gwa Gwa pour la libérer et personne n'avait d'autre droit sur elle maintenant que celui de lui témoigner de l'affection ; cette affection de ses amies n'allait pas rester sans réponse chez l'enfant et éveilla peu à peu en elle un entier dévouement.
Plus tard, elle apprit que le Sauveur l'avait rachetée non avec de l'argent ou de l'or, mais d'un prix infini avec son précieux sang. Il était mort pour elle et le pouvoir du mal n'aurait plus de prise sur elle si elle se confiait en Lui. Si elle cessait d'aimer ses amies, elles en auraient un immense chagrin, mais si elle fermait son coeur à l'amour de son Rédempteur, ne L'affligerait-elle pas encore beaucoup plus ?

Le nom de Gwa Gwa qui veut dire "Solitaire" n'avait plus sa raison d'être dans une maison chrétienne, aussi lui donna-t-on celui de "Ai-Lien" qui veut dire "Lien d'amour". Tout le monde l'appelait ainsi maintenant, excepté les trois dames qui lui donnèrent le nom de "Topsi". Ai-Lien était un mot trop difficile à lire sur les lèvres pour la petite sourde-muette, mais bien vite elle apprit à articuler celui de Topsi.

Tout cela se passait aux environs de Noël, ce fut même la veille de ce jour que l'enfant fit son entrée dans sa nouvelle demeure. Le groupe de personnes qui l'aimaient était des disciples du Seigneur Jésus, qui était né dans une étable parce qu'il n'y avait point de place pour Lui dans l'hôtellerie. Lui-même les avait enjointes de prendre soin des enfants qui étaient dans la peine et quand elles Lui demandèrent ce qu'il fallait faire quant à Gwa Gwa, voici la réponse qu'Il leur fit : "Laissez-la venir à moi"et c'est ce qu'elles firent.

L'arrivée de Gwa Gwa en cette veille de Noël fut un des plus beaux jours de leur vie. Vraiment elles avaient toutes l'air si heureuses que dès lors, quand on parle de ce Noël, Topsi l'appelle toujours "l'heureux jour".

 

FIN

Table des matières

Page précédente:

 

- haut de page -