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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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MARTIN NIEMÖLLER



I. - L'HÉRITAGE PATERNEL

Martin NiemölIer est fils d'un pasteur de Westphalie. On ne peut le comprendre sans tenir compte de cette patrie et de cette origine. Il a le bonheur d'avoir encore sa maison paternelle et de savoir que ses parents le suivent en pensée dans tout ce qu'il fait. Le père Niemöller a pris part à l'installation de son fils comme pasteur de Dahlem. Il n'était même pas encore à la retraite lorsque l'évêque Muller infligea la suspension à Martin. Aujourd'hui même, en voyant ce vieillard de soixante-dix-huit ans, nul ne se douterait qu'il est émérite, tant son activité reste grande. De tous côtés, on l'appelle à prêcher. Il combat à sa manière avec une verdeur intarissable.

Lorsque l'évêque Heckel, lors de la « mise au pas » de la Société Gustave-Adolphe, chercha à écarter cet homme gênant, en prétextant qu'il fallait faire place à des forces plus jeunes, le père Niemöller lui posa en public la question :
- Monsieur l'évêque Heckel, quel âge avez-vous?
- Quarante ans ? Dans ce cas vous êtes beaucoup trop vieux.

Il faut avoir entendu le son grave de cette voix de basse, connaître cette tête aux cheveux blancs, ce front ouvert et ces yeux bleu clair, il faut l'avoir vu installé dans son fauteuil, fumant sa longue pipe, racontant des anecdotes avec le sourire du bien-être, pour comprendre que chacun se réjouisse de sa visite et ne puisse résister à son charme. Paix et sûreté, dignité et force, jointes à un humour tiré de sa connaissance des hommes, telles sont les caractéristiques de celui qui est fier d'être le père de Martin Niemöller.

Le fils ne ressemble pas physiquement au père et n'a pas hérité de sa nature sereine. Il a plutôt les traits de sa mère et tiendrait d'elle son tempérament plus passionné et son penchant à voir le côté grave des choses. Quoi qu'il en soit, il a reçu le proverbial « crâne westphalien » qui sait exactement ce qu'il veut et que la nature a privé du don d'atteindre son but par des compromis. Il est né pour la lutte, et ce serait miracle si le tranquille village de Dahlem, qui est la première paroisse du pasteur Niemöller, présentait à la longue l'aspect d'une paisible idylle de banlieue berlinoise.

Mais son chemin ne l'a pas conduit directement à Dahlem. Niemöller a décrit lui-même les étapes du trajet qui l'ont mené du sous-marin à la chaire. En cela aussi, la maison paternelle a joué un rôle déterminant, bien que tacite. L'élément le plus décisif pour la formation de Niemöller, ce fut moins le fait d'être originaire d'un presbytère, que l'esprit qui régna dans ce dernier et l'atmosphère qu'il y respira. Il est issu d'une forte tradition, faite d'idées et de principes bien arrêtés. Il n'est rien moins qu'un révolutionnaire, et, dans le fond, à travers les diverses situations qu'il a occupées, rien n'a varié dans la vocation à laquelle il se sait lié.

Cette vocation l'appelle à servir son peuple. La pensée nationale occupe la première place dans la tradition familiale et natale. Celle-ci le situe à droite. Le goût pour le métier d'officier lui est naturel. La guerre, qui exige sa vie comme enjeu, est son élément. La fin de 1918 lui interdit moralement de continuer à servir. Il est de tout coeur avec les adversaires de la république weimarienne et se range du côté de ceux qui luttent pour le relèvement national. S'il ne devient pas, comme son frère, membre du parti national-socialiste, ce n'est que fortuit. Le programme d'un renouvellement national est le sien, y compris la répudiation de tout ce qui s'appelle individualisme, parlementarisme, pacifisme, marxisme et judaïsme. Dès 1924, il donnera sa voix à ce parti.

Il n'y a rien d'extraordinaire à cela dans ces années-là. Ce n'est que l'expression typique d'une opposition qui gagne du terrain. Ce qui distingue cependant Niemöller de beaucoup d'opposants, c'est son conservatisme inné. Il n'attend de la révolution ni aventures ni avantages, mais uniquement le rétablissement de l'Allemagne pour la grandeur de laquelle il a combattu et dont il ne conçoit l'idéal et les institutions que sous les couleurs prussiennes. Aussi ne le verra-t-on jamais parmi les accusateurs et les détracteurs de la dynastie des Hohenzollern. Son honneur d'officier et son respect de l'histoire le lui interdisent.

Il ne se borne pas à prendre au sérieux l'affirmation que le programme du mouvement national doit être fondé sur un christianisme positif : c'est à ses yeux une condition sine qua non. Il serait impensable que cette affirmation pût disparaître un jour ou l'autre. Car il n'est pas nécessaire d'être fils de pasteur pour savoir que la tradition du royaume et de l'armée de Prusse est inséparable de l'éducation chrétienne du peuple. C'est pourquoi, aussi, il n'est possible, à ses yeux, de construire la nouvelle Allemagne que sur le fondement solide du christianisme. L'ancien soldat et l'étudiant-artisan voit à cet égard dans le ministère pastoral une promesse et une responsabilité particulières. Prendre conscience des forces que nous Allemands devons à la Réformation : telle est la tâche qui s'impose à Niemöller. Sans la foi qui craint et aime Dieu par dessus tout, il ne peut y avoir ni autorité, ni vérité, ni justice dans la vie du peuple.
C'est ainsi que, de tout coeur, il salue le 30 janvier 1933 (1) comme l'accomplissement de ses espoirs et comme le début d'une collaboration féconde de l'Eglise avec l'État. Il exprime ses sentiments dans les prédications qu'il prononce au cours de ces semaines-là devant sa paroisse de Dahlem. Lorsque le mouvement de la « Jeune-Réformation » intervient par son premier appel et s'élève contre les « Deutsche Christen », c'est lui, Niemöller, qui insiste sur le devoir « de l'Eglise, non seulement de reconnaître le bon droit du nouvel État, mais aussi sur celui de voir en ce dernier un sauveur et un libérateur. C'est contre son gré que certains veulent bannir du langage les expressions de renversement et de relèvement.

Il entre en lice pour l'héritage des pères, comme il l'avait fait en 1914. Dès lors, rien n'avait changé dans ses convictions fondamentales. Parmi les partisans du IIIe Reich, il était sans doute le dernier à se douter que les mots d'ordre auxquels il obéissait pourraient un jour ou l'autre le contraindre à la défensive. Si vraiment l'on était sincère et sérieux en parlant d'un christianisme positif, quel motif aurait-il eu de se ranger dans l'opposition ?

Mais les choses se passèrent autrement. L'homme que la confiance unanime des paroisses appelle en mai 1933 à la tête de l'Eglise, Frédéric de Bodelschwingh, ne devient pas évêque de l'Eglise du Reich, parce qu'il n'est pas « Deutscher Christ » et que ce parti veut à tout prix imposer l'un des siens. Niemöller, qui jusqu'alors avait été un pasteur peu connu à Berlin, entre en scène en qualité d'adjudant et de porte-parole de Bodelschwingh.

Une collaboration de plusieurs années dans la Mission intérieure de Westphalie lui a permis de bien connaître la personnalité pour laquelle il intervient. Ce qui importe à ses yeux pour la charge d'évêque, c'est la qualité objective de celui qui doit l'occuper, et non l'appartenance à un parti. Ne venait-on pas précisément, à l'aube du Ille Reich, de proclamer l'application de ce principe à tous les domaines et n'avait-on pas, en particulier, promis solennellement à l'Eglise la liberté de mouvement ? Niemöller n'arrive pas à comprendre pourquoi d'emblée on interdit à Bodelschwingh et à ses amis de parler, pourquoi la radio et la presse leur sont fermées, ni pourquoi, lorsque le pouvoir politique s'ingère dans l'Eglise par le moyen d'un commissaire d'État, les dirigeants des anciens conseils ecclésiastiques sacrifient sans autre celui qu'ils ont élu et mandaté. Il peut encore moins s'accommoder de la personne de Ludwig Muller, qu'il n'a que trop bien appris à connaître lorsque celui-ci fut naguère aumônier de marine, et auquel il ne craint pas de dire en face ce qu'il pense de lui.

C'est ainsi qu'il entre dans l'opposition, involontairement et sans en être très conscient. Car, le courant contre quoi il réagit, est-il bien celui du parti dominant ? En face des caractères et des procédés équivoques des « Deutsche Christen », Niemöller se sait ou se croit le vrai national-socialiste, fidèle serviteur de l'Eglise et de l'État. Comme chrétien aussi bien que comme allemand, il ne saurait y avoir pour lui d'hésitation sur le camp auquel un pasteur « convenable » doit appartenir. Il ne doute pas non plus que la liberté d'enseignement et d'action de l'Eglise doive dans tous les cas rester intangible. Il le sait en vertu de l'éducation reçue, et mieux que la plupart des théologiens académiques qui, plus que lui, ont étudié et enseigné. L'avenir de l'Eglise est trop assuré à ses yeux pour qu'il soit tenté d'acheter quelques avantages humains au prix de compromis avec l'esprit du jour.
- Ce qui nous anime, ce n'est pas le souci pour l'Eglise (dit-il au Chancelier d'Empire lors de la mémorable audience du 95 janvier 1934), mais le souci pour notre Ille Reich.

Il reçut pour réponse :
- Du souci pour le Ille Reich, remettez-vous en tranquillement à moi.

En fait, ce n'est pas Ludwig Muller et ses « Deutsche Christen », mais Niemöller et la Ligue de détresse des pasteurs qui tombèrent en disgrâce. Un nuage plus que passager s'était amoncelé au-dessus de l'Eglise évangélique. Ce qui d'abord avait paru incroyable se réalisa : Muller, Hossenfelder et leurs compagnons occupent comme des autocrates toutes les charges dirigeantes de l'Eglise et ont derrière eux l'autorité de l'État et du parti.
Le statut des fonctionnaires, avec son principe dictatorial et son paragraphe aryen, est appliqué également aux ecclésiastiques. Ainsi l'a décidé l'écrasante majorité chrétienne-allemande des synodes de l'automne 1933.

Les super-intendants généraux sont majorisés et révoqués. De nouveaux évêques prennent leur place. L'ancienne Église prussienne est morte. La petite opposition fidèle à la confession de foi n'a plus qu'à se retirer des synodes « bruns ». Niemöller accomplit ce geste dans une tenue hautement significative : il est apparu en vêtement gris clair et n'a pas pris part au culte d'ouverture, afin de manifester son mépris et son refus de reconnaître la nouvelle représentation de l'Eglise. Il se fait d'un synode et d'un évêque d'autres idées que celles qui viennent de l'emporter et il ne songe pas à y renoncer. À défaut d'autres mains, il faut que le premier pasteur venu prenne le drapeau de la vraie Église et le défende contre ses ennemis. Autour de ce drapeau, ceux qui sont restés fidèles se groupent en « Ligue de détresse des pasteurs », dont le conseil fraternel confie la présidence à Niemöller. Il ne sera pas « Führer » dans le sens du parti adverse, mais il sera de plus en plus le porte-parole de ses frères.

Les statuts du nouveau groupement sont des plus simples : ils se rattachent au voeu que chaque pasteur a prononcé lors de sa consécration et lui rappellent les devoirs d'obéissance aux règles de la charge ecclésiastique, d'assistance aux frères opprimés, de résistance à toute atteinte portée à la confession de foi, en particulier au paragraphe aryen récemment introduit. À cause de ce dernier, Niemöller et quelques autres sont pour la première fois, en novembre 1933, suspendus de leurs fonctions pastorales. Cela ne l'empêchera pas de maintenir fermement ce qu'il a reconnu comme vrai et confirmé par serment. Lorsque à Wittemberg, deux mois plus tôt, eut lieu l'élection de Ludwig Muller comme évêque d'empire, sans que l'opposition eût la moindre possibilité d'exprimer un avis contraire, Niemöller et ses amis avaient déposé au nom de deux milles pasteurs, sur les sièges des synodaux, et affiché aux arbres entourant l'église, un mémoire qui se terminait par ces mots : « Nous ne cesserons pas, dans une obéissance fidèle à notre voeu de consécration, de travailler à la construction de l'Eglise évangélique allemande ».
Fort de ce mot d'ordre, Niemöller se met à l'oeuvre.

Il s'agit de défendre les biens élémentaires de l'Eglise : la confession de foi des pères contre les nouveautés des fanatiques, l'honneur du ministère pastoral contre les intrigues des ambitieux, la fraternité chrétienne contre la partisanerie politique. Il s'agit en fait de rien de moins que de l'héritage des pères, auquel le pasteur Martin Niemöller entend rester aussi fidèle que le soldat. Quoi d'étonnant, si pour cette raison même sa voix est entendue du peuple, qui au fond ne demande qu'à conserver et à affirmer la vieille foi. Et malgré tout, plus que dans n'importe quel autre service religieux, on voit se presser des hommes et des jeunes gens au pied de la chaire de Niemöller. C'est ainsi que ce défenseur de la vieille foi devient le promoteur d'un revirement extraordinaire d'où naîtra en Allemagne une nouvelle Église. Mais observons de plus près le type de pasteur qu'il incarne.


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1 Date de l'arrivée au pouvoir du parti national-socialiste.

 

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