MARTIN
NIEMÖLLER
6. - « J'EN PARLERAI A
MA
PAROISSE »
Quiconque a téléphoné
à Niemöller connaît cette
phrase.
Qu'il s'agisse de nouveaux desseins de
l'adversaire, dont quelqu'un a eu vent et qu'on
veut lui communiquer confidentiellement, ou d'une
nouvelle atteinte à la liberté de
l'Eglise, dont il est dangereux de parler,
sitôt que le fait est confirmé et
qu'un danger menace l'Eglise, Niemöller ne
connaît qu'une ressource :
- Dimanche je dirai à mes paroissiens
du haut de la chaire : telle chose se passe,
voici ce que nous avons à faire.
Là où d'autres se demandent en
hésitant si cela est sage et si le moment
est opportun, - l'argument classique pour toutes
les occasions manquées dans l'histoire de
l'Eglise - Niemöller estime que le premier
devoir de son ministère est de dire
ouvertement la vérité, car elle ne
peut être nuisible à la paroisse.
Toute « confidence »
diplomatique lui répugne, lorsqu'il s'agit
de la lutte pour la cause. De même les
égards pour son intérêt
personnel ne pourraient jamais le décider
à se taire. Par contre, celui qui lui parle
d'homme à homme, d'ami à ami, peut
être aussi sûr de sa discrétion
que n'importe quel fidèle sait pouvoir
compter de la part de son pasteur sur le respect du
secret professionnel.
L'obligation de rendre compte à la
paroisse de tout ce qui survient d'important dans
l'Eglise a donné au culte une tournure toute
nouvelle que l'exemple de Niemöller a
fortement contribué à influencer. Il
a sans cesse insisté sur le fait que, pour
l'Eglise confessante, qu'on a
exclue de la radio, de la presse et des
assemblées, la chaire reste l'unique
possibilité d'informer les paroisses. Il n'y
a là d'ailleurs rien d'anormal, si l'on se
souvient que dans les épîtres du
Nouveau Testament la doctrine voisine avec les
communications. Le changement ainsi introduit dans
les traditions cultuelles ne doit naturellement pas
faire de la chaire une sorte de haut-parleur. Il
faut plutôt que les communications s'adaptent
à la prédication. On peut dire
à cet égard que bon nombre des
informations faites du haut de la chaire dans les
paroisses de l'Eglise confessante ont parfois agi
autant qu'un sermon. Là encore l'influence
de Niemöller a été
déterminante, ses nombreux voyages à
travers le Reich lui donnant de fréquentes
occasions de pratiquer ce culte nouvelle
manière. Il tient pour une discipline
salutaire de devoir donner le caractère
d'une conférence biblique à tout ce
qu'il a à annoncer. Car il n'est pas douteux
que, sur le terrain de la Bible, des sujets tels
que l'intercession pour les prisonniers ou bien les
collectes, ressortent au culte et non à la
politique ecclésiastique.
C'est ce qu'ont dû apprendre ceux qui
ne suivaient les sermons de Niemöller que dans
l'espoir d'entendre traiter de celle-ci. Il y en
eut beaucoup dans les débuts, mais ils en
furent bientôt pour leurs frais et purent
s'en retourner. Ceux qui restèrent et dont
le nombre augmenta, formèrent vraiment la
paroisse que Niemöller appelait avec
fierté « sa
paroisse ».
On vient à lui de toutes les parties
de Berlin, en auto, en métro ou en omnibus.
Souvent même, c'était le
contrôleur de tram qui renseignait des
voyageurs sur la station où ils devaient
descendre pour atteindre le plus vite
l'église où prêchait
Niemöller. Aux soirées du lundi,
l'affluence était parfois telle qu'il
fallait mettre en circulation des voitures
supplémentaires. En général,
ces gens se connaissent, au moins de vue, car ils
appartiennent en majorité au cercle des
vrais fidèles de toutes
les paroisses et sont des habitués du culte.
On est cependant frappé de voir parmi eux
beaucoup de figures nouvelles et de jeunes gens,
ainsi qu'une forte proportion d'hommes.
Cela commença en juillet 1933, au
lendemain de la démission de
l'évêque Bodelschwingh. Les
« Chrétiens-allemands »
ayant introduit dans l'Eglise des méthodes
de violence, les trois pasteurs de Dahlem
organisèrent ensemble un culte d'humiliation
et de repentance.
Spontanément toute l'assemblée
répéta à haute voix le Symbole
des Apôtres dont les paroles sont
affichées derrière la grande croix de
l'autel dans l' « Église du
Christ », à Dahlem. Cette croix et
cette confession de foi, voilà ce qui domine
le culte dans cette église, dont la
sobriété correspond au genre de la
prédication. On y est
préoccupé, non de créer une
émotivité religieuse, mais d'annoncer
la Parole de Dieu dans toute sa pureté.
Peut-être, au début,
Niemöller s'est-il laissé aller
à répondre au désir de ses
auditeurs en parlant de la situation de l'Eglise.
Mais en observant attentivement ses
prédications, on constate qu'il subordonne
de plus en plus ce penchant à la simple
explication du texte biblique afin de laisser
parler l'Évangile lui-même, et cela
sans concession aucune. Il ne choisit même
pas librement son texte, mais s'en tient à
la péricope du jour. Chaque parole,
après avoir été,
mûrement méditée, est
interprétée avec le plus grand souci
de fidélité.
On remarque chez le prédicateur les
traces d'un grand effort de préparation. Il
est vraiment au service de la Parole qu'il
explique. Toute rhétorique lui est
étrangère, comme d'ailleurs à
la plupart des pasteurs de la nouvelle
génération. Son style et son attitude
ne laissent rien percer de la passion qui anime ce
combattant.
Celui qui serait venu pour voir le
« célèbre
Niemöller » serait
déçu. L'impression qu'il produit est
sensiblement plus terne qu'à ses heures de
« catéchisme » pour
adultes. Pourquoi donc ces églises
bondées ? Parce que
les gens ont entendu parler
d'un
homme qui est le répondant de sa cause et
parce qu'ils constatent le bien-fondé de
cette réputation. Il annonce, avec courage,
sans détours ni équivoque, une Parole
qui l'engage, lui et ses paroissiens. Elle est
libre de toute superfétation
décorative et s'assure une audience par sa
propre autorité. Elle est proclamée
entièrement comme parole de Dieu et non
comme parole humaine. Aussi les auditeurs de ses
sermons sont-ils tout à fait pris par le
sujet, ses adversaires aussi bien que ses
partisans, car « la parole de la Croix
est un scandale pour les Juifs, une folie pour les
païens, mais puissance de Dieu pour nous qui
sommes sauvés ».
Souvent, après le dimanche, ses notes
de prédication circulent à travers la
paroisse et vont trouver les vieillards et les
malades. Deux séries de sermons de
Niemöller ont été
publiés. Leurs titres :
« Afin que nous demeurions en
Lui » et « Tout en
Christ » montrent bien le centre autour
duquel gravitent ses pensées. C'est au fond
l'ancienne et toujours nouvelle
vérité : l'homme ne peut rien
par sa raison et sa force, il ne peut vivre et
être sauvé que par la grâce de
Dieu. Point d'appel à l'héroïsme
humain, mais toujours la conscience profonde de
l'impuissance de notre savoir et de notre pouvoir.
S'agit-il de sa propre personne, de sa foi
et de sa piété, Niemöller, aussi
bien que n'importe qui en connaît la
fragilité. Les expériences de la
lutte ecclésiastique lui ont appris - et il
ne cesse de le rappeler - combien de tentations
nous entourent et combien d'illusions doivent
s'effondrer pour nous décider à
renoncer à tous les faux appuis et à
ne nous fonder que sur Lui. L'unique
sécurité de l'Eglise attaquée
comme de chaque croyant particulier est en Christ.
C'est Sa Parole qui agit et la victoire n'est
possible que par Sa puissance. La
prédication de Niemöller a la
tonalité du « C'est un
rempart » et part de là pour
passer à l'attaque. Elle dénonce les
manoeuvres du vieil ennemi,
découvre l'Antéchrist jusque
derrière le masque d'un
« christianisme positif » et
met la paroisse en garde contre tout
déguisement destiné à donner
à l'adversaire un aspect d'innocence. Aucun
domaine de la vie n'échappe au combat ni
à la responsabilité de l'Eglise.
École, famille, autorités,
juridiction, travail, loisirs, partout et en tout,
Christ.
« Dieu nous parle par sa sainte
Parole et nous Lui parlons par la prière et
par nos chants de louanges », c'est ainsi
que Luther a défini le sens du culte
évangélique. Telle est aussi la
règle de Dahlem. L'assemblée y est
active par le chant des cantiques, en disant le
Credo et le « Notre
Père » et en se joignant à
l'intercession pour les frères
persécutés. Il n'est aucun de ces
éléments qui soit moins important que
la prédication. Mieux que les adulateurs qui
poursuivaient Niemöller jusque dans la
sacristie, ceux-là l'ont bien compris, qui
disaient de Dahlem : « Voilà
une vraie paroisse », et qui emportaient
dans leur demeure le gain retiré de ce
culte. Car la qualité du travail d'un
pasteur se reconnaît au fait que sa parole
est reçue de telle façon qu'elle
reste agissante, même si ce pasteur vient
à disparaître. La paroisse de
Niemöller, à cet égard, a
été de bonne heure mise à
l'épreuve.
En février 1934, Ludwig Muller,
après lui avoir infligé une courte
suspension, voulut mettre Niemöller d'office
à la retraite, avec interdiction à la
paroisse de mettre un local religieux à sa
disposition. En outre, il essaya de le remplacer
par un commissaire
« chrétien-allemand ».
Mais ce dernier ne put jamais franchir le seuil de
Dahlem, parce que le Conseil de paroisse refusa de
le recevoir et de plus rendit inopérante la
mise à la retraite de Niemöller :
il lui suffit de la déclarer illégale
et de faire savoir aux autorités
ecclésiastiques que la paroisse continuerait
comme ci-devant à ne recourir qu'aux
services du pasteur légal. Niemöller a
pu ainsi continuer à remplir ses fonctions
comme si rien n'était
arrivé et personne ne remarqua qu'une
année plus tard les ordres de Ludwig Muller
furent rapportés sans bruit.
Ce n'était là cependant qu'un
prélude. Le 1er juillet 1933 Niemöller
fut arrêté et arraché par la
force à sa paroisse. Cette intervention
violente de l'adversaire éprouva gravement
celle-ci, la paralysa et intimida plusieurs de ses
membres. Mais le noyau resta fidèle, et ce
furent dès lors des laïques qui
jusqu'à cette heure-ci se mirent à
présider des cultes quotidiens
d'intercession pour leur pasteur prisonnier. De
plus, chaque soir un des pasteurs de Berlin est
appelé dans l'église de Dahlem afin
que les fidèles ne soient pas privés
du culte que Niemöller a si longtemps
célébré avec eux et auquel,
maintenant, il participe en silence et avec
reconnaissance du fond de sa cellule. Ce n'est pas
là seulement un bienfait pour lui et pour
ses compagnons de captivité, mais un signe
de la vie indestructible de l'Eglise du Christ et
un témoignage attestant que Niemöller
n'a pas en vain exhorte sa paroisse à
demeurer en Christ et à chercher toutes
choses en Lui.

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