MARTIN
NIEMÖLLER
4. - « J'AI
L'IMPRESSION... »
Quand le Conseil prussien ou allemand de
l'Eglise confessante est réuni pour
délibérer, il arrive souvent,
après plusieurs heures de débat, que
Niemöller, qui jusqu'alors s'est tu, obtienne
la parole pour émettre son avis. Il commence
alors l'exposé de son point de vue par cette
formule qui lui est coutumière :
- « Eh bien ! chers
frères, j'ai
l'impression... ».
Ce détail est typique. Il nous montre
de quelle manière Niemöller aborde les
problèmes : non pas de façon
théorique et abstraite, mais en partant de
son intuition personnelle en présence d'une
situation donnée et des exigences du moment.
Très souvent cela veut dire :
- J'ai le sentiment que vous ne voyez pas
les choses comme il faut et que vous faites fausse
route.
- Niemöller n'est pas homme à
céder simplement à une
majorité, même bienveillante. Il garde
son idée et sa manière. Rien n'est
plus difficile que de le décider à
signer une déclaration qu'il n'a pas
contribué à rédiger ou sur
laquelle il n'a pu s'expliquer. Aussi n'est-il pas
fait pour les comités ou les commissions. Il
est plutôt dans sa nature d'élaborer
lui-même un projet, de le soumettre à
l'assemblée et de le défendre
jusqu'au bout.
Il y a, dans ce trait, pas mal de cette
opiniâtreté propre à la fois au
tempérament westphalien et au
caractère des Niemöller. Ceux-là
seuls la lui reprochent en général,
qui sont incapables de rien faire par
eux-mêmes. On pourrait, à vrai dire,
blâmer cette obstination si, la plupart du
temps, les faits ne lui donnaient
pas raison et n'apportaient
à son « impression » une
étonnante confirmation.
Lorsque, en l'été de 1933,
l'Eglise évangélique se vit
contrainte de procéder hâtivement
à des élections
ecclésiastiques, qui devaient lui être
fatales, Niemöller fut le seul à Berlin
à mettre en garde ses supérieurs
contre cette expérience, ce qui lui valut de
la part de son superintendant une verte rebuffade.
Mais quinze jours plus tard, les anciennes
autorités de l'Eglise étaient
balayées par la tempête et les
« Chrétiens-allemands »
prenaient le pouvoir. En 1935, il
élève à nouveau la voix pour
dénoncer le système des
« commissions
ecclésiastiques »
instituées par le gouvernement. Que de
déceptions on se serait
épargnées, si on l'avait
écouté !
Il n'y a que deux milieux dans lesquels il
est entendu : ce sont les « Conseils
fraternels » de l'Eglise confessante et
les paroisses. Quel dommage que les termes de ses
interventions dans les discussions de ces cercles
restreints n'aient pas été
consignés et publiés ! Ils
mériteraient d'être conservés,
car en plus d'une heure critique ils ont rendu
à l'Eglise un service décisif. On
doit en dire autant de ses
« soirées publiques » du
lundi, appelées aussi
« catéchismes », qu'il
tint à Dahlem tous les quinze jours, d'abord
à son domicile, puis dans la salle
paroissiale, toujours bondée de monde et
finalement dans l'église même. De
toute la ville, des membres de l'Eglise confessante
y accouraient pour se renseigner sur les
événements. Là, Niemöller
était dans son élément.
À l'impression très nette qu'il a sur
la situation s'ajoute une documentation comme nul
autre sans doute n'en possède en Allemagne
et le don de condenser, en une vue d'ensemble, les
mille petits faits quotidiens. Ces rapports du
« champ de bataille » de toutes
les parties du pays sont incontestablement ses plus
remarquables tours de force. Qui ne l'a pas entendu
ne le connaît pas.. Plus d'un s'y est rendu,
poussé par la recherche du
sensationnel. Lui-même a pu parfois se
laisser aller à son goût
juvénile pour la lutte. Mais il n'est pas
douteux que ce travail, qui souvent lui a
occasionné des démêlés
avec la police et l'a finalement conduit en prison,
il l'a fait par zèle pour la maison de Dieu
et parce qu'il ne pouvait se dérober au
devoir de dire, en tout temps et en tout lieu, la
pure vérité, sans omission ni
adjonction.
Aussi bien Niemöller ne prononce-t-il
jamais les mots « j'ai
l'impression » sans ajouter
aussitôt : et « maintenant il
nous faut faire ceci ou cela », ou bien
en langage militaire : « il s'agit
maintenant d'ouvrir le feu ! » Il ne
veut pas que ses auditeurs ne soient que
spectateurs du combat, il les appelle à
l'action. Son exposé est de telle nature que
chacun se sent obligé d'en tirer des
conclusions pratiques et de s'enquérir de
ses possibilités de faire quelque chose.
Qu'il s'agisse de collectes pour les jeunes
théologiens ou pour la famille d'un pasteur
révoqué ou d'intercession pour les
chrétiens en prison ou du devoir de
renseigner les « neutres » ou
encore de la recherche de logements à
l'occasion de conférences, partout où
Niemöller discerne un besoin immédiat
et urgent, il lui suffit de l'exprimer simplement
pour trouver aussitôt un écho et des
mains tendues, si bien qu'il peut dire :
- « J'ai l'impression que l'argent
est là, sur la rue. »
Cette locution n'a rien d'inusité.
Des milliers de gens en Allemagne et dans l'Eglise
évangélique en particulier se le
disent journellement :
- « J'ai l'impression qu'il y
aurait bientôt quelque chose à
faire ». Or, voici un homme qui ne garde
pas cette réflexion pour lui, mais qui la
proclame et qui sait la traduire en actes.
Telle est la force d'impulsion qui
émane de Martin Niemöller.
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